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Dans un article publié dans le média catholique et légitimiste Vexilla Galliae, le Français émigré au Japon Paul de Beaulias répond au « portrait caricatural » qu’a fait l’Action Familiale et Scolaire des mangas, dont un extrait avait été publié sur Le Salon Beige en février dernier :
« La revue de AFS est habituellement mesurée et juste, ce qui rend le propos d’autant plus surprenant. Disons que nous comprenons l’auteur : mieux vaut éviter de faire lire des mangas à nos enfants… mais encore faut-il raison garder et connaître les véritables raisons de cette prudence.
À lire l’article, on croirait que le « manga » est foncièrement mauvais par nature, car véhiculant forcément une cosmogonie panthéiste et orientale, au mieux.
Les lecteurs de nos colonnes savent que nous n’avons aucune illusion quant au Japon, ce qui nous conforte d’autant plus à corriger les erreurs de cet article. La première erreur consiste à confondre le fond et la forme, le medium (le manga) et le contenu transmis. On ne saurait accuser le manga de posséder une nature mauvaise alors que ce n’est qu’un médium : il faudrait alors tout autant rejeter la bande dessinée, à commencer par celles qui narrent la vie de nos héros et nos saints pour transmettre notre histoire et notre foi et nos enfants. Cela n’est pas sérieux…
Disons même que sur l’aspect formel, le manga s’adresse a priori plus aux intelligences que le format de la bande dessinée. Pourquoi ? Nous renvoyons à une très bonne conférence sur l’art chrétien publiée par ”L’Homme Nouveau” où il est rappelé que l’art est d’abord un langage, et en ce sens a priori neutre, si ce n’est, que comme tout langage, il doit chercher à transmettre la vérité. L’art chrétien faisait cela par excellence.
La conférence analyse en particulier les différentes méthodes de l’art graphique pour transmettre un message : la forme (le trait), la lumière et la couleur. Et de conclure que la forme est par excellence la méthode qui s’adresse à l’intelligence, là où lumière et couleurs s’adressent plus aux facultés inférieures de l’âme, en suscitant plus facilement des passions. La conférence critique ainsi l’art contemporain qui n’est au fond qu’une disparition plus ou moins complète de la forme, du trait — la « frontière » dans l’art, frontière dont nous avons besoin pour discerner, distinguer et connaître les êtres.
Appliquons cela aux mangas : pas de couleurs, pas de lumière, ou très peu, et avant tout le trait. Le trait, ou la forme, sont le fond du manga : et avec parfois une grande simplicité le manga parvient à transmettre à l’intelligence sous forme graphique des contenus très poussés. En ce sens, le manga en tant que medium a de grandes potentialités de transmission de la Vérité, si on veut bien l’utiliser.
Il est évident, ensuite, que la production de mangas part dans tous les sens, et que ce qui est le plus connu pêche presque toujours par impureté.
L’aspect « panthéiste » se retrouve effectivement ici et là, mais n’est pas si systématique qu’on le dit, et, pour ma part, je verrai autre part la raison de se méfier des mangas en général : le manga pèche avant tout par anthropocentrisme. Il oublie Dieu complètement.
Il existe de bons mangas, naturellement parlant, qui prônent les vertus naturelles : la combativité, l’esprit de labeur, la camaraderie, la bonté humaine parfois poussée jusqu’au sacrifice, etc. Tout cela est très bien mais pose le problème fondamental, non pas du Japon en particulier, mais de notre temps en général : l’oubli total de Dieu, et la croyance que l’on peut tout faire avec l’homme seulement.
Le manga, en ce sens — et nous en avons profité étant plus jeune —, était plus « juste » que son équivalent moderniste en Occident pour une raison simple : il existe encore en Asie la (très) vague idée qu’il existe quelque chose qui dépasse l’homme. Aussi, le manga est moins attaché à la figure très américaine du super-héros.
Mais il est vrai que les mangas « célèbres » s’inspirent souvent très librement de thèmes gnostiques importés des comics américains. Alors que faire ?
Examiner avant de donner, c’est tout. Il existe aussi des mangas purement informatifs, sur le vin par exemple, ou sur la cuisine, ou sur tel ou tel période historique. Ces genres de mangas, beaucoup moins populaires évidemment, peuvent, après examen, être lus.
Il y aussi un certain nombre de mangas policiers, ou à intrigue « politique » et « géopolitique » qui peuvent être, derrière un emballage robotique voire mystique, très intéressant sur la réalité de notre monde mondialisé d’aujourd’hui (Code Geass par exemple), ou de la réalité psychologique de l’homme laissé à lui-même (le besoin de justice par exemple dans Death Note). D’autres encore sont des monuments d’humour (comme School Rumble, qui, malgré quelques scènes impures, reste très bon enfant, et se veut une très juste peinture des tempéraments).
En conclusion, il faut savoir raison garder. Nous ne connaissons souvent du Japon qu’un tissu de mythes. Le Japon manque de colonne vertébrale au niveau doctrinal, c’est une évidence, et il se laisse balancer au gré du vent des idéologies modernes. Mais il est aussi vrai que l’État démantelé après-guerre a permis à tout un chacun de réfléchir librement, sans véritable pression idéologique. Ainsi, l’on peut y trouver du bon… et du moins bon. Il est d’ailleurs à regretter que l’Église catholique après le concile n’ait pas su profiter de ce vide d’une part, de cette absence de persécutions et de cette place pour la Vérité d’autre part, pour accélérer sa mission. »