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Tribune libre

Pourquoi constitutionnaliser l’avortement ?

Pourquoi constitutionnaliser l’avortement ?

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L’aliénation de la liberté des futurs législateurs

L’enjeu n’est pas du tout celui annoncé d’une protection de ce droit qui pourrait être à l’avenir menacé.

Au passage, cette constitutionnalisation à quelque chose de profondément anticonstitutionnel. Elle prive en effet les générations futures du droit d’exercer leur liberté fondamentale de faire la loi. Or faire la loi, c’est avoir la liberté d’instituer ce qui était interdit précédemment ou bien l’inverse. Les nationalisations et privatisations illustrent parfaitement ce droit fondamental du législateur de décider en toute liberté. La constitutionnalisation d’un droit ôte donc toute initiative future en la matière. Pour des progressistes qui ne cessent de vanter le droit de remettre en cause les lois du passé ; c’est étonnant, voire très conservateur. Ces derniers oublient que ce droit passera peut-être pour une loi païenne et rétrograde dans quelques décennies. N’oublions pas que les Romains acceptaient l’avortement et l’infanticide ; que la chrétienté détruisit ces droits au nom de la dignité et de la sacralité de la vie humaine. Ceci fut perçu pendant des siècles comme un progrès contre la barbarie païenne. Aujourd’hui, on congédie le christianisme au profit d’une nouvelle version d’un paganisme revisité. Le balancier de l’histoire peut encore bouger. C’est bien ce que craignent ces progressistes figés dans leur certitude.

La négation de la clause de conscience du médecin

Mais le sujet n’est pas là. Les médecins acceptant de pratiquer l’avortement se font de plus en plus rares. Des départements manquent de médecins acceptant de le pratiquer. Or, inscrire ce droit dans la constitution et prétendre le garantir, c’est en fait créer les conditions d’une obligation faîtes à des médecins de pratiquer contre leur conscience. C’est en fait préparer un coup de force contre la liberté de conscience du médecin. Et cela est très grave. Car l’Etat et les élus s’arrogent le droit d’imposer une pratique qui n’a de médicale que la contrainte technique, afin d’obliger des médecins, alors assujettis à ce droit constitutionnalisé, qui viendrait, au nom de la hiérarchie des normes, tenter de renverser l’ordre des choses, la liberté de conscience étant alors secondaire.

La liberté de conscience en question ?

De quoi s’agit-il ? La clause de conscience, c’est la faculté de refuser de pratiquer un acte médical ou de concourir à un acte qui, bien qu’autorisé par la loi, est contraire à leurs convictions personnelles ou professionnelles. La notion est introduite dans la loi “Veil” du 17 janvier 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse, envisageant la possibilité pour un médecin de refuser de réaliser une IVG.

Le code de la santé publique (CSP), en son article R4127-47 (pose le principe où tout médecin peut refuser de prendre en charge un patient, sans avoir en donner les motifs. C’est un rapport du CNOM du 16 décembre 2011 qui décrit bien la clause de conscience :

« C’est, sauf urgence pour le médecin, le droit de refuser la réalisation d’un acte médical pourtant autorisé par la loi mais qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles, professionnelles ou éthiques ».

L’Observatoire de la laïcité reprend cette définition en 2016 dans son guide Laïcité et gestion du fait religieux dans les établissements publics de santé. La clause de conscience est un aspect de la liberté de conscience qui est un droit pour tout médecin de refuser, sauf urgence vitale, de pratiquer un acte demandé ou nécessité par des conditions particulières qu’il estimerait contraire à ses propres convictions personnelles ou professionnelles.

L’IVG n’est pas une thérapeutique, mais une décision personnelle qui se constitue en un droit. C’est bien la raison d’une législation, prouvant par son existence même, qu’il ne s’agit pas d’un acte médical à proprement parlé. D’où l’importance de la clause de conscience qui s’applique toute particulièrement aux actes médicaux non thérapeutiques. Et le médecin est apte et libre d’apprécier les effets susceptibles d’entraîner une atteinte à l’intégrité ou à la dignité humaine.

Le code de la santé publique est très clair à cet égard. Le médecin peut refuser :

une demande de stérilisation, qui au passage est considéré à une échelle collective comme une tentative de génocide d’une population par stérilisation, essentiellement des femmes d’ailleurs :

« Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer cet acte à visée contraceptive mais il doit informer l’intéressée de son refus dès la première consultation. »

(Article L2123-1 CSP)

une interruption volontaire de grossesse (IVG)

« Un médecin n’est jamais tenu de pratiquer une interruption volontaire de grossesse mais il doit informer, sans délai, l’intéressée de son refus et lui communiquer immédiatement le nom de praticiens susceptibles de réaliser cette intervention selon les modalités prévues à l’article L2212-2. ».

(Article L2212-8 CSP)

A cet égard, des députés ont déjà imaginé contester cette liberté, oubliant que le CNOM et le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) se sont opposés à la suppression de cette clause.  Ils négligent aussi le fait que personne ne peut agir sous contrainte pour effectuer une tâche qu’il réprouve. Le caractère totalitaire et intrusif du législateur est à cet égard très inquiétante.

la recherche sur l’embryon qui pose des questions éthiques majeures :

« Aucun médecin ou auxiliaire médical n’est tenu de participer à quelque titre que ce soit aux recherches sur des embryons ou sur des cellules souches embryonnaires autorisées en application de l’article L2151-5. »

(Article L2151-7-1 CSP)

En dehors de ces trois refus, les médecins ont liberté d’agir selon leur conscience dans de nombreux domaines : réaliser des soins jugés inappropriés ou risqués et en matière de fin de vie

L’enjeu de l’accès à l’avortement

Or, la situation se dégrade pour accéder à un avortement.  Dès 2010, le Conseil de l’Europe s’est penché sur cette question où s’oppose le refus d’une pratique par la clause de conscience et la revendication de l’accès à une intervention du fait de l’exercice d’un droit. La clause est remise en cause au nom de la liberté des femmes, avec pour effet d’aliéner la liberté des médecins ! Au lieu de s’interroger sur le bienfondé de la demande, de l’âge des personnes, des motivations parfois discutables du fait de la pression de l’environnement, sans réel assentiment de la femme demandant l’accès à l’IVG, le Conseil de l’Europe a imaginé pouvoir imposer l’accomplissement d’un acte non-thérapeutique à des praticiens.

En réaction, le CNOM a immédiatement réagi, dès le 7 octobre 2010 en s’inquiétant d’une menace pesant sur la clause de conscience, au passage, héritée d’Hippocrate. A cette époque, le Conseil de l’Europe cède sous la pression en réaffirmant l’autorité de la clause de conscience dans une résolution 1763 intitulée : Le droit à l’objection de conscience dans le cadre des soins médicaux légaux. Le texte dit :

« Nul hôpital, établissement ou personne ne peut faire l’objet de pressions, être tenu responsable ou subir des discriminations d’aucune sorte pour son refus de réaliser, d’accueillir ou d’assister un avortement, une fausse couche provoquée ou une euthanasie, ou de s’y soumettre, ni pour son refus d’accomplir toute intervention visant à provoquer la mort d’un fœtus ou d’un embryon humain, quelles qu’en soient les raisons. »

Les praticiens éprouvent peu d’intérêt à l’accomplissement de cet acte, voire ils en mesurent aujourd’hui, plus qu’hier, les risques psychologiques et reproductifs futurs pour les personnes, dont la stérilité du fait de plusieurs avortements. Les associations de leur côté défendent le droit des femmes, mais ce droit peut-il contraindre le médecin sans briser un pilier constitutionnel : la liberté de conscience, la clause de conscience et l’objection ?

A l’évidence, le législateur cherche à contraindre ; mais comment imagine-t-il le faire ? Il y a là une intrusion du politique dans le champ médical inédit dans une société démocratique. Le droit des uns ne peut enfreindre la liberté des autres. Le législateur pourrait utilement interroger la dérive de l’usage à une époque où tant d’autres solutions existent. L’échec n’est-il pas là ?

Pierre-Antoine Pontoizeau

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