De Rémi Fontaine dans l’Appel de Chartres :
Chers amis pèlerins,
Sans oublier la primauté du spirituel, de la vie intérieure et de la morale, bien au contraire – commencer par soi, le premier pays de mission ! –, c’est en tant que laïc en charge du temporel – et donc de politique au sens large et noble du terme – que je voudrais vous parler ici. Autour du thème de notre prochain pèlerinage : « La paix par le règne du Christ ! »
« Car, mon jeune camarade pèlerin, pourrais-je aussitôt ajouter selon le théorème de Jean Madiran inspiré de Péguy, c’est un grand mystère, il ne suffit pas d’avoir la foi. Nous sommes faits pour vivre notre temporel en chrétienté. Ailleurs, quand ce n’est pas le martyre physique, ce sont les âmes qui n’arrivent plus à respirer ! »
La chrétienté ? Ce sont parfois ceux qui l’ont d’abord refoulé qui l’évoquent le mieux. Après un salutaire retour au réel. La preuve par Jean-Marie Paupert avec ses Mères patries (Grasset, 1982). Progressiste adulé, fantasmant hier (1967) les « chrétiens de l’an 2000 » et fustigeant avec mépris les « vieillards de chrétienté » (Madiran, Ousset, Salleron, Saint-Pierre, Thibon…), il rédigea avec Péril en la demeure (France-Empire, 1979) une œuvre décisive de rétractation, livre de cœur et de mémoire, qui lui valu une relégation sociologique révélatrice.
Réactionnaire ou dissident
Avant ce tournant, la réponse de Paupert à sa fameuse question Peut-on être chrétien aujourd’hui ?(Grasset, 1966) allait quasiment en sens opposé de « l’option bénédictine » de Rod Dreher dans son essai récent Comment peut-on être chrétien dans un monde qui ne l’est plus ? (Artège, 2017). Et après ?
« Je crois que le plus fier devoir de l’homme et plus encore du chrétien aujourd’hui (car le chrétien est en charge de l’homme) est d’être réactionnaire, c’est-à-dire retrouver sa vraie nature. »
Peu importe que Dreher, comme Soljenitsyne et Vaclav Benda ou Havel, parle plutôt de dissidence que de réaction. La démarche est la même :
« Oui, le premier devoir chrétien aujourd’hui c’est, vomissant le monde, de garder précieusement d’abord au contraire tout ce qui peut demeurer du temps de la foi et de la chrétienté – nos prières et nos rites, nos coutumes et nos mœurs, nos pratiques et nos chants, nos dogmes et notre ferveur antique – au lieu de tout brader à la foire sacrilège où se vident nos temples… Puis, vomissant le monde, peut-être pourrons-nous recréer » (Paupert).
Où l’on constate que les débats qui agitent encore les chrétiens aujourd’hui n’ont guère changé depuis le tristement célèbre et prescriptif Feu la chrétienté d’Emmanuel Mounier !
Loin d’être un désengagement, un repli frileux et un retrait de la politique, notre réaction ou notre dissidence chrétienne doit se vivre comme une présence citoyenne et totale à ce qui se fait dans la patrie et dans le monde. Elle renoue avec les principes politiques d’Aristote et de saint Thomas contre ceux de Rousseau et de Hobbes dans la dissociété individualiste et la décréation sociétale du monde moderne. Car notre dissidence est intrinsèquement ordonnée au bien commun. Comme la réaction vitale de l’anticorps est en vue de la régénération d’un organisme miné mortellement par les toxines.
L’hérésie de notre siècle : l’abandon de la loi naturelle
Que disait et redisait Jean-Marie Paupert en substance après sa singulière conversion, et que nous assumons à notre tour, à notre manière, comme militants de chrétienté ? Il dénonçait, comme nous, le mépris et l’abandon de la loi naturelle jusqu’au sein de l’Eglise par la contamination de la culture. C’est toujours l’intuition essentielle de Péguy, reformulée aussi par Benoît XVI à Ratisbonne et aux Bernardins :
« Il y a une destination profonde de la culture pour la foi… Tout éternel est tenu de prendre une inscription charnelle… La parole de Dieu : grave en hébreu, intelligente en grec, en latin éternel… Le temporel fournit la souche ; et si le spirituel veut vivre, s’il veut continuer, s’il veut fleurir, s’il veut fructifier, le spirituel est forcé de s’y insérer… »
En méprisant la fusion des trois sels culturels d’où est né le sel évangélique de notre civilisation chrétienne – autrement dit les mères patries (Jérusalem, Athènes et Rome) sur lesquelles la foi chrétienne a pris racines par dessein divin – le (néo-)modernisme a peu à peu renié la souche sur laquelle se greffe mystérieusement le christianisme. Il menace ainsi la survie du spirituel. Un catholicisme sans piété filiale, sans sa culture, sa matière idoine, devient « immunodéficitaire ».
De la même manière que les décolonisateurs ont cédé en toute innocence (?) comme en toute inconscience des territoires entiers aux flux oppresseurs du communisme et de l’islamisme, de même un certain aggiornamento ecclésial a cédé sa foi à des mariages contre nature (à commencer par celui avec la modernité et son sécularisme), lâchant la possibilité de bien christianiser le monde. La formule de Chesterton fonctionne aussi à l’envers : « Ôtez le (droit) naturel (et le culturel qui va avec), il ne restera plus grand chose de surnaturel ! » L’adieu aux armes de la culture chrétienne signifie trop souvent l’adieu aux âmes par l’adieu à la loi naturelle incarnée dans cette culture propre héritée…
Gilets jaunes de l’Eglise ou l’option bénédictine !
Loin d’être des « hypophètes » (selon le néologisme de Rabelais), soucieux et nostalgiques d’un passé révolu, nous voulons être des prophètes de la chrétienté, soucieux du salut éternel des âmes et du monde et non pas seulement de conversion écologique pour sauver la planète ! Gilets jaunes de l’Eglise ? Oui, si nous sommes ainsi des marcheurs pacifiques de la Contre-Révolution qui n’est pas une Révolution contraire mais le contraire de la Révolution ! Misant sur des « ronds-points » de chrétienté – ces « oasis » ou ces « îlots de chrétienté » de Benoît XVI qui n’empêchent pas d’aller aux « périphéries » du pape François –, par un « pari bénédictin » analogue à celui de la première évangélisation par l’œuvre des monastères, nous voulons être des buttes-témoins et plus encore des lampes-témoins phosphorescentes d’une nouvelle chrétienté redonnant lumière, espoir et vie aux familles ainsi qu’aux corps intermédiaires, avec le secours de la grâce, pour le bien des personnes.
La chrétienté est une seconde nature, un art, disait Péguy. L’art des recommencements. Par un certain nombre de bouleversements subis, l’Eglise au cours de son histoire a déjà connu successivement cinq morts de la foi, selon Chesterton : « Mort plusieurs fois, le christianisme est chaque fois ressuscité ; car son Dieu sait comment l’on sort du tombeau. » L’appel à la nouvelle évangélisation ne se fait cependant pas ex nihilo mais justement avec des « minorités créatives », fidèles à l’héritage chrétien. Fidèles ainsi à l’alliance de la foi avec la sagesse des nations apportée notamment par ces trois capitales honorées par Paupert. Alliance illustrée en d’autres temps par cette « option bénédictine » qui a généré la première chrétienté. Clamons-le haut et fort à nos autorités temporelles et spirituelles : – Laissez-nous faire l’expérience de la chrétienté ! Cette connaturalité féconde du temporel et du surnaturel : la paix par le règne du Christ ! « N’ayez pas peur petit troupeau ! » (Lc, 12, 32). – Chrétienté ? – Résurrection !