De l'abbé de Tanoüarn :
"Après avoir crié "Dieu est mort", les cultureux de tous pelages commencent à réaliser que l'athéisme ne tient pas la route. C'est ce que souligne Philippe Nemo, dans un petit livre tout à fait passionnant, intitulé La belle mort de l'athéisme moderne. Belle mort ? Il faut remonter à l'expression "mourir de sa belle mort". L'athéisme moderne est mort, mais personne ne l'a tué, il est mort de sa belle mort. Il est mort parce que les hommes ont compris qu'il n'apportait rien, que l'athéisme ne rendait pas plus heureux, que ce n'était pas la peine de refouler Dieu en soi, puisque l'absence de Dieu ne nous donnait rien de plus et nous mettait souvent dans des situations inextricables.
On ne comprendra pas l'importance du livre de Philippe Nemo, si l'on oublie de quels sentiments est faits l'athéisme moderne. Comme l'a expliqué naguère Claude Tresmontant dans Le problème de l'athéisme, l'athéisme moderne est avant tout un antithéisme : "Si Dieu existait, écrit Sartre dans sa célèbre petite conférence L'existentialisme est un humanisme, ce serait une raison supplémentaire pour nous de le combattre". Philippe Nemo fait un récapitulatif des diverses formes de cet athéisme moderne, et il souligne à chaque fois qu'aujourd'hui telle forme est morte : le positivisme est mort, la libre pensée se fait croire à elle-même qu'elle existe encore, c'est uniquement un effet de la censure "correcte" si elle a encore quelque chose à dire, mais les obédiences maçonniques découvrent qu'elles sont fondées sur un modèle théologico-politique dépassé. La critique biblique a dû en rabattre depuis Spinoza (1670) ; aujourd'hui l'exégèse reste massivement en faveur du fait biblique : plus personne ne nie l'historicité du Christ ou l'originalité de sa parole. Quant à la recherche d'un absolu philosophique, à travers le hégélianisme ou les méditations plus ou moins échevelées de Heidegger, il faut bien reconnaître que toutes ces sectes intellectuelles (si belles dans leur prétention) sont dans l'échec. Après tout un Maxence Caron a raison d'essayer de théologiser tout ça : que peut-on faire d'autre de la pensée allemande que la reconduire au christianisme qui a été sa matrice… haïe…Autre forme d'athéisme : l'Absolu artistique. Il relève aujourd'hui de la galéjade : l'art contemporain nous en a débarrassé. Le cinéma de Bayreuth et des wagnériens en transe en constitue l'exacte limite. Nietzsche lui-même doit se résigner à le reconnaître dans Le cas Wagner.
Que reste-t-il ? Les diverses formes de syncrétisme… Cela a été l'enthousiasme de Mai 68, la vie entre Bouddha et Jésus super-star (le nouveau bouddhisme forme ultime du nihilisme européen disait déjà Nietzsche). Le moins que l'on puisse dire, c'est que ce syncrétisme scout a du plomb dans l'aile. Quant au néo-bouddhisme… Qui y croit vraiment ? Tout cela fait partie de ce que Gérard Leclerc a appelé avec raison le bricolage religieux. Je ne parle pas des millénarismes laïcisés que sont les différentes idéologies : qui croit au Paradis sur la terre aujourd'hui ? Même la mondialisation, cette idéologie ultime, engendre déjà… la Grèce d'aujourd'hui, ses manifestations, ses incendies, ses élections anticipées, ses diminutions de salaire ! C'est dire.
Il est vrai qu'il n'existe plus aucune forme de l'Absolu qui tienne la route, hormis le christianisme, le plus tôt contesté, et qui demeure encore debout malgré toutes les critiques, qui demeure non seulement comme une religion populaire mais comme une perspective vitale qui, aujourd'hui séduit aussi les intellectuels. Le christianisme a affronté toutes les questions de la modernité depuis l'origine. Il a passé "deux siècles chez Lucifer" comme disait Maurice Clavel, désignant la crise de la conscience européenne et ses suites. Il s'en est sorti, sous la houlette de Benoît XVI, intellectuel chrétien décomplexé ! […]"