Lu dans Le Point :
Pour de plus en plus de scientifiques, les pressions et la mise au pas du « politiquement correct » (faute de meilleure formule) au sein des universités et autres établissements de recherche sont telles que s’exiler dans un pays non démocratique, où les opposants disparaissent et les minorités religieuses sont parquées dans des camps de rééducation, devient un pis-aller si vous souhaitez travailler normalement. « J’ai quitté l’Australie parce que j’en avais marre de voir les postes et les financements se réduire comme peau de chagrin pour les vrais astrophysiciens », résume, dépité, ce spécialiste de radioastronomie.
Nous sommes aujourd’hui (à peu près) tous d’accord : qu’il soit sexuel, scolaire, moral ou en Ligue du LOL, le harcèlement est un fléau à combattre. Mais le consensus est bien moins solide quand les individus persécutés, jusqu’à en perdre le goût de travailler ou de vivre, sont des scientifiques ostracisés pour « mauvaise pensée », indépendamment de l’intégrité, du sérieux et de la qualité de leurs travaux. Et ce, même lorsque les brimades reposent sur des cabales mensongères et diffamatoires.
« Le climat politique dans les universités australiennes a effectivement été l’une des raisons principales de mon départ. C’est aujourd’hui très difficile d’obtenir un poste permanent si vous ne faites pas partie d’un groupe protégé (hélas, je suis un homme blanc, hétérosexuel et chrétien, pas de bol !) et/ou si vous ne faites pas suffisamment d’activisme visible (ou, du moins, de virtue signalling) pour un certain nombre de sujets chéris par la gauche écologiste », précise mon interlocuteur. « En Chine, il est très probable que des astronomes chinois subissent l’interférence politique du Parti communiste, mais, en tant qu’étranger, on me laisse tranquille. Je peux faire de l’astronomie en paix, sans perdre de temps sur des projets “diversitaires”. Ici, les postes sont toujours donnés aux meilleurs candidats, qu’importe leur sexe, leur genre ou leur origine ethnique. Et contrairement à mon patron australien, mon patron chinois ne m’a jamais reproché de ne pas être assez socialiste. »
Comme ailleurs, les tracas qui ont poussé ce physicien à l’exil académique relèvent globalement d’une discrimination positive devenue folle. « Les degrés de discrimination sont nombreux », m’explique l’astrophysicien. « Déjà, il y a de plus en plus de postes, de bourses et de subventions qui sont officiellement réservés aux femmes et aux membres des “nations premières”. Ensuite, dans les postes ouverts aux hommes blancs, vous avez des clauses spéciales garantissant l’embauche de candidats d’un seul profil idéologique. Par exemple, on va vous demander de rédiger une “déclaration de diversité” [qui n’est rien d’autre qu’un serment d’allégeance] dans laquelle vous devrez détailler tout le “leadership” dont vous avez su témoigner dans vos recherches ou vos enseignements antérieurs (en organisant des séminaires ou des conférences réservées aux femmes, par exemple). » […]
Le 28 septembre 2018, au Cern (Genève), le physicien intervient dans un séminaire intitulé « Théorie des hautes énergies et genre ». Œuvrant depuis plusieurs mois à la conception d’algorithmes visant à améliorer le système d’évaluation des publications scientifiques, Strumia profite de sa conférence pour présenter des données bibliométriques – internationales et courant sur un demi-siècle – relatives à l’autorat et à l’embauche en physique fondamentale. Selon ses calculs, elles permettent d’attester d’un fait somme toute réjouissant : les femmes ne sont pas victimes de discriminations sexistes dans sa discipline. Des observations cohérentes, par exemple, avec un grand rapport publié en octobre 2014 par l’Association américaine de psychologie scientifique (APS) qui concluait que, « malgré de fréquentes affirmations contraires », la « neutralité de genre » – les chercheurs sont jugés en fonction de leurs compétences, pas de leur identité – est la règle en physique, comme en géosciences, ingénierie, économie, mathématiques et sciences informatiques. Soit autant de champs scientifiques où les hommes sont en général beaucoup plus nombreux que les femmes et que l’on soupçonne, pour cela, de carburer aux « discriminations systémiques ». Selon Strumia, une telle appréciation tiendrait davantage d’un préjugé idéologique empreint de « marxisme culturel » que d’une réalité tangible et mesurable. Si discrimination il y a, Strumia observe qu’elle serait plutôt favorable aux femmes, qui obtiennent en moyenne des postes plus tôt dans leur carrière et avec moins de publications et de citations que leurs collègues mâles.
Deux jours plus tard, la chasse est lancée sur Twitter. Jessica Wade, physicienne affiliée à l’Imperial College de Londres et militante engagée pour une plus grande participation féminine dans les STEM (acronyme de « science, technology, engineering and mathematics »), accuse Strumia (qu’elle identifie à tort comme le directeur du département de physique théorique du Cern) d’avoir déroulé un exposé « sexiste » dans lequel il aurait argué de l’infériorité des femmes physiciennes (une autre contre-vérité, et non des moindres). Après des centaines de likes et retweets, Wade en vient à susciter une réaction de Marika Taylor, l’une des organisatrices du séminaire, qui confirme que la présentation de Strumia était pleine d’« attaques personnelles », de « faits erronés », et traduisait un « manque de professionnalisme patent ». Taylor, par ailleurs directrice du département de mathématiques appliquées de l’université de Southampton, annonce l’imminence de plaintes officielles. Quelques heures plus tard, malgré la « procédure équitable » promise par Taylor – donnant donc à Strumia le droit de se défendre –, les captations audio et vidéo de sa conférence ainsi que ses slides sont retirés manu militari du site du Cern. Quand l’affaire en vient à être révélée par la BBC, la messe est dite : Strumia est un dangereux misogyne persuadé que les femmes ne sont « pas faites » pour la physique.
Ce qu’il n’a jamais dit. Mais ni la machine médiatique, ni la campagne d’indignation, ni les procédures disciplinaires décidées par le Cern et l’université de Pise ne s’embarrasseront de telles nuances. Le 18 janvier 2019, c’est sur la base de propos faussement attribués à Strumia dans la presse – notamment, qu’il aurait insulté Fabiola Gianotti, directrice générale du Cern – que l’université de Pise l’accuse de violations déontologiques. Le 7 mars, le Cern annonce retirer au physicien son statut de « chercheur invité » et réaffirme son « attachement aux valeurs capitales de respect et de diversité sur le lieu de travail ». […]