Directeur du Service pour les Professionnels de l’Information, le père Laurent Stalla-Bourdillon écrit :
[…] Ainsi, personne ne semble s’étonner que des députés fassent voter l’extension du tri des embryons afin d’écarter les futurs enfants porteurs d’anomalies chromosomiques. Force est de constater que notre société, si légitimement soucieuse de garder, pour s’en préserver, la douloureuse mémoire des « sélections » de masse, semble avoir collectivement intériorisé l’étrange projet d’une « humanité zéro défaut » à partir des caractéristiques génétiques. Sous couvert de progrès thérapeutique et d’empathie, chaque étape législative banalise le dépistage néonatal et l’élimination de confort mais le scandale éclate dès que l’on ose y voir, avec lucidité, une manifestation de l’eugénisme. Nous sommes en pleine logique économique de recherche et développement, en faisant apparaître un être humain trié et sélectionné, génétiquement corrigé et conforme au contrôle de qualité de l’unité de production. Dans la même logique, la recherche d’optimisation appelle de son côté la fabrication d’embryons chimères homme-animal, d’embryons transgéniques et de « bébé médicament ». Il n’y a plus d’interdit qui tienne dès que nous sommes devenus sourds à la signification propre du réel, à sa symbolicité. La « procréation de marché » est un train lancé à grande vitesse. Nul ne songe à l’arrêter. Au contraire, il convient, il est même cohérent, dans une logique libérale de recherche et d’innovation de le promouvoir. Quitte à remettre en cause les modalités par lesquelles un homme entre dans l’unique famille humaine et s’en reconnaît membre.
Nous sommes en train de faire muter le critère d’appartenance à la famille humaine. Pour pouvoir soutenir qu’un enfant puisse ne plus être « le fils ou la fille d’un tel et d’une telle », comprenez de deux parents de sexes différents, il faut tordre le bras à certaines évidences qu’une simple observation fait comprendre. Toute personne se reçoit invariablement d’une femme et d’un homme, de « parents biologiques » fussent-ils réduits à leurs semences reproductives (ovocytes et spermatozoïdes). Mère et père biologiques sont le butoir infalsifiable d’une ascendance. Leurs gamètes contiennent les gènes qui forment un individu absolument nouveau et unique. Seul ce critère fait entrer dans la famille humaine par une généalogie et fonde l’égale dignité reconnue à tout homme. Or, avec la réforme, ce critère doit s’effacer. L’organisation délibérée d’une procréation sans sexe et d’une filiation sans père revient à soustraire l’enfant à ce qui permettait d’attester sa pleine appartenance à la famille humaine. […]
Aujourd’hui l’écologie s’invite partout sauf dans le respect de la filiation humaine ; ce contournement d’une écologie respectueuse des droits de l’enfant nécessite le recours à une technique de domination éprouvée par les siècles : l’agrégation sélective à l’humanité et son corollaire dans la traite humaine. La mémoire vive de l’esclavage est plus que jamais, aujourd’hui, une source de scandale et de repentance et nous dénonçons nos aïeux qui ont pratiqué, encouragé ou toléré les trafics qui lui furent liés. Mais nous ne voulons pas voir que la remise en cause de la filiation qui découle de la réforme aura des effets sans aucun rapport avec ceux de ces abus du passé. Expliquons.
Pour pouvoir obtenir le « droit à l’humanité » et faire partie de la famille humaine, faudra-t-il désormais répondre à des critères de conformité génétique qui habilitent à porter une grossesse à terme, et à ces critères seulement ? Il deviendra possible, en droit, de sanctionner positivement la volonté de deux femmes de devenir « deux mères », une génitrice et l’autre gestatrice. Mais, en reconnaissant la validité d’une telle expression de volonté, la loi autoriserait le trafic maquillé par le référentiel positif du légitime désir d’enfant, de l’empathie et de la générosité du don. Elle permet d’éliminer la visibilité du père dont il aura bien fallu utiliser les gamètes.
[…]
L’esclavage est ce qui soustrait un homme, une femme ou un enfant à sa qualité d’homme pour l’identifier à une marchandise ou une force de travail. L’esclave perd aux yeux de son maître et de la société la dignité que procure la reconnaissance de sa filiation. Il ne doit plus être considéré comme « fils d’homme », sinon il pourrait se prévaloir, comme son maître d’une filiation, donc d’un apparentement. Il serait son frère, sa soeur. Notre dignité d’homme s’enracine toujours premièrement dans la filiation qui nous a introduit dans la succession des générations humaines. Nous sommes fondés à parler de « traite », de trafic d’êtres humains dès qu’est déniée à une personne ce que sa filiation lui donne de dignité, et qu’elle est ravalée au rang de marchandise, mise sur un marché.
Dans l’esclavage, le ressort de la traite est une volonté de domination assise sur la fausse justification de la supériorité prétendue d’une « race » ou d’un peuple sur un autre. Dans ce mécanisme pervers, l’humanité en vient à mépriser sa propre dignité et son unité. Il en va de même avec les « avancées » de la bioéthique, mais dans ce cas, le ressort du mépris de soi qui affecte l’humanité n’est pas l’esprit de supériorité, mais la séduction qu’exerce le développement des ressources que lui procure le progrès des techniques.
Le retournement de l’homme contre lui-même qui caractérise la traite se produit dès lors qu’en manipulant les éléments du corps (ici les gamètes), on opère une transaction en amont de la venue au monde de l’enfant, en le privant d’emblée d’une filiation commune, pour y substituer une filiation fictive, technique et artificielle. Négocier les gamètes, c’est trafiquer la filiation et trafiquer la filiation, c’est soustraire un homme à sa dignité de « fils d’homme ». Une telle vision sera largement contestée car nous nommons « avancées sociétales » ce qui est en réalité un véritable hold-up sur les sciences à des fins commerciales et nous couvrons des apparences de la générosité et de la lutte contre l’infertilité, un vaste trafic de semences humaines. Nous allons transposer à la semence humaine ce que nous savons faire avec les semences végétales (OGM), et, dans un cas comme dans l’autre, les expériences et les modifications ne rencontreront aucun frein. […]