Extraits de la méditation du Pape Benoît XVI au cours de la Première Congrégation générale du Synode des évêques, lundi 8 octobre, traduit par Benoît-et-moi :
"[…] Le mot «Evangelium», «euangelisasthai», a
une longue histoire. Il apparaît chez Homère: c'est l'annonce d'une
victoire, et donc annonce de bien, de joie et de félicité. Il apparaît
ensuite dans le Second Isaïe (cf. Is 40,9), comme une voix qui annonce
la joie de Dieu, comme une voix qui fait comprendre que Dieu n'a pas
oublié son peuple, que Dieu, qui, apparemment, s'est presque retiré de
l'histoire, est là, qu'il est présent. Et Dieu a le ("du") pouvoir, Dieu
donne la joie, il ouvre les portes de l'exil; après la longue nuit de
l'exil, sa lumière apparaît et donne à son peuple la possibilité de
retour, il renouvelle l'histoire du bien, l'histoire de son amour. Dans
ce contexte de l'évangélisation, apparaissent en particulier trois mots:
dikaiosyne, eirene, soteria – la justice, la paix et le salut.
Jésus lui-même a repris les paroles d'Isaïe à Nazareth, parlant de cet
«Evangile» qu'il porte aujourd'hui aux exclus, aux prisonniers, à ceux
qui souffrent et aux pauvres.Mais pour le sens du mot
«Evangelium» dans le Nouveau Testament, en plus de cela – le
deutéro-Isaïa (i.e. le second livre d'Isaïe), qui ouvre la porte – est
également important l'usage du mot fait par l'Empire romain, à commencer
par l'empereur Auguste. Ici, le terme «Evangelium» désigne un mot, un
message qui vient de l'Empereur. Le message, donc, de l'Empereur – en
tant que tel – apporte le bien: c'est le renouvellement du monde, c'est
le salut. Message impérial, et à ce titre message de pouvoir et de
puissance; c'est un message de salut, de renouvellement et de santé. Le
Nouveau Testament accepte cette situation. Saint-Luc confronte
explicitement l'empereur Auguste à l'Enfant né à Bethléem: «Evangelium – dit-il – oui, c'est un mot de l'Empereur, du vrai Empereur du monde. Le vrai Empereur du monde s'est fait entendre, il nous parle. Et ce fait, en tant que tel, est rédemption, parce que
la grande souffrance humaine – à l'époque, comme aujourd'hui – est la
suivante: derrière le silence de l'univers, derrière les nuages de
l'histoire, y a-t-il Dieu, oui ou non? Et, s'il y a ce Dieu, nous
connaît-il, a-t-il quelque chose à voir avec nous? Ce Dieu est-il bon,
et la réalité du bien a-t-elle un pouvoir dans le monde, oui ou non?
Cette question est aussi actuelle aujourd'hui qu'elle l'était à
l'époque. Beaucoup de personnes se demandent: Dieu est-il une hypothèse
ou non? Est-il une réalité ou non? Pourquoi ne se fait-il pas entendre?
«Évangile»
signifie: Dieu a rompu son silence, Dieu a parlé, Dieu existe. Ce fait
en tant que tel est rédemption: Dieu nous connaît, Dieu nous aime, il
est entré dans l'histoire. Jésus est sa Parole, Dieu avec nous, le Dieu
qui nous montre qu'il nous aime, qu'il souffre avec nous jusqu'à sa mort
et est ressuscité. C'est cela, l'Evangile. Dieu a parlé, il n'est plus
le grande inconnu, mais il se montre lui-même, et c'est cela, le salut.
La
question pour nous est la suivante: Dieu a parlé, il a vraiment rompu
le grand silence, il s'est montré, mais comment pouvons-nous faire
arriver cette réalité à l'homme d'aujourd'hui, afin qu'elle devienne
salut? En soi, le fait qu'il a parlé est le salut, la rédemption. Mais
comment l'homme peut-il le savoir? Ce point me semble être une
interrogation, mais aussi une question, un mandat pour nous: nous pouvons trouver la réponse en méditant l'Hymne de l'heure Tierce: «Nunc, Sancte, nobis Spiritus».
La première strophe dit: «Dignàre promptus ingeri nostro refusus, péctori»,
c'est-à-dire prions afin que vienne le Saint-Esprit, qu'il soit en nous
et avec nous. En d'autres termes: nous ne pouvons pas faire l'Église,
nous pouvons seulement faire connaître ce qu'il a fait Lui. L'Eglise ne
commence pas avec notre «faire», mais avec le «faire» et le «parler» de
Dieu. Ainsi, les apôtres n'ont pas dit, après quelques assemblées:
maintenant nous voulons créer une Eglise, et sous la forme d'une
Assemblée constituante, ils auraient élaboré une constitution. Non, ils ont prié et attendu dans la prière, parce qu'ils savaient
que seul Dieu peut créer son Eglise, que Dieu est le premier agent: si
Dieu n'agit pas, nos choses sont seulement les nôtres et elles ne sont
pas suffisantes; Dieu seul peut témoigner que c'est lui qui parle et a
parlé. La Pentecôte est la condition de la naissance de l'Eglise: ce
n'est que parce que Dieu a d'abord agi, que les Apôtres peuvent agir
avec lui et avec sa présence, et rendre présent ce que Lui a fait. Dieu
«a parlé» et ce «a parlé» est le parfait de la foi, mais c'est toujours
un présent: le parfait de Dieu n'est pas seulement un passé, parce que
c'est un passé vrai qui porte toujours en soi le présent et l'avenir.
Dieu a parlé veut dire: «Il parle». Et de même qu'à cette époque, ce
n'est qu'avec l'initiative de Dieu que l'Église est née, que l'Évangile
et le fait que Dieu a parlé et parle ont pu être connus, encore
aujourd'hui, Dieu seul peut commencer, nous pouvons seulement coopérer,
mais le début doit venir de Dieu.
C'est pourquoi ce n'est pas une
simple formalité si nous commençons aujourd'hui notre Assemblée par la
prière: cela correspond à la réalité elle-même. Seul le 'précèder' de
Dieu rend possible notre 'cheminer', notre 'coopérer', qui est toujours
un 'coopérer', et pas notre décision pure. C'est pourquoi il est
toujours important de savoir que le premier mot, l'initiative elle-même,
l'activité réelle vient de Dieu et que ce n'est qu'en nous insérant
dans cette initiative divine, qu'en implorant cette initiative divine,
que nous pouvons nous aussi devenir – avec Lui et en Lui –
évangélisateurs. Dieu est toujours le commencement, et toujours Lui seul
peut faire la Pentecôte, peut créer l'Église, il peut montrer la
réalité de son 'être' avec nous. Mais d'un autre côté, cependant, ce
Dieu, qui est toujours le début, veut aussi notre implication, veut
aussi impliquer notre activité, afin que les activités soient
théandriques, pour ainsi dire, faites par Dieu, mais avec notre
participation et impliquant tout notre être, notre activité tout
entière.
Ainsi, lorsque c'est nous qui faisons la nouvelle
évangélisation, elle est toujours coopération avec Dieu, elle est avec
Dieu, elle repose sur la prière et sa présence réelle. […]
La
foi a un contenu: Dieu se communique, mais ce «Moi» de Dieu se montre
réellement dans la figure de Jésus et est interprété dans la
«confession» qui nous parle de sa conception virginale, de la Nativité,
la Passion, la Croix, la Résurrection. […] Ici, il est important d'observer également une petite
réalité philologique: «confession» dans le latin pré-chrétien se
dirait non pas «confessio», mais «professio» : Il
s'agit de présenter une réalité de manière positive. Au lieu de cela, le
mot «confession» se réfère à la situation dans un tribunal, dans un
procès où l'on ouvre son esprit et se confesse. En d'autres termes, le
mot «confession», qui en latin chrétien a remplacé le mot «professio»
porte en soi l'élément martyrologique, l'élément de témoigner devant des
instances ennemies de la foi, témoigner, même dans des situations de
passion et de danger de mort. A la confession chrétienne appartient
essentiellement la disponibilité à souffrir: cela me semble très
important. Toujours dans l'essence de la «confessio» de notre Credo,
est également impliquée la disponibilité à la passion, à la souffrance,
et même à donner sa vie. Est c'est justement ce qui assure la
crédibilité: la «confessio» n'est pas une chose quelconque qu'on peut
aussi laisser tomber; la «confessio» implique la disponibilité à donner
ma vie, à accepter la passion. C'est précisément là que se vérifie la
«confessio». Nous voyons que pour nous la «confessio» n'est pas un mot,
c'est plus que la douleur, c'est plus que la mort. Pour la «confessio»,
cela vaut vraiment la peine de souffrir, cela vaut la peine de souffrir
jusqu'à la mort. Celui qui fait cette «confessio» montre ainsi que
réellement, ce qu'il confesse est plus que la vie: c'est la vie
elle-même, le trésor, la perle précieuse et infinie. Dans la dimension
martyrologique du mot «confessio», apparaît la vérité: elle ne se
vérifie que dans une réalité pour laquelle il vaut la peine de souffrir,
qui est plus forte même que la mort, et elle démontre qu'elle est la
vérité que je tiens dans ma main, que je suis plus sûr, que je «porte»
ma vie parce que je trouve la vie dans cette confession. […]
Par
saint Paul (Lettre aux Romains, 10), nous savons que l'emplacement de
la «confession» est dans le cœur et dans la bouche: elle doit rester au
plus profond du cœur, mais elle doit également être publique; la foi
portée dans le cœur doit être annoncée: elle n'est jamais seulement une
réalité dans le cœur, mais elle tend à être communiquée, à être vraiment
confessée devant les yeux du monde entier. […]
Jésus a dit: «Je suis venu jeter
un feu sur la terre, et comme je voudrais qu'il soit déjà allumé».
Origène nous a transmis une parole du Seigneur: «Celui qui est près de
moi est près du feu». Le chrétien ne doit pas être tiède.
L'Apocalypse nous dit que c'est le plus grand danger pour un chrétien:
qu'il ne dise pas non, mais un oui très tiède. Cette tiédeur, justement,
discrédite le christianisme. La foi doit devenir en nous flamme de
l'amour, une flamme qui réellement enflamme mon être, devient une grande
passion de mon être, et ainsi enflamme le prochain. […]"