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Culture de mort : Euthanasie

Les lois sociétales ne peuvent être réduites à de la diversion et à de la communication. Elles engagent des conceptions anthropologiques et philosophiques qui témoignent des valeurs d’une civilisation

Les lois sociétales ne peuvent être réduites à de la diversion et à de la communication. Elles engagent des conceptions anthropologiques et philosophiques qui témoignent des valeurs d’une civilisation

Jean-Pierre LeGoff, sociologue et philosophe, a été interrogé dans Le Figaro à propos du projet de loi sur l’euthanasie. Extraits :

[…] Force est de constater que dans ce domaine, comme dans d’autres, on pratique la fuite en avant. Rien ne semble devoir échapper à l’activisme des militants et des réformateurs sociétaux. La filiation a déjà été chamboulée, une nouvelle étape est franchie et non des moindres : elle concerne notre rapport à la finitude avec la possibilité dans certains cas de mettre fin à ses jours avec l’aide de l’État. À chaque loi sociétale, on nous dit qu’on a pris soin de mettre des garde-fous et qu’il n’y a pas de quoi s’inquiéter ; à chaque fois, on proclame la victoire du progrès, de l’émancipation, de l’égalité… Ou, plus platement, on fait entendre aux plus réticents que « la France est en retard », qu’il s’agit d’une évolution inéluctable à laquelle il paraît vain de s’opposer, en se référant aux sondages comme aux fondements du bien-penser.

Reste que le rapport à la mort est une situation des plus intimes qui ouvre des questions éthiques, métaphysiques et religieuses que l’on ne saurait évacuer. On peut se poser légitiment la question : pourquoi la politique, l’État et les élus devraient-ils à tout prix s’en mêler au risque de jouer les démiurges ? Pourquoi faudrait-il que l’État réponde positivement à une demande de mort comme à un problème de santé publique ?

Le sociétal compte-t-il plus aujourd’hui que le social ?

On aurait plutôt tendance à rabattre tout sur le même plan dans une logique de « droits créances » qui n’a pas de fin. Les lois sociétales peuvent d’autre part apparaître comme des opérations de diversion par rapport aux problèmes du pouvoir d’achat, de l’insécurité, de l’immigration, de la guerre en Ukraine et de la situation géopolitique… Mais les lois sociétales ne sont pas du même ordre. La fuite en avant dans ce domaine est d’autant plus problématique qu’elle ne concerne pas seulement le politique, l’économique, le social, mais elle met directement en jeu la condition humaine. En ce sens, les lois sociétales ne peuvent être réduites à de la diversion et à de la communication, même si ces aspects sont bien présents. Elles engagent des conceptions anthropologiques et philosophiques qui témoignent des valeurs et de l’état non seulement d’une société mais d’une civilisation. […]

Ce n’est pas tant le soulagement de la souffrance individuelle qui est ici en question mais le rapport qu’une société entretient avec les personnes âgées les plus fragiles et les plus faibles. Le slogan « mourir dans la dignité » des partisans de l’euthanasie ou du suicide assisté laisse supposer en contrepoint qu’il y aurait des morts indignes. La souffrance, la dégradation physique et psychologique qu’on doit à tout prix s’efforcer de soulager seraient-elles devenues synonymes d’indignité ?

En fait, le rapport à l’autre souffrant et proche de la mort n’a rien d’évident. La compassion peut aller de pair avec une relation angoissée à soi-même à la vue de cet être affaibli et agonisant qui nous renvoie l’image d’une situation insupportable à laquelle nous voudrions à tout prix échapper. Mais que savons-nous au juste de la façon dont l’autre vit une telle situation ? Anticiper un état dégradé en étant encore en bonne santé, n’est-ce pas préjuger de notre réaction face à une situation limite qui nous confronte à l’indicible ?

Pensez-vous que notre société a peur de la mort au point de vouloir la dissimuler ?

Cette volonté d’évacuer la mort ne date pas d’aujourd’hui. Philippe Ariès a bien montré comment, au terme d’une évolution longue de plusieurs siècles, les sociétés modernes ont refoulé la mort de la vie quotidienne, et cette évolution s’est accompagnée de la disparition des rites ancestraux inhérents au deuil et qui maintenaient les liens collectifs. L’allongement de la durée de vie et l’affairement dans une société qui recule de plus en plus les limites du possible ont accentué ce refoulement ; le jeunisme et le culte de la performance sans faille ont développé un univers mental qui met la faiblesse et la finitude hors de son champ.

La façon dont la mort revient aujourd’hui dans le débat public ne me paraît pas rompre fondamentalement avec cette situation. La demande de mort n’a rien de transparent. Ce n’est pas seulement l’abrogation de la souffrance individuelle dont il est question, mais l’idée d’en finir au plus vite face à une image dégradée de soi-même et à la mort qui nous attend.

À la limite, pour l’individu narcissique contemporain, il faudrait pouvoir mourir en bonne santé en restant maître et souverain y compris de sa propre mort. Pour certains partisans de l’euthanasie et du suicide assisté, la loi devrait tout bonnement permettre d’« émanciper notre mort ». Cette formulation me paraît absurde, mais n’en témoigne pas moins d’une volonté d’autonomie et de maîtrise érigées en absolus qui refuse les limites de la condition humaine.

Celle-ci n’est pas soumise à notre volonté et maniable à loisir comme si elle était un simple objet à notre disposition. Les connaissances scientifiques, pour utiles qu’elles soient, ne suffisent pas pour en rendre compte. La vie humaine éprouvée dans sa dimension intérieure et relationnelle me paraît demeurer un mystère qui est partie essentielle de la dignité de l’être humain, y compris dans les moments de fin de vie les plus tragiques et les plus difficiles à affronter. C’est cette dimension-là que tend à ignorer une société où règne le culte de l’ego et du perpétuel gagnant. […]

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4 commentaires

  1. Le beau témoignage inoubliable de Philippe Pozzo di Borgo :
    https://www.soulagermaispastuer.org/cest-une-merveille-de-vivre-meme-dans-la-difficulte-et-la-souffrance/
    Pour faire très simple, c’est celui qui débranche qui se libère.

  2. Excellent propos de Jean-Pierre Le Goff… Sa référence à Philippe Ariès est pertinente, on pourrait aussi, à propos du déni contemporain de la mort, évoquer l’ouvrage de Philippe Murray, “Le dix-neuvième siècle à travers les âges”, qui date le début de la “révolution progressiste” et de la première défaite du catholicisme non pas en 1789 mais bien en 1786, date à laquelle les dépouilles des défunts du cimetière des Innocents ont été nuitamment transférées dans les tristement nommées catacombes parisiennes. Négation de la mort, négation de la vie, c’est tout un.

  3. les lois sociétales actuelles sont le moyen , pour la Révolution maçonnique en cours qui est nihiliste , qui veut imposer l ‘inversion des valeurs naturelles et surnaturelles, pour cette Révolution de la “mort de Dieu”, c’est le moyen infaillible pour détruire par pollution la civilisation chrétienne.
    aussi longtemps que la Contre Révolution catholique et royale ne sera pas enclenchée , nous assisterons impuissants à notre course vers l’ abîme.
    Dieu et le Roi !

  4. Si Macron évoque une “fraternité”, il faut compendre une fraternité maçonnique.

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