D’Annie Laurent dans La Petite Feuille verte :
Après avoir examiné le statut des réfugiés palestiniens au Liban où ils ont été accueillis lors de la création d’Israël en 1948 et la décision du gouvernement de Beyrouth de procéder au désarmement de leurs camps, activité qui a démarré en août 2025 avec la collaboration de l’OLP et du Fatah, sans pour autant être achevée, surtout en raison du refus des mouvements palestiniens islamistes (cf. PFV n° 104 et 105), il convient d’actualiser une autre priorité déjà esquissée dans la PFV n° 103, mais non aboutie : le désarmement du parti chiite Hezbollah.
Ces deux types d’armement, reconnus illégaux par le gouvernement libanais, continuent de menacer l’exercice de sa souveraineté.
Ainsi, « le front de soutien au Hamas », instauré par le Hezbollah en octobre 2023 sans aucune autorisation des dirigeants de Beyrouth, s’est traduit par le déclenchement d’une guerre contre Israël dont les représailles continuent de ravager le pays du Cèdre. Ce dernier connaît actuellement une division profonde et mortifère entre un État faible qui tente de restaurer ses prérogatives légitimes et une milice réfractaire soutenue par l’Iran.
PRIORITÉ AU DÉSARMEMENT DU HEZBOLLAH
Depuis le printemps 2025, l’actualité libanaise est largement centrée sur le statut et le rôle du Hezbollah (« Parti de Dieu »), dans sa triple dimension politique, militaire et géopolitique. L’engagement officiel du président de la République, Joseph Aoun, élu le 9 janvier 2025, consistant à réserver à l’armée et à la police le monopole de la sécurité sur l’ensemble du territoire, implique le désarmement de toutes les milices, « libanaises et non libanaises » comme il l’a précisé. Cette démarche est soutenue avec constance par le Premier ministre Nawaf Salam.
Autrement dit, tout en étant reconnu comme parti politique et en participant aux divers pouvoirs étatiques (exécutif, législatif et judiciaire), le Hezbollah doit renoncer à s’octroyer le label de « résistance » au prétexte de lutter contre les ingérences israéliennes au Liban (cf. PFV n° 101).
Son désarmement répond à l’une des clauses du « Document d’entente nationale » adopté en 1990 par les députés libanais alors réunis à Taëf (Arabie-Séoudite) pour mettre un terme à la guerre qui secouait le pays du Cèdre depuis 1975. Or, parmi tous les partis armés (souvent associés à des communautés confessionnelles), le Hezbollah est le seul à avoir conservé sa milice. L ’Accord de Taëf a d’ailleurs servi de référence à la résolution 1701 adoptée par l’ONU en 2006 pour mettre un terme à un conflit de plusieurs mois ayant opposé le Hezbollah à Tsahal (l’armée israélienne) et à laquelle se réfère le cessez-le-feu conclu le 27 novembre 2024 sous l’égide des États-Unis et de la France mais aussitôt violé par Tsahal, l’armée israélienne (cf. PFV n° 103).
Ce programme n’a toujours pas abouti malgré l’insistance du président Aoun à le réaliser avec précaution et en privilégiant la voie du dialogue avec les dirigeants du parti chiite, ceci afin de préserver l’unité du Liban et d’éviter toute atteinte à la paix civile.
Il s’y est attaché dans un discours-phare prononcé le 30 juillet à l’occasion de la fête de l’ Armée, structure qu’il connaît bien pour l’avoir commandée avant son élection. Dans une approche équilibrée, dont l’essentiel s’adressait au Hezbollah et à ses partisans, il les a invités à « faire le pari de l‘État libanais », et a exhorté ses détracteurs à éviter « la provocation et la surenchère ».
Il a insisté sur deux autres points : « L’heure de vérité commence à sonner : la région est en ébullition et aujourd’hui il nous faut choisir : l’effondrement ou la stabilité […]. Aucune faction ne doit chercher sa force à l’extérieur, ni par les armes, ni par un axe, ni par un prolongement ou un appui étranger, ni en misant sur un renversement d’équilibres […]. La fidélité aux martyrs, à leurs sacrifices et à la cause pour laquelle ils sont tombés nous impose à tous de mettre fin à la mort sur notre terre, à la destruction et au suicide ».
Enfin, il a justifié son programme par la nécessité d’obtenir la confiance de la communauté internationale dont il attend « un soutien financier d’un milliard de dollars par an » pour renforcer l’armée (L’Orient-Le Jour, OLJ, 31 juillet 2025).
Ce discours a été très bien accueilli dans des milieux sunnites, chrétiens et druzes (OLJ, 1er août 2025).
LES PROGRAMMES GOUVERNEMENTAUX
La planification du désarmement du Hezbollah a été au menu de plusieurs séances du Conseil des ministres.
Première séance
Réuni les 5 et 7 août pour statuer sur cette question, le Conseil des ministres a officiellement fixé à la fin 2025 la date définitive pour le désarmement du Hezbollah et a demandé à l’armée de lui soumettre un plan concret pour la fin août. Ceci sans l’accord des quatre ministres chiites (trois membres des partis Amal et Hezbollah et un indépendant, Fadi Makki) qui ont refusé de participer aux votes correspondants sans pour autant démissionner du gouvernement.
Le texte adopté s’appuie sur une feuille de route présentée par un émissaire américain, Tom Barrack, venu plusieurs fois à Beyrouth au cours des derniers mois. Outre la mise en œuvre de l’Accord de Taëf et de la résolution 1701 par l’État à qui doit revenir le monopole des armes sur l’ensemble du territoire libanais, ce qui implique la dissolution des milices, y compris celle du Hezbollah (cité nommément), le document aborde les points relatifs aux rapports avec Israël : son retrait complet du territoire libanais, donc des cinq sites stratégiques qu’il occupe dans le sud, et son arrêt de toutes les hostilités, terrestres, aériennes et maritimes ; la délimitation permanente et visible de la frontière internationale entre les deux pays (OLJ, 7 août 2025).
Au moment où se déroulait la première de ces réunions, dont le programme avait été annoncé, le secrétaire général du « parti de Dieu », Naïm Kassem, a prononcé un discours télévisé pour le rejeter avec fermeté. « Alors que nous nous attendions à un débat autour d’une stratégie de sécurité nationale voilà que la remise des armes est devenue le sujet principal. […] Nous devons discuter entre nous de ce qui concerne le Liban, et mettre de l’ordre dans notre situation interne dans un esprit de coopération et de compréhension. C’est un pays où des sacrifices et du sang ont été versés, et nous ne permettrons à personne de nous imposer des diktats ». Et d’ajouter : « Si nous remettons nos armes, l’agression ne cessera pas. Ce sont les responsables israéliens eux-mêmes qui le disent. […] La solution est de posséder la force, pas de s’en défaire ». Rappelant la responsabilité d’Israël dans la violation du cessez-le-feu du 27 novembre 2024 et le bilan du côté Hezbollah (5 000 combattants tués, 13 000 blessés), il a accusé T. Barrack de vouloir « servir entièrement les intérêts » du voisin du sud.
Et il a conclu en ces termes : « La résistance est en bonne santé, forte, fière, pleine de foi et de volonté, déterminée à être maîtresse dans son pays […]. Nous traversons une étape dangereuse dans l’histoire de l’indépendance du Liban, mais nous sommes plus forts grâce au triptyque armée-peuple-résistance et à l’unité » (OLJ, 5 août 2025).
Kassem a aussitôt reçu le soutien explicite du régime iranien, selon lequel « le plan de désarmement ne fonctionnerait pas » et qu’il s’y opposait, position à laquelle le ministre libanais des affaires étrangères, Joe Raggi, a répliqué en ces termes : « Nous avons plusieurs fois informé les Iraniens que nous rejetons toute ingérence dans nos affaires, qu’exprimer une opinion n’est pas un problème mais que le soutien à la rébellion contre l’État en est un ». Quelques jours après, suite à une visite à Beyrouth d’un émissaire iranien, Ali Larijani, venu appuyer le Hezbollah, Kassem a déclaré que son parti était prêt à « l’affrontement » si un désarmement lui était imposé (OLJ, 20 août 2025).
Quant à la Syrie, depuis la chute du régime de Bachar El-Assad (décembre 2024), qui était l’un des « parrains » du Hezbollah, elle ne se mêle plus de cette affaire.
Au sein de la population chiite, les avis sur le désarmement sont partagés : certains s’inquiètent de son inefficacité face à Israël, d’autres se réjouissent du renforcement de l’armée et de l’État qui en résultera (OLJ, 7 août 2025). Le quotidien pro-Hezbollah Al-Akhbar a dénoncé « un coup d’État » et une « capitulation face aux diktats américano-séoudiens » (allusion aux engagements économiques de l’Arabie-Séoudite pour soutenir le Liban). Pour sa part, Mohammed Raad, chef du bloc parlementaire du Hezbollah, a considéré le désarmement comme « un suicide » (Le Figaro, 11 août 2025). Hussein Hajj Hassan, député de ce parti, a qualifié de « catastrophiques » les décisions du gouvernement, l’accusant de plier face aux pressions israéliennes et américaines. « Que faites-vous de ces menaces alors que vous prétendez être un gouvernement souverainiste ? » (OLJ 26 août 2025).
Après avoir réitéré à plusieurs reprises le refus absolu de son parti de livrer son arsenal, Kassem a cependant appelé à une coopération entre l’armée libanaise et le Hezbollah. « La résistance ne remplace pas l’armée, mais elle la soutient et l’aide […]. Elle est un facteur auxiliaire […]. Quiconque veut nous désarmer sera en train d’arracher notre âme » (OLJ, 25 août 2025).
Deuxième séance
Le 5 septembre, le Conseil des ministres a examiné le plan élaboré par l’armée (les quatre ministres chiites se sont néanmoins retirés de la séance après l’arrivée du général Rodolphe Haykal, commandant en chef de l’armée). Sans comporter un calendrier précis, surtout du fait de l’occupation prolongée du Liban-Sud par Tsahal, mais en demandant à l’armée des rapports mensuels, le plan privilégie le démantèlement total des armes présentes au sud du fleuve Litani (à une trentaine de kms de la frontière israélienne) qui devra être achevé avant la fin de 2025. L’armée indique avoir démantelé 80 % des positions du Hezbollah dans cette région, information confirmée par la FINUL.
Une fois ce résultat acquis, l’armée prendra en charge la sécurisation des frontières libano-syriennes, la fermeture des passages illégaux, la lutte contre la contrebande d’armes et de stupéfiants, le transport et le port d’armes sur tout le territoire, ainsi que la poursuite du processus de collecte des armes dans les camps palestiniens (OLJ, 5 septembre 2025). Pour rassurer le Hezbollah, et éviter une guerre civile, le gouvernement a fait des concessions : la date limite du 31 décembre n’a pas été retenue compte tenu du refus des Israéliens d’adopter la feuille de route présentée par Tom Barrack.
Dans un rapport destiné au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a approuvé les décisions du gouvernement libanais (OLJ, 12 octobre 2025).
Que reste-t-il de l’arsenal du Hezbollah ?
Selon des informations fournies par un expert militaire libanais, lorsque, en octobre 2023, « le Parti de Dieu » a ouvert le feu contre Israël en soutien au Hamas, il disposait d’un large éventail de roquettes d’artillerie non guidées et de missiles balistiques, anti-aériens, antichars et antinavires.
Puis, « il a été lourdement dégradé », à la fois par les deux mois de guerre ouverte qui l’ont opposé à l’Etat hébreu durant l’automne 2024 (cf. PFV n° 103) et « par les frappes israéliennes répétées visant ses dépôts d’armes » en violation du cessez-le-feu du 27 novembre dernier (cf. supra), lequel prévoyait un retrait total de Tsahal du Liban-Sud et le désarmement du Hezbollah, en priorité au sud du fleuve Litani puis dans tout le pays. Les pertes proviennent en outre de la découverte par la FINUL d’un réseau de tunnels désormais comblés et scellés par l’armée libanaise. Celle-ci aurait aussi démantelé plus de 500 positions militaires et dépôts d’armes. Le Hezbollah a en outre subi les retombées de la chute du régime syrien de Bachar El-Assad, son principal allié, dont le successeur a coupé les routes d’approvisionnement avec le Liban. Mais il dispose encore d’ateliers où il peut fabriquer des armes, notamment des drones. La formation aurait perdu « environ 70 % de ses capacités » (OLJ, 8 août 2025).
LE DÉMARRAGE DU DÉSARRAOUCHÉ : QUAND LE HEZBOLLAH DÉFIE L’ÉTAT LIBANAIS MEMENT
Le 24 septembre 2025, le Liban a été secoué par une initiative du Hezbollah, qui entendait honorer la mémoire de son ancien secrétaire général, Hassan Nasrallah, et de son successeur désigné, Hachem Safieddine. Tous deux avaient été assassinés un an avant lors d’attaques israéliennes sur la banlieue sud de Beyrouth (siège du parti), dans le contexte de la guerre de Gaza au cours de laquelle le Hezbollah s’était allié militairement au mouvement palestinien Hamas (cf. PFV n° 103).
Pour le déroulement de cette commémoration, les responsables actuels du Parti de Dieu avaient choisi un secteur de la zone occidentale de Beyrouth, la corniche de Raouché. Le grand rassemblement populaire prévu devait être animé par diverses manifestations (drapeaux partisans, chants patriotiques, discours, hymnes religieux à la gloire des deux « martyrs »).
Tout en autorisant le projet, le gouverneur (mohafez) de Beyrouth, Marwan Abboud, en avait cependant réduit l’ampleur en limitant à 500 le nombre de participants pour ne pas encombrer la corniche. Il avait aussi interdit ce qui était considéré par le Hezbollah comme le point central de l’événement : l’illumination du rocher de la Grotte aux pigeons sur laquelle devaient être projetés les portraits de Nasrallah et Safieddine. Pour le mohafez, il s’agissait d’une provocation partisane sur un lieu considéré comme un symbole national. Cette interdiction a été approuvée par le Premier ministre, Nawaf Salam, chef d’un gouvernement qui comporte des ministres du Hezbollah (cf. supra).
Des milliers de partisans – certains étaient équipés de machines de laser servant à illuminer la grotte -, se sont donc retrouvés à Raouché, bloquant la circulation, entravant le travail des forces de l’ordre et lançant des insultes contre l’État libanais « criminel » et ses dirigeants. « Vous pouvez vous le garder votre rocher, vous irez vous y cacher bientôt comme des cafards, ô toi Nawaf et ton copain Joseph [le président de la République] », entendait-on dans la foule (OLJ, 25 septembre 2025).
L’éditorialiste Issa Goraïeb a tiré de cet épisode le constat suivant : Le Hezbollah « a défié le souhait de l’écrasante majorité des Libanais de voir enfin réalisé le processus de reconstitution de l’État. Il a voulu montrer à Israël et à l’Amérique qu’il est loin d’avoir disparu de la carte politique, qu’il reste même le maître à bord de la galère libanaise. » (OLJ, 26 septembre 2025).
La non intervention de l’armée pour empêcher la projection a été justifiée par le ministre de la Défense, Michel Menassa, comme le moyen « d’éviter les troubles, d’empêcher la situation de glisser vers l’abîme de la confrontation, de dissuader ceux qui menacent la paix civile et de renforcer les fondements de l’unité nationale » (OLJ, 26 septembre 2025). Sa position a été confirmée par le président Joseph Aoun : « Il est inacceptable de critiquer ou cibler l’armée et les forces de sécurité et elles constituent une ligne rouge qu’il n’est pas permis de franchir », d’autant plus « qu’elles travaillent en parfaite coordination pour lutter contre le terrorisme, le crime organisé et le trafic de drogue » (OLJ, 29 septembre 2025).
Le Premier ministre, Nawaf Salam, qui a aussi bénéficié d’un vaste élan de solidarité, notamment dans les milieux politiques sunnites, a réaffirmé son attachement au monopole des armes par l’État. « Les citoyens ne peuvent pas se sentir égaux tant que certains groupes possèdent des armes ». Annonçant sa ferme intention de faire exécuter le plan conçu par l’armée le 5 septembre, il a déclaré : « Je n’ai pas emprunté et n’emprunterai jamais une autre voie : un seul État, une seule loi, une seule armée » (OLJ, 2 octobre 2025). ntion de ces droits par les Palestiniens n’est pas « une condition reliée au désarmement », mais « si nos conditions de vie sont améliorées, plus personne ne sera encore attaché aux armes », a précisé un proche de l’OLP (OLJ, 2 juin 2025).
L’événement de Raouché a indéniablement affecté l’orientation stratégique de l’équipe gouvernementale concernant sa volonté de restaurer l’autorité intégrale de l’État sur l’ensemble du territoire, principal moyen de reconstituer l’unité abîmée entre ses communautés confessionnelles, mais également d’établir sa stabilisation géopolitique aussi bien dans son voisinage avec Israël que dans sa place au sein du Proche-Orient. Ces sujets seront abordés dans les deux prochaines Petites Feuilles Vertes.