Mathieu Noli, après avoir vécu en Amérique du Sud, a arpenté la France pendant quinze ans pour les éditions régionales du Point. Auteur de trois romans, il vient de publier 12 Chroniques euthanasiques, à travers lesquelles il croque avec ironie les diverses hypocrisies qui sous-tendent les arguments en faveur de l’euthanasie. Loin du débat à sens unique et des sondages truqués, l’auteur imagine le monde d’après le vote de la loi, imaginant à travers quelques histoires grinçantes les réalités d’une vie à achever. Nous avons interrogé l’auteur :
Pourquoi avoir fait le choix de ce ton décalé pour imaginer la France d’après la loi sur l’euthanasie ?
Ce ton décalé est si j’ose dire ma « marque de fabrique », depuis le Ventre de Paris, la newsletter originale sur le marché de Rungis que j’ai créée en 2015 jusqu’à mon dernier roman, La conversion d’Arthur Grandin (Herodios, 2021). Ensuite, parce j’avais publié une première chronique intitulée « Joyeuse euthanasie » dans le Figaro Magazine en juillet 2023 et que j’ai voulu, constatant que l’actualité s’accélérait nettement à la fin de l’année, poursuivre avec le même ton. Enfin et surtout, parce que j’ai constaté que les médecins, pourtant en première ligne sur ce sujet, ont été 800.000 à manifester leur opposition mais qu’ils n’ont pas été entendus ; que les responsables religieux, notamment catholiques, ont été poliment reçus et tout aussi poliment éconduits : que les avocats, les penseurs et les philosophes ont publié des ouvrages remarquables qu’on a laissé sur les étagères. Alors je me suis dit que si on racontait de façon burlesque ce qui pourrait se passer ensuite, cela ferait peut-être avancer le débat.
Vous publiez donc 12 petites Chroniques euthanasiques pour dénoncer ce que Anna Harendt qualifiait de “banalité du mal”. Pensez-vous que, comme l’avortement, l’euthanasie, une fois légalisée, deviendra un acte banal ?
J’ai bien peur que ce qui était impensable jadis et scandaleux il n’y a pas si longtemps devienne une réalité d’une triste banalité dans les temps qui viennent et que cela soit autorisé et encouragé par une propagande dégoulinante de bons sentiments comme on en voit trop à l’heure actuelle. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas sensible à la détresse de ceux qui accompagnent un parent en grande souffrance – pour l’avoir vécu moi-même pendant près de vingt ans, je suis parfaitement conscient du déchirement, de l’impuissance et de la culpabilité que cela suscite – mais je trouve que la corde de l’émotivité est une ficelle trop usée. Enfin, même s’il est question comme pour l’avortement du respect que l’on doit à une vie naissante ou finissante, je me garderais de mettre ces deux sujets sur le même plan ne serait-ce que parce que comme le dit très justement Claire Fourcade, présidente de la SFAP (société française d’accompagnement et de soins palliatifs), « personne ne sera obligé de se faire euthanasier mais tout le monde sera obligé d’y penser ».
Vos chroniques grinçantes dénoncent l’hypocrisie des partisans de l’euthanasie qui, au nom du bien mourir, cherchent, selon les cas, à faire des économies, à hériter, à gagner de l’argent… Finalement, l’euthanasie n’est-ce pas le stade suprême du capitalisme ?
Tout d’abord, je ne suis pas d’accord avec les partisans de l’euthanasie qui considèrent que mourir mieux, c’est mourir vite. Et puisqu’on en est à parler de vitesse, je trouve qu’il n’y a rien de plus sinistre que cette volonté d’accélérer les choses en partant du principe « pourquoi attendre quand il n’y a rien à attendre ? » Eh quoi, les personnes âgées n’auraient-elles rien à nous apporter dès lors qu’elles ne produisent plus, qu’elles consomment peu et qu’elles n’investissent pas ? J’ajoute que je trouve parfaitement indécent que des hommes politiques de gauche se mobilisent pour l’euthanasie quand on songe que ce seront les moins riches qui seront les plus encouragés à se faire euthanasier pour toutes les raisons que vous évoquez. De la même façon, les considérations financières qui pourraient conduire une personne à avoir recours à une euthanasie me semblent particulièrement glauques et laissent présager des conflits familiaux explosifs. Cela étant, je tiens à rester à ma place : ce n’est pas en tant que polémiste que j’ai écrit ces Chroniques sinon en tant que romancier qui prend un fil dans ce qu’il voit de la vie et qui tire dessus pour voir jusqu’où l’on peut aller. Et quand on constate les dérives de l’euthanasie dans les pays où elle a été légalisée (Pays-Bas, Belgique, Canada), on s’aperçoit que cela peut aller très loin malheureusement.