Deuxième partie de notre trilogie sur la Congrégation des Sœurs Arméniennes de l’Immaculée Conception
De notre envoyé spécial Antoine Bordier
Telle est la devise de la Congrégation des Sœurs Arméniennes de l’Immaculée Conception. A Gyumri, il fait – 7°C ce dimanche matin. La ville, située dans le nord-ouest de l’Arménie est à deux heures de route de la capitale, Erevan. Immersion au cœur d’une communauté religieuse au service de l’enfance.
Avant de faire la route avec sœur Rebecca, la Supérieure du Couvent de la congrégation à Gyumri, nous avons rencontré Mgr Vahan Hovhanessian, le Primat du Diocèse Arménien Apostolique de France. Il venait de passer la semaine à Etchmiadzin, avec ses confrères du monde entier, autour de Sa Sainteté Karekine II. Un samedi haut en couleurs, donc, où les drapeaux bleu-blanc-rouge et rouge-bleu-abricot, se rejoignent sous le regard de Dieu, pour célébrer l’amitié ancestrale franco-arménienne. Quittons le monde des adultes. Avec sœur Rebecca, direction celui de l’éducation et de la jeunesse.
A l’école de la charité
Sœur Rebecca n’aime pas parler d’elle. Son aller-retour Gyumri-Erevan n’était pas prévu à son agenda. Dans la journée de ce samedi 27 février, elle a fait près de 5 heures de route. A l’origine, à la place de ce couvent, qui a été construit entre 1995 et 1998, date de son inauguration, il n’y avait qu’une friche abandonnée. Les bâtiments actuels regroupent le Centre Educatif Boghossian, le Lycée professionnel Raymond et Ani Kouyoumjian, et, le Centre de jour pour les personnes âgées Nadine Basmadjian. Sœur Rebecca se souvient des débuts difficiles : « C’est sœur Arousiag qui a initié notre implantation en Arménie. Tout est partie du tremblement de terre du 7 décembre 1988, qui a détruit Spitak et ses environs. Nous avons commencé là au milieu des décombres. Nous sommes restées quelques jours pour aider la population en détresse. Nous avons dû repartir car sœur Arousiag vivait à Rome, et, moi en Iran. Sœur Arousiag et sœur Archagouhie sont venues en 1991 et moi en 1992. Nous nous sommes installées à Spitak. Nous vivions dans la pauvreté. Nous avions très peu de moyens. Notre logement était un simple bureau. Nous n’avions ni eau, ni électricité. Je me souviens être allée me réchauffer dans un hôpital, celui d’Ashotsk, qui a été construit par le pape Jean-Paul II. Puis, nous avons eu une petite maison à Gyumri. Et, enfin, nos généreux donateurs de la diaspora sont entrés en action. » Dans le quartier Ani, qui se situe dans le nord de la ville, après le rond-point Charles Aznavour, les friches ont été transformées en couvent et en centre éducatif où vivent les 4 sœurs et une trentaine d’enfants. « Le plus petit a 1 an et 4 mois, explique sœur Rebecca. Après leurs 18 ans, nos jeunes peuvent rester jusqu’à temps qu’ils deviennent autonomes professionnellement. ».
Le bonheur à Gyumri
Avec sœur Mariam, qui est la responsable des vocations, sœur Narine qui s’envolera bientôt pour Los Angeles, sœur Arpine, responsable de la chapelle et de la cuisine, sœur Srpouhi, responsable des enfants, sœur Rebecca est bien entourée. Parmi les 33 enfants qu’elles accueillent, il y a des orphelins, des enfants abandonnés, des fratries dont le papa est, par exemple, parti vivre à Moscou. Autre exemple, une des mamans a confié son petit enfant d’un an et demi (cité plus haut) à la communauté, le plus jeune d’une fratrie de trois. Les enfants revivent dans ce « nid d’amour ». Les trois frères et sœur sont de Spitak. Dans le réfectoire, un autre enfant ne mange pas tout son repas. Il garde de la nourriture pour sa maman. C’est devenu une habitude, même s’il sait qu’il ne peut pas lui rendre visite. A 7 ans, il a grandi trop vite. Ici, les sœurs redonnent une onction d’enfance et d’innocence à tous ces enfants blessés par la vie. Les enfants sont logés, nourris, et, habillés gratuitement, grâce aux bienfaiteurs. « Même si nous n’avions plus rien, explique la sœur, nous leur donnerions ce qu’il nous reste. » Elles leur donnent tout : l’amour, la discipline, l’éducation, la présence du Christ et la sécurité du lendemain. Elles ont un sens inné de la maternité, creusé à travers leur vie quotidienne centrée sur l’adoration, le chapelet, et, la Messe. Elles sont comme leurs secondes mamans.
Une vie familiale sous le regard de Dieu
Les enfants connaissent leurs prières par cœur. Vu de France, cela pourrait paraître incroyable à beaucoup d’enfants, qui se rendent dans des écoles privées dites catholiques. Ici, la prière est leur pain quotidien. Tous les matins, ils se lèvent vers 7h15, et, se rendent dans la chapelle du couvent pour la prière de 7h45. Dans la chapelle, les sœurs viennent de terminer les laudes. Les enfants prennent place calmement et dans le silence. Puis, entonnent des chants. Après, direction le réfectoire, où un petit-déjeuner copieux les attend. Le silence est de rigueur, pendant le carême. Au menu de ce mardi matin, des œufs, du pain brioché et un peu de charcuterie locale. Une atmosphère monastique règne. A tour de rôle, trois enfants effectuent leurs services de table. Covid-19 oblige, ils prennent la température de tous, y compris des sœurs. Clémence et Marie, deux jeunes françaises volontaires de 25 et 24 ans, sont assises au milieu des enfants. Volontaires de l’Œuvre d’Orient, elles viennent donner 3 à 6 mois de leurs temps. Dehors, le vieux bus jaune scolaire, rafistolé de toute part, attend les enfants. Il est 8h53. Direction l’école. Au couvent, la Messe est célébrée à 9h00. C’est le père Joseph, venu accompagné de son fils, qui officie. Dans l’Eglise Arménienne Catholique, les candidats à la prêtrise peuvent choisir entre le célibat et le mariage. Comme à l’époque des premiers apôtres. Après la Messe, les sœurs font un temps d’action de grâces, puis, vaquent à leurs occupations.
Le centre pour personnes âgées et le lycée professionnel
Dans l’après-midi, sœur Rebecca sort du couvent, traverse la cour enneigée, longe le bâtiment principal, et, se rend dans celui du Centre de jour pour les personnes âgées. A l’intérieur, près d’une vingtaine de personnes sont assises dans le salon. Parmi elles, comme l’explique la responsable de gestion, Sahakanouche, « la plus âgée à 93 ans. Elle s’appelle Dikranouhie. Comme les autres, elle vient au centre pour se ressourcer, et, ne pas rester seule. Née en Russie, elle termine sa vie ici à Gyumri. Elle a un petit appartement en ville. Elle parle souvent de son petit-fils, qui a été blessé à la guerre. » Il n’y a qu’un homme qui joue aux cartes. Les autres demi-pensionnaires regardent la télévision, tricotent ou jouent au loto. En Arménie, la retraite ne permet pas de vivre convenablement (70 euros de pension pour un coût de la vie estimé à 140 euros), c’est pour cela que les sœurs ont ouvert ce centre qui accueille gratuitement les retraités. Les repas leurs sont offerts. Sœur Rebecca salue tout le monde, discute un instant avec Sahakanouche, qui feuillette le registre des inscrits. Elle repart en direction du Lycée professionnel, qui se situe à une centaine de mètres dans l’enceinte du couvent. Le bâtiment est impressionnant et dénote. Moderne, grand, il a été inauguré en 2009. Il est le fruit d’une collaboration entre les sœurs, des bienfaiteurs, comme Raymond et Ani Kouyoumjian, l’Oeuvre d’Orient, et, d’autres comme les Orphelins Apprentis d’Auteuil. Au rez-de-chaussée se trouve une grande salle de théâtre, qui peut accueillir 500 personnes. Au sous-sol sont situées les salles de cours et d’apprentissage du Lycée professionnel Diramayr.
A l’école de la gastronomie franco-arménienne
Arpenik Mikayelyan a 22 ans, lorsqu’elle part à Paris. Nous sommes en 2011, elle va suivre un stage intensif de formation de cuisine auprès du grand chef Jean Jacques. Elle veut devenir chef, elle aussi. Sa passion, c’est la cuisine. A ses 18 ans, elle s’oriente vers les métiers de la gastronomie. « En France, j’ai appris les techniques françaises. Ce sont les meilleures techniques pour apprendre à cuisiner. » Aujourd’hui, elle enseigne ces techniques au lycée professionnel. La gastronomie arménienne gagnerait à être connue du monde entier. Plus tard, les plats que sont en train de préparer ses étudiants, Armine, Paylak, Lusine, Robert et leurs autres camarades, seront servis au couvent. Au menu : ratatouille et quiche lorraine. Arpenik évoque les meilleurs plats arméniens, comme « la dolma, la ghapama, et, la parlava. Le premier est à base de choux et de légumes farcis. C’est un délice », dit-elle avec ses grands yeux noirs qui invitent à la dégustation. Le second est à base de citrouille, de riz d’amande et de miel. Et, le dernier est un dessert feuilleté, avec de la noix et du miel. A l’issue de la formation qui dure 1 ou deux ans, les étudiants reçoivent un certificat professionnel. Puis, c’est l’entrée dans la vie active. Arpenik retourne voir ses élèves. Elle glisse en guise d’au-revoir : « Je suis très heureuse ici ». Sœur Rebecca ressort et s’arrête devant une sculpture qui représente la devise des enfants : le Christ, entouré d’enfants. La devise : « Laissez venir à moi les petits enfants » est écrit en arménien. Au couvent, les plus jeunes sont rentrés de l’école, il est 17h00. Ils sont excités. Le repas du soir est le temps de raconter sa journée. Dehors, la neige qui est tombée la veille persiste encore par endroit. Il fait – 5°C. Elle entoure de sa blancheur immaculée, ce petit paradis en terre arménienne où la jeunesse un temps délaissée revit.
Texte et photos réalisés par notre envoyé spécial Antoine BORDIER