Exterminons les handicapés, voilà le message de cette décision de justice (et peu importe le risque, en cas d’avortement des bébés myopathes, d’éliminer le 3e) :
Dans un arrêt rendu le 4 décembre 2018, la cour administrative d’appel de Bordeaux juge que les dispositions de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles (issues de la loi du 4 mars 2002) ne font pas obstacle à la réparation du préjudice moral et des troubles dans ses conditions d’existence subis par le membre d’une fratrie né non handicapé, en 1999, lorsqu’à raison du même accouchement, sont nés deux autres frères atteints, pour leur part, de la myopathie de Becker pour lesquels la mère a perdu une chance de procéder à une interruption sélective de grossesse à cause d’une faute caractérisée du centre hospitalier qui n’a pas porté à sa connaissance les éléments dont il disposait de nature à déceler leur handicap.
À la suite d’une FIV, 3 enfants sont nés dont deux sont atteints d’une maladie génétique (dystrophie musculaire). Les parents demandent l’indemnisation de l’enfant né en bonne santé au titre des troubles dans ses conditions d’existence que lui ont causés les handicaps de ses frères.
- Sur la responsabilité du centre hospitalier :
Confirmant le jugement de première instance, la CAA de Bordeaux retient la responsabilité du centre hospitalier, celui-ci ayant commis une faute caractérisée en égarant la lettre du CHU de Bordeauxlui indiquant les risques de myopathie encourus par les futurs enfants et en n’informant pas les parents de la possibilité d’effectuer un diagnostic prénatal compte tenu de leurs antécédents familiaux. Pour rappel, en 2002, le législateur a choisi d’exclure l’action en réparation de l’enfant et de restreindre les conditions de mise en œuvre de la responsabilité des professionnels du dépistage prénatal en exigeant que les parents prouvent la faute caractérisée du professionnel (L. n° 2002-303, 4 mars 2002 suite à Cass. ass. Plèn., 17 nov. 2000, n° 99-13.701, dit arrêt « Perruche »).
- Sur l’indemnisation des préjudices :
– Indemnisation des préjudices des enfants du fait de leur handicap :
La cour rejette la demande des parents tendant à l’indemnisation des préjudices que leurs enfants ont subis à raison de ce handicap ainsi que des charges particulières en découlant, estimant que le régime prévu par la loi du 4 mars 2002 leur est applicable. Or, ce régime prévoit désormais que l’ensemble des coûts occasionnés par le handicap de l’enfant ne sont plus indemnisés, la loi prévoyant que la prise en charge du handicap, autrefois assumé par le responsable et son assureur, est transférée à la solidarité nationale (prestation de compensation du handicap). La cour estime que ces dispositions s’appliquent à la réparation de dommages dont le fait générateur était antérieur à l’entrée en vigueur de la loi, soit le 7 mars 2002 mais qui, à cette date, n’avait pas encore donné lieu à l’engagement d’une action indemnitaire. Or, les parents ont engagé cette action après le 7 mars 2002.
– Indemnisation des préjudices du frère non handicapé du fait du handicap de ses frères :
La cour admet que le frère ou la sœur d’enfants nés atteints d’une maladie qui aurait dû être détectée anténatalement est recevable à solliciter l’indemnisation du préjudice qu’il a subi en raison de leur handicap. Elle juge en effet que les dispositions de l’article L. 114-5 du Code de l’action sociale et des familles relatives au caractère non indemnisable des préjudices subis par les enfants handicapés du fait de leur naissance ainsi qu’aux charges particulières pour les enfants découlant, tout au long de la vie de l’enfant de ce handicap, n’ont pas pour objet d’interdire par principe, l’indemnisation des préjudices moraux et des troubles dans leurs conditions d’existence subis par d’autres membres de la famille et notamment par la fratrie de l’enfant né handicapé. La recevabilité de l’action des frères et sœurs avaient déjà été admise par la jurisprudence, les juges estimant que la loi du 4 mars 2002 n’a pas expressément exclu une telle possibilité (CA Bordeaux, 6 févr. 2013, n° 11/49 : JurisData n°2013-007274) ; TA Nantes, 7 avr. 2010, n° 056681 : JurisData n° 2010-021512).
Aux termes du commentaire de la décision publié sur le site de la cour administrative d’appel de Bordeaux, « la cour considère ensuite, implicitement, que dans le cas d’une grossesse gémellaire, si une réduction embryonnaire n’est techniquement pas praticable, alors la faute qui a consisté à ne pas avoir décelé un handicap avant la naissance n’est pas susceptible d’ouvrir droit à l’indemnisation de l’enfant né en bonne santé ». « Toutefois, en l’espèce, le centre hospitalier ne produit aucun élément ni aucune pièce à l’appui de ces allégations alors qu’il résulte au contraire des lettres adressées par un praticien du CHU ainsi que du rapport d’expertise judiciaire qu’un diagnostic prénatal s’imposait et qu’une interruption sélective de grossesse était possible et même recommandée ». Ils ont ainsi subi une perte de chance concernant la possibilité d’avoir des enfants non handicapés « soit en renonçant à la grossesse, soit en bénéficiant d’un diagnostic prénatal avec interruption sélective de grossesse » (sur la réparation de la perte de chance de recourir à une IVG notamment V. Cass. ass. Plèn., 13 juill. 2001, n° 97-17.359 ou CAA Bordeaux, 2 nov. 2010, n° 09BX02151).
Le centre hospitalier est condamné à verser aux parents la somme de 30 200 € chacun et à verser au frère non handicapé la somme de 10 000 € au titre de leurs préjudices moraux.