Dans le Visegrad Post, Olivier Bault revient sur les accusations récentes contre Jean-Paul II. Extrait :
[…] Les doutes soulevés par les « preuves » du fait que l’archevêque de Cracovie Karol Wojtyła aurait caché des affaires de pédophilie et protégé des prêtres pédophiles sont nombreux, et on n’en citera ici que quelques-uns parmi les plus importants.
Gutowski expose dans son documentaire l’activité de trois prêtres accusés d’avoir agressé sexuellement des mineurs. La pièce centrale censée prouver, pour la première fois, que Mgr Wojtyła fait partie de ces évêques de l’Église catholique qui ont couvert et protégé des prêtres pédophiles, c’est une lettre qu’il a adressée en 1972 à l’archevêque de Vienne, Mgr König, pour lui recommander l’abbé Bolesław Saduś, un prêtre présenté comme ami de Wojtyła qui s’en serait pris à de jeunes garçons. Mais qu’entend-on ici par « jeunes garçons » ? Même pour la police secrète communiste, la SB (pour Służba Bezpieczeństwa – Service de sécurité) qui surveillait chaque prêtre catholique de près et qui avait fait de Saduś un « collaborateur confidentiel » (tajny współpracownik, TW), c’est-à-dire un informateur, en le faisant chanter sur la base de ses frasques, il n’était question que de relations homosexuelles, pas d’agressions sexuelles sur des mineurs. Et jamais le reporter de TVN et ses interlocuteurs ne précisent l’âge des victimes, ne serait-ce que de manière approximative, y compris quand Gutowski interroge le frère d’une victime présumée qui avait, à l’époque, porté lui-même plainte à la milice contre Saduś.
Après avoir vu l’ensemble du documentaire de Gutowski où il est lui-même interrogé dans certaines séquences, le journaliste du quotidien Rzeczpospolita (que l’on pourrait qualifier en Pologne de journal centriste, ou de journal de l’opposition modérée au PiS) Tomasz Krzyżak, qui, avec son collègue Piotr Litka avait été le premier à enquêter sur l’attitude de Karol Wojtyła face aux prêtres pédophiles quand il était à la tête du diocèse de Cracovie, est allé vérifier le dossier de Bolesław Saduś à l’IPN. Voici ce qu’il en disait il y a quelques jours :
« Nous n’avions pas étudié ces documents auparavant et nous avons décidé de vérifier. La conclusion est sans équivoque : à partir des documents sur lesquels aussi bien Marcin Gutowski qu’Ekke Overbeek ont appuyé leurs conclusions, on ne peut pas avancer la thèse que le cardinal Karol Wojtyła a envoyé l’abbé Saduś en Autriche pour cacher le fait qu’il agressait sexuellement des enfants. (…) Il n’y a même aucune certitude quant au fait que l’abbé Saduś ait commis des actes pédophiles. Les documents disent uniquement qu’il avait des penchants homosexuels. La police secrète le savait et c’est entre autres ce qui a permis de le lier plus étroitement à la police secrète, même s’il était un informateur, avec une courte pause, depuis 1949 et l’est resté y compris après être parti de Pologne à la fin de l’année 1972 ».
Le journaliste a bien vu la mention d’un mineur dans les documents, mais cette mention figure dans une note dressée au début de l’année 1979 (Jean-Paul II était pape depuis octobre 1978), soit plus de six ans après le départ de Saduś en Autriche, un pays où Gutowski n’a d’ailleurs pas trouvé trace d’un quelconque scandale pédophile ou même sexuel lié à ce Saduś. En outre, la note dressée par un officier de la SB en 1979 l’a été à la demande du colonel Zenon Płatek, chef du département du ministère de l’Intérieur en charge des opérations de désintégration de l’Église catholique. Tomasz Krzyżak :
« C’est sur ordre de Płatek, six ans après le départ de l’abbé Saduś et deux mois et demi après que Karol Wojtyła fut devenu pape qu’a été dressée une note dans laquelle on peut lire que l’abbé Saduś « dépravait des garçons mineurs » et que le cardinal Wojtyła lui aurait permis de prendre rapidement la fuite pour l’étranger. (…) Je ne sais pas pourquoi les auteurs [Gutowski et Overbeek] n’ont pas remarqué le nom de Płatek et n’ont pas fait le lien entre les dates. J’aimerais croire que c’est juste par ignorance de l’histoire. »
Krzyżak a par ailleurs pu établir que la décision relative au départ de Saduś à l’étranger n’avait pas été brutale, contrairement à la thèse avancée par Gutowski et Overbeek, puisqu’il « il avait parlé de son départ à l’étranger à son officier responsable [chargé de recueillir les informations qu’il livrait à la SB] en décembre 1971 ».
Des sanctions trop légères contre les prêtres pédophiles
Or l’accusation des auteurs concernant Saduś est centrale, car pour les deux autres prêtres mentionnés qui, eux, étaient réellement pédophiles, ils n’ont pas trouvé de preuve aussi irréfutable que celle qu’ils prétendent avoir pour Saduś comme quoi le futur Jean-Paul II aurait cherché à couvrir leurs crimes. Tout au plus peut-on lui reprocher de ne pas avoir pris de sanctions suffisamment sévères : l’un des deux autres prêtres, qui avait été détaché par le diocèse de Lubaczów, y a été renvoyé avec une lettre de Wojtyła à l’évêque du lieu pour l’informer des motifs du renvoi du prêtre. Ce dernier a malheureusement été ensuite autorisé à exercer jusqu’à sa mort en 2008 et a fait d’autres victimes, mais la responsabilité personnelle de Karol Wojtyła est ici très discutable. L’autre prêtre pédophile a été condamné par la justice civile et a été envoyé par Wojtyła dans un couvent à sa libération avec interdiction d’avoir des contacts avec des enfants.
Dans son cas on peut reprocher une certaine lenteur de la réaction et une trop grande légèreté des sanctions, le prêtre ayant malgré tout été laissé libre de ses mouvements et ayant été autorisé quelques années plus tard à retourner travailler dans une paroisse avec seulement l’interdiction d’enseigner le catéchisme, mais cela s’inscrit malheureusement dans les standards de l’époque où même les peines infligées par les tribunaux communistes pour ce type d’actes étaient excessivement légères (le prêtre en question a passé à peine plus d’un an en prison). C’était l’époque où en France, par exemple, des journaux de gauche de premier plan comme Le Monde et Libération appelaient ouvertement à la légalisation de la pédophilie et où, en Allemagne, les Verts promouvaient ouvertement la pédophilie – et la pratiquaient sans honte pour certains – tandis que l’ILGA, l’organisation internationale du lobby homosexuel, comptait en son sein des organisations faisant du lobbying pour la légalisation de la pédophilie.
Le contexte de la dictature communiste
Pour comprendre le contexte particulier de la dictature communiste en Pologne, où la police secrète créait parfois des accusations artificielles d’actes pédophiles contre des prêtres dans le cadre de sa lutte contre l’Église, ce qui rendait la tâche des évêques encore plus compliquée face à de telles accusations, on citera ici le témoignage publié le 12 mars dernier par le père Jerzy Smyk, séminariste dans le diocèse de Cracovie à l’époque où le futur Jean-Paul II en était l’archevêque :
« Ils m’ont fiché alors que j’étais adolescent. J’avais 19 ans et je venais d’entrer au séminaire théologique supérieur de Silésie (WŚSD) à Cracovie. Ils ont commencé à me suivre. Il y a deux ans, l’IPN m’a inscrit au « catalogue des personnes ayant été sous surveillance ». Ils avaient recueilli des informations sur moi. La police secrète a rendu des visites au directeur de mon école secondaire qui était aussi mon professeur de polonais. J’étais lauréat d’un concours (concours de polonais, 2e en Silésie, 6e en Pologne), alors ils ont persécuté tous ceux qu’ils soupçonnaient d’avoir aidé à mon tournant religieux. C’était malheureux, j’avais dérapé, ils voulaient me récupérer. Pendant le premier semestre de mes études au WŚSD, le parti et la police secrète ont rétrogradé mon père, qui était le chef du département du travail et de la paye à la mine de charbon Anna. Ils lui ont dit qu’avec sa mauvaise éducation, il avait conduit son fils au séminaire, mais qu’il avait encore une chance, qu’il pouvait me faire sortir de là et qu’ils feraient en sorte que j’étudie à Leningrad ou à Moscou. Mon père a répondu que dans notre famille, après l’âge de 18 ans, chacun choisit sa propre voie. Ils ont brisé sa carrière, ainsi que sa santé, et notre famille a été durement touchée financièrement. Mais j’ai alors compris qui était mon père. Au séminaire de Cracovie, ils essayaient de placer un agent dans chaque année d’étude. Nous savions qu’ils étaient parmi nous, mais nous ne savions pas qui. En fait, ils étaient démasqués par nos supérieurs, mais je ne sais pas si l’un d’entre eux a été ordonné prêtre. J’espère que non. Un agent de ma promotion est resté avec nous pendant cinq semestres, deux ans et demi. Nous l’aidions à préparer ses examens, nous pensions qu’il était simplement plus faible intellectuellement. Ils organisaient des actions avec des vols, de l’alcool, des photos avec des filles, etc. Pendant toute la durée de mes études (1972-1979), Wojtyła était le centre de la résistance à Cracovie contre tous les démons du communisme. Je me souviens de ses sermons incroyablement courageux devant les autels dressés pour la Fête-Dieu à Cracovie, non pas dans l’église mais dans l’espace ouvert de la ville. Il était l’objet d’une haine particulière de leur part, nous avions peur pour lui. Après mon ordination, dans les années 1980, j’ai eu des agents dans les groupes de pastorale des jeunes, des ouvriers et des membres de l’intelligentsia que je dirigeais. C’était à Chorzów-Batory. Ils menaient des actions de sabotage, surveillaient, dénonçaient, desserraient les boulons dans les roues de ma Fiat 126. C’était l’époque des assassinats de prêtres (Popiełuszko et autres). Voilà ce que j’aurais à dire sur les attaques massives actuelles, c’est-à-dire sur les dénonciations des agents de la police secrète communiste contre Wojtyła. »
[…]