Hommage de Jean-Pierre Maugendre, président de Renaissance catholique :
Le drapeau du royaume de Patagonie est en berne. Les Patagons sont en deuil. Le vice-consul de Patagonie s’est embarqué pour des cieux plus cléments, laissant une œuvre littéraire qui a marqué son époque et contribué à créer un esprit : l’esprit patagon. Un jeu sérieux qui consiste à aller faire une sortie, une gambade, une exploration quelque part ailleurs. C’est ainsi que Jean Raspail qualifiait l’hommage public qu’il rendit au roi Louis XVI le 21 janvier 1993 sur la place dite de la Concorde, lieu de la décapitation du roi, deux siècles auparavant. C’est sur intervention directe du Président de la République, François Mitterrand, que cet événement, d’abord interdit, put finalement avoir lieu.
Le voyageur et le romancier
Jean Raspail fut d’abord un grand voyageur. De ses voyages en Amérique du Nord, aux Antilles, sur la Terre de feu, etc. il rapporta des récits colorés : En canot sur les chemins d’eau du Roi, Secouons lecocotier, Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie, Les royaumes de Borée, etc. Mais c’est pour son œuvre romanesque que Jean Raspail est surtout connu, et reconnu. En 1973 parut un roman : Le camp des saints qui décrivait l’arrivée sur les côtes de Provence de quatre-vingt-dix-neuf bateaux rouillés et bondés. Un million d’hommes, de femmes et d’enfants faméliques issus du sous-continent indien débarquent. Cette multitude affamée se rue sur les terres riches et sous-peuplées de l’Occident, nouvelle terre promise où coulent le lait et le miel. L’Occident, amorphe et repu, ne réagit quasiment pas. La mauvaise conscience, la crainte d’être accusé de racisme l’ont depuis longtemps miné. Les hommes du refus seront écrasés ! Ce livre fit l’effet d’un électrochoc. La description, écœurante, de la saleté des nouveaux barbares crée un climat angoissant encore accru par la description de la lâcheté des vieux intellectuels humanistes. N’est-ce pas, d’ailleurs, un signe du destin que le jour même du rappel à Dieu de Jean Raspail, se soit déroulée à Paris une manifestation non autorisée, mais tolérée, appelant à la guerre raciale et à la revanche des minorités opprimées contre l’archétype du tyran : le mâle blanc ? Bien évidemment les petits valets de la Pensée unique qualifièrent l’ouvrage de sulfureux. Henri Amouroux, lui, fut enthousiasmé : « Ah mon Dieu, je n’ai jamais vu de prophète de ma vie. Vous êtes le premier ».
Le combattant
Ayant publié, sous le titre : Serons-nous encore français dans trente ans ? une enquête dans le Figaro- magazine le 26 octobre 1985, avec Gérard- François Dumont et Philippe Bourcier de Carbon, Jean Raspail fut l’objet d’une cabale dont le thème était : Le nombre d’étrangers reste stable, donc il n’y a pas de problème. Ce à quoi il fut facile de répondre que si chaque année il y a autant de naturalisations que de nouveaux arrivants, le chiffre des étrangers reste effectivement stable ce qui ne signifie pas que cela ne crée pas de problèmes. Devenir français ce n’est pas qu’acquérir la Carte Nationale d’Identité française. Nous sommes là au cœur de la vision qu’a Jean Raspail de la nation. Il croit à l’existence de civilisations diverses qui plongent leurs racines très profondément dans l’histoire. Il est passionnément amoureux de la civilisation française avec laquelle il cherche à renouer les fils distendus de la Tradition. Ainsi, dans Sire, le prince Philippe Pharamond de Bourbon, capétien âgé de 18 ans, est sacré roi de France en la cathédrale de Reims, par un vieux cardinal, Dom Felix, entouré de trois compagnons de son âge.
Jean Raspail était un homme de foi même s’il vécut pendant plusieurs dizaines d’années éloigné des sacrements de l’Eglise. L’abandon de la liturgie traditionnelle ne fut pas pour rien dans cette désaffection. Dans un entretien avec l’abbé de Tanouarn il confiait que s’étant confessé, après plusieurs dizaines d’années de non pratique religieuse, il s’apprêtait à communier pour Pâques lors qu’il découvrit, au moment de la communion, que celle-ci était distribuée par des laïcs, le prêtre restant inactif en haut des marches. Jean Raspail alla demander la communion au prêtre, qui la lui donna. Profondément meurtri, Jean Raspail ne remit plus jamais les pieds à l’église… « La foi ce n’est pas compliqué » affirmait- il, néanmoins, dans le même entretien (Monde et Vie 30 avril 2015). Jean Raspail était aussi un homme blessé par les souffrances présentes du peuple français et celles, qu’il pressentait, à venir, du moins pour la part de ce peuple qui aurait le désir de rester fidèle à l’héritage de ses Pères. En cela, Jean Raspail fit œuvre de compassion et de charité. Il semble cependant que sa relation à la vertu théologale d’espérance était plus complexe. Il eut beau écrire : « En dormition, l’âme de la France se réveillera » (Valeurs Actuelles 9 avril 2015), beaucoup de ses romans sont d’une noirceur crépusculaire : Le camp des saints, bien sûr, mais aussi Sept cavaliers quittèrent la ville au crépuscule par la porte de l’Ouest qui était ouverte, L’anneau du pêcheur. C’est d’ailleurs souvent une image guère reluisante des gens d’Eglise qui est présentée dans ces romans.
Jean Raspail était un habitué de nos fêtes du livre. Il était présent parmi nous lors de la première le 13 décembre 1992, mais aussi à la dernière en date, le 8 décembre dernier, tel un digne vieillard entouré d’admirateurs enthousiastes heureux de rencontrer une légende vivante. Jean Raspail était un poète, un éveilleur de conscience à la manière d’un Soljénitsyne ou d’un Hélie de Saint-Marc. Ce qu’il avait prédit il y a près de 50 ans est en train de se dérouler sous nos yeux. Y aura-t-il suffisamment de Dragasés (l’officier patriote du Camp des saints) et de Pikkendorff (le chef des Sept cavaliers…) pour inverser le cours de l’histoire ? Il faut le souhaiter. Malheureusement, et cette conclusion eut sans doute enchanté Jean Raspail : Penser la disparition de la France serait impie mais pas absurde. (Jacques Bainville)