Extrait d’un article de Paul Sugy dans Le Figaro sur le recours de Marine Le Pen auprès de la CEDH :
Était-ce un revirement prémonitoire ? Un an avant l’élection présidentielle, au micro de Jean-Jacques Bourdin en mai 2021, Marine Le Pen annonçait un changement dans la stratégie de son parti vis-à-vis d’une institution du Conseil de l’Europe longtemps honnie par les lepénistes : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Eurosceptique depuis toujours, le parti à la flamme annonçait par la voix de sa présidente et candidate qu’il changeait donc de méthode, alors que dans ses rangs avait longtemps été défendue l’idée d’une sortie pure et simple de la CEDH. Mais Marine Le Pen estimait quant à elle qu’une telle sortie n’était «pas utile», ajoutant : «Je pense qu’on peut beaucoup faire avec la Convention européenne des droits de l’homme», jugeant en revanche que son usage a été dévoyé en ce qu’elle «empêche de nous protéger des dangers qui pèsent sur nous», pointant «une dérive de la jurisprudence» de la CEDH.
C’est désormais auprès de cette même Cour, chargée de veiller au respect, par les 46 États membres du Conseil de l’Europe, de la Convention de 1950, que Marine Le Pen et ses soutiens s’en remettent. Condamnée le 31 mars à 5 ans d’inéligibilité pour sa responsabilité dans l’affaire des emplois fictifs d’assistants parlementaires du parti, celle qui entend présenter sa candidature à l’élection présidentielle de 2027 a vu sa peine assortie d’une mesure d’exécution provisoire, la rendant effective dès le jugement de première instance et malgré le recours en appel. Il n’existe par conséquent «aucun recours» en droit français pour empêcher l’application de la peine avant le procès en appel, selon l’avocat de Marine Le Pen, Me Rodolphe Bosselut, et la candidate déclarait le soir même sur TF1 que cette exécution provisoire avait pour but de l’«empêcher de (se) présenter et d’être élue à l’élection présidentielle».
Dans la foulée, Marine Le Pen avait fait savoir qu’elle saisirait le Conseil constitutionnel et la CEDH. C’est désormais chose faite pour la Cour européenne des droits de l’homme […].
Et à présent ? La CEDH peut décider, sous un délai relativement bref, de ne pas se saisir de la requête, et donc de ne pas donner suite. Si elle s’en saisit, elle rendra sa décision dans un délai pouvant aller de plusieurs mois à quelques années… Mais Marine Le Pen a assorti sa requête d’une demande spécifique, fondée sur l’article 39 du règlement de la CEDH qui prévoit que la Cour peut exiger que le juge français suspende sa décision (en l’espèce, l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité) jusqu’à ce qu’elle rende une décision sur le fond. Si elle faisait ce choix, la Cour déciderait sous quelques jours de demander une telle suspension.
La CEDH est présidée depuis le 28 avril dernier par un juge français, le conseiller d’État Mattias Guyomar. S’agissant des peines d’inéligibilité pour des élus, la CEDH avait déjà jugé en 2021 dans le cas d’un élu italien condamné à une telle peine pour des faits de corruption, que des mesures d’inéligibilité ne contrevenaient pas à la Convention européenne des droits de l’homme.