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Culture

Le chaos ukrainien : comment en est-on arrivé là ?

Le chaos ukrainien : comment en est-on arrivé là ?

A l’occasion de la sortie de son nouveau livre, “Le Chaos ukrainien”, Nikola Mirkovic a bien voulu accorder en exclusivité pour les lecteurs du Salon Beige un entretien sur la situation dramatique qui se dégrade depuis bientôt 10 ans entre l’Ukraine et la Russie. 

Nikola Mirkovic, vous êtes depuis des années un courageux et authentique trait d’union entre l’Est et l’Ouest. La situation actuelle doit donc être un véritable déchirement pour vous. Mais comment en est-on arrivé là ?

Cette guerre est une tragédie pour l’Europe et le monde chrétien, surtout orthodoxe. Elle était tout à fait évitable mais nous n’avons rien fait, à l’Ouest, pour la prévenir. Quand le mur de Berlin est tombé les responsables politiques occidentaux et Gorbatchev parlaient de la « maison commune » européenne et de la nécessité de bâtir une architecture de la paix et de la prospérité de l’Atlantique au Pacifique. C’était le vœu du Général de Gaulle de bâtir une Europe de l’Atlantique à l’Oural. Malheureusement l’Europe qui s’est construite était une Europe technocratique et supranationale, bien loin du veux gaulliste d’une Europe des nations. La construction européenne s’est faite sous le regard omniprésent de Washington qui nous considère comme sa chasse gardée. C’est ce qui fait dire à l’ancien conseiller à la sécurité américain Zbigniew Brzezinski que l’Europe de l’Ouest est globalement un « protectorat américain. » François Mitterrand s’en était plaint d’ailleurs, hélas en catimini. Quand les US ont vu qu’ils n’allaient pas pouvoir dominer la Russie comme ils l’avaient fait avec d’autres pays de l’Est ils ont identifié le pays des tsars comme un ennemi. Cette crainte de l’émergence d’un rival puissant en Eurasie irrigue la politique extérieure des Etats-Unis depuis plus d’un siècle. Le crime russe est celui d’un pays qui n’a pas voulu se soumettre au FMI, à la Banque mondiale, au dollar et à l’hégémonie américaine. Zeus rend fou ceux qu’il veut perdre et c’est exactement ce que les US ont fait avec Moscou : campagnes de calomnies dans les médias, insultes publiques, exercices de l’OTAN sur ses frontières, guerres dans ses zones d’influence (ex-Yougoslavie, Afghanistan…). L’ancien patron de la DST française, Yves Bonnet, dit que nous avons infligé « 30 ans d’humiliation et de mépris » à la Russie. Les atlantistes ont également organisé des révolutions de couleur dans la zone d’influence russe pour faire tomber les gouvernements non alignés sur Washington. Mais la goutte d’eau qui a fait déborder le vase a été le coup d’Etat à Kiev en 2014 soutenu par Washington et l’UE. A partir du moment où les lignes rouges avaient été franchies par les atlantistes il était écrit que le conflit ouvert serait proche.

“Si nous ne soutenons pas l’Ukraine, elle tombera en quelques jours. Oui, nous aimerions dépenser cet argent pour améliorer le bien-être des gens, des hôpitaux, des écoles, des villes. Mais nous n’avons pas le choix !”

Cette déclaration hallucinante de Josep Borrell, actuel Vice-président de la Commission européenne, et Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères, bien dans la longue tradition belliciste des socialistes, en dit long sur la situation ubuesque dans laquelle est l’Europe aujourd’hui face à ce conflit, cette guerre, qui se déroule en Ukraine, donc aux frontières de l’Europe.

Aveu de soumission, schizophrénie, duplicité… L’Europe se ruine et s’humilie chaque jour pour prendre ouvertement parti dans un conflit qui n’est pas le sien et où elle a tout à perdre, jusqu’à son identité, son existence et son honneur. Comment l’Europe et plus particulièrement la France peut-elle sortir de ce piège ?

L’Europe et notamment la France doivent impérativement se sortir de ce piège. Nous sommes devenus les supplétifs de Washington et ne contrôlons donc plus notre destinée ce qui est plus que paradoxal pour une république qui a choisi le mot « liberté » pour la représenter. Notre intérêt est de nous libérer des chaînes américaines et de faire revenir très rapidement la paix en Europe. Il est facile pour l’Oncle Sam d’inonder l’Ukraine d’armes, ils sont à plusieurs milliers de kilomètres du conflit ; pas nous. La France doit devenir le premier grand pays européen à rompre avec l’atlantisme qui nous soumet politiquement et militairement aux US et qui corrompt notre culture. Libéré de ce joug, une France souveraine peut reprendre une place de grande puissance sur l’échiquier mondial et se donner les moyens diplomatiques pour négocier la paix en Ukraine en dialoguant avec Kiev et Moscou et les Nations Unies où elle est, encore, membre permanent du Conseil de Sécurité. Cela prendra du temps mais c’est faisable.  La majorité de la planète rejette l’hégémonisme américain qui n’a jamais été aussi fragilisé. Le monde multipolaire qui se construit en ce moment aura besoin de grandes nations européennes indépendantes, la France doit se réveiller et répondre à cet appel.

Le Donbass semble donc être le symbole et la clé de voûte d’un nouvel ordre mondial qui ne dit pas son nom mais qui joue son hégémonie ou son avenir en sacrifiant des centaines de milliers de jeunes victimes slaves et orthodoxes, comme on sacrifiait jadis aux dieux païens. Cette nouvelle religion mondiale est-elle le véritable enjeu de cette guerre que se livrent la Russie et les USA, à travers son “machin”, qu’est l’Otan ?

Oui tout à fait. La guerre n’est pas entre la Russie et l’Ukraine mais bien entre la Russie et les mondialistes qui se sont servis des USA pour bâtir un empire et qui voient Moscou comme un point d’achoppement à leur construction mondiale. Cette guerre, provoquée par Washington comme le rappelait récemment Robert Wade de la London School of Economics, est une guerre ouverte des mondialistes contre les nations libres qui ne veulent pas se soumettre au nouvel ordre mondial que George W. Bush appelait de ses vœux à la chute du communisme. De manière crue mais

réaliste, l’ancien sénateur américain Richard H. Black, critiquant son propre gouvernement, dit : « Les États-Unis et l’OTAN, nous nous préoccupons peu du nombre de morts ukrainiens, qu’ils soient civils ou militaires. Nous nous en fichons328. » Les atlantistes veulent, quoi qu’il en coûte, que l’Ukraine devienne le nouvel Afghanistan du Kremlin et que cette guerre l’épuise financièrement et moralement afin de changer le gouvernement en place comme ils l’ont fait dans tant d’autres pays. Les US se contrefichent de l’Ukraine, ils veulent affaiblir la Russie. Quelle que soit l’issue de la guerre Washington abandonnera la région comme elle a abandonné le Vietnam, l’Irak ou l’Afghanistan. Où est-ce que Washington a apporté la paix et la prospérité ? Nulle part. Pourquoi en serait-il autrement en Ukraine ? Le cynisme est porté à son paroxysme car les US et l’UE financent cette guerre sans y verser le sang.  Il y a certes quelques militaires de l’OTAN sur place et des milliers de mercenaires issus du monde atlantiste mais ce n’est rien par rapport aux centaines de milliers de slaves qui s’entretuent en ce moment. Au lieu de cela nous rivalisons d’attaques perfides contre notre ancien allié, jurons de faire s’écrouler l’économie russe et souhaitons la victoire de l’Ukraine… C’est tout le contraire de ce que devrait souhaiter une grande nation civilisée et chrétienne.

L’Europe a renié toute indépendance dans ce drame, et vient donc de sortir de l’Histoire, à l’instar de la France de Macron, qui s’autodétruit consciencieusement et honteusement chaque jour un peu plus. La Chine observe, à l’image de la plupart des grandes puissances mondiales, dans une certaine neutralité apparente. Qui peut donc mettre fin à cette guerre entre l’Otan et la Russie, avant qu’il ne soit trop tard ?

La France peut y mettre fin. Il suffit qu’elle s’engage à ne jamais accepter l’Ukraine dans l’OTAN et à bloquer le financement de cette guerre au sein de l’UE. Ce sont deux leviers extraordinaires que Paris pourrait monnayer dans une négociation raisonnée avec Moscou. En faisant cela la France redeviendrait une grande nation mondiale capable de trouver le chemin du dialogue avec ses voisins en guerre. En prenant le rôle de chef de file du camp de la paix et de la stabilité, la France attirerait à elle d’autres nations qui ne veulent plus des guerres et de l’ingérence américaines. La France deviendrait la tête de file des nations européennes qui veulent retrouver leur souveraineté. Cela ne signifie absolument pas courber l’échine devant Moscou, cela signifie que nous décidions enfin de redéfinir une coopération européenne fondée sur la paix été la stabilité. C’est la seule façon de protéger notre héritage et notre culture dans un monde où d’autres continents développent de formidables atouts démographiques ou technologiques. Il faut être vraiment ignorant pour se mettre à dos la Russie qui est un des pays les plus riches du monde avec lequel nous, Français, avons une histoire particulière.

Nikola Mirkovic, vous n’êtes ni devin ni prophète, mais alors que le bruit d’une hypothétique offensive est chaque jour plus assourdissant, comment voyez-vous l’évolution du conflit dans les mois à venir ?

Il est extrêmement difficile de prévoir l’issue de cette guerre. Ni les USA ni la Russie ne peuvent la perdre donc elle peut encore durer longtemps et dégénérer au-delà du théâtre d’opérations actuel. Il ne faut pas oublier qu’en parallèle de la guerre militaire il y a un affrontement économique où la toute puissance américaine est ébranlée par le mécanisme de la dédollarisation qui la prive progressivement d’un de ses plus grands atouts. Les USA ont su surmonter bien des troubles dans leur courte histoire mais ils sont aujourd’hui dans une situation peu enviable. Les Américains sont divisés entre eux-mêmes comme les deux dernières élections présidentielles l’ont montré. Leur économie est fragilisée. Ils ont perdu en Syrie et ont dû fuir l’Afghanistan et ils frôlent les 100 mille milliards de dette (presque quatre fois leur PIB). Pendant longtemps les guerres américaines étaient absorbées par une société relativement solide et une économie prospère. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il faut alors prier pour que les faucons de guerre états-uniens, qui ne vivent qu’au son du canon et la destruction des sociétés traditionnelles (comme le rappelle l’historien néoconservateur américain Max Boot) ne se disent pas que la seule solution pour sauver le Soldat Ryan est de déclencher une nouvelle guerre mondiale en espérant qu’ils s’en sortiront mieux que d’autres. C’est une vision apocalyptique qu’il ne faut hélas pas prendre à la légère. Il est donc urgent que la France s’extirpe du monde atlantiste et se lève pour négocier une paix rapide et durable. Si elle ne le fait pas alors prions que d’autres nations y parviennent rapidement. Plus vite cette guerre se termine, mieux cela sera pour la France… et l’humanité.

Votre livre est donc aujourd’hui plus que jamais une clé indispensable pour comprendre le drame civilisationnel qui se joue sous nos yeux, et nous encourageons les lecteurs du Salon Beige à se procurer votre ouvrage.

Nikola Mirkovic est diplômé de l’European Business School. Président de l’association Ouest-Est, il a mené de nombreuses missions humanitaires au Donbass en guerre ainsi qu’au Kosovo et en Métochie (Serbie). Il est régulièrement invité par les médias francophones et internationaux pour ses analyses géopolitiques. Il est l’auteur du Chaos Ukrainien (2023), L’Amérique empire (2021), Bienvenue au Kosovo (2019) et Le Martyre du Kosovo (2013).

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4 commentaires

  1. Dick Black n’est pas un ancien sénateur américain c’est un ancien sénateur de l’Etat de Virginie.

  2. Tout cela est tragique. La responsabilité des américains depuis la chute du mur est très grande mais aussi la responsabilité de dirigeants européens comme Hollande et Merkel (sans parler de Macron) chargés de surveiller l’application des accords de Minsk et qui ont sans aucune honte reconnu qu’il ne s’agissait pas d’accords pour la paix mais pour gagner du temps pour armer l’Ukraine et la préparer à la guerre, en d’autres termes qu’il s’agissait de mentir aux peuples européens en préparant une guerre qu’ils ne désiraient pas. Quand Poutine parle à propos de l’Amérique et l’Occident d'”empire du mensonge”, de propagande LGBT à partir de l’Ukraine, de destruction des traditions religieuses, des identités nationales “et même sexuelles”, pouvons nous dire simplement qu’il s’agit de propagande?

  3. quelques petites remarques qui me viennent :
    – n’est-ce pas plutôt mondialistes contre peuples libres plutôt que nations libres à partir du moment où les élites de ces nations sont mondialistes ?
    – l’otan est bien le ministère de la guerre du gouvernement mondial comme l’est l’oms pour la santé.
    – l’otan forme l’armée ukrainienne depuis 2002, l’histoire a plus que 10 ans (cf. les vidéos Stratpol Xavier Moreau reçoit Laurent Bayard https://odysee.com/@STRATPOL:d/Brayard7comp:c )

  4. C’est très simple : les USA ont mis à la tête de l’ Ukraine un président fantoche qui s’appelle Zelensky, lequel a trouvé intelligent de bombarder le Donesk et le Dombass, provinces russophones et russophiles en violant les accords de Minsk dès le premier jour… Quand les Ukrainiens finiront par comprendre qu’à faire la politique de Washington, ils contribuent à détruire leur propre pays, peut-être qu’ils retrouveront le chemin de la paix…
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