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Tribune libre

Monseigneur Delassus, héraut de l’esprit familial qui nous manque et qu’il nous faut

Monseigneur Delassus, héraut de l’esprit familial qui nous manque et qu’il nous faut

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Les site Vexilla Galliae nous offre une très bonne recension de ‘L’esprit familial dans la Maison, dans la Cité et dans l’État’, récemment réédité aux éditions du Drapeau blanc :

Monseigneur Henri Delassus est célèbre pour sa volumineuse ‘Conjuration antichrétienne’, grande œuvre de synthèse sur l’action des sociétés secrètes dans l’Histoire. C’est une lecture fondamentale ; l’ouvrage ayant plus d’un siècle, il mérite seulement d’être remis en perspective : une suppression pure et simple de la franc-maçonnerie aujourd’hui ne changerait pas grand-chose à nos misères, car ses faux principes sont devenus les normes régissant les multitudes. Cela ne signifie pas qu’il ne faille plus faire attention aux acteurs volontaires du mouvement révolutionnaire, mais simplement qu’il faut comprendre que leur action est décuplée par une foultitude de pauvres gens distribuant à leur insu de « la fausse monnaie », pour reprendre une analogie du comte de Maistre. Autrement dit : point besoin d’être carbonaro, de nos jours, pour faire le jeu du carbonarisme. La situation en est d’autant plus dégradée…

D’autres ouvrages de Mgr Delassus valent le détour. C’est notamment le cas de ‘L’esprit familial dans la Maison, dans la Cité et dans l’État’ (1re éd. : 1910), que les Éditions du Drapeau blanc ont réédité en 2022. Ce court opuscule fait de la famille et de l’esprit familial la condition sine qua non du relèvement de la France – ce qui suppose probablement la foi catholique et la reconnaissance de l’autorité de l’Église, toutes les vérités étant liées. Et l’on sait aussi qu’il y a en France une famille au-dessus des autres : celle de nos princes, celle de notre roi.

Ce livre, d’une taille beaucoup plus raisonnable – si l’on peut dire – que La Conjuration antichrétienne, est particulièrement accessible et facile à lire. Il semble reprendre assez largement les thèses et le plan d’un gros ouvrage paru trente ans plus tôt et lui aussi réédité l’an dernier, mais cette fois-ci par les Éditions Sainte-Jeanne-d’Arc : La Famille telle que Dieu l’a faite, de l’abbé Eugène Roquette. Si ce n’est qu’une coïncidence, les recoupements sont d’autant plus impressionnants : ils prouveraient la rencontre des grands esprits et l’évidence du contenu donné par la tradition catholique eu égard aux notions familiales. La famille a été créée par Dieu, que l’homme ne la défasse ni ne la refasse !

Si ‘La Famille telle que Dieu l’a faite’ a l’avantage de l’exhaustivité en abordant tous les versants du sujet (le « droit d’aînesse » et le « droit de substitution », par exemple), ‘L’esprit familial’ a celui de la concision et de la rapidité de la lecture. C’en devient un livre de combat d’autant plus efficace, à mettre entre toutes les mains. Les deux œuvres se complètent également quant au style : l’abbé Roquette est du Midi, il est enflammé ; Mgr Delassus est du Nord, il est tout en retenue.

Mgr Delassus s’appuie, sans surprise, sur les données de la Révélation ; mais, afin de toucher jusqu’aux esprits les plus positifs de son temps, il mobilise de plus tous les travaux sérieux de son époque pour étayer son point de vue, lequel consiste à faire de la famille une nécessité pour toute société civilisée :

« Donc, partout la civilisation a commencé par la famille. Çà et là naissent des hommes chez qui se développent et agissent plus puissamment l’amour paternel et le désir de se perpétuer dans leurs descendants. Ils se livrent au travail avec plus d’ardeur, imposent à leurs appétits un frein plus continu et plus solide, gouvernent leur famille avec plus d’autorité, lui inspirent des mœurs plus sévères, qu’ils impriment dans les habitudes qu’ils font contracter. Ces habitudes se transmettent par l’éducation ; elles deviennent des traditions qui maintiennent les nouvelles générations dans la voie ouverte par les ancêtres » (L’esprit familial, p. 14 de la réédition de 2022).

Une politique vraie devrait donc naturellement s’appuyer sur les familles et les encourager, les favoriser. « Comme le dit fort bien M. de Savigny : “L’État, une fois formé, a pour éléments constitutifs les familles, non les individus” » (ibid., p. 22). La démocratie révolutionnaire moderne fait malheureusement tout l’inverse : « Partout la famille est, aux bonnes époques de l’histoire des peuples, ce que chez nous la démocratie, pour notre malheur, a fait être l’individu : l’unité sociale » (ibid., p. 22). Cette expression, « unité sociale », bien meilleure que celle de « cellule de base de la société » (car il y a plusieurs sociétés, et la famille en est une), fait aussitôt songer à Antoine Blanc de Saint-Bonnet.

La famille est une petite société, fondée sur la société des époux qu’est le mariage. Elle y ajoute les enfants. Elle donne son empreinte à toutes les autres sociétés constituant la Cité, y compris aux sociétés libres (c’est-à-dire librement ou contractuellement formées) :

« Chaque groupe naturel, local ou professionnel avait son organisation et son autorité propre : la famille a son chef, l’atelier son maître, la commune ses magistrats, les corporations ses syndics, l’Église ses évêques » (ibid., p. 26).

Il est donc parfaitement logique que la famille soit le baromètre de l’état de santé de la Cité tout entière :

« “Rien dans l’histoire, dit M. Frantz Funck-Brentano, n’a jamais infirmé cette loi générale : tant qu’une nation se gouverne d’après les principes constitutifs de la famille, elle est florissante ; du jour où elle s’écarte de ces traditions qui l’ont créée, la ruine est proche. Ce qui fonde les nations sert aussi à les maintenir” » (ibid., p. 34).

Nous pouvons encore appliquer ce critère à notre époque, une confrontation qui ne pourrait que le confirmer, s’il était besoin… Une autre citation abonde dans le même sens :

« “Tout dans l’histoire, a fort bien dit M. Paul Bourget, démontre que l’énergie du corps social a toujours été, comme disent les mathématiciens, en fonction ou en proportion de l’énergie de la vie de famille” » (ibid., p. 103).

On remarquera que, depuis 1910, la crise s’est largement aggravée et universalisée, et ce même en faisant abstraction des deux terribles guerres mondiales. Même dans la sphère spirituelle, la Tradition a été mise à mal. Auparavant, le domaine temporel avait longtemps vu refluer ses propres traditions, ressortissant largement à la famille, qui en est parfois à l’origine et qui toujours les perpétue : « Pour un peuple, il y a pire que la destruction de ses armées et de ses flottes, la banqueroute de ses finances et l’invasion de son territoire ; il y a l’abandon de ses traditions et la perte de son idéal. L’histoire de tous les peuples est là qui nous l’atteste » (ibid., p. 55). Ce sont ces « traditions » et cet « idéal » qui permirent aux Espagnols de marquer le reflux décisif des armées napoléoniennes ; ce sont eux encore qui les firent relever le défi de mettre fin à la Seconde République, de remporter la croisade de la guerre civile de 1936-1939 et de se refaire une santé après avoir perdu tout leur or du fait des bolcheviques… Deux chouanneries en un siècle, avec presque rien autre que des « traditions » et de l’« idéal » (en l’occurrence, la foi).

Que la France en prenne de la graine :

« Les Français étaient heureux et prospères lorsque la famille était chez eux solidement constituée, quand l’esprit de famille animait la société entière, le gouvernement du pays, de la province et de la cité, et présidait aux rapports des classes entre elles » (ibid., p. 77).

Le tableau que Mgr Delassus peint de l’état déplorable de la famille française au moment où il écrit nous ferait presque rêver, tant les choses sont allées de mal en pis depuis :

« Aujourd’hui, la famille est à ce point dans la dépendance de l’État que le père n’a même plus la liberté d’élever ses enfants comme sa conscience et ses traditions de famille lui disent de le faire. L’État s’en empare, avec la volonté légalement proclamée de faire de ces enfants des sans-Dieu et conséquemment des sans-mœurs. Et les pères de famille ont tellement perdu le sentiment de ce qu’ils sont, qu’ils laissent faire ! » (ibid., p. 81).

Le processus, en France, a commencé en s’attaquant au fondement même de toute famille : le mariage. Mgr Delassus fustige ainsi sa singerie civile :

« La Restauration, qui avait rapporté [c’est-à-dire aboli] la loi du divorce, n’avait fait que demi-besogne. Elle avait laissé subsister le mariage civil, autre invention révolutionnaire, dont le but était d’enlever au mariage sa sanction divine, et l’effet d’enlever à la famille la cohésion que lui donnent les liens scellés par Dieu lui-même » (ibid., p. 84).

La décadence est également venue du côté de l’éducation, dont les parents se sont progressivement déchargés, parfois sous couvert de fausses bonnes intentions (la confier à des religieux par exemple) :

« La famille n’existe plus en France. Et c’est là, pour le dire en passant, ce qui explique le peu de résultats obtenus par les prêtres et les religieux qui ont eu en mains, pendant un demi-siècle, l’enseignement primaire et secondaire de plus de la moitié de la population. Leurs leçons ne trouvaient plus à s’asseoir sur le fondement solide que doivent poser dans l’âme de l’enfant les traditions de famille » (ibid., p. 87).

Résultat : cet enseignement religieux n’avait fait que servir de pont entre l’école de famille et la communale de la République… L’auteur était peut-être un peu naïf, surtout lorsqu’on tient compte du parcours d’Émile Combes, de René Guénon et de tant d’autres, en écrivant : « Sur toute l’étendue de la France, les écoles où l’on apprenait aux enfants à connaître, aimer et adorer Dieu, sont fermées par ce motif hautement déclaré par les gouvernants, qu’ils veulent une société où il n’y aura plus que des athées » (ibid., p. 110).

Pour bien faire comprendre le problème familial, débouchant sur un problème social global, Mgr Delassus ne recule pas devant la citation de penseurs renégats présentant une perspicacité certaine :

« Renan a dit aussi :
“Un code de lois qui semble avoir été fait pour un citoyen idéal, naissant enfant trouvé et mourant célibataire ; un code qui rend tout viager, où les enfants sont un inconvénient pour le père, où toute œuvre collective et perpétuelle est interdite, où les unités morales, qui sont les vraies, sont dissoutes à chaque décès, où l’homme avisé est l’égoïste qui s’arrange pour avoir le moins de devoirs possible, où l’homme et la femme sont jetés dans l’arène de la vie aux mêmes conditions, où la propriété est conçue non comme une chose morale mais comme l’équivalent d’une jouissance toujours appréciable en argent, un tel code, dis-je, ne peut engendrer que faiblesse et petitesse. Avec leur mesquine conception de la famille et de la propriété, ceux qui liquidèrent si tristement la banqueroute de la Révolution… préparèrent un monde de pygmées et de révoltés [« Préface » des Questions contemporaines] » (ibid. p. 102).

Cette « jouissance » dont parlait Renan devient la fin première de la multitude. Le matérialisme est passé par là et sévit : « Ne voyant plus l’avenir devant elles, les familles ne songent plus qu’à jouir du présent » (ibid., p. 106).

En toute logique, nous devrions trouver, parmi les moyens de relèvement, la lutte contre le vil attachement à la matière et la culture de l’esprit. C’est bien le cas, et l’humilité invite à reprendre le fil des traditions connues, en imitant nos pères dans ce qui les aida à assumer leur rôle avec succès :

« M. Charles de Ribbe a employé le meilleur de sa vie à remettre en honneur les livres de raison. Après avoir édité les manuscrits de plusieurs anciennes familles, il a publié divers ouvrages pour mettre en pleine lumière les enseignements qui s’y trouvent, et enfin il a rédigé, d’après les modèles qu’il avait sous les yeux, Le Livre de famille, pour servir d’exemplaire et aider ainsi les pères qui voudraient mettre en pratique chez eux ce qui a été pratiqué par nos ancêtres. Nous ne saurions trop recommander l’acquisition, la lecture et la méditation de ce livre ; il en est peu qui puissent autant contribuer à imprimer à notre société dégénérée une nouvelle impulsion vers le bien » (ibid., p. 113).

Cela nous invite à maintenir notre noblesse ou à former une nouvelle aristocratie, laquelle se manifeste de facto par ses qualités éminentes. À ce propos, Mgr Delassus opère une distinction entre noblesse et aristocratie (distinction courante, mais qui se retrouve parfois inversée, sans que ce soit un mal) : « L’aristocratie qui existe dans une nation ne forme point nécessairement une noblesse dans l’État. La noblesse est une classe qui a sa place marquée dans le gouvernement du pays » (ibid., p. 136). Un espoir demeure pour la France tant qu’il y existe un peu de cette élite désirable : « C’est le cœur qui meurt le dernier, et le cœur de la France, c’est l’élite de ses enfants, composés de tous ceux qui ont gardé quelque chose de l’esprit des anciens » (ibid., p. 143).

À nous de faire germer cette graine et de prodiguer nos soins à la petite plante qui en sortira, et croîtra doucement jusqu’à donner tout son fruit !

Jean de Fréville (Vexilla Galliae)

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