Grégor Puppinck, juriste, directeur de l’European center for law and justice, publie dans Valeurs Actuelles une tribune sur le projet de loi sur la fin de vie, largement inspiré des propositions de l’Association pour le droit à mourir dans la dignité. Extrait :
[…] Ce projet de loi porte en lui-même les germes de dérives vers une extension du droit à la « mort choisie » : cela n’a rien d’étonnant car il résulte largement du militantisme de l’Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), qui s’enorgueillit d’avoir imposé le sujet et les termes du débat, et qui déclare, déjà, vouloir aller plus loin à l’avenir. Ce risque de dérive ou pente glissante apparaît nettement, à la fois dans le texte préparé par le gouvernement, et dans ceux de l’ADMD. […]
Les limites posées par le gouvernement sont bien fragiles. De fait, dès lors que l’interdit de tuer est levé, ces limites ne peuvent pas résister durablement face à la logique de la « liberté de mourir ». La situation dans les pays ayant levé cet interdit l’illustre abondamment.
La dérive, ou la « pente glissante » vers le suicide assisté est inévitable. Elle est inscrite dans l’idée même d’un droit à la mort volontaire découlant de l’autonomie individuelle.
Si ces dérives sont redoutées par certains, elles sont souhaitées par d’autres, comme autant de progrès futurs du droit à la mort volontaire. Jean-Luc Romero, ancien président de l’ADMD, déclarait durant l’assemblée générale de l’ADMD de septembre 2022, à propos de l’extension de l’euthanasie aux personnes de « grand âge », et aux mineurs (à laquelle il est favorable) : « Aller encore plus loin aujourd’hui », « stratégiquement », « ce n’est pas le moment », mais une fois la première loi adoptée « on l’améliorera ». De même, Jonathan Denis, qui lui a succédé à la présidence de l’ADMD, insiste sur la nécessité d’avancer pas à pas, sans effrayer les parlementaires. Il écrit :
« Comme la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse, telle que votée en 1975, était très incomplète, nous devons craindre que la loi qui sera proposée au vote des parlementaires, en 2023 nous dit-on, ne réponde pas à l’ensemble de nos revendications (…). Nous devrons accepter des concessions qui ne seront que temporaires, transitoires. Car dès lors que le principe même de l’aide active aura été voté, le front des anti-choix aura été brisé et nous pourrons enfin avancer rapidement et faire évoluer la loi vers ce que nous souhaitons tous : une loi du libre choix qui ne comporte aucune obligation pour quiconque ».
Cette approche n’est pas récente car Paul Chauvet, président de l’ADMD en 1985, écrivait alors :
« Il conviendra donc toujours d’avancer sur deux plans : celui de la demande acceptable aujourd’hui, et celui affirmé, confirmé, de l’idéal recherché, pour faire progresser notre objet. »
Pour les penseurs de l’ADMD, cet « idéal recherché » dépasse l’euthanasie des personnes souffrantes et mourantes : il est la mort volontaire et consciente. Henri Caillavet écrit ainsi : « Le suicide conscient est l’acte unique authentique de la liberté de l’homme », et Odette Thibault d’ajouter : le suicide « est le seul moyen de mourir… vivant » [sic]. La plupart des fondateurs de l’ADMD furent conséquents et se suicidèrent.