Tribune de Grégor Puppinck, Juriste, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), dans La Croix à propos de la proposition de loi sur la fin de vie, qui porte une atteinte considérable à la liberté des établissements confessionnels :
La proposition de loi relative au « droit à l’aide à mourir », telle qu’adoptée par l’Assemblée, porte une atteinte considérable à la liberté des établissements confessionnels. Si elle était définitivement, aucune législation au monde ne serait aussi sévère, en prévoyant expressément l’obligation pour tout établissement d’accueillir au son sein l’euthanasie et le suicide assisté. Cette obligation s’appliquerait à tous les établissements de santé et médico-sociaux, publics comme privés, financés ou non par l’argent public.
Par ailleurs, aucun autre texte au monde ne serait aussi répressif. La proposition de loi prévoit que les responsables de maisons de retraite ou d’établissements de santé qui refuseraient la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté au sein de leurs établissements se rendraient coupables de délit d’entrave et seraient passibles à ce titre de deux ans de prison et de 30 000 € d’amende. Un établissement qui refuserait ces pratiques s’exposerait en outre aux sanctions de l’Agence régionale de santé (ARS).
Certes, le texte reconnaît le droit à l’objection de conscience des médecins et du personnel de santé face à l’euthanasie et au suicide assisté. Mais elle ignore volontairement la liberté des établissements de refuser ces pratiques en leur sein.
Or cette liberté est essentielle, en particulier pour les établissements confessionnels fondés et dirigés par des congrégations religieuses. Sans le respect de cette liberté, ces établissements seraient obligés d’agir contre leurs convictions religieuses, et leur raison d’être. Ce serait une grave injustice et une atteinte à leur liberté religieuse.
Certains pays l’ont bien compris. C’est le cas des États-Unis où les États fédérés concernés protègent explicitement le droit de tout établissement de refuser la pratique du suicide assisté.
La législation de l’Oregon a d’ailleurs inspiré une résolution de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe de 2010 affirmant que
« nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, d’accueillir ou d’assister (…) une euthanasie (…), quelles qu’en soient les raisons ».
C’est aussi le cas des Pays-Bas, où l’euthanasie a été dépénalisée en 2002, mais sans constituer un « droit » individuel. Dès lors, aucun établissement n’est tenu d’y procéder. De même, en Nouvelle-Zélande, la Haute Cour a jugé que la loi « n’oblige pas les hospices ou autres organisations à fournir des services d’aide à mourir. Ils ont le droit de choisir de ne pas fournir ces services. » Le gouvernement ne peut pas contraindre, ni sanctionner financièrement, des établissements refusant cette pratique. Dans ces pays, il est suffisant de permettre le transfert vers d’autres établissements des patients désirant mourir.
Dans d’autres pays, en revanche, la liberté des établissements est moins explicitement garantie. Au Portugal, par exemple, la loi de mai 2023 est silencieuse sur la liberté des établissements. Cela a conduit la Conférence des évêques à réclamer cette liberté dans une lettre pastorale du 1er mai 2025. Les évêques y soulignent que « la liberté de conscience a aussi une dimension communautaire et institutionnelle. Une institution fondée sur une éthique (comme un hôpital catholique) ne devrait pas être contrainte à pratiquer des actes contraires à son identité éthique fondatrice ». La situation est encore incertaine.
En Espagne, la situation est aussi confuse. Alors que l’euthanasie a été légalisée en 2021, de grands établissements catholiques ont déclaré refuser d’accueillir cette pratique, après que le tribunal constitutionnel a validé la loi en mars 2022.
En Suisse, la situation varie selon les cantons. Dans celui de Neuchâtel par exemple, seuls les établissements financés par l’État ont alors l’obligation d’accueillir les organisations d’aide au suicide, mais uniquement lorsqu’il est impossible de déplacer ou de renvoyer chez elles les personnes désirant mourir. Cette « solution » fut acceptée par le tribunal fédéral le 13 septembre 2016 au motif qu’un tel établissement peut encore se soustraire à l’obligation litigieuse en renonçant à son financement public.
Dans un troisième groupe de pays, enfin, l’accès à l’euthanasie est devenu une arme, utilisée contre les établissements catholiques pour les obliger à renoncer à leurs valeurs. C’est le cas de la Belgique et du Canada.
Alors que le silence de la loi belge de 2002 sur cette question permettait aux établissements confessionnels d’éviter la pratique de l’euthanasie et du suicide assisté, une loi de 2020 est venue leur interdire de demander à leurs employés de ne pas réaliser ces pratiques en leur sein. Au même moment, 15 hôpitaux psychiatriques des Frères de la Charité ont perdu leur caractère catholique, sur décision du Vatican, pour avoir accepté l’euthanasie.
Au Canada, la situation est tendue. Alors que « l’aide à mourir » a été légalisée en 2016, une juge de la Cour supérieure du Québec a jugé le 1er mars 2024 que le droit à l’euthanasie prime sur la liberté de religion des établissements catholiques. Saisie en référé par l’archevêque de Montréal, Christian Lépine, elle a dénié à la Maison St-Raphaël, un centre de soins palliatifs installé dans une ancienne église, le droit de refuser « temporairement » d’accueillir la pratique de la mort volontaire en son sein, le temps que l’affaire soit jugée sur le fond. L’affaire serait encore pendante.
En Colombie-Britannique, le Home Irene Thomas, un autre établissement qui accueillait des personnes en fin de vie, a perdu son financement public, soit 94 % de son budget, en raison de son refus de l’euthanasie. Quant au grand hôpital Saint-Paul de Vancouver, également en Colombie-Britannique, il est actuellement poursuivi en justice. Il lui est reproché de refuser l’euthanasie alors qu’il est financé par l’État, après avoir transféré un patient désireux de mourir dans un autre établissement acceptant l’euthanasie.
Les lois sur l’euthanasie sont relativement récentes, et elles se heurtent aux droits anciens que sont les libertés de conscience et de religion. Les législateurs feraient bien de regarder la jurisprudence des Comités des Nations unies et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui reconnaissent la liberté des établissements confessionnels et protègent leur « autonomie ».
