De Rémi Fontaine pour Le Salon beige :
Il n’y a pas qu’envers l’euthanasie que les médecins et les soignants dans leur grande majorité s’offusquent du « geste » qu’on veut leur imposer légalement au mépris du serment d’Hippocrate. Contre l’avortement qu’on s’apprête à « sacraliser » dans la Constitution et qu’on fait maintenant commettre aux sages-femmes, les mêmes médecins et soignants disent souvent leur « ressenti ». À l’approche de la Marche pour la Vie, rappel d’une confession de l’un d’entre eux il y a déjà près de vingt ans…
C’est le témoignage d’un gynécologue obstétricien à la clinique Ambroise-Paré de Toulouse. Dans le magazine du Syndicat national des gynécologues (en 2005), Jean Thévenot raconte ses « obligations » et ses états d’âme à travers l’histoire de Paul et Marie qui, tout à la joie d’attendre leur premier enfant, apprennent qu’il s’agit d’un bébé trisomique. Il rappelle les différentes étapes qui l’entraînent à proposer aux parents une première prise de sang à la 15e semaine de grossesse, puis une amniocentèse et enfin… une interruption (“médicale”) de grossesse (IMG). Avec la question angoissée de la maman par rapport à cette “intervention” : « Docteur, il va souffrir mon bébé ? » Il avoue que chaque jour il prescrit une bonne dizaine de tests de dépistage, fait une ou deux amniocentèses. Et 5 ou 6 fois par an, il passe l’horrible coup de téléphone aux parents qui tue aussi bien « l’enfant à venir, l’insouciance des jeunes parents, l’insouciance de ses jeunes années d’obstétricien… »
Il raconte comment le médecin devient ainsi aujourd’hui « le bourreau des temps modernes qui donne autant la vie que la mort ». Il reconnaît en effet qu’il fait partie des rares citoyens à pouvoir délivrer la peine capitale. Mais en droit : « Ce n’est pas la peine de mort parce que, comme le fœtus n’est pas légalement une personne, il ne vit pas ; on peut donc faire des fœticides tranquilles ; la loi est avec nous. » Reste à ses yeux que seuls les législateurs ont la conscience en paix, car « au moment où je fais le fœticide, moi je ne suis pas tranquille »… Et de regretter ses années de jeune médecin où il n’avait pas d’états d’âme comme ceux qui le poursuivent quotidiennement aujourd’hui, enviant ceux pour qui il n’y a pas de problèmes : soit qu’ils ne fassent pas d’avortement par conviction, soit qu’ils le considèrent comme un acte technique comparable aux autres. Mais y en a-t-il vraiment en conscience ? On assiste en fait chez les médecins avortueurs à un syndrome psychologique, post-traumatique, analogue à celui que connaissent tôt ou tard les mères après leur avortement.
On se souvient peut-être d’une fameuse émission télévisée (Transit) à ce sujet il y a bien longtemps sur Arte, où les médecins qui tuent s’étaient “lâchés”, avant même la loi Aubry les contraignant davantage à délivrer la mort. Comparant aussi leur “métier” avec “le geste” du bourreau, reconnaissant avec dégoût qu’il s’agissait d’un “sale boulot” antinomique avec leur préoccupation de sauvegarder les petits et de surveiller les grossesses à risque. Un boulot qu’ils ne voulaient plus faire, même moyennant statut et finances comme des tueurs à gage (selon un mot repris par le pape François) : « Il arrive un moment où l’on en a marre de voir passer des jambes et des bras à travers un tuyau d’aspiration… »
Jean Thevenot déplore également pour sa part que l’on protège davantage les palombes dans le Sud de la France que l’enfant (trisomique) dans le ventre de sa mère : « Y a-t-il des sous-hommes qu’il faut éliminer ou qu’il ne faut pas laisser vivre ? » Il se met à la place de l’enfant trisomique : « Si c’était moi le petit trisomique, accepterais-je que d’autres choisissent pour moi que je ne devrais pas vivre ? » Et il décrit l’IMG, l’émotion ressentie « en salle de naissance » devant l’arrivée de ce petit bonhomme de 150 à 200 grammes « mais qui reste un modèle réduit de l’humain que je suis »… « La loi c’est la loi, mais au niveau des tripes, c’est difficile », reconnaissait un autre avorteur de la première heure après la loi Aubry. Dur métier de bourreau en effet ! Sauf que, si « le geste » reste matériellement le même, l’analogie a ses limites : le bourreau, fait pour exécuter, était censé châtier un criminel gravement coupable aux yeux de la justice ; le médecin, fait pour sauver la vie, doit se transformer en bourreau pour assassiner légalement un innocent « de trop » aux yeux de la culture de mort. On comprend assurément la difficulté « au niveau des tripes » et le syndrome que cela peut engendrer…
D’autant plus qu’à la vue des images saisissantes du « fœtus au sourire », du Cri silencieux ou de la « main de l’espoir », on peut aussi prolonger les similitudes, malgré leurs limites également (comparaison n’est pas raison). Mais quelle différence au fond entre les pédomaniaques, abuseurs d’enfants de tout acabit – ceux qui commettent « le crime de scandaliser les petits enfants » (Matthieu, XVIII) – et ces avortueurs sans scrupule auxquels on peut ajouter les chercheurs sans conscience mais aussi et surtout les membres du Comité d’éthique et enfin les législateurs qui permettent ces « gestes » horribles et les tortures qui vont avec ? Quelle différence en effet alors qu’ils considèrent TOUS l’enfant à naître ou né comme un matériel disponible, un « petit Chose » insignifiant, enfant-objet, esclave sexuel ou scientifique, abusant de son innocence sacrée pour son plaisir ou d’autres fins fallacieuses, allant donc jusqu’à pouvoir le tuer au nom d’une funeste et terrible idéologie matérialiste, nominaliste et individualiste ? En réveillant sa conscience morale, comme ce gynécologue, il serait temps de comprendre pour nos contemporains, que le désir individuel, bien ou mal intentionné, n’est pas la mesure de toutes choses. La personne humaine, créée « homme et femme » dépend (sur)naturellement de réalités qui lui sont supérieures, transcendantes, inscrites au fond de son cœur et transmises plus ou moins bien par les vraies civilisations : « Tu ne tueras pas ! »
Rémi Fontaine (d’après Le Livre noir de la culture de mort, Renaissance catholique, 2007). Cf. aussi :