Intéressant texte de Nicola Bux, expert en liturgie et enseignant à la faculté de théologie de Bari, consulteur de la congrégation pour le culte divin et de la congrégation pour les causes des saints. Il a pris part au synode de 2005 consacré à l'eucharistie, dont il raconte ici un épisode intéressant :
"Dernièrement, le cardinal Walter Kasper s’est référé à la pratique des Églises orthodoxes en ce qui concerne les seconds mariages pour soutenir que les catholiques divorcés et remariés devraient eux aussi avoir la possibilité de communier. Toutefois il n’a peut-être pas prêté attention au fait que les orthodoxes ne communient pas lors du rite des seconds mariages, parce que ce qui est prévu dans le rite byzantin du mariage, ce n’est pas la communion, mais seulement l’échange de la coupe commune de vin, qui n’est pas du vin consacré.
Par ailleurs on entend dire, chez les catholiques, que les orthodoxes permettent les seconds mariages et que par conséquent ils tolèrent que l’on divorce de son premier conjoint. A vrai dire, il n’en est pas vraiment ainsi, parce qu’il ne s’agit pas de l'institution juridique moderne. L’Église orthodoxe est disposée à les seconds mariages pour des personnes dont le lien matrimonial a été dissous non pas par l’État, mais par elle-même, sur la base du pouvoir de “délier et de lier” qui a été donné à l’Église par Jésus, et à concéder une seconde opportunité de mariage dans certains cas particuliers (typiquement, les cas d’adultère durable, mais aussi, par extension, certains cas où le lien matrimonial est devenu une fiction). La possibilité d’un troisième mariage est également prévue, mais on cherche à décourager les candidats. Par ailleurs, la possibilité de se remarier, dans les cas de dissolution du mariage, n’est donnée qu’au conjoint innocent. […] Le caractère non-sacramentel des seconds mariages trouve une confirmation dans le fait que la communion eucharistique a disparu des rites de mariage byzantins et qu’elle a été remplacée par la coupe, qui est considérée comme un symbole de la vie commune. Cela apparaît comme une tentative de "désacramentaliser" le mariage, peut-être à cause de l'embarras croissant qui est créé par les deuxièmes et troisièmes mariages, en raison de la dérogation qu’ils constituent par rapport au principe de l'indissolubilité du lien, qui est directement proportionnelle au sacrement de l'unité : l'eucharistie. […]
Il s’agit donc d’un “quiproquo” qui peut être imputé, dans le monde catholique, à l’intérêt faible ou inexistant qu’inspire la doctrine, ce qui a eu comme résultat le développement de l'opinion, ou exactement de l’hérésie, selon laquelle la messe sans la communion n’est pas valide. Toute la préoccupation à propos de la communion pour les divorcés remariés, qui n’a pas grand-chose à voir avec la conception et la pratique orientale, est une conséquence de ce point.
Il y a de cela une dizaine d’années, alors que je collaborais à la préparation du synode consacré à l’eucharistie, synode auquel j’ai ensuite participé en tant qu’expert en 2005, cette "opinion" fut avancée par le cardinal Claudio Hummes, membre du conseil du secrétariat du synode. Sur l’invitation du cardinal Jan Peter Schotte, alors secrétaire général, j’ai dû rappeler à Hummes que les catéchumènes et les pénitents – parmi lesquels il y avait des bigames – aux divers degrés pénitentiels, participaient à la célébration de la messe ou à des parties de celle-ci, sans s’approcher de la communion. Cette "opinion" erronée est aujourd’hui très répandue chez les clercs et chez les fidèles. C’est pourquoi, comme l’a fait observer Joseph Ratzinger : “Il faut reprendre conscience de manière beaucoup plus claire du fait que la célébration eucharistique n’est pas dépourvue de valeur pour ceux qui ne communient pas. […] Étant donné que l'eucharistie n’est pas un banquet rituel, mais la prière communautaire de l’Église, dans laquelle le Seigneur prie avec nous et s’associe à nous, elle reste quelque chose de précieux et de grand, un véritable don, même si nous n’avons pas la possibilité de communier. Si nous retrouvions une meilleure connaissance de ce fait et si nous percevions ainsi l'eucharistie elle-même de manière plus correcte, il y a plusieurs problèmes pastoraux, comme par exemple celui de la situation des divorcés remariés, qui perdraient automatiquement une grande partie de leur poids écrasant”.
Ce qui vient d’être décrit est un effet de l’écart et même de l'opposition entre le dogme et la liturgie. L'apôtre Paul a demandé que ceux qui ont l’intention de communier s’examinent eux-mêmes, afin de ne pas manger et boire leur condamnation (1 Corinthiens 11, 29). Cela signifie : “Celui qui veut que le christianisme soit seulement une heureuse annonce, dans laquelle il ne doit pas y avoir la menace du jugement, le falsifie”. On se demande comment on est parvenu à ce point. Différents auteurs, au cours de la seconde moitié du siècle dernier, ont soutenu – rappelle Ratzinger – la théorie qui “fait découler l'eucharistie – de manière plus ou moins exclusive – des repas que Jésus prenait avec les pécheurs. […] Mais à partir de cette théorie on arrive ensuite à une idée de l'eucharistie qui n’a rien de commun avec la coutume de l’Église primitive”. Alors que Paul protège, en recourant à l'anathème, la communion de l'abus qui pourrait en être fait (1 Corinthiens 16, 22), la théorie ci-dessus propose “comme essence de l'eucharistie que celle-ci soit offerte à tout le monde sans aucune distinction et sans aucune condition préliminaire, […] même aux pécheurs, ou plus encore, même aux incroyants”.
Non, écrit encore Ratzinger : depuis les origines, l'eucharistie a été comprise comme un repas pris non pas avec les pécheurs, mais avec ceux qui s’étaient réconciliés : “Il existait aussi pour l'eucharistie, dès le début, des conditions d’accès bien définies […] et de cette manière elle a construit l’Église”. Par conséquent l’eucharistie reste “le banquet des réconciliés”, ce que la liturgie byzantine rappelle, au moment de la communion, par l'invitation "Sancta sanctis", les choses saintes pour les saints. Mais, malgré cela, la théorie selon laquelle une messe sans communion est invalide continue à influencer la liturgie actuelle."