Plutôt que de participer à une réunion au ministère de la Santé et de la Prévention, différentes organisations soignantes, toutes signataires d’une déclaration commune, ont tenu une conférence de presse le 18 décembre pour souligner leur désaccord avec les orientations de l’avant-projet de loi sur l’aide à mourir et la fin de vie. Ce choix de la chaise vide n’a pas vocation à s’éterniser. Les attentes de ces acteurs de la santé portent à la fois sur la méthode et la philosophie du texte. Sophie Moulias, gériatre à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), souligne :
“Distinguer, dans deux textes, la mort provoquée et le développement des soins palliatifs serait perçu comme un geste d’apaisement et de réelle écoute des professionnels”.
La dernière réunion avec le ministère de la Santé sur la fin de vie s’est déroulée le 6 septembre. Depuis, les soignants n’ont eu aucune nouvelle sur le contenu du texte de loi en préparation jusqu’à sa diffusion dans la presse. Pour celle du 18 décembre, ils n’ont pas eu connaissance de son contenu. Cette absence d’ordre du jour et de comptes rendus, a été régulière au cours des différentes réunions de l’été, rapportent-ils. Leur déclaration commune souligne au final une “parodie de consultation”, pointant également des “invitations aléatoires et de dernière minute”, un “manque d’écoute”, des “discussions de points mineurs ou accessoires” ou encore l’ajout “inopiné de soignants ne représentant aucune organisation mais favorables” aux orientations de l’avant-projet.
Avec leur boycott, les organisations espèrent un changement de méthode du ministère. Claire Fourcade, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs, indique :
“Nous avons l’habitude des situations complexes et de trouver des solutions au quotidien”.
Les parties prenantes en appellent au président de la République pour faire naître deux textes de loi. Le développement des soins palliatifs est, à leurs yeux, indispensable avant de faire évoluer la loi sur l’aide à mourir. La convention citoyenne comme le Comité consultatif national d’éthique ont rappelé ce préalable, pointe Sarah Piazza, psychologue au service de réanimation de l’hôpital Delafontaine de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Sophie Moulias, membre de la Société française de gériatrie et de gérontologie, précise :
“Il faut développer des outils législatifs pour des soins de qualité d’abord. En l’absence de soins palliatifs actifs et accessibles, l’aide à mourir ne sera pas un choix”.
Sur le contenu du texte, la sémantique de l’avant-projet est à corriger de fond en comble. “Soins d’accompagnement, ce terme est un fourre-tout qui ne veut rien dire”, tranche Florian Scotté, vice- président de l’Association francophone pour les soins oncologiques de support (Afsos). “Changer la terminologie, c’est augmenter la confusion”, renchérit Stéphanie Trager, également membre du conseil d’administration de l’Afsos. Elle prédit un “bond en arrière en cancérologie” en cas d’adoption de la nouvelle catégorie de soins d’accompagnement alors que les soins palliatifs ou de support disposent déjà de leur définition internationale.
Sophie Chrétien, ancienne présidente de l’Association nationale française des infirmiers en pratiques avancées, pointe le flou de “l’aide à mourir” qui ne cite pas clairement le suicide assisté ou l’euthanasie. Sur la procédure décrite dans l’avant-projet, elle fustige un processus “effroyable” et “cynique” qui “balaie l’interprofessionnalité”. La psychiatre Faroudja Hocini estime que le terme d’aide à mourir “sculpte un imaginaire” bien éloigné de la réalité du suicide. Elle craint qu’à terme les troubles psychiatriques soient intégrés dans l’aide à mourir. Présidente du Conseil national professionnel infirmier, Evelyne Malaquin-Pavan fait part de sa crainte, parmi ces mots “tricotés” entre eux, sur la future définition des soins non effectués par des professionnels dans le processus.
Enfin, c’est l’attractivité de l’hôpital qui est menacé par cette évolution législative. Spécialiste de la maladie de Charcot à l’hôpital de la Pitié-Salpêtreière de l’AP-HP, Pierre-François Pradat dénonce l’utilisation de cette pathologie dans le débat. Il estime qu’elle est utilisée de manière simplifiée et non conforme à la réalité de terrain. Il n’a reçu qu’une fois une demande répétée et maintenue dans le temps d’euthanasie au cours de sa carrière, rapporte-t-il. Mais il note surtout des “répercussions en cascade” sur la place de cette maladie dans le débat public avec, outre les difficultés des patients, une perte d’attractivité pour les professionnels, avec comme corollaire une diminution de la recherche.
Dans les rangs infirmiers, le contenu de l’avant-projet suscite une colère immense dont la concrétisation serait, en cas de légalisation, la démission des soignants. “Faire la toilette mortuaire d’un patient euthanasié n’a aucun sens”, explique Jeanne Amourous, infirmière en soins palliatifs à la maison médicale Jeanne-Garnier. Le secourisme à l’envers, mentionné dans l’avant-projet, cristallise aussi la colère. “Aucun soignant n’aurait pu valider” cette expression, juge Feroudja Hocini.