Lu sur Claves :
Malgré l’enseignement clair et définitif de l’Écriture et du Magistère[1], le statut de la mort reste une question disputée même dans les cercles catholiques, où certains affirment qu’un choix pour ou contre Dieu demeure ouvert pour l’âme après le décès.
Revenons sur les principales raisons de maintenir et affirmer l’enseignement classique de l’Église[2].
La mort : séparation du corps et de l’âme
La mort n’est pas d’abord un phénomène médical, mais relève bien de la philosophie, puisqu’elle est la séparation du corps (matériel) et de l’âme (immatérielle). Cette dernière est faite pour être unie à un corps, elle en a besoin pour se perfectionner : il est l’interface par lequel elle peut interagir avec son environnement.
C’est ainsi que saint Thomas d’Aquin peut affirmer qu’après cette vie, l’homme ne peut plus changer son orientation vers sa fin dernière, que l’âme ne peut atteindre que moyennant le corps. Tant que l’âme demeure unie au corps, la volonté peut faire des choix, les corriger et se rectifier. En revanche après la mort cette possibilité disparaît.
L’immutabilité de la volonté après la mort
Allons plus loin en observant que le désir de l’âme se fixe toujours sur un objet déterminé : la volonté est attirée par le bien[3]. Celui que l’on choisit pour fin ultime est désiré avec la plus grande intensité, il est voulu comme un choix définitif (c’est pourquoi on parle de « fin dernière »). Pour que l’âme revienne sur une telle option, il faudrait que soit modifiée la disposition qui a fait naître ce désir (ce qui l’a conduit à juger que telle chose était bonne pour elle, hic et nunc).
Or tant qu’elle reste unie au corps, elle obtient par lui de nombreuses informations et stimulations issues du monde sensible : la disposition qui lui fait désirer telle ou telle fin dernière peut donc encore varier. En revanche, une fois séparée du corps et privée de ses puissances sensibles, cette disposition n’est plus sujette au changement et l’orientation vers la fin dernière devient définitive.
Ainsi, de par la nature même de la volonté, la possibilité de conversion (au sens propre de changement de l’orientation ultime) cesse avec la mort.
On peut dire que la mort dévoile ce qu’il y a d’éternel dans nos décisions actuelles : l’éternité commence déjà sur cette terre dans nos décisions, car l’âme, en son fond, vit au-delà du temps.
Une option finale dans la mort ?
La doctrine catholique, appuyée par ces éléments de philosophie, confirme donc la certitude de l’immutabilité de l’âme après la mort. Il ne saurait donc y avoir d’option finale après la mort. Certains arguent cependant d’une possibilité qui demeurerait pour l’âme de faire évoluer son choix fondamental dans le moment de sa mort : c’est l’hypothèse de l’option finale dans la mort – un choix pour ou contre Dieu à l’instant même du passage. On voudrait ainsi que tout homme se voie proposer un choix en connaissance de cause (même ceux qui n’ont jamais connu la Révélation) et en pleine liberté (alors que les conditions du parfait libre arbitre ne peuvent être réunies en cette vie).
Mais cette hypothèse – invérifiable en soi et qui ne correspond pas à l’enseignement de l’Église – se heurte elle aussi à de profondes difficultés.
- D’abord elle revient à considérer que l’homme ne serait pleinement lui-même qu’au moment où il quitte son corps, dans un état quasi-angélique… On retrouve malheureusement là une tendance de fond de la pensée contemporaine, le dualisme, face auquel l’Église doit continuer à affirmer que le corps n’est pas une prison de l’âme (qui entraverait sa liberté) mais que les deux sont unis comme les éléments essentiels du sujet humain (l’âme est « forme» du corps, son principe de vie).
- Cette idée implique en outre un instant dans lequel l’homme serait à la fois apte à poser un choix fondamental et déjà placé face à Dieu. Cela revient à affirmer qu’en ce moment l’âme serait à la fois dans son état antérieur d’union au corps (pour pouvoir choisir) et déjà séparée (jouissant de la clairvoyance des esprits). Le seul moyen d’éviter la contradiction serait de postuler un état intermédiaire, qui ne soit ni avant, ni après la mort, mais dans la mort. Or c’est cette conception rencontre une impossibilité métaphysique : le temps est un continuum qui n’admet pas une séparation en instants absolument distincts et indépendants. En fait le moment de la mort est le premier où l’âme se trouve séparée du corps[4]. De l’autre côté on ne peut assigner un dernier instant de la vie terrestre : disons schématiquement que notre existence (ici-bas) est terminée au point de vue de la durée par la borne ouverte « [ » du langage mathématique[5].
- Notons que si cette thèse est impossible d’un point de vue métaphysique, elle peut en outre s’avérer désastreuse sur le plan spirituel : car si le choix est possible jusque dans la mort, les œuvres de cette vie perdent toute valeur (celles-là même en vertu desquelles sont canonisés les saints). Or ce sont elles qui, sous l’influence de la grâce, initient pour nous la vie éternelle.
- Cette thèse manifeste ainsi un manque de confiance en la puissance de la grâce en cette vie, ou une vision trop matérielle du salut : la doctrine catholique affirme au contraire que Dieu donne à chaque homme les moyens suffisants et surabondants de son salut. La liberté humaine est seconde par rapport à la grâce qui la prévient et la porte, témoin le cas des saints innocents ou des petits enfants morts avec le baptême, qui jouissent de la béatitude parfaite sans avoir posé aucun acte de libre arbitre.
En dépit de certaines théories en vogue, il faut donc affirmer avec l’Eglise que la destinée éternelle de chaque âme est immuablement fixée au moment de sa mort dans le jugement particulier.
La mort met fin à la vie de l’homme comme temps ouvert à l’accueil ou au rejet de la grâce divine manifestée dans le Christ. […] Chaque homme reçoit dans son âme immortelle sa rétribution éternelle dès sa mort en un jugement particulier qui réfère sa vie au Christ, soit à travers une purification, soit pour entrer immédiatement dans la béatitude du ciel, soit pour se damner immédiatement pour toujours[6].