Viviane Lambert répond à Jeanne Smits pour Monde et Vie :
Quel est votre état d’esprit, au lendemain de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Nous sommes scandalisés, nous sommes atterrés. Elle ouvre la porte à l’euthanasie. La CEDH n’est plus crédible. Cinq juges sur dix-sept ont donné leur opinion dissidente : ils ont qualifié l’arrêt d’« effrayant ». Mgr Ribadeau-Dumas, porte-parole de la Conférence des évêques de France, a déclaré que cette décision ne concerne que le seul cas de Vincent Lambert.
Partagez-vous son point de vue ?
Non, ça, c’est pour aveugler l’opinion publique. Aujourd’hui, c’est Vincent : pour d’autres qui sont dans son état, ce sera pareil. Je pense que les familles peuvent êtres inquiètes pour l’avenir de leurs enfants handicapés. Ceux qui se trouvent dans des centres hospitaliers ne sont pas du tout à l’abri de la même décision. Dans l’immédiat, on veut montrer que la décision ne concerne que Vincent, pour l’atténuer un peu, pour ne pas affoler les gens, mais ce serait trop beau. Pour moi, c’est de la mauvaise foi.
Viviane Lambert, vous espériez trouver à la Cour européenne des droits de l’homme, une oreille peut-être plus humaine qu’au Conseil d’Etat. Redoutiez vous quand même une décision négative ?
Au fur et à mesure de l’attente, je me suis préparée à tout. Mais nous avons une consolation : nous savons que ce n’est pas la Cour européenne qui peut décider d’arrêter l’alimentation et l’hydratation de Vincent. Les juges avaient pour seule mission de dire si cela est conforme ou non à la Convention européenne des droits de l’homme. Ils ont opté pour la conformité. Mais nous savions déjà que nous pouvons, face à cette décision qui ne nous est pas favorable – ou plus exactement qui n’est pas favorable à Vincent – continuer de nous battre pour lui. Nous ne l’avons pas attendue pour préparer le terrain avec nos avocats. Et nous avons rencontré la nouvelle directrice du CHU Sébastopol de Reims, qui remplace le Dr Kariger, ainsi que le chef de pôle, et nous avons clairement indiqué que nous n’en resterions pas là. L’affaire Vincent Lambert n’est pas finie : depuis la décision du 5 juin, le CHU a fait une déclaration annonçant que la famille sera réunie pour recommencer le processus de fin de vie.
Quelle avait été votre impression lorsque vous avez rencontré les nouveaux médecins ?
J’étais très inquiète, puisqu’avec la nouvelle loi qui se profile, la loi Claeys-Leonetti, c’est le médecin qui décide seul – c’est lui l’unique chef, qui ne rend de comptes à personne. Le chef de pôle nous a dit qu’il souhaitait un « consensus ». Mais qui dit consensus, suppose l’unanimité. J’ai rétorqué que cela pouvait attendre longtemps… Et je lui ai posé la question qui est pour moi primordiale : quel est l’intérêt de Vincent ? C’est cela le plus important : Vincent ne reçoit pas les soins dont il a besoin. Quoi qu’il en soit, la personne qui touchera à Vincent, maintenant que le Dr Kariger est parti, nous l’attaquerons devant les juridictions pénales.
La CEDH a refusé de répondre sur les mauvais traitements dont Vincent est victime du fait de l’arrêt de la kinésithérapie, par exemple, tout comme elle a refusé votre requête de faire transférer Vincent dans une unité spécialisée pour les personnes en état pauci-relationnel où il trouverait le meilleur confort possible – et où une place l’attend.
Oui, nous n’avons même pas obtenu la possibilité de le transférer dans un endroit neutre, plutôt que de le laisser au CHU de Reims où on veut cesser de le nourrir. La nouvelle équipe de l’hôpital se trouve certes face à Rachel, son épouse, mais la situation a changé. Il faut tenir compte du fait que Rachel est partie. Nous sommes les plus proches de Vincent, ceux qui sommes effectivement là au quotidien. La nouvelle directrice est une femme qui nous a écoutés, notre rencontre s’est passée dans le calme, cela me donne de l’espoir. Je pense que l’hôpital ne souhaite pas une nouvelle affaire en justice… […]"