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France : Politique en France

Que doit-on raisonnablement attendre du locataire de l’Élysée ?

Que doit-on raisonnablement attendre du locataire de l’Élysée ?

Du père Danziec dans Valeurs Actuelles :

[…] Après la campagne tronquée et l’élection volée de 2017, ces quelque soixante jours qui nous séparent du premier tour, nous donneront-ils néanmoins la possibilité de poser un véritable choix ? La conquête de la présidence de la République offre à chaque citoyen français, pourvu qu’il ne soit pas encore absolument dégoûté de la chose publique, la possibilité de s’interroger non seulement sur le candidat qui lui semble le meilleur (ou le moins pire, c’est selon), mais aussi de réfléchir sur le sens même de la mandature suprême. Que signifie, au fond, la fonction de chef d’État ? Que doit-on raisonnablement attendre du locataire de l’Élysée ? Un président bling-bling ? Un président normal ? Un président “en même temps”, tout à la fois Jupiter et comparse de McFly et Carlito ? Ces incarnations successives n’ont pas manqué de rendre perplexe et insatisfaite la masse des votants. Comment s’en sortir ?

En toute chose il importe, aux dires d’Aristote, de considérer la fin. L’idée que l’on se fait du rôle d’un président de la République et de la manière de le vivre est fondamentale. Or force est de constater combien le désarroi est grand parmi ceux qui sont appelés à glisser un bulletin dans l’urne. L’exercice du pouvoir leur paraît, en soi, digne de soupçons. Les désordres du personnel politique, leurs tambouilles et leurs coteries, n’ont eu de cesse d’alimenter le cortège des abstentionnistes. Les promesses non tenues, faisant le lit des espoirs déçus, finissent toujours par laisser des traces indélébiles. Tel le corbeau de la fable, le citoyen trompé jure qu’on ne l’y reprendra plus…

Ce n’est un secret pour personne, les institutions de la Ve République avaient pourtant été travaillées et ciselées de façon à favoriser l’émergence de ce que l’on pourrait appeler une “monarchie présidentielle”. Les constitutionnalistes avaient calculé la moyenne de la durée des règnes des rois de France et obtenu le résultat de quatorze ans. Le principe du septennat, potentiellement renouvelable dans le cas où le sortant est réélu, s’inscrivait dans cette logique. Un président aux allures de monarque, l’idée avait du génie. N’est pas roi cependant qui veut. Montaigne, avec mille justes raisons, prévenait déjà : « Le plus âpre et difficile métier du monde à mon gré, c’est faire dignement le roi. »

Avoir des épaules et de l’épaisseur

Qu’il s’agisse du sacre d’un roi ou de l’élection d’un président, la question de l’incarnation du pouvoir et de la façon de l’exercer reste la clef de voûte de la pérennité d’un chef d’État digne de ce nom. saint Thomas d’Aquin, à qui il arrivait de partager la table de Saint Louis, avait cette formule frappée au coin du bon sens : « S’il est saint, qu’il prie pour nous. S’il est prudent, qu’il nous gouverne. » Louis IX fut justement un grand roi parce qu’il gouverna avec prudence. Parce qu’il fut grandement prudent, il devint un saint roi. La vertu de prudence, qu’il ne faut pas confondre avec la pusillanimité, loin de suspendre les décisions et d’inviter à un surplomb statique, consiste au contraire à agir habilement et droitement dans le domaine des contingences pratiques. Vertu d’action, la prudence réclame à la fois force de caractère et sagesse d’âme. Des épaules et de l’épaisseur. Avoir les épaules, c’est endosser le costume présidentiel. Avoir de l’épaisseur, c’est l’habiter.

Les épaules portent le chef d’État à assumer le clivage de sa fonction. Elles lui permettent de ne pas se laisser intimider par une vision trop affective de son statut. La geste présidentielle qui s’évertue à se rendre plus sympathique se méprend sur les attentes du peuple. Pire encore, elle prend le risque d’entretenir ce dernier dans de vaines aspirations. On ne gouverne pas à coups de “calinothérapie”, de tapotage de main du jeune Théo ou de déhanchements à l’Élysée un jour de fête de la Musique. Pour un président, avoir les épaules se manifeste dans une forme de distance avec lui-même. La confidence de Louis XIII reste de circonstance : « Je ne serais pas roi si j’avais le sentiment des particuliers. » Un chef d’État ne doit pas chercher d’abord à être aimé, mais à garantir les fondements du bien commun. Tout comme le prêtre ne doit pas exercer son autorité pastorale dans le but de devenir l’ami de tous ses paroissiens, mais pour que ces derniers deviennent les amis de Jésus. Au risque de ne pas les caresser dans le sens du poil, de leur être même désagréable parfois, mais toujours pour un bien supérieur : que son troupeau marche à la suite du Christ. Citoyens et fidèles n’ont que faire d’un petit père du peuple dont ils pressentent le mensonge. À l’inverse, ils conservent grand respect et égard devant l’esprit de sacrifice et de dévouement. Qu’il soit question des affaires de l’État ou de leur âme.

Gouverner à l’aide de la boussole de l’histoire

Après les épaules, l’épaisseur. Celle qui permet d’habiter le costume présidentiel. Elle donne à celui qui tient les rênes de la Cité de fixer un cap, et par là évite à tout un peuple de naviguer à vue. Donner une vision oblige à maîtriser son passé pour y puiser face aux défis du présent des solutions pour l’avenir. Un cap s’établit, certes, sur l’observation des faits présents, mais nécessite aussi de se positionner à l’aide de la boussole de l’histoire. L’histoire des hommes, selon la formule consacrée, correspond à la somme des tragédies qui auraient pu être évitées. On comprend l’intérêt de l’étudier et l’on saisit mieux tout le zèle d’un Bossuet à l’enseigner au dauphin de France dans son fameux Discours sur l’Histoire universelle. « Quand l’Histoire serait inutile aux autres hommes, il faudrait la faire lire aux Princes. Il n’y a pas de meilleur moyen de leur faire découvrir ce que peuvent les passions et les intérêts, le temps et les conjectures, les bons et les mauvais conseils. » L’évêque de Meaux avait compris que les hommes politiques qui oublient l’histoire seront inévitablement oubliés par elle… Observer dans les fracas des hommes, de leurs conflits et de leurs gloires, de quoi inspirer la destinée d’un pays, voilà ce qui donne de la consistance à un chef d’État et lui permet d’ajuster au mieux sa façon de gouverner en recourant à un empirisme organisateur solide.

Ce ne sont pas les promesses qui manquent aux candidats, ce sont les candidats qui manquent d’incarnation. Pour choisir l’un deux, une volonté ferme et décidée, une vision claire et imperturbable auxquelles s’ajouterait une maîtrise de l’histoire pourraient être autant de principes non-négociables propres à guider nos suffrages.

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