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Saint Thomas d’Aquin et le chapitre VIII d’Amoris Laetitia

Saint Thomas d’Aquin et le chapitre VIII d’Amoris Laetitia

Nous reproduisons ci-dessous une longue analyse de Laurent Moreau consacrée à l’étude du chapitre VIII d’Amoris Laetitia. Laurent Moreau est un fidèle catholique passionné par Saint Thomas d’Aquin (voir son site). Il estime qu’une des plumes du Pape, le cardinal Victor Manuel Fernandez, a transformé la pensée de Saint Thomas d’Aquin :

Etre Cardinal dans la hiérarchie de l’Eglise catholique, docteur en théologie et l’une des plumes du pape, ne fait pas de vous de facto un bon disciple de Thomas d’Aquin. La lecture de quelques phrases de Mgr Victor Manuel Fernández suffit à le démonter. Nous ne serions pas trop exigeant avec ce prélat qui fit son doctorat, non sur la Somme Théologique, mais sur le lien entre la connaissance et la vie chez saint Bonaventure, si son interprétation de la pensée du docteur angélique n’avait servi à l’élaboration du chapitre VIII de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia du pape François. 

C’est bien de suivre le conseil très prudent de saint Jean-Paul II selon lequel, en théologie morale, il ne faut pas s’éloigner de l’enseignement de saint Thomas d’Aquin. Mais si on le fait, il faut vraiment suivre la pensée du docteur commun et non la transformer en un succédané. Car, en tronquant des passages, en ne tenant pas compte du contexte ou pire encore en ne comprenant pas le texte lui-même, il est facile de lui faire dire tout et n’importe quoi. Prenons, trois extraits tirés des écrits de Mgr Fernández et qui ont influencé le fameux chapitre VIII, provenant directement ou indirectement de la doctrine thomiste, et voyons si elles correspondent vraiment à la pensée de leur auteur:

-“Compte tenu des influences qui atténuent ou éliminent l’imputabilité (cf. CCC 1735), il est toujours possible qu’une situation objective de péché puisse coexister avec la vie de la grâce sanctifiante”:    
 Dans cette affirmation, Mgr Fernández commence par reprendre avec ses propres mots un point du Catéchisme de l’Eglise Catholique, pour ensuite en conclure la possible cohabitation dans une âme du péché mortel et de la grâce sanctifiante.  Le CEC s’inspire lui fortement de la thématique thomiste. Il nous dit que “L’imputabilité et la responsabilité d’une action peuvent être diminuées voire supprimées par l’ignorance, l’inadvertance, la violence, la crainte, les habitudes, les affections immodérées et d’autres facteurs psychiques ou sociaux”. De fait, pour qu’il y ait un péché qui nous prive de la grâce, il faut en plus d’une matière grave, une pleine advertance de l’aspect mauvais de l’acte et un libre consentement de la volonté.
Ce qui importe aux yeux de saint Thomas, au-delà de certaines circonstances particulières telle la violence, la crainte, etc, (circonstances qui n’ont pas de valeur dans le cadre d’une nouvelle union en plus de celle validement contractée par un précédent mariage), c’est le fondement de ce qui constitue l’acte moral humain, à savoir un choix qui soit guidé par la raison. Citant saint Jean Damascène, il nous rappelle que “le volontaire appartient à l’acte qui est une opération rationnelle” (I-II, qu.6, 1, sed contra), un acte humain ne peut être qu’un acte volontaire qui lui-même est un acte raisonnable. Chez Thomas d’Aquin, ce qui règle l’action de l’homme, c’est ce qui fait de lui un homme à l’ image de Dieu, à savoir sa raison.  “Aussi le bien et le mal, dans les actes dont nous parlons présentement, doivent-ils se prendre par rapport à ce qui est propre à l’homme en tant qu’homme: c’est la raison” (De Malo, qu.II, art.4, resp.)
  Ainsi, il faut allier la connaissance et la volonté pour poser un acte humain méritoire ou blâmable. C’est pour cela que Thomas d’Aquin insiste dans sa Somme Théologique sur l’ignorance, notion que l’on retrouve au tout début de l’énumération du CEC. C’est de loin la plus importante pour faire que l’acte soit conscient et volontaire. L’ignorance peut excuser du péché, mais pas dans n’importe condition. Contrairement à ce que dit notre prélat Argentin, l’ignorance n’excuse pas “toujours” du péché car il y a ignorance et ignorance. Certaines ignorances n’enlèvent pas le caractère volontaire de l’acte mauvais.  C’est le cas nous dit Thomas d’Aquin si “l’acte de volonté se porte sur l’ignorance elle-même, par exemple lorsque quelqu’un veut ignorer pour avoir une excuse à son péché ou pour n’en être pas détourné, selon cette parole du livre de Job (Jb 21,14): « Nous ne voulons pas connaître tes voies. » C’est ce qu’on appelle l’ignorance affectée. – D’une autre façon, on appelle ignorance volontaire celle de quelqu’un qui peut et doit savoir; c’est ainsi, nous l’avons dit plus haut, que « ne pas agir » et « ne pas vouloir » sont appelés du volontaire. Cette ignorance-là peut se produire, soit qu’on ne considère pas en acte ce qu’on peut et doit considérer, et c’est une ignorance de mauvais choix, qui a sa source dans la passion ou l’habitude; soit qu’on ne se soucie pas d’acquérir la connaissance qu’on peut et doit avoir; c’est de cette manière que l’ignorance des propositions universelles du droit, que l’on est tenu de connaître, est appelée volontaire comme provenant de la négligence.” (I-II, qu.6, a.8, resp.)
C’est pour cette raison que le CEC au numéro 1736, juste après celui cité par Mgr Fernández, précise que premièrement “Tout acte directement voulu est imputable à son auteur”, mais également que “une action peut être indirectement volontaire quant elle résulte d’une négligence à l’égard de ce qu’on aurait dû connaître ou faire, par exemple un accident provenant d’une ignorance du code de la route.”
Qui plus est, quand on sait que les citations de Mgr Fernández visent à disculper les divorcés remariés, et à enlever par l’argument de l’ignorance, l’imputabilité d’actes désordonnés, le recours à la théologie thomiste est pour d’autant plus malvenue. En effet si il y a un exemple qui revient souvent dans l’argumentation de saint Thomas pour montrer que certains actes sont mauvais en soi, c’est bien, notamment dans le De Malo, celui de l’adultère. Dans la Somme Théologique, c’est justement le seul exemple qu’il prend pour démontrer qu’il existe des cas où la volonté qui suit la raison erronée peut être mauvaise, alors qu’il a été démontré auparavant qu’une bonne volonté doit suivre une raison qui se trompe. S’il y a une chose qui n’excuse pas du mal, c’est tout ce qui touche à “l’ignorance de la loi de Dieu qu’on est tenu de connaître”, car cette loi révélée dans le décalogue est aussi une loi inscrite dans le cœur de l’homme. Une erreur qui provient d’une telle ignorance fait que “la volonté qui se conforme à cette raison erronée est mauvaise” (I-II, qu.19, a.6, resp).
 Par contre si un ” homme prend pour son épouse une femme qui ne l’est pas, et veut s’approcher d’elle lorsqu’elle le sollicite, sa volonté est excusée du mal, parce que l’erreur provient de l’ignorance d’une circonstance, qui excuse et cause l’involontaire”. Cette circonstance exceptionnelle équivalent à une sorte d’ignorance invincible, n’a évidemment rien à voir avec les situations ordinaires dont veut nous parler Mgr Fernández. Car lui vise des divorcés remariés qui savent parfaitement que le nouveau conjoint n’est pas celui du premier mariage validement contracté. Nous sommes ici en présence d’un cas de figure qui ne souffre pas de demie mesure: ou bien l’ignorance est totale sans culpabilité aucune de la part du fautif, ou bien il a conscience de s’unir avec une personne qui n’est pas le conjoint légitime.  Saint Thomas ajoute que ” l’ignorance produit parfois l’involontaire, et parfois ne le produit pas” et que ” l’ignorance qui rend un acte involontaire lui enlève sa valeur de bien et de mal moral, mais non l’ignorance qui ne le rend pas involontaire”. L’ignorance peut être voulue directement ou indirectement. Cette dernière “résulte d’une négligence, si l’on ne veut pas apprendre ce que l’on est tenu de savoir”, c’est ce que disait le CEC au numéro 1736. Saint Thomas continue en disant que ” si la raison ou la conscience se trompe volontairement, soit directement (en prenant comme par hasard l’exemple de l’adultère de David avec la femme d’Urie), soit indirectement, par une erreur portant sur ce qu’on est tenu de savoir, une telle erreur n’excuse pas du mal la volonté qui agit conformément à cette raison ou conscience erronée”.
 Pour ce qui concerne l’adultère, selon Thomas d’Aquin, aucune ignorance n’enlève l’imputation au mal. C’est un acte qui de soi est mauvais (De Malo, II,4) car puisque “l’acte reçoit son espèce de l’objet, il sera spécifié selon une certaine raison d’objet par rapport à un principe actif déterminé”.
En effet, les actes humains sont spécifiés par ce qui appartient de soi à la raison, et l’exemple qui vient directement à l’esprit de saint Thomas est encore une fois celui de l’adultère: “C’est pourquoi s’unir à sa femme et s’unir à une femme qui n’est pas la sienne sont des actes qui diffèrent selon l’espèce, en tant qu’actes de rai son”. Voila selon lui l’exemple typique d’acte humain comme acte de la raison qui illustre ce fait fondamental que “les actes humains tiennent de leur espèce d’être bons ou mauvais”.
  S’unir avec une femme autre que la sienne ne pourra jamais être un acte bon pour saint Thomas car il est spécifiquement mauvais. Un acte bon peut être vicié par différentes choses, mais selon notre Docteur, “un acte spécifié dans le mal ne peut jamais être bon”(ibid, sol.2). Si un acte bon peut être mal accompli, un acte mauvais ne peut être bien accompli. Le mal venant de défauts singuliers, “c’est pourquoi, quel que soit l’élément qui est mauvais, de l’acte ou de son ordonnance à la fin, le tout est jugé mauvais”.  C’est aussi pourquoi on ne peut pas faire un mal pour qu’en sorte un bien. L’intention ne justifie pas les moyens. Dans le thomisme, l’objet de l’acte spécifie aussi la bonté ou la malice de cet acte. Aucune bonne intention ne pourra justifier un adultère aux yeux de saint Thomas. La “vie de la grâce sanctifiante” ne peut absolument pas “coexister” dans le thomisme avec “une situation objective de péché”, contrairement à ce que croit Mgr Fernández.     En effet, nous avons vu que la seule circonstance valable pour disculper quelqu’un qui s’unirait à une autre personne que celle épousée est un cas de figure extrême et peu vraisemblable. Par contre les circonstances pour ce qui concerne l’adultère, ont un effet inverse.  Aucune circonstance n’est atténuante, mais pire, les circonstances sont aggravantes. En effet, non seulement la circonstance peut augmenter la bonté d’un acte bon ou la malice d’un acte mauvais, mais pire encore, elle peut également donner l’espèce à l’acte moral en ajoutant “une difformité nouvelle ressortissant à une autre espèce de péché” (De Malo, qu.VII, art.4, resp). C’est ce qui arrive, précise Thomas d’Aquin,”quand un homme s’approche d’une femme qui non seulement n’est pas la sienne, mais est celle d’un autre”. La circonstance fait passer l’acte à une autre espèce d’acte, car elle ajoute l’injustice qui lèse le bien du prochain. Cette nouvelle difformité confère une espèce nouvelle. Ainsi, la circonstance n’en est plus vraiment une mais plutôt devient la différence spécifique de l’acte moral. L’adultère qui s’oppose à la loi divine et donc à la charité, s’oppose à la chasteté et s’oppose en plus à la justice.
        – “Thomas a reconnu que quelqu’un pouvait avoir la grâce et la charité, mais sans pouvoir exercer correctement l’une des vertus «propter aliquas dispositiones contrarias» (ST I-II 65, 3, ad 2). Cela ne signifie pas qu’il ne possède pas toutes les vertus, mais plutôt qu’il ne peut pas manifester clairement l’existence de l’une d’entre elles car l’action extérieure de cette vertu se heurte à des difficultés résultant de dispositions contraires: «Certains saints sont réputés ne pas posséder certaines vertus, dans la mesure où ils éprouvent des difficultés dans les actes de ces vertus, même s’ils ont l’habitude de toutes les vertus »(ibid., ad 3)    
 Ce passage a aussi pour but de montrer que l’on peut vivre de façon “irrégulière” tout en étant en état de grâce. Les saints, d’après saint Thomas ont éprouvés des difficultés dans l’exercice de la vertu, malgré leur sainteté et leur état de grâce. Certains sont même privés de vertu.  Le fidèle lambda sera donc d’autant plus excusé, lui qui n’est pas encore un grand saint, s’il comprend les normes de l’Eglise (et ici précisément les normes du mariage), sans comprendre les valeurs comprises dans ces normes (la fidélité, l’indissolubilité, l’aspect sacramentel du mariage, etc…). Il peut, lui aussi, être limité dans ses capacités de décisions (justifier de rester dans cet état de désordre), ou il faut comprendre qu’il puisse prendre des décisions qui n’ajoutent pas une nouvelle faute (abandonner les enfants d’une nouvelle union).
 En fait l’utilisation de cette citation de Thomas d’Aquin dans l’esprit de Mgr Fernández, et reprise dans l’exhortation apostolique, vise à concilier un état objectif désordonné avec l’état de grâce sanctifiante. On peut ainsi demeurer et vivre comme des époux alors qu’on est l’époux ou l’épouse de quelqu’un d’autre. 
 Le problème est que le texte en question ne veut pas dire que les saints ont eu du mal à vivre en état de grâce, ou ont pratiqué le mal sans perdre la grâce, ni qu’on peut vivre de la charité sans avoir certaines vertus. Bien au contraire, il enseigne que “avec la charité sont infusées à la fois toutes les vertus morales” et que “celui qui perd la charité par le péché mortel, perd toutes les vertus morales infuses” (I-II, qu.65,a.3 resp.). Or s’unir avec une autre femme que la sienne, sauf en cas de mariage invalide prouvé, est un adultère, et un adultère est un péché mortel par excellence (celui qui est pris sans cesse en exemple par saint Thomas comme nous l’avons déjà dit et vu). Voila ce qu’il se proposait de montrer. Aucun saint ne peut l’être sans posséder la charité et avec elle “les vertus morales qui permettent à l’homme d’accomplir toutes les bonnes œuvres”.  Et que doit-on comprendre du passage choisi par Mgr Fernández?
Saint Thomas veut seulement dire qu’on peut avoir la charité et éprouver soit des difficultés, soit un manque de plaisir dans l’accomplissement des œuvres vertueuses, pour diverses raisons telles le sommeil ou la fatigue. De même, les vertus infuses ne fonctionnent pas comme les vertus acquises. Ces dernières sont plus soumises aux habitus, ou actes précédents répétés, que ne le sont les premières. Donc le saint, qui vit davantage des vertus infuses, peut éprouver plus de difficultés à agir que celui qui possèdent des habitus acquis qui ont tendance à supprimer les dispositions contraires.
Éprouver parfois de la difficulté à exercer la vertu à cause d’empêchements extérieurs tels la fatigue, ou la maladie, n’équivaut pas à ne pas posséder la vertu. Or si l’on dit que les saints n’ont pas certaine vertus, c’est dans le sens où “ils éprouvent de la difficulté dans les actes des vertus” et il ajoute “pour la raison qu’on vient de dire”, et cela n’enlève rien au fait qu’ils possèdent les habitus de toutes les vertus. Le passage tronqué de Mgr Fernández ne permet pas de comprendre la pensée de son auteur. Il lui fait même dire l’inverse. Là où Thomas expose l’impossibilité pour le saint d’avoir la charité sans avoir de façon connexe toutes les autres vertus infuses informées par celle-ci, le cardinal argentin lui fait dire qu’on peut avoir la charité sans bien pratiquer certaines vertus, voire sans les posséder. Bref, l’ignorance pratique des normes, la négligence dans leur acquisition, la permanence dans un état de vie douteux, la pratique d’actes non vertueux, autant d’arguments dont le but est de trouver des circonstances atténuantes à une situation opposée à la loi divine et donc à la vertu de charité. Nous sommes bien loin des empêchements dont parle Thomas d’Aquin dans les solutions 2 et 3 de la question 65.       
Ajoutons une petite précision sur les normes et les valeurs du mariage demandées aux fidèles catholiques par l’Eglise. Celle-ci n’exige pas l’impossible en la matière. Pour qu’il y ait mariage valide, il suffit  de conférer et de recevoir de l’autre le droit in corpus (aux actes de l’union des corps en vue de propager le genre humain). La seule connaissance nécessaire est de savoir que le mariage est une union permanente (indissoluble) entre un homme et une femme et que sa finalité première est la propagation du genre humain. Dans ces conditions, une ignorance invincible, seule ignorance qui rendrait invalide un mariage, supposerait l’impossibilité pour une personne de comprendre ces conditions qui ont toujours été présumées par l’Eglise à partir de la puberté: on peut donc parler d’immaturité avant mais normalement pas après, sauf exception qu’il faut alors prouver. Une telle immaturité ressemblerait davantage à une déficience mentale, ce qui pourrait remettre en question la possibilité d’un mariage tout court.
L’Eglise n’attend pas que les fidèles comprennent nécessairement l’essence du mariage pour qu’il soit valide. Même une erreur simple d’intelligence concernant l’indissolubilité ou le caractère sacramentel du mariage n’empêchent pas sa validité. Seul un acte positif de la volonté qui ferait qu’une personne par exemple veut contracter expressément un mariage dissoluble peut le rendre invalide.
Nous voyons bien que l’Eglise est peu exigeante envers ses enfants, et que Dieu ne demande pas l’impossible. Nul besoin d’être un saint théologien pour comprendre ce qu’est un mariage dans ses grandes lignes. L’argument de l’immaturité est fragile pour le rendre invalide. Quoi qu’il en soit, le texte de saint Thomas utilisé plus haut est tout à fait hors sujet pour justifier les “situations irrégulières”.
 -He wrote that “one cannot maintain those [sexual] acts in each and every case are gravely dishonest in a subjective sense. In the complexity of particular situations is where, according to St. Thomas [Aquinas], ‘the indetermination increases’.”
Cette citation tirée de la page Wikipedia de Victor Manuel Fernández, à servi de support au n° 304 du chapitre VIII d’Amoris Laetitia qui renvoie à des bouts du passage suivant de la Somme Théologique:  “C’est pourquoi, bien que dans les principes généraux il y ait quelque nécessité, plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances. (…) Dans le domaine de l’action, au contraire, la vérité ou la rectitude pratique n’est pas la même pour tous dans les applications particulières, mais uniquement dans les principes généraux; et chez ceux pour lesquels la rectitude est identique dans leurs actions propres, elle n’est pas également connue de tous. (…) plus on descend aux détails, plus les exceptions se multiplient” (I-II, qu.94, a.4, resp.)
Le Pape, ou plutôt Fernández, évoque la complexité des situations particulières qui font que les indéterminations augmentent. Ceci entraîne à ses yeux l’impossibilité de qualifier certains actes sexuels de gravement désordonnés d’une façon absolue. Il faut les considérer cas par cas, et selon la subjectivité de chacun. Cela va permettre au pape de dépasser la norme générale pour rejoindre les situations particulières de chacun dans un discernement pratique au cas par cas, sans tomber dans le danger d’une “insupportable casuistique”.
Que signifie saint Thomas dans le texte utilisé ci-dessus? Ce qui en ressort est que la morale et la raison pratique s’intéressent au particulier et au contingent, contrairement aux sciences théoriques qui portent sur le général et le nécessaire. La loi naturelle est la même pour tous dans les prescriptions générales, mais elle n’est pas appliquée comme il le faudrait par tous parce quand on descend dans les détails des actes humains particuliers, pleins de facteurs entrent en jeu: passions, habitudes, degré d’intelligence, bonne volonté, éducation, caractère, etc… Les principes sont les mêmes pour tous, mais comme dans l’acquisition de la connaissance, l’erreur peut introduire des variations dans les conclusions, et des faire varier les choix pratiques dans les actes particuliers moraux.
Saint Thomas, ne parle pas “d’exceptions” mais utilise le latin “deficere“. Ce qu’il veut nous montrer, ce n’est pas que la loi naturelle se fragmente en actes divers qui se valent tous, mais que la loi naturelle,plus on s’éloigne de ses principes immuables et valables pour tous, ne sont pas appliqués comme il le faudrait pour que les actes soient vertueux. Il déplore une dégradation, une corruption: “plus on aborde les choses particulières, plus on rencontre de défaillances.” Loin de justifier cette diversité bonne ou mauvaise des cas particuliers, il regrette que dans “un petit nombre de cas” (ce qui limite le champ de cette mauvaise application de la loi naturelle), “elle peut comporter des exceptions (comprendre des “défaillances”), d’abord dans sa rectitude, à cause d’empêchements particuliers (…); elle comporte encore des exceptions (défaillances) quand à sa connaissance;c’est parce que certains ont une raison faussée par la passion, par une coutume mauvaise ou par une mauvaise disposition de la nature”. Bref, on aura compris que pour lui, loin de justifier des situations particulières désordonnées, ce passage au contraire, critique la mauvaise application pratique de la loi naturelle, reflet de la loi divine, aux actes concrets de chacun dans la vie courante. Selon Thomas d’Aquin, plus on descend dans le détail, plus on risque de se tromper et de mal agir. Il ne s’agit pas pour lui de cautionner tous les actes individuels comme s’ils se valaient tous. Nous sommes ici aux antipodes du relativisme et du subjectivisme.

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3 commentaires

  1. Vouloir citer St Thomas pour fonder une théorie nouvelle et fallacieuse relève d’une gageure bien naïve tant il a prévu dans sa Somme tous les cas de figure que l’esprit humain peut inventer pour se justifier.
    Nos théologiens modernistes sont bien prétentieux et présomptueux pour vouloir utiliser sa redoutable théologie, pur diamant de la pensée chrétienne, afin de donner un semblant de bases doctrinaires à leurs inventions inspirées du Malin. Ils ne lui arriveront jamais à la cheville tant son génie est incomparable.
    Mais ils sont vraiment tordus et il faut un théologien bien trempé et bon connaisseur de la pensée thomiste pour arriver à démonter leurs théories trompeuses. Merci à Laurent Moreau d’avoir accompli ce remarquable travail.

  2. Tout cela est très intéressant, et ce travail devait être fait.
    Cependant je note que tous ceux qui veulent justifier la communion aux divorcés “remariés” fondent leur argumentation sur la conscience de ceux-ci.
    Mais ces raisonnements sont inopérants face à l’enseignement de Benoît XVI, qui se basait sur leur situation objective pour dire qu’elle les rendait inaptes à recevoir la communion.
    Abbé Bernard Pellabeuf

  3. Bases doctrinales et non doctrinaires….

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