De Gérard Leclerc dans France catholique :
[…] La radicalité de l’Écriture, lorsqu’elle ne s’accompagne pas d’une insertion dans les réalités temporelles, peut conduire à une sorte de langage éthéré qui se niche dans les formes de l’idéologie. On s’en est aperçu dans les années 1970, avec une tentation marxisante des catholiques de gauche et aussi l’illusion entretenue d’un tiers-mondisme qui changerait la face du monde. Fides et ratio ! La foi ne peut jamais se priver des lumières de la raison. Et il est une raison politique qui a ses exigences propres que l’Évangile ne saurait effacer. De ce point de vue, d’ailleurs, l’Évangile a donné un solide avertissement en distinguant ce qui appartient à César et ce qui appartient à Dieu. De même, saint Paul en imposant le strict respect de l’autorité impériale, au moment même où celle-ci persécutait l’Église primitive, anticipait ce qu’un Pascal entendrait par la distinction des ordres.
Trouver un langage
Est-ce à dire que l’ordre de la charité serait étranger totalement à l’ordre politique ? Sûrement pas ! Il existe une sagesse politique, qui nous vient de loin, des meilleurs auteurs. Mais elle s’est trouvée accueillie, complétée, parfois redressée à travers la confrontation avec une pensée chrétienne. Simone Weil, dont nous évoquions le parcours la semaine dernière, s’inscrivait tout à fait dans cette perspective, lorsqu’elle rédigeait son dernier ouvrage, L’enracinement, consacré justement à la sagesse politique. La philosophe était intimement persuadée qu’il fallait « rassembler les gens derrière les aspirations chrétiennes ». Mais cela n’était possible qu’en trouvant un langage accessible à tous « catholiques, protestants, athées ». Simone Weil croyait que cela était possible, sans qu’il y ait besoin de faire des concessions, en atteignant la substance de ce qui était une profession de foi. Il est vrai qu’elle s’inscrivait dans une sorte de dessein programmatique de reconstruction d’une France libérée de l’oppression nazie. Ce qui supposait un certain optimisme, ainsi qu’une recherche exclusive du bien commun, au-delà de la division des partis.
Une nécessaire réflexion
Ces partis que, par ailleurs, elle aurait voulu voir disparaître… Ce qui, il faut bien l’admettre, relevait de l’utopie, hors de l’usage démocratique, celui reconnu dans la Constitution de la Ve République. Son fondateur n’avait-il pas pourtant, toujours dénoncé la division qu’ils infligeaient à l’unité nationale ?
La sagesse d’une Simone Weil est-elle recevable aujourd’hui ? Elle s’oppose à d’autres conceptions, comme celle d’un courant qui, pour combattre le totalitarisme, défend la démocratie comme « un lieu vide » rebelle à toute fixation idéologique. Mais n’est-ce pas un certain nihilisme qui menace cette conception hyper-libérale du politique ? D’autant plus périlleuse qu’elle peut s’apparenter à ce que Cornelius Castoriadis appelait « la montée de l’insignifiance intellectuelle ».
Il y a donc lieu de s’engager toujours résolument en faveur d’une réflexion politique exigeante qui tienne compte notamment de ce que Pierre Boutang appelait « la différence chrétienne ». Mais cela nous conduirait à un degré encore supérieur d’exigence philosophique et théologique.