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Tribune libre

Les conservateurs post-libéraux américains : révolution ou contre-révolution durable ?

Les conservateurs post-libéraux américains : révolution ou contre-révolution durable ?

Il est indéniable que l’élection de D. Trump en 2024 a amené d’importants changements dans la société américaine et freiné la politique laxiste et mondialiste de ses prédécesseurs.

Dans le numéro 133 du Sel de la Terre (https://www.seldelaterre.fr/numeros/sdt133), Luc Pacioli examine ces changements, sans en dissimuler les faiblesses et les limites :

DEPUIS LEUR FONDATION, les États-Unis d’Amérique, berceau de la démocratie libérale, ont incarné un progressisme qui a conduit Léon XIII à condamner, dès la fin du 19e siècle, « l’américanisme » et ses dérives libérales, destructeur du culte catholique. En avance sur son temps, cet incident, passé inaperçu et aujourd’hui oublié, annonçait la révolution moderniste actuelle.

Paradoxalement, ce même progressisme américain, amplifié par la mondialisation et les médias, s’est propagé comme un bacille infectieux dans le corps social occidental, érodant presque entièrement l’héritage chrétien. Famille, entreprise, université, administration, armée, État : jusqu’au sommet, toutes les strates de la société sont aujourd’hui contaminées par les idéologies du genre (LGBT), du « wokisme » et de la transition énergétique (DEI, ISR). Par les agissements de l’« État profond », des progressistes et des mondialistes, le rejet de Dieu s’est traduit par un combat contre la loi naturelle et, ultimement, contre la nature humaine elle-même.

Peut-on alors imaginer qu’une réaction positive surgisse de cette nouvelle Babylone, première puissance mondiale sur le déclin ? Cet article explore ses capacités de retournement sans en omettre les limites. La Providence pourrait-elle tirer un bien d’un mal si profond ?

Nous examinerons les principaux acteurs du nouveau conservatisme national américain – post-libéral, communautariste et antiprogressiste – ainsi que son organisation et ses combats.

Nous étudierons plus particulièrement les obstacles et les limites qui pourraient empêcher un vrai redressement dans cette bataille civilisationnelle.

Le conservatisme américain autour de D. Trump : Genèse et rupture

Après l’ère néoconservatrice (Reagan, Bush), et un interventionnisme militaire messianiste démocratique, Donald Trump incarne un conservatisme post-libéral et antisystème, porté par des penseurs et des organisations opposés au progressisme.

La nouvelle matrice conservatrice se compose de penseurs et d’une organisation, autour de groupes d’influence ou « Think-tanks ».

Personnalités et intellectuels du mouvement conservateur MAGA (« Make America Great Again »)

Le zèle des conservateurs nationaux américains plaide visiblement en leur faveur, illustrant la maxime de Salluste : « facta non verba – les actes valent mieux que des paroles ».

1. – Dans le domaine politique

– Patrick Buchanan : Appelé paléo-conservateur par opposition aux néoconservateurs qu’il traitait de « Rockefeller Républicains, portant en eux les virus de l’étatisme et du mondialisme », Patrick Joseph Buchanan (né en 1938) fait figure de précurseur des conservateurs nationaux et de principal inspirateur de Donald Trump et de J. D. Vance. Fervent catholique (de tendance traditionaliste), il défend activement depuis les années 80 l’identité culturelle nationale américaine, dénonçant déjà l’immigration et prônant les thèses d’un certain protectionnisme économique autour du slogan « America First ». Il rejette aussi la vision prosélyte néo-conservatrice selon laquelle les États-Unis seraient les tenants de la démocratie universelle transposable à toutes les nations, justifiant des guerres coûteuses et souvent inutiles.

– J. D. Vance est probablement la meilleure surprise de la victoire de Donald Trump. A peine âgé de 40 ans, marié, père de trois enfants, il enrichit la sphère conservatrice avec un pedigree atypique : vétéran du corps des Marines (Irak), docteur en droit de l’Université de Yale, auteur à succès avec son bestseller Hillbilly Elegy – une ode autobiographique à l’Amérique profonde, adaptée au cinéma [4] –, il entreprend une carrière financière dans le capital-risque avant de devenir sénateur de l’Ohio puis vice-président des États-Unis ! Ce « self-made man » issu d’un milieu défavorisé, incarne à lui seul le rêve américain.

En 2019, il se convertit au catholicisme après la lecture de saint Augustin, et grâce à ses amitiés avec le professeur Patrick Deneen, le philosophe René Girard et l’homme d’affaires Peter Thiel. Il s’inscrit dans l’approche paléo-conservatrice et réactionnaire du conservatisme national américain, n’hésitant pas à prendre la défense d’une société traditionnelle basée sur le mariage, dénonçant volontiers l’avortement et le méfait d’une société LGBT. Favorable au contrôle des frontières et de l’immigration, il n’hésite pas à revendiquer le second amendement (droit au port d’armes) et une politique étrangère plus isolationniste (America First). Économiquement, ses vues combinent conservatisme traditionnel et populisme, influencé par son passé de capital-risqueur et ses origines modestes.

Il se révèle également diplomate et ambassadeur perspicace. Lors d’une conférence sur la sécurité à Munich, il se démarque par son audace, osant déclarer aux Européens : « La menace qui m’inquiète le plus vis-à-vis de l’Europe n’est pas la Russie, ni la Chine, ni aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace qui vient de l’intérieur, le recul de l’Europe par rapport à certaines de ses valeurs les plus fondamentales… ». Il pointe du doigt une guerre ontologique contemporaine, qui se traduit par un glissement insidieux du langage et du sens des mots – la « démocratie » se transformant en « autocratie » dans le discours européen. Ce phénomène s’accompagne d’une érosion de la liberté d’expression, illustrée par des cas extrêmes comme une condamnation pour avoir « prié en silence pendant trois minutes à cinquante mètres d’une clinique d’avortement ». Il évoque aussi des dérives troublantes, citant « …un ancien commissaire européen qui s’est réjoui de l’annulation par le gouvernement roumain d’une élection, prévenant que si les choses ne se déroulaient pas comme prévu, la même chose pourrait se produire en Allemagne ». Ces propos font écho aux régimes autoritaires de la guerre froide, et alertent sur les dangers qui guettent les fondements démocratiques de l’Europe [5].

– Donald Trump : l’architecte d’un conservatisme de masse ?

Depuis 2015, Donald Trump, bien que dénué du vernis des intellectuels classiques, excelle à transformer les idées nationalistes en un mouvement populaire d’une rare intensité. S’inspirant volontiers de Pat Buchanan, Ronald Reagan et Steve Bannon, il forge un message limpide : restaurer l’économie américaine par un minimum de protectionnisme, endiguer l’immigration et défier les élites progressistes de l’État profond. Ses alliances avec d’anciens adversaires comme J. D. Vance, Robert F. Kennedy Jr. et des « Think-tanks » conservateurs, comme la Heritage Foundation, amplifient cette croisade.

Économiquement, Trump déploie une stratégie audacieuse, théorisée dans L’Art du deal : il ouvre les négociations par des propositions extrêmes – tarifs douaniers à 35 % – pour déstabiliser l’adversaire, puis fait des concessions, passant à 10 %, pour donner l’illusion d’un compromis. Cette tactique, mêlant provocation et pragmatisme, redessine les transactions internationales sans grand ménagement.

Depuis l’attentat manqué du 13 juillet 2024, en Pennsylvanie, Trump se voit comme un miraculé, investi d’une mission. Son déplacement à l’inauguration de Notre-Dame de Paris en 2024, aux côtés d’Elon Musk, s’inscrit dans une rhétorique civilisationnelle, énoncée dès 2020 à Davos : « Les cloches de Notre-Dame sonneront à nouveau pour la gloire de Dieu. » Ce symbole renforce son engagement pour les « valeurs judéo-chrétiennes », commencé en 2016.

Son premier mandat (2016-2020) marque un tournant avec la nomination de trois juges pro-vie à la Cour suprême, aboutissant à l’annulation de Roe v. Wade (2022). Son engagement contre l’avortement, désormais interdit dans des États comme le Texas ou la Louisiane, galvanise 25 % des électeurs républicains, portés par CatholicVote et le National Right to Life Committee. Face au progressisme de Kamala Harris (malheureuse candidate démocrate), Trump défend un ordre naturel, proclamant dans son discours d’investiture ne reconnaître « qu’un homme et une femme ».

Son gouvernement, avec nombre de catholiques aux postes clés comme J. D. Vance (vice-président), Marco Rubio (secrétaire d’État), John Ratcliffe (CIA), Sean Duffy (Transports), Tom Homan (ICE) ou Robert F. Kennedy Jr. (Santé), reflète cet ancrage. Loin d’être une simple tactique, cet engagement répond à une Amérique en mutation, mais suscite l’ire des médias et des élites. Trump, figure clivante, incarne une révolution conservatrice décomplexée, dont l’héritage, entre foi et provocation, peut choquer.

2 – Dans le domaine intellectuel

Les intellectuels conservateurs sont multiples et souvent liés à des Think-tanks : Stephen Bannon, ancien stratège en 2017 ; Michael Anton du Claremont Institute ; Victor D. Hanson du Hoover Institute ; Adrian Vermeule proche de Leonard Léo de la Federal Society… Nous retiendrons ici les plus intéressants :

– Patrick Deneen : Professeur de théorie politique de l’Université Notre-Dame (Indiana), né en 1964, il appartient au cercle étroit des intellectuels conservateurs comme fondateur de Front Porch Republic, la revue et le site internet de référence « paléo-conservatrice ». Avec son livre Pourquoi l’échec du libéralisme, il s’est fait remarquer par Barak Obama qui avoue lui-même : « J’ai trouvé Pourquoi l’échec du libéralisme stimulant. Je ne suis pas d’accord avec la plupart des conclusions de l’auteur, mais le livre offre un aperçu convaincant de la perte de sens et de communauté que beaucoup ressentent en Occident, des questions que les démocraties libérales ignorent à leurs risques et périls ». Cette critique sans concession du libéralisme, propose une solution centrée sur la communauté, la famille, la foi religieuse et une économie locale en opposition avec le libéralisme individualiste, le laïcisme et l’économie de libre-marché, principal destructeur de la vie américaine. En 2023, il frappe à nouveau avec Regime Change (« Changement de Régime »), appelant à une contre-révolution pacifique, sorte de nouvel ordre post-libéral en faveur de politiques économiques « pro-famille », et « pro-travailleurs », favorables aux tarifs douaniers et aux incitations à la fabrication sur place, mais surtout promoteur d’un nouvel ordre moral « pro-vie », opposé au mariage homosexuel et aux théories du genre.

– Dans la même lignée, J. D. Vance partage l’approche « anti-régime » et l’amitié de Deneen avec l’écrivain Rod Dreher, ancien journaliste du New York Times qui invite également à la découverte de la philosophie morale aristotélicienne. Connu mondialement avec son succès littéraire Le Pari bénédictin qui engage chacun à « accepter l’exil de la culture dominante et à construire une contre-culture résiliente » fondée sur les vertus chrétiennes et le retour à la terre. Promu par J. D. Vance, son dernier ouvrage Résister au mensonge – manuel pour les dissidents chrétiens dénonce le « soft-totalitarisme » et la réécriture de l’histoire issue de la novlangue

– Classé comme néo-réactionnaire américain (NRx) Curtis Yarvin, alias Mencius Moldbug, rejette la quête de « la recherche sans fin du progrès » qui a permis de transformer les démocraties en oligarchies corrompues toujours plus motivées par leur enrichissement que par celui de l’intérêt public. Il plaide ainsi en faveur d’une alternative de type dirigeant monarchiste et pourquoi pas inspirée d’un PDG d’entreprise de start-up ?

Influence des « Think-tanks »

On pourrait résumer le réseau conservateur à trois sphères d’influence : l’une principalement politique avec Heritage Foundation, la seconde plus orientée sur l’influence juridique avec Federalist Society, et la dernière portée davantage sur l’économie et le milieu de la Tech avec Hoover Fondation.

[…]

Vous pouvez acheter l’intégralité de cet article ici : https://www.seldelaterre.fr/articles/sdt133/les-conservateurs-post-lib%C3%A9raux-am%C3%A9ricains

Pour commander le numéro : https://www.seldelaterre.fr/numeros/sdt133

Pour s’abonner à la revue : https://www.seldelaterre.fr/abonnements

Dans ce numéro 133, vous trouverez également :

ÉCRITURE SAINTE
L’aveugle-né (Fr. Emmanuel-Marie PERRET O.P.)

ÉTUDES
La crainte (Fr. Pierre-Marie DE KERGORLAY O.P.)

Le Grand retour de Notre-Dame en France (Martial FRANCOIS)

VIE SPIRITUELLE
Le rosaire des prêtres (Marie de Fiesole)

Le combat de la foi avec saint Pie V (DOMINICUS)

Civilisation chrétienne :
Théodore Botrel et le crucifix (Louis MEDLER)

DOCUMENTS
Le retour au bercail des Rédemptoristes transalpins

L’intolérance cléricale (P. Pierre CHARLES)

RECENSIONS
Vatican II, l’histoire qu’il fallait écrire, de Roberto de Mattei (recension par le Fr. Louis-Marie Delerm O.P.).

Le bien commun. Questions actuelles et implications politico-juridiques, de Miguel Ayuso (recension par Pierre-Emmanuel DUPONT).

Geneviève de Sainte-Preuve (recension par Fr. Pierre-Marie DE KERGORLAY O.P.).

La collection Critère, aux éditions Hora Decima (présentation par Charles DE DURRAS).

Vraie et fausse laïcité, de Philippe Prévost (recension par Fr. Pierre-Marie DE KERGORLAY O.P.)

La plume et la Croix, du Père Jean-Dominique (recension par Zacharie BOUSSOUFA).

Le linceul de Turin (recension par Fr. Pierre-Marie DE KERGORLAY O.P.)

Prêtre et martyr à 23 ans, de Guillaume Pons-Pons (recension par Bertrand JAQUEMET).

Cet article est une tribune libre, non rédigée par la rédaction du Salon beige. Si vous souhaitez, vous aussi, publier une tribune libre, vous pouvez le faire en cliquant sur « Proposer un article » en haut de la page.

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