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Culture de mort : Euthanasie

Une avocate de gauche juge la loi sur la fin de vie comme une nécropolitique sordide menée à l’encontre des personnes malades et handicapées

Une avocate de gauche juge la loi sur la fin de vie comme une nécropolitique sordide menée à l’encontre des personnes malades et handicapées

Une avocate de gauche nettement anti euthanasie publie une Tribune dans Le Monde du 13 février. En voici la version longue :

Une incitation au suicide pour les personnes malades et handicapées

André CHASSAIGNE, député communiste, l’un des rares élus de gauche à s’opposer au projet de loi, avait parlé au printemps dernier de la « pression diffuse » sur les plus fragiles, les personnes isolées, handicapées, dépendantes que cette loi allait créer. Il a raison, mais il oublie une précision de taille : cette « pression diffuse » qui conduit les personnes malades et handicapées à croire que leur mort est toujours préférable à leur maintien en vie existe déjà. Comme l’a très justement rappelé une militante handicapée dans le documentaire Crip Cramp [1] (2020) : « Le monde nous souhaite toujours morts. » Les personnes malades et handicapées vivent avec cette conscience qu’elles représentent tout ce qui terrifie la société, tout ce qu’elle rejette. Elles savent que leur mort est libératrice pour cette dernière. Les nombreuses productions littéraires et audiovisuelles [2] qui glorifient leur mort dans leurs récits, ne manquent jamais une occasion de le leur rappeler. L’incroyable clémence des Tribunaux [3] dans les affaires de meurtres impliquant une victime handicapée (adulte ou enfant) aussi. La loi ne fera dès lors qu’amplifier et légitimer cette pression existante. Son adoption constituera à elle seule une incitation au suicide en permettant un passage à l’acte rapide et simple. Au Canada, on observe d’ailleurs que c’est bien la légalisation du suicide assisté qui a créée « la demande » qui désormais explose. On y constate également que cette légalisation a permis aux pouvoirs publics de faire d’importantes économies en matière de santé. On s’aperçoit, pour finir, que dans un pays au système de soin défaillant et où les aides sont longues et difficiles à obtenir pour les personnes concernées, le risque que le recours à ce dispositif, aux délais accélérés, se fasse par défaut est avéré.

Des garanties illusoires

Aucun des prétendus « garde-fous » envisagés par les défenseurs du projet de loi ne viendra limiter le danger qu’il constitue. Le financement parallèle des soins palliatifs est une promesse illusoire. A l’heure où toutes les économies réalisées par le gouvernement se font sur le dos des dépenses sociales et du service public de la santé, on ne voit pas par quelle magie les soins palliatifs seraient miraculeusement préservés et financés à hauteur des besoins. La création d’un « droit opposable à l’accès aux soins palliatifs » relève de l’escroquerie quand on connait la longueur des procédures requises pour faire valoir un tel droit, et surtout leur absence totale d’effectivité [4]. Dernier exemple, la vérification préalable par un médecin que tous les besoins médicaux, matériels, psychologiques et sociaux des candidats au suicide ont été pourvus, avant l’examen de leur demande, est une idée plus lamentable encore. Non seulement, en France, rien ne permet justement de pourvoir à tous les besoins des personnes malades et handicapées, c’est bien toute la difficulté, mais aucun médecin n’est apte à effectuer une telle vérification. Quand bien même elle serait possible, ce « garde-fou » constituerait, qui plus est, lui-même un danger puisque si un médecin venait à certifier que tous les besoins d’un candidat sont pourvus, il deviendrait quasiment impossible de dénoncer un éventuel abus le concernant. Une telle vérification viendrait ainsi verrouiller le système et empêcher toute contestation.

Les « équilibres » ou « garanties » que certains prétendent pouvoir trouver pour sécuriser ce texte ne tiendront pas. Les exemples étrangers le prouvent. Rien ne pourra empêcher que des personnes malades et handicapées ne meurent pour des raisons autres que la volonté de faire cesser des souffrances uniquement liées à la maladie. Par conséquent, il n’y a qu’une seule question à se poser avant de légaliser l’assistance au suicide et l’euthanasieCette question est centrale, comme l’a souligné Lizz Carr dans son excellent documentaire Better off Dead [5] (2024)et elle est la suivante : peut-on accepter qu’il y ait une marge d’erreur dans l’usage d’un tel système et, si oui, laquelle ? Autrement dit, combien de personnes malades et handicapées acculées par l’exclusion, la précarité, la souffrance socio-économique, l’absence d’accès aux palliatifs, ou aux soins tout court, allons-nous accepter de voir mourir pour qu’une poignée d’autres puissent contrôler leur mort ?

A mon sens, aucune marge d’erreur n’est décemment acceptable. La possibilité même de cette marge d’erreur achève de me convaincre qu’en tant que personnes malades et handicapées, nous devons nous opposer de toutes nos forces à ce texte, qui ouvrira une brèche que rien ne viendra refermer avant longtemps. Ne nous laissons pas instrumentaliser, ni inhiber par l’inconfort de la position dans laquelle on voudrait nous piéger. Nous avons le droit d’avoir des sentiments ambivalents sur le suicide sans pour autant cautionner ce projet qui pèsera lourdement sur nos vies et signera, au sens premier, l’arrêt de mort de certains d’entre nous.

La responsabilité de la gauche

Je demande pour finir, une dernière fois, à nos alliés de gauche de faire échec à ce texte. Vous ne pouvez pas être de gauche et trahir toutes vos valeurs en accompagnant de la sorte le capitalisme et le néolibéralisme dans ce qu’il a de plus mortifère. Vous n’avez pas le droit de vous rendre complices de ce qui ne constitue rien d’autre que le parachèvement d’une nécropolitique [6] sordide menée à l’encontre des personnes malades et handicapées. Ne mettez pas davantage en danger la vie des plus vulnérabilisées d’entre elles. Ne donnez pas non plus un outil aussi redoutable que celui-là aux fascistes qui guettent le pouvoir. S’ils prétendent aujourd’hui ne pas souscrire au projet de loi, il ne fait aucun doute qu’ils sauront lui trouver une utilité, une fois arrivés officiellement à la tête de l’État. Ils ont déjà, par le passé, été les premiers à pratiquer l’euthanasie et à prétendre soulager les personnes malades et handicapées en provoquant « miséricordieusement » leur mort [7].

Dans la période lugubre que nous vivons, alors que le système économique et la pandémie de Covid toujours en cours augmentent chaque jour le nombre de personnes malades et handicapées, tout en produisant de la souffrance physique comme psychique, la gauche ne peut pas avoir la mort pour seul horizon à leur offrir. Elle se doit de proposer, d’abord et avant tout, des perspectives d’espoir et d’amélioration de leurs conditions de vie. Elle se doit, plus que jamais, de défendre des mesures susceptibles de remédier à toutes les souffrances et les morts qui peuvent être évitées. Elle a le devoir absolu de défendre notre droit à la vie.

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