Homélie de Dom Courau, père abbé de Notre-Dame de Triors, en la solennité de la Très Sainte Trinité :
"Mes bien chers Frères, mes très chers Fils,
Nous venons d’entendre la conclusion de l’évangile selon S. Mathieu, avec son dernier mot si consolant, à savoir que Jésus est avec nous chaque jour, jusqu’au dernier, jusqu’à la consommation des siècles, jusqu’à la fin du monde (28,18-20). Cette présence encourage la mission de l’Église d’évangéliser le monde, quelques soient les avatars éventuels que lui réservel’actualité : elle a vocation, malgré tout ce qui tente de s’opposer à sa liberté, de baptiser chaque fils d’homme et de lui apprendre à vivre en conformité avec l’enseignement de Jésus. Tout est dit ainsi de ce qui se passe dans l’histoire depuis 2000 ans, tout est ramassé en ces trois versets.
Bien sûr, l’actualité est souvent déprimante, l’Église sainte et universelle en a pris l’habitude, elle ne craint plus les phobies sur l’avenir, et les menaces quotidiennes. Mais celles-ci entravent l’exercice de la foi chez les petites âmes : elle fait penser au grand nombre qu’on ne vit qu’à demi, comme si le Maître divin qui nous donne l’existence ne nous la donnait qu’à regret et y tolérait des chagrins indignes de sa Bonté souveraine. Une foi insuffisante ne sera jamais à la hauteur de la vie morale, n’acceptant la Grande Pensée du Bon Dieu qu’avec réticence. Elle s’arrête alors en chemin, bloquée par ce pauvre ressenti immédiat, prompt à l’illusion qui fait de celui-ci comme un unique nécessaire.
Les Anciens étaient plus simples dans leur foi, et donc plus entiers dans leur adhésion au plan de Dieu. À nous mettre à leur école nous plonge dans le Cœur de l’Église où l’on n’a pas peur, car Jésus a vaincu le Mauvais.Un Père grec lit notre évangile avec simplicité et justesse : Ne dites pas que les commandements que je vous fais ici sont difficiles, car je suis avec vous, moi qui rend toutes choses légères (S. Jean Chrysostome, Hom. in Mt., 90). L’objection perdure pourtant : Seigneur, vous nous dites cela, mais vous êtes parti au ciel, nous laissant à nos difficultés : où donc est votre Présence promise ? Bède le Vénérable se posait déjà la question : Comment le Sauveur a-t-il pu dire : Voici que je suis avec vous, alors qu’il dit dans un autre endroit qu’il s’en va vers Celui qui l’a envoyé ? C’est, se répond-il en substance, que les choses divines ont d’autres lois que les choses humaines. Oui, le Sauveur va vers son Père avec son humanité ; ilreste pourtant, concrètement, efficacement, avec ses disciples en cette nature divine par laquelle il n’a jamais cessé d’être l’égal de son Père. Quand il dit, ‘jusqu’à la consommation des siècles’, il use d’une expression finie, pour signifier l’infini, car il est évident que celui qui reste dans le siècle présent avec les élus pour les protéger, demeurera éternellement avec eux après la fin du monde, pour les récompenser. S. Jérôme voit en la promesse du Seigneur d’être avec ses disciples jusqu’à la fin, l’affirmation qu’ils vivront toujours, et que le Seigneur n’abandonnera jamais ceux qui croiront en lui. En montant au ciel, Il n’abandonne pas ceux qu’il a adoptés, dit de son côté S. Léon (Sermon de Pâques), au contraire, Il les fortifie en leur inspirant la patience sur terre, tout en les appelant à la gloire.
Les Pères rejoignent donc ainsi le cri confiant de la petite Thérèse de Lisieux qu’elle reçut de ses pieuses lectures (Arminjon) : à la fin, après nos petits efforts, Jésus nous dira : voilà, à mon tour ! Oui, tout homme appartient à Dieu et est sous la gouverne de sa Providence : a fortiori celui que le saint baptême a consacré au Père, au Fils et au Saint-Esprit. C’est là que s’enracine notre joie de conformer notre vie à la volonté divine : car notre liberté nous fait appartenir alors tout entier à Dieu. À Fatima la Sainte Mère de Dieu est venue il y a cent ans pour rendre l’humanité à Dieu en l’arrachant à ses démons qui lui font la vie sur terre si tragiquement difficile. L’ange qui prépara les trois enfants à son audience leur a appris à se courber devant la Très Sainte Trinité pour l’adorer et lui offrir la Présence Eucharistique, Présence jusqu’au dernier jour, et avec les enfants, offrons cette Présence en réparation pour les négligences et les profanations dont elle est elle-même l’objet : nous reconnaissons alors que Jésus est avec nous jusqu’à la consommation des siècles. Sans être théologienne, Sœur Lucie tirait de l’orange qui est bien une avec sa peau, sa pulpe et ses pépins une humble image du grand mystère de ce jour : dans une seule unité, l’orange, nous avons trois choses distinctes et qui ont différents buts… Alors pourquoi nous étonner qu'en un seul Dieu il y ait trois personnes distinctes : le Père, le Fils et l'Esprit Saint ? (Mémoires de Lucie).
Peu d’années avant Fatima, une carmélite de Dijon vivait intensément la vocation inscrite en son nom, Élisabeth de la Trinité : O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'établir en vous, immobile et paisible comme si déjà mon âme était dans l'éternité ! Demain sera béatifié à La Spezia Itala Mela qui a vécu intensément de ce mystère ineffable dans les décennies qui ont suivi Fatima. Cet oblat bénédictin de S. Paul Hors-les-Murs a pourtant vécu loin de la foi avant 1917. Il devînt même farouche athée lors de la mort de son jeune frère après une maladie crucifiante. Néanmoins la dévotion à la Trinité le transforma totalement, plus précisément l’habitation de Dieu en son âme, ce mystère essentiel et fascinant de notre foi, disait-il, mystère mis en valeur à Fatima et solennisé en ce jour. Ses notes spirituelles nous encouragent maintenant : Vivre l'inhabitation c’est vivre son baptême : ce serait une grave erreur de voir là une ‘dévotion particulière’. Il s’agit pour tous de vivre la grâce que le baptême donne, pour pénétrer dans la réalité divine promise par Jésus : Nous viendrons et nous ferons en lui notre demeure (Ms. 4,52). Je n'oublierai jamais, écrit-il encore, que notre âme est la maison de la Sainte Trinité. Elle est là comme en un nouveau ciel. Bien souvent, nous cherchons à nous unir à Dieu par des moyens compliqués, sans nous rendre assez compte que par l’état de grâce l’invité divin est déjà là. En nous recueillant un instant en nous-mêmes dans les activités de la journée, nous sommes en contact avec l’auguste Trinité, qui daigne alors sanctifier nos cœurs, et bien vite nous découvrir ses trésors infinis (Ms 33, 219, 125 en L.).
S. Louis Marie, le Père de Montfort entraînait les âmes dans ses cantiques : Il a pris pour son temple / Et mon corps et mon cœur / C’est là que Sa grandeur / Nuit et jour se contemple. Mieux encore que tous les saints, Notre Dame ne cesse de nous encourager à cet acte de foi simple, Salve Regina, spes nostra salve, ostende nobis Jesum, amen.