Le débat concernant le projet de loi relatif à la bioéthique s’est tenu en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du 24 septembre pour s’achever par son adoption le 15 octobre par 359 voix contre 114.
Une série de présentations issues de la lecture de toutes les séances consacrées à son examen vous est proposée avec comme objectifs d’une part de faire ressortir une ambiance parlementaire, d’autre part de mieux comprendre quelques enjeux, en particulier associés à la PMA sans père.
Vous sont successivement proposés ;
- Une introduction
- Le projet parental, ou l’enfant comme produit
- Le mensonge à tous les étages
- La foire aux incohérences
- Quand les mots n’ont plus de sens
- Respirons : un peu d’humain
- L’embryon, un « amas de cellules » ?
- Elargissement du DPI ou non ?
- Quand la GPA s’invite par la fenêtre
Une partie du débat a porté, à nouveau, sur le statut de l’embryon et sur le mot « qualité » qui lui était associé dans le texte « sauf si un problème de qualité affecte ces embryons ».
Il y a d’abord l’échange à partir de ce qu’a dit Mme Buzyn en réponse à M. de Courson :
Pouvez-vous me dire quel est le statut juridique des embryons surnuméraires, madame la ministre ? Je peux d’ailleurs poser la même question à M. le rapporteur. Je serais curieux d’entendre votre réponse : est-ce un bien ? Est-ce une personne ? Qu’est-ce donc ?
Vous avez utilisé un terme qui me choque, monsieur Breton, en affirmant qu’on tuait des embryons pour la recherche. Non. L’embryon n’est pas un être humain, mais un amas de cellules.
Réponse de M. de Courson :
Vous avez dit quelque chose qui m’a choqué, madame la ministre : l’embryon est un amas de cellules. Moi, je suis un amas de cellules, madame la ministre. Mais on ne fait pas de recherches sur moi-même sans que je donne mon accord. Rabelais disait que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Or, en tant que législateurs, nous n’avons pas répondu à cette question qui hante les débats bioéthiques depuis des années : quel est le statut juridique de l’embryon surnuméraire ? On invoque la technique, encore faut-il avoir une certaine conception des êtres. En tout cas, je suis désolé, mais l’embryon surnuméraire n’est pas qu’un amas de cellules.
Et intervention de M. Xavier Breton :
A la fin de la séance de cet après-midi, nous avons bien entendu Mme la ministre des solidarités et de la santé nous expliquer qu’un embryon était « un amas de cellules ». Il était réduit à cela ! Si l’on se fonde sur cette définition, l’embryon est un produit, un matériau avec des caractéristiques et des qualités diverses. On peut en disposer comme d’un bien que l’on achète chez Conforama en s’adressant au service après-vente auquel on explique qu’il y a tel ou tel défaut et que l’on veut faire un échange. Mais il existe une autre approche de l’embryon qui serait un peu plus qu’un amas de cellules. Nous avions d’ailleurs cru comprendre, en écoutant le rapporteur Jean-Louis Touraine s’exprimer sur la procréation médicalement assistée – PMA – post mortem qu’il existait bien un intérêt supérieur de l’embryon. On voit que la confusion règne.
Mme Buzyn s’excuse alors avec clarté :
Cependant, je me permets de revenir sur ceux que j’ai tenus en fin d’après-midi, car, insuffisamment précis, ils ont été mal interprétés. Nous parlions des 200 000 embryons congelés. Pour donner une idée de ce que cela représente visuellement, j’ai eu recours à une image, mais je ne nie en rien la personne humaine potentielle qu’est l’embryon. C’est d’ailleurs au nom de cette potentialité de l’humain que nous devons respecter la dignité de l’embryon, et que des lois de bioéthique s’appliquent à lui et à sa spécificité, que ce soit dans le cadre de l’AMP, l’assistance médicale à la procréation, ou de la recherche. Je prie ceux que j’ai pu choquer par mon propos de bien vouloir me pardonner ».
Excuses acceptées alors par M.T.Bazin :
« Madame la ministre, merci pour vos propos qui sont tout à votre honneur ».
Reste à comprendre le sens donné au mot qualité. Selon l’alinéa 12 de l’article 1er,
un couple ou une femme non mariée dont des embryons ont été conservés ne peut bénéficier d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro avant le transfert de ceux-ci sauf si un problème de qualité affecte ces embryons.
Tout d’abord, l’un des rapporteurs, Philippe Berta, explique :
« L’espèce humaine est caractérisée par un très faible pouvoir reproductif, puisque seules 30 % des conceptions arrivent à terme. Ceci est dû principalement à la présence d’anomalies chromosomiques embryonnaires précoces, qui augmenteront avec l’âge : 23 % à l’âge de 30 ans, 35 % à 35 ans, 58 % à 40 ans et 84 % à l’âge de 45 ans. ».
Ceci pour dire qu’il y a un grand nombre de fausse-couches tout à fait normales.
Mme E.Ménard demande la suppression des mots :
« sauf si un problème de qualité affecte ces embryons ». La notion de « qualité » de l’embryon est juridiquement trop floue. Cette conception implique des risques évidents de dérives eugénistes contraires à l’esprit même d’une science éthique et, il me semble, au projet de loi ».
M.Xavier Breton demande des éclaircissements sur cette notion :
« Mais qu’est-ce que la qualité des embryons ? La notion de qualité de l’embryon est très gênante. Elle correspond à votre conception, madame la ministre, conviction que nous respectons, mais avec laquelle nous sommes en désaccord. Nous ne disons pas que l’embryon est une personne humaine – aucun d’entre nous ne dit cela ; nous estimons seulement que, dès lors qu’un doute existe, nous devons considérer l’embryon comme… Nous disons : il y a la vie à naître.
Nous parlons d’une interrogation qui traverse les âges et les siècles. Vous y répondez de manière définitive en affirmant qu’un embryon n’est qu’un amas de cellules dont on peut faire ce que l’on veut, un produit dont je définis la qualité et les caractéristiques. Nous pensons qu’il faut aller un peu plus loin sur un sujet qui taraude l’humanité. Nous n’avons pas de réponses définitives, mais nous pouvons du moins partager nos doutes. C’est tout l’objet de l’article 16 du code civil, qui garantit le respect de la vie dès son commencement, ou de la loi Veil qui respecte un équilibre entre la liberté de la femme et la protection de la vie à naître.
Vous, vous en restez à la notion d’amas de cellules. C’est pour cela que nous nous interrogeons sur la notion de « qualité » de l’embryon, telle que vous l’employez dans le projet de loi. Il faut absolument la définir dans le texte ».
Mme Buzyn apporte alors des précisions utiles :
«En AMP, la notion de qualité de l’embryon a un sens précis. Elle concerne par exemple l’embryon dont le nombre de cellules est insuffisant par rapport au stade de développement attendu, ce qui laisse imaginer l’existence de nécroses cellulaires. Le terme sera utilisé pour évoquer des cellules fragmentées qui font soupçonner une effraction de l’embryon au moment de la décongélation par la manipulation. On parle de qualité visuelle de l’embryon. Ce terme est objectivable visuellement. Cela mérite d’être précisé, car il ne faut pas faire de procès d’intention sur ce fondement »
Tour à tour, M.Bazin et M.Breton demandent des précisions supplémentaires.
- Bazin :
« La formulation de l’alinéa 12 doit être aussi considérée au regard de l’ensemble des dispositions du projet de loi. S’agissant de l’embryon, la notion de « problème de qualité » interroge. Peut-elle ouvrir la voie en la matière ? Vous allez dire que j’insiste sur le sujet, mais vous savez bien vous-même que la tentation de sélection des embryons existe bel et bien.
La qualité peut être objective comme subjective. Il est préférable d’utiliser directement les mots « embryons endommagés » ou ceux qui ont été les vôtres, monsieur le rapporteur, lorsque vous parliez de l’impossibilité d’implantation dans un utérus. Cela permet d’éviter la notion plus contestable et floue de « qualité ».
Madame la ministre, j’ai trouvé beau que vous utilisiez l’adverbe « visuellement » lorsque vous êtes revenue sur votre formule relative aux « amas de cellules ». Ce que l’on voit ne traduit pas la totalité de l’être. L’embryon est ou n’est pas. S’il est endommagé, il ne peut plus être ».
- M.Breton :
« Les réponses qui nous ont été apportées révèlent la logique qui a présidé à ce texte : celle du projet parental. Je fais bien sûr référence à l’amendement adopté hier soir, qui vise à ne faire de la filiation et de la procréation qu’un projet parental. Dès lors, l’enfant devient un produit, dont on définit comme on le souhaite les caractéristiques et les qualités.
Nous pensons quant à nous que la loi doit être plus précise. J’ai entendu votre réponse, madame la ministre, mais encore faut-il que la loi soit aussi claire que vous.
Nous vous demandons donc d’aller plus loin dans la définition de la qualité de l’embryon, en précisant « qualité cellulaire ». Si vous vous y refusez, c’est qu’il existe d’autres qualités. Alors dites-nous lesquelles! ».
Ces précisions sont alors apportées par le ministre :
« La partie du projet de loi que nous examinons actuellement ne concerne que des moments où l’on observe l’aspect de l’embryon au microscope. Aussi le mot « qualité » ne doit-il pas susciter les craintes que vous avez exprimées. Nous ne parlons pas ici d’autres tests évoqués dans d’autres parties du texte. Selon les classifications internationales, à ce stade, on procède à une observation visuelle de l’embryon et on calcule un score en fonction de sa morphologie, de l’emplacement, du nombre, de la taille, du rapprochement et de l’axe symétrique des cellules, du suivi de sa croissance, de son taux de fragmentation, du stade de son développement, de son volume et de son aspect. Voilà la définition internationale du score : on en reste à quelque chose de visuel.
Je comprends votre inquiétude, mais les dispositions relatives à d’autres analyses ne figurent pas dans cette partie du texte. Tout ce que je viens de dire sera de niveau réglementaire. La qualité s’entend comme la capacité d’un embryon à s’implanter, un point c’est tout : il ne s’agit ni d’analyses chromosomiques, ni d’analyses génétiques ; on ne pratique aucun tri. Il s’agit seulement d’une vérification de la viabilité des embryons ».
Après ces explications apportées par le ministre de la Santé, les amendements de suppression sont retirés et la formulation est conservée telle quelle.