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Réflexions de catholiques sur la guerre

On peut lire aujourd’hui deux passionnantes contributions sur le site de Liberté politique : l’une synthétisant un essai sur la guerre de l’excellent George Weigel (l’auteur du Cube et la Cathédrale), l’autre traitant du principe de proportionnalité.

L’essai de Weigel, La lucidité morale en temps de guerre, publié par la revue First Things en 2003 (ici, v.o.), tend à lire l’enseignement sur la "guerre juste" d’une manière plus large que celle qui domine aujourd’hui.

[C]eux qui, réfléchissant sur l’art de gouverner [partent] d’une “présomption contre la violence”, finissent par se tromper […]. [T]out ce que semble souhaiter Weigel est que nous ne trompions pas sur la nature de la tradition de la guerre juste qui est d’abord une réflexion sur l’obligation morale de ceux qui nous gouvernent non seulement de nous protéger des menaces bien réelles mais aussi d’anticiper les conflits à venir.

[…] Cet essai […] a ainsi le mérite d’aborder franchement une des grandes questions que les catholiques français seront contraints de se poser dans les années à venir, lorsqu’ils seront confrontés aux nouveaux types de guerre, comme celles qui se déroulent au Proche-Orient. Il montre de manière indiscutable que le recours à la guerre dans certaines conditions ne viole pas les principes religieux, d’autant que les nations modernes ne font la guerre que pour maintenir ou promouvoir la paix.

Le second article, par Roland Hureaux, est en nette dissonance par rapport à cette thèse de Weigel : partant du cas israëlien, puis de la politique américaine, il semble attaquer le principe même d’une guerre cherchant à obtenir un ordre plus juste.

S’agissant des États-Unis, Henry Kissinger a montré après d’autres combien leur mentalité était depuis longtemps propice à une vision manichéenne de la guerre. Dix dents pour une dent, cent s’il faut : qu’importe si la paix définitive, fondée sur l’avènement de la démocratie et du marché, est à ce prix.

L’auteur (qui rejoint Yves Daoudal) appelle à un retour à la proportionnalité – quitte à ce qu’elle soit la "loi du talion".

Précisons que quand ce blog a évoqué le principe de propotionnalité pour fonder ses réserves sur la politique israëlienne au Liban, ce n’était pas vraiment dans ce sens-là : il ne s’agissait pas de la seule proportion entre l’agression et la réplique, mais surtout de la proportion entre le mal causé par la guerre et le bien qui pouvait raisonnablement en être attendu.

Henri Védas

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4 commentaires

  1. Guillaume Bacot, professeur de droit public à l’université de Reims a publié en 1989 un essai très intéressant intitulé : “la doctrine de la guerre juste” aux éditions Economica; il montre notamment comment cette doctrine imprègne encore le droit international et les mentalités modernes

  2. C’est sûr qu’il aurait fallu montrer à Adolf qui c’est qui commandait, au lieu d’écouter Maurice Chevalier à la TSF les pieds dans les charentaises et le béret enfoncé jusqu’aux yeux, histoire de pas trop voir le tsunazi!!!

  3. Quelques précisions sur la théorie de la guerre juste et George Weigel
    G. Weigel est l’auteur d’une excellente biographie de Jean-Paul II (J-P II, témoin de l’Espérance). Il est catholique, théologien, spécialiste d’éthique et de science politique. Son admiration pour Jean-Paul II est manifeste dans la biographie qu’il lui consacre, spécialement quand le Pape mène la lutte contre le communisme et défend la culture de la vie. Il est par contre un point où il conteste nettement la position du pape, c’est la guerre du golfe (cf. ch. 16, p755-756). Weigel était favorable à la première guerre du golfe au nom de la tradition de la guerre juste, là où Jean-Paul II était contre, en vertu d’une appréciation différente de la même doctrine. Cette opposition se répétera lors de la deuxième guerre du golfe. Le Pape est farouchement opposé à l’invasion de l’Irak. Weigel, au contraire, la défend.
    On peut dire que George Weigel, avec Michael Novak et Richard John Neuhaus, est un des principaux catholiques néo-conservateur dont l’interprétation de la doctrine de la guerre juste entre en « conflit » avec les vues de Jean-Paul II et Benoît XVI.
    Weigel est en effet un intellectuel qui se reconnaît dans la politique de l’administration Bush (père et fils). En 1997, il était un des co-signataires du « Project for the new Américan Century » (PAC). Ce projet défendait les idées suivantes :
    – Les Etats-Unis sont la puissance prééminente dans le monde.
    – Ils doivent préparer un nouveau siècle favorable aux principes et intérêts américains.
    – Il faut soutenir l’influence américaine dans le monde.
    – Il faut défendre une politique étrangère qui promeuve les intérêts américains à l’étranger
    – Nous ne pouvons éviter un leadership global, avec les conséquences associées à cet exercice.
    – Il faut prévenir les crises et les menaces avant qu’elles ne deviennent graves.
    Et par conséquent, les Etats-Unis doivent augmenter les dépenses militaires, défier les régimes hostiles à leurs intérêts et valeurs, promouvoir la liberté économique et politique à l’étranger et étendre un ordre international favorable à leurs sécurités, prospérités et principes.
    Our aim is to remind Americans of these lessons and to draw their consequences for today. Here are four consequences:
    • we need to increase defense spending significantly if we are to carry out our global
    responsibilities today and modernize our armed forces for the future;
    • we need to strengthen our ties to democratic allies and to challenge regimes hostile to our interests and values;
    • we need to promote the cause of political and economic freedom abroad;
    • we need to accept responsibility for America’s unique role in preserving and extending an international order friendly to our security, our prosperity, and our principles.
    Parmi les autres signataires de ce projet, on trouvait, déjà, Dick Cheney, Dan Quayle, Donald Rumselfd et Paul Wolfowitz.
    La vision qui se dégage de ce projet n’est pas seulement celle des Etats-Unis « gendarmes du monde », mais celle d’une démocratie tellement sûre de la suprématie de ses valeurs qu’elle juge bon de les répandre dans le monde, y compris en défiant les régimes hostiles. On a là un aperçu du « messianisme américain ». Fondée par des pionniers religieux, l’Amérique serait une nouvelle terre promise et aurait pour mission de diffuser la bonne nouvelle de sa civilisation avancée dans le reste du monde.
    Les thèses de Weigel sur la doctrine de la guerre juste sont, à mon avis, profondément influencée par ce point de vue ultra-patriotique. Cela seul suffit à s’en méfier, car une théorie honnête de la guerre juste doit être bâtie d’un point de vue universel et non du point de vue des intérêts d’un seul pays.
    Or, la tendance qui se dégage des écrits de Weigel sur la doctrine de la guerre juste épouse de nombreux thèmes propres à l’administration Bush : unilatéralisme, interventionnisme, lutte contre le mal, nouvel ordre mondial, guerre préventive, attaque des états voyous, propagation « forcée » de la démocratie. Pour Weigel, en effet ;
    – La paix passe par un ordre mondial stable qu’il faut installer (« concept de « peace as order »).
    – Les démocraties, parce qu’elles défendent la liberté et la justice, doivent préserver cet ordre mondial.
    – La légitime défense des intérêts du pays justifie, vu la place des Etats-Unis dans le monde, des interventions à l’étranger.
    – La guerre juste n’est pas seulement liée la défense contre les agressions. Elle est aussi liée à la punition du mal.
    – Tous les régimes n’ont pas la même valeur. La défense de l’ordre mondial passe donc par une mise au pas des « régimes voyous ».
    – Ces interventions extérieures peuvent être préventives. Il ne faut pas attendre qu’un régime voyou ait une arme de destruction massive pour faire quelque chose contre lui.
    – Qu’un gouvernement soit corrompu et ait une politique extérieure parfois immorale (comme les Etats-Unis) ne doit pas le dispenser de l’obligation morale de défendre, au nom de la guerre juste, les intérêts de sa population.
    – Il appartient aux chefs religieux et intellectuels de réfléchir aux critères d’une guerre juste, mais ils doivent reconnaître un charisme spécial de discernement aux pouvoirs publics pour en décider l’application.
    – Les racines du terrorisme n’ont rien à voir avec une oppression sociale des populations du moyen-orient.
    – Les Etats-Unis, si leurs intérêts sont menacés, ont le droit d’agir sans l’accord de l’Onu
    “This concept of peace–as–order can also enrich our understanding of that much–bruited term, the “national interest.” The irreducible core of the “national interest” is composed of those basic security concerns to which any responsible democratic statesman must attend. But those security concerns are related to a larger sense of national purpose and international responsibility: we defend America because America is worth defending, on its own terms and because of what it means for the world. Thus the security concerns that make up the core of the “national interest” should be understood as the necessary inner dynamic of the exercise of America’s international responsibilities. And those responsibilities include the obligation to contribute, as best we can, to the long, hard, never–to–be–finally–accomplished “domestication” of international public life: to the quest for ordered liberty in an evolving structure of international public life capable of advancing the classic goals of politics–justice, freedom, order, the general welfare, and peace. Empirically and morally, the United States cannot adequately defend its “national interest” without concurrently seeking to advance those goals in the world. Empirically and morally, those goals will not be advanced if they are pursued in ways that gravely threaten the basic security of the United States.” (G. Weigel, “Moral clarity in a time of war”, 2003).
    “There is a charism of political discernment that is unique to the vocation of public service. That charism is not shared by bishops, stated clerks, rabbis, imams, or ecumenical and interreligious agencies. Moral clarity in a time of war demands moral seriousness from public officials. It also demands a measure of political modesty from religious leaders and public intellectuals, in the give–and–take of democratic deliberation.” (G. Weigel, “Moral clarity in a time of war”, 2003).
    Cette vision des choses outrepasse clairement les conditions de la guerre juste indiquées dans le nouveau catéchisme. On sait à quoi ont mené des principes aussi “forts” : à l’invasion de l’Irak, où il n’y avait pas d’armes de destruction massives, où la démocratie ne tient qu’à la présence des américains et où les terroristes de tous bords s’en donnent à cœur joie. Avec pour corollaire regrettable un manque de moyen pour mener un combat, certainement plus légitime et urgent, contre l’Iran.
    Il y a fort à parier que le « charisme de discernement » du pape Jean-Paul II a été, en l’occurrence, plus « inspiré » que celui de G. Bush. Comme le Card. Stafford l’a signalé, si Weigel se réfère souvent à la tradition de la guerre juste dans les écrits de saint Augustin, la façon de faire la guerre a évolué depuis le 5e siècle et Jean-Paul II, au vu surtout de l’expérience du 20e siècle, en a tenu compte dans sa façon de comprendre ce qu’est une « guerre juste ».
    “It should be noted,” Cardinal Stafford said, “that the Pope explicitly places his emphatic choice of peace against the background of 20th-century total warfare, not the tribal conflicts of fifth-century North Africa where the first enunciation of the just war criteria were developed by St. Augustine.” (…) “The Pope himself is building upon the experience of the 20th century and modifying, as he perceives it, the just war criteria. Augustine says nowhere as clearly as the Pope does, ‘War is a defeat for humanity.'” (“Cardinal Stafford on War and the Church’s Thinking” Mai 2004. By Delia Gallagher).
    Benoît XVI va dans la même direction que Jean-Paul II, tant dans ses déclarations que dans le choix de son prénom, qui rappelle Benoît XV, le pape qui a tout fait pour éviter la première guerre mondiale.
    G. Weigel n’est pourtant pas un hérétique ou un faux-catholique. En tant que théoricien, il a tout à fait le droit de développer une thèse, d’ailleurs très argumentée, sur la guerre juste. Et cela même si ses interprétations ne recoupent pas toutes les déclarations du Pape. Weigel ne remet en cause aucun dogme. Il est vrai aussi que sur ces questions, un pape peut peut-être se tromper et un dirigeant prendre, la bonne décision. Mais dans ce cas je vois mal comment Weigel, moraliste, peut aller jusqu’à dire que la « conversion intérieure n’a, par définition, rien à voir avec la politique ». C’est là un de ses défauts majeurs. Il prétend, sur cette question de la guerre juste, avoir une vision morale, mais est en fait surtout un américain pragmatique.
    Weigel met toutefois le doigt sur une nécessité : l’usage des armes de destruction massives et le développement du terrorisme nous obligent à repenser d’une façon nouvelle et approfondie la doctrine de la guerre juste. Weigel a le mérite d’entretenir un débat essentiel (« Qu’est qu’une guerre juste aujourd’hui ») dont on se dispense trop de ce côté-ci de l’atlantique. Pour nous, une guerre juste, c’est “pas de guerre du tout”. Si on avait davantage réfléchi à ce concept, on aurait peut-être un peu moins de mal à se motiver pour envoyer plus de 200 soldats au Liban qui en a besoin de 15000. Et on aurait peut-être aussi, en comprenant mieux leur langage, pu dissuader les Américains d’aller en Irak.

  4. tant qu’on se poignardera l’oignon comme ça on n’est pas prêts d’en gagner des guerres, justes ou pas.
    Une guerre juste n’est-ce pas déjà une guerre que l’on gagne et dont on peut ensuite justifier tous les tenants et les aboutissants, voire juger ses adversaires comme de vulgaires criminels de droit commun, suivez mon regard.
    Quand à une guerre que l’on voudrait juste mais que l’on perd, ça s’appelle une défaite, et quelles que soient les bonnes raisons qui vous ont entraîné à la faire vous n’aurez plus droit à la parole.

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