De l’abbé Paul Roy (FSSP) sur Claves :
Le rescrit donné en audience le 20 février dernier par le Souverain Pontife au cardinal Arthur Roche, préfet du Dicastère pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements, a encore fait couler de l’encre, sans que beaucoup se soient interrogés sur la nature et la portée de ce texte.
Profitons de l’occasion pour introduire certaines distinctions entre les différents documents émanant du pape, du Saint Siège et de ses différents organismes.
Il faut, avant de passer en revue les natures des divers écrits qui font la loi de l’Église, rappeler que le droit canon n’est pas formaliste : plus que la forme prise par une décision, c’est donc son contenu et l’autorité dont elle émane qui importent, avec la force que cette dernière entend lui donner. Ajoutons que les noms donnés aux différents documents romains ne sont pas fixés par une norme ou une tradition figée, leur usage a donc pu varier au cours du temps, et continue d’évoluer. Nous donnons ici le sens que la coutume a dégagé au cours des derniers siècles.
Abécédaire des documents romains
Bulle : désignant autrefois une amulette que les patriciens romains portaient autour du cou, plus tard un sceau, le terme en est venu par extension à désigner le document authentifié par ce sceau. Les papes ont commencé à utiliser eux aussi le sceau bullaire pour authentifier leurs documents, et on entend depuis lors par « bulle » les lettres officielles données par les souverains pontifes dans la forme la plus solennelle. Leur objet peut être une sentence doctrinale, une décision de canonisation, de discipline ecclésiastique, un jubilé, des indulgences, investitures canoniques, concessions[1]. Les bulles sont employées pour la nomination des évêques ; autre exemple célèbre avec la bulle Quo Primum du 14 juillet 1570 promulguant le missel romain.
Bref : lettre pontificale expédiée avec moins de solennité qu’une bulle, pour des affaires de moindre importance. Concernent ordinairement des dispenses, des concessions, des pouvoirs d’indulgencier, des grâces, provisions. Alors que les bulles étaient datées à partir de la naissance du Seigneur, les brefs l’étaient depuis l’Incarnation[2].
Constitution : nom autrefois donné à tout type de loi. Dans l’Église une constitution peut désigner une ordonnance donnée par un concile (souvent appelée « canon »), des décisions donnés par les papes hors d’un concile (décrets, décrétales et rescrits), les ordonnances des évêques. On parle encore de constitution apostolique pour désigner des décisions des papes en matière de foi et de discipline, rendues sous forme de brefs ou de bulles[3]. Exemple : la constitution apostolique Pascite Gregem Dei réformant le livre VI du Code de Droit canonique (23 mai 2021) ; les constitutions dogmatiques du concile Vatican II (Lumen Gentium, Gaudium et Spes, Sacrosanctum Concilium…).
Encyclique : lettre circulaire que les évêques et archevêques adressaient à leur troupeau, l’usage du terme est aujourd’hui réservé à des lettres apostoliques adressées par le pape à la chrétienté tout entière, directement ou à travers ses pasteurs. Les lettres encycliques ne sont pas adressées à un destinataire particulier, et se distinguent ainsi des bulles, brefs, constitutions dogmatiques, décrets pontificaux. La première à porter ce titre est due Benoît XIV en 1740[4]. Parmi les encycliques récentes on peut citer par exemple Veritatis Splendor du pape Jean-Paul II (6 août 1993) ou encore Caritas in Veritatede Benoît XVI (29 juin 2009).
Décret : terme large qui désigne un acte administratif ou judiciaire d’une autorité ecclésiastique. Un décret peut émaner d’un concile, du pape, d’une congrégation, d’un évêque ou prélat régulier, d’un chapitre…[5]
Motu proprio : termes d’une clause insérée dans certains rescrits, signifiant que le pape n’a été induit à faire cette grâce par aucun motif étranger, mais de son propre mouvement (motu proprio). Elle est utilisée quand le pape veut favoriser quelqu’un. Par extension, le motu proprio en est venu à désigner le document en lui-même dans lequel le pape fait usage de cette clause. Ce format s’est multiplié au cours des dernières années[6]. Exemple : le motu proprio Summorum Pontificum du 7 juillet 2007.
Rescrit : Du latin rescribere (donner une réponse par écrit). Un rescrit est une lettre apostolique par laquelle le pape ordonne de faire quelque chose en faveur d’une personne qui a demandé une grâce. Existant en droit romain comme réponse donnée par l’empereur ou le conseil impérial à la demande d’un particulier ou d’un magistrat (ex : Trajan, Hadrien), le rescrit fut repris en droit canonique. Un rescrit est une lettre apostolique par laquelle le pape ordonne de faire quelque chose en faveur d’une personne qui a demandé une grâce. Il est donné par le pape ou une congrégation romaine en faveur d’une personne et pour une occasion particulière, en réponse à une supplique ou demande. Il porte décision sur un point de droit, accorde une dispense, un privilège ou une grâce quelconque. Bulles et brefs sont ainsi des formes de rescrit[7].
Document et autorité magistérielle
Ayant distingué les différents documents par lesquels le pape et les congrégations romaines peuvent manifester leur autorité, il faut rappeler que la forme d’une décision pontificale n’a pas par elle-même d’influence sur son autorité. Ces textes peuvent ainsi relever des différents degrés d’autorité du magistère, selon leur objet et l’esprit du législateur. Pour mieux comprendre et distinguer ces différents niveaux, nous renvoyons à l’article fondamental de l’abbé Bernard Lucien sur Claves.
L’interprétation du droit canonique
Pour en venir enfin à l’interprétation du droit de l’Eglise, la tradition a distingué plusieurs types d’interprétation. Celle-ci peut être authentique, apportée par l’autorité elle-même, ou doctrinale, si elle émane de commentateurs, spécialistes et autres auteurs. Quelle qu’en soit la source, une interprétation peut être dite déclarative, lorsqu’elle se contente d’expliciter le sens des mots employés, extensive, lorsqu’elle l’étend (supposant que le législateur ait eu une intention au-delà des termes exprimés), ou restrictive dans le cas inverse. Ces derniers cas de figure (extension ou restriction) sont ordinairement réservés au législateur lui-même ou au instances judiciaires (l’interprétation est alors seulement valable pour l’affaire en cause). Bien comprendre ce qui semble être un arsenal de subtilités juridiques demande de toujours garder en tête l’intention du législateur : l’esprit de la loi est ce qui permet de l’appliquer en justice et équité.
L’usage traditionnel a consacré un adage qui gouverne ordinairement l’interprétation des lois de l’Eglise : « favorabilia sont ampligenda, odiosa sunt restringenda, » autrement dit, les dispositions favorables sont à interpréter largement, les restrictions strictement.
Qu’en est-il d’un rescrit ? Comme on l’a relevé ci-dessus, un rescrit est une décision juridique qui vient s’appliquer à un cas ou une personne particulière, pour lui concéder une dispense ou une grâce. Il est donc inférieur en termes d’autorité à une loi de l’Eglise, de portée universelle. En outre, un tel document a ordinairement pour but d’accorder une faveur, soit une interprétation extensive d’une loi plus restrictive. Si l’on s’en tient à la classification traditionnelle rappelée ci-dessus, un rescrit serait donc un élément d’interprétation authentique extensive, venant élargir le cadre d’application d’une norme supérieure plus stricte.
Les canonistes hésitent donc aujourd’hui sur la manière de considérer le récent rescrit donné au sujet du motu proprio Traditions custodes et l’ensemble du corpus législatif venant régler la possibilité de célébrer selon l’usus antiquior de la messe latin. Sans annuler les dispositions précédentes, ce texte semble en restreindre l’application à l’interprétation la plus stricte ; certains ont par ailleurs été jusqu’à le mettre en opposition à des lois de l’Eglise, en particulier le canon 87§1 qui permet aux évêques de dispenser certains de leurs fidèles des lois universelles en matière disciplinaire, en vue de leur bien spirituel. Le texte prévoit cependant que cette dispense peut être réservée au Siège Apostolique, ce qui semble être aujourd’hui le cas à travers la nécessité imposée de recourir au Dicastère pour le Culte Divin.
Références