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Tribune libre

Le gouvernement libéral pro-UE polonais avoue violer l’Etat de droit et promet plus de purges dans les tribunaux… avec l’aval de Bruxelles

Le gouvernement libéral pro-UE polonais avoue violer l’Etat de droit et promet plus de purges dans les tribunaux… avec l’aval de Bruxelles

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Les déclarations successives du premier ministre polonais Donald Tusk, ancien président du Conseil européen, faites les 6 et 10 septembre ont fait vivement réagir les milieux juridiques et médiatiques de son pays, avec des critiques qui viennent désormais y compris de milieux connus pour leur traditionnel soutien à l’actuelle coalition. En revanche, vu de Bruxelles, quand ce sont des libéraux pro-UE qui annoncent des mesures contraires à l’Etat de droit et à l’indépendance de la justice, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Le Premier ministre polonais Donald Tusk et son ministre de la Justice Adam Bodnar ont présenté le 6 septembre les prémisses d’un projet de loi concernant le statut des juges nommés après 2018.

Selon les dispositions prévues, seuls les juges dont c’était la première nomination après leur sortie de l’Ecole nationale de la magistrature et du parquet conserveront leur statut. Les juges qui ont été promus à des postes plus élevés au cours de cette période seront traités différemment. Les promotions d’une partie d’entre eux seront révoquées trois mois après l’entrée en vigueur de la loi. Ils seront alors réintégrés dans leurs fonctions antérieures. Ils pourront aussi faire l’objet d’une procédure disciplinaire. Une autre partie de ces juges devront , pour pouvoir continuer à statuer, assurer qu’ils regrettent d’avoir accepté leur nomination ou promotion à l’époque des gouvernements du parti Droit et Justice (PiS). Ils seront alors autorisés à réintégrer leur tribunal et pourront concourir à différents postes.

Le projet de loi annoncé, censé « rétablir l’État de droit » en purgeant le système judiciaire après les réformes de la justice introduites par les gouvernements Droit et Justice (votées par le parlement polonais en 2017), concernerait environ un tiers des juges polonais. Indépendamment de ce projet, depuis le début de l’année, le ministre de la Justice polonais Adam Bodnar a procédé à une vague de révocations et nominations à la tête des tribunaux les plus importants du pays, souvent en prenant des libertés avec la loi en vigueur. Le ministre Bodnar a également indirectement pris le contrôle du parquet après le changement illégal (sans l’accord requis du président de la République de Pologne) du procureur national.

Les propositions présentées le 6 septembre ont été soutenues par une partie de la communauté juridique, les médias pro-gouvernementaux laissant entendre qu’il s’agissait de l’ensemble de cette communauté. Cependant, un certain nombre d’organisations de juges, procureurs, avocats et juristes ont publié une déclaration s’opposant aux changements prévus, indiquant que la Pologne avait affaire à une attaque sans précédent contre l’indépendance judiciaire et l’indépendance des juges, allant même jusqu’à qualifier cette attaque de « coup d’Etat ».

Quand elle était dans l’opposition, la coalition aujourd’hui au pouvoir reprochait pourtant justement au PiS d’avoir mis à mal l’indépendance de la justice et par là-même de ne pas respecter l’Etat de droit et les « valeurs » européennes. Cette opposition libérale et de gauche en appelait alors, avec succès, à des sanctions de Bruxelles contre la Pologne. Or l’actuel projet censé « rétablir » l’Etat de droit et l’indépendance de la justice va lui-même clairement à l’encontre de la règle d’inamovibilité des juges inscrite dans la Constitution polonaise, mais il est vrai que Donald Tusk a ouvertement déclaré quatre jours plus tard, le 10 septembre, que la démocratie libérale devait, pour se défendre, être prête à ne pas respecter les règles de l’État de droit.

Mais pourquoi se retenir, alors que cette approche semble bénéficier du soutien de Bruxelles. Ainsi, par exemple, la vice-présidente de la Commission pour les Valeurs et la Transparence, Věra Jourová (très connue pour ses reproches à l’encontre de Viktor Orbán et de la précédente majorité parlementaire en Pologne concernant la démocratie et l’Etat de droit) a-t-elle félicité le ministre de la Justice polonais fin août, lors d’un colloque organisé par le maire de Varsovie (qui est du même parti libéral pro-UE Plateforme civique que Donald Tusk) , en ces termes : « Adam, tu te débrouilles très bien à ton poste. Tu essayes de réparer l’institution judiciaire. J’ai confiance en toi, parce que tu n’as pas peur de perdre ta popularité. »

Voici donc le contenu de la déclaration commune d’un groupe d’associations de juges, procureurs et organisations juridiques polonaises après l’annonce des purges à venir dans les milieux judiciaires polonais :

Position commune des cercles juridiques polonais du 9 septembre 2024 sur les annonces du Premier ministre et du ministre de la Justice à propos des prémisses d’un projet de loi qui conduira à la rétrogradation d’une partie des représentants du troisième pouvoir et à leur élimination de la profession judiciaire.

Nous, les représentants de la communauté juridique polonaise, protestons fermement et avec la plus grande indignation contre les annonces du Premier ministre et du ministre de la Justice concernant les répressions, y compris les rétrogradations et les expulsions de la profession, à l’encontre d’un groupe d’environ 3500 juges de la République de Pologne.

Les prémisses du projet de loi présentées le 6 septembre 2024 par le Premier ministre Donald Tusk et le ministre de la Justice Adam Bodnar constituent une attaque inadmissible de l’exécutif contre l’indépendance du pouvoir judiciaire et l’autonomie des juges en Pologne. En effet, sous le couvert du rétablissement de l’État de droit, le gouvernement entend violer le principe constitutionnel de l’inamovibilité des juges et, par le biais d’une procédure de vérification, faire en sorte que le maintien en fonction de nombreux juges constitutionnellement nommés dépende directement des décisions des politiciens du gouvernement.

Les systèmes démocratiques des États européens reposent sur le principe de la séparation des trois pouvoirs, élaboré au XVIIIe siècle. Selon ce principe, le pouvoir judiciaire est l’égal des pouvoirs législatif et exécutif et en est indépendant, et les juges eux-mêmes doivent pouvoir agir de manière autonome dans leurs actes judiciaires. La Constitution de la République de Pologne, adoptée par l’Assemblée nationale [en Pologne : l’assemblée réunissant les membres de la Diète et du Sénat, NdT] le 2 avril 1997, a également été élaborée sur ces bases.

Le 6 septembre 2024, les représentants de l’exécutif, représentés par le chef du gouvernement polonais Donald Tusk et le ministre de la Justice Adam Bodnar, ont annoncé une purge sans précédent du système judiciaire, impliquant la radiation de la profession judiciaire ou la rétrogradation de certains juges, en adoptant le critère arbitraire de la date à laquelle ils ont obtenu leur nomination judiciaire.

Ce faisant, l’exécutif annonce la différenciation arbitraire, en sous-catégories stigmatisantes et selon un critère discriminatoire, de la situation juridique des juges qui ont reçu des nominations judiciaires présidentielles après 2017. Pour certains d’entre eux (les assesseurs des tribunaux), il a été annoncé qu’il n’y aurait plus de pression de l’exécutif, tandis que d’autres sont menacés de procédures disciplinaires devant des commissions collégiales spécialement créées par l’exécutif.

Le gouvernement a l’intention d’exiger d’une grande partie des juges des actes formels d’obéissance à l’exécutif (sous la forme d’une autocritique appelée « contrition active » par le ministre de la justice) comme condition pour rester dans le corps judiciaire.

La soumission des juges à l’autocritique ne fera que donner un caractère illusoire aux attributs professionnels que sont l’indépendance et l’autonomie. Les citoyens polonais – en particulier dans les litiges avec les autorités publiques – perdront sans nul doute confiance dans l’administration de la justice exercée par ces arbitres soumis.

L’exigence par le ministre de la Justice d’un acte de contrition de la part des juges , sous la forme d’une « contrition active » – une institution tirée des normes du droit pénal et destinée aux criminels dociles – doit être lue comme un chantage évident, conduisant à une violation de l’indépendance de la justice. Il en résultera que seuls pourront rester dans la profession judiciaire ceux qui acceptent cette violation de la Constitution et leur dépendance à l’égard de l’exécutif.

La justification donnée pour de telles mesures et pour cette obligation faite aux juges de se soumettre à une autocritique vis-à-vis du Premier ministre, du ministre de la Justice et de la commission collégiale qui sera créée par l’exécutif, est la remise en question par le gouvernement polonais actuel des procédures de concours pour les postes judiciaires ouverts après 2017. Pourtant, ces procédures n’ont pas seulement été caractérisées par une transparence jusqu’alors inconnue en Pologne, mais ont surtout été basées sur des procédures définies par la loi. Et en fin de compte, les nominations judiciaires sont effectuées par le président de la République de Pologne, qui exerce ainsi sa prérogative constitutionnelle exclusive.

L’histoire des systèmes de gouvernement civilisé des États européens ne connaît pas de tentative aussi arrogante et autocratique, après la Seconde Guerre mondiale, de subordonner les cercles judiciaires et le troisième pouvoir à l’exécutif. Les solutions proposées contredisent non seulement les fondements de la Constitution polonaise, mais aussi les normes civilisationnelles dont découlent les « valeurs » de l’Union européenne. La domination de l’exécutif sur le judiciaire est typique des satrapies et des dictatures. C’est dans cette direction que pousse aujourd’hui l’activité du gouvernement polonais.

Cette activité de l’exécutif aura pour effet non seulement la commission d’un délit constitutionnel, dont les responsables auront un jour à répondre devant le tribunal d’État [l’équivalent polonais de la Cour de justice de la République, NdT], mais aussi un préjudice grave au fonctionnement de l’État polonais.

L’acte de contrition exigé des juges, en tant que reconnaissance de la domination et de la suprématie de l’exécutif sur le judiciaire, n’a pas de précédent depuis la dictature communiste. C’est pendant la terreur stalinienne, tant en Union soviétique qu’en Pologne occupée par les Soviétiques, que les caractères ont été brisés et forcés à être fidèles à l’idéologie du parti en se soumettant à une « autocritique », généralement devant des commissions créées à cet effet.

L’histoire des Polonais réprimés pour leurs activités dans la dissidence ne peut être perdue de vue en matière de fonctionnement du système judiciaire polonais. Dans ce contexte, nous attirons l’attention sur les dispositions de la loi du 23 février 1991 sur la reconnaissance de la nullité des jugements rendus contre des personnes réprimées pour des activités en faveur de l’existence indépendante de l’État polonais. Cette loi est toujours en vigueur dans l’ordre juridique polonais. Des procédures fondées sur ses dispositions sont encore en cours en ce qui concerne des décisions prises par les autorités judiciaires entre le 1er janvier 1944 et le 31 décembre 1989 à l’encontre de personnes ayant agi en faveur de l’indépendance de la Pologne.
Des juges concrets sont à l’origine de ces décisions et il ne leur a jamais été demandé de rendre des comptes. Ils n’ont pas non plus fait l’objet d’une procédure de vérification. Même dans ces cas, aucune autocritique ou autre acte d’expiation n’était exigé de ces personnes.

Non seulement les purges annoncées, c’est-à-dire la rétrogradation des juges et leur retrait de la fonction publique, sont-elles contraires à la règle constitutionnelle d’inamovibilité des juges, mais elles plongeront l’ensemble du système judiciaire dans le chaos pour des décennies. Dans certains tribunaux et pour certaines catégories d’affaires, les intéressés attendent déjà depuis des années une date d’audience.

Nous constatons avec regret et inquiétude que les annonces du gouvernement concrétisent les revendications les plus radicales, exprimées jusqu’à présent dans le cadre du combat politique et dans les médias. Des groupes de juges connus pour leur activisme politique, y compris ceux regroupés dans les associations Themis et Iustitia, sont activement impliqués dans le processus de normalisation de cette forme particulière de coup d’État. Il est significatif que parmi les juges qui approuvent l’attaque annoncée contre l’indépendance des tribunaux et l’autonomie des juges se trouvent des personnes salariées du gouvernement qui occupent actuellement des postes importants au sein des structures du ministère de la justice.

Le lundi 9 septembre 2024

Pour l’Association indépendante des procureurs Ad Vocem à Jaworzno
Andrzej Golec, procureur

Pour l’Association nationale des juges polonais Sędziowie RP à Cracovie
Zygmunt Drożdżejko, juge

Pour l’Institut Ordo Iuris pour la culture juridique à Varsovie
Jerzy Kwasniewski, avocat

Pour l’association de juristes « Prawnicy dla Polski » à Tarnowskie Góry
Łukasz Piebiak, juge

Pour le Séminaire d’axiologie de l’administration à Varsovie
Krzyszof Wąsowski, avocat

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1 commentaire

  1. La démocratie, plus exactement appelée la démocrature, est un système politique qui permet à des politiciens voyous de violer les droits des citoyens avec leur assentiment et sans être inquiétés : c”est celui de l’Union Soviétique Européenne et de la plupart de ses pays membres…

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