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Pâques 2025 : une nouvelle soif de Dieu ?

Aymeric Pourbaix et Véronique Jacquier reçoivent :

  • Abbé Dedieu, curé de la Garenne-Colombes
  • Etienne DE PRÊMARE, responsable du catéchuménat de Toulouse
  • Tom FOUCHER, étudiant en histoire

Carlo ACUTIS : un saint pour le XXIe siècle

Dans les Belles figures de l’Histoire, Aymeric Pourbaix et Véronique Jacquier reçoivent l’abbé Vincent de Mello :

 

Terres de Mission : L’art chrétien n’est pas mort !

Pour ce dimanche de Pâques, “Terres de Mission” reçoit tour à tour deux personnes engagées dans la promotion de l’art chrétien, mais de façon très différente. Tout d’abord, Hubert de Torcy, président de Saje production, société dédiée à la distribution et à la production de films chrétiens, nous présente ses derniers films et les récents développements de sa société (qui vient notamment de sortir le premier films qu’elle a produit : “De mauvaise foi”).

Puis, Marie Nicolardot, jeune vitrailliste installée à Sablé-sur-Sarthe, près de Solesmes, nous présente ce métier traditionnel, qui est aussi une passion et qui connaît un regain de popularité.

 

Resurrexit sicut dixit alleluia

Commentaire de Dom Guéranger :

La nuit du Samedi au Dimanche voit enfin s’épuiser ses longues heures ; et le lever du jour est proche. Marie, le cœur oppressé, attend avec une courageuse patience le moment fortuné qui doit lui rendre son fils. Madeleine et ses compagnes ont veillé toute la nuit, et ne tarderont pas à se mettre en marche vers le saint tombeau. Au fond des limbes, l’âme du divin Rédempteur s’apprête à donner le signal du départ à ces myriades d’âmes justes si longtemps captives, qui l’entourent de leur respect et de leur amour. La mort plane en silence sur le sépulcre où elle retient sa victime. Depuis le jour où elle dévora Abel, elle a englouti d’innombrables générations ; mais jamais elle n’a tenu dans ses liens une si noble proie. Jamais la sentence terrible du jardin n’a reçu un si effrayant accomplissement ; mais aussi jamais la tombe n’aura vu ses espérances déjouées par un si cruel démenti. Plus d’une fois, la puissance divine lui a dérobé ses victimes : le fils de la veuve de Naïm, la fille du chef de la synagogue, le frère de Marthe et de Madeleine lui ont été ravis ; mais elle les attend à la seconde mort. Il en est un autre ce pendant, au sujet duquel il est écrit : « O mort, je sciai ta mort ; tombeau, je serai ta ruine. ». Encore quelques instants : les deux adversaires vont se livrer combat.

De même que l’honneur de la divine Majesté ne pouvait permettre que le corps uni à un Dieu attendît dans la poussière, comme celui des pécheurs, le moment où la trompette de l’Ange nous doit tous appeler au jugement suprême ; de même il convenait que les heures durant lesquelles la mort devait prévaloir fussent abrégées. « Cette génération perverse demande un prodige, avait dit le Rédempteur ; il ne lui en sera accordé qu’un seul : celui du prophète Jonas. » Trois jours de sépulture : la fin de la journée du Vendredi, la nuit suivante, le Samedi tout entier avec sa nuit, et les premières heures du Dimanche ; c’est assez : assez pour la justice divine désormais satisfaite : assez pour certifier la mort de l’auguste victime et pour assurer le plus éclatant des triomphes : assez pour le cœur désolé de la plus aimante des mères.

« Personne ne m’ôte la vie ; c’est moi-même qui la dépose ; j’ai le pouvoir de la quitter, et j’ai aussi celui de la reprendre ». Ainsi parlait aux Juifs le Rédempteur avant sa Passion : la mort sentira tout à l’heure la force de cette parole de maître. Le Dimanche, jour de la Lumière, commence à poindre ; les premières lueurs de l’aurore combattent déjà les ténèbres. Aussitôt l’âme divine du Rédempteur s’élance de la prison des limbes, suivie de toute la foule des âmes saintes qui l’environnaient. Elle traverse en un clin d’œil l’espace, et pénétrant dans le sépulcre, elle rentre dans ce corps qu’elle avait quitté trois jours auparavant au milieu des angoisses de l’agonie. Le corps sacré se ranime, se relève, et se dégage des linceuls, des aromates et des bandelettes dont il était entouré. Les meurtrissures ont disparu, le sang est revenu dans les veines ; et de ces membres lacérés par les fouets, de cette tête déchirée par les épines, de ces pieds et de ces mains perces par les clous, s’échappe une lumière éclatante qui remplit la caverne. Les saints Anges, qui adorèrent avec attendrissement l’enfant de Bethléhem, adorent avec tremblement le vainqueur du tombeau. Ils plient avec respect et déposent sur la pierre où le corps immobile reposait tout à l’heure, les linceuls dont la piété des deux disciples et des saintes femmes l’avait enveloppé.

Mais le Roi des siècles ne doit pas s’arrêter davantage sous cette voûte funèbre ; plus prompt que la lumière qui pénètre le cristal, il franchit l’obstacle que lui opposait la pierre qui fermait l’entrée de la caverne, et que la puissance publique avait scellée et entourée de soldats armés qui faisaient la garde. Tout est resté intact ; et il est libre, le triomphateur du trépas ; ainsi, nous disent unanimement les saints Docteurs, parut-il aux yeux de Marie dans l’étable, sans avoir fait ressentir aucune violence au sein maternel. Ces deux mystères de notre foi s’unissent, et proclament le premier et le dernier terme de la mission du Fils de Dieu : au début, une Vierge-Mère ; au dénouement, un tombeau scellé rendant son captif.

Le silence le plus profond règne encore, à ce moment où l’Homme-Dieu vient de briser le sceptre de la mort. Son affranchissement et le nôtre ne lui ont coûté aucun effort. O Mort ! Que reste-t-il maintenant de ton empire ? Le péché nous avait livrés à toi ; tu te reposais sur ta conquête ; et voici que ta défaite est au comble. Jésus, que tu étais si fière de tenir sous ta cruelle loi, t’a échappé ; et nous tous, après que tu nous auras possédés, nous t’échapperons aussi. Le tombeau que tu nous creuses deviendra notre berceau pour une vie nouvelle ; carton vainqueur est le premier-né entre les morts ; et c’est aujourd’hui la Pâque, le Passage, la délivrance, pour Jésus et pour tous ses frères. La route qu’il a frayée, nous la suivrons tous ; et le jour viendra où toi qui détruis tout, toi l’ennemie, tu seras anéantie à ton tour par le règne de l’immortalité. Mais dès ce moment nous contemplons ta défaite, et nous répétons, pour ta honte, ce cri du grand Apôtre : « O Mort, qu’est devenue ta victoire ? Qu’as-tu fait de ton glaive ? Un moment tu as triomphé, et te voilà engloutie dans ton triomphe. »

Mais le sépulcre ne doit pas rester toujours scellé ; il faut qu’il s’ouvre, et qu’il témoigne au grand jour que celui dont le corps inanimé l’habita quelques heures l’a quitté pour jamais. Soudain la terre tremble, comme au moment où Jésus expirait sur la croix, mais ce tressaillement du globe n’indique plus l’horreur ; il exprime l’allégresse. L’Ange du Seigneur descend du ciel ; il arrache la pierre d’entrée, et s’assied dessus avec majesté ; une robe éblouissante de blancheur est son vêtement, et ses regards lancent des éclairs. A son aspect, les gardes tombent par terre épouvantés ; ils sont là comme morts, jusqu’à ce que la bonté divine apaisant leur terreur, ils se relèvent, et, quittant ce lieu redoutable, se dirigent vers la ville, pour rendre compte de ce qu’ils ont vu.

Cependant Jésus ressuscité, et dont nulle créature mortelle n’a encore contemplé la gloire, a franchi l’espace, et en un moment il s’est réuni à sa très sainte Mère. Il est le Fils de Dieu, il est le vainqueur de la mort ; mais il est aussi le fils de Marie. Marie a assisté près de lui jusqu’à la fin de son agonie ; elle a uni le sacrifice de son cœur de mère à celui qu’il offrait lui-même sur la croix ; il est donc juste que les premières joies de la résurrection soient pour elle. Le saint Évangile ne raconte pas l’apparition du Sauveur à sa Mère, tandis qu’il s’étend sur toutes les autres ; la raison en est aisée à saisir. Les autres apparitions avaient pour but de promulguer le fait de la résurrection ; celle-ci était réclamée par le cœur d’un fils, et d’un fils tel que Jésus. La nature et la grâce exigeaient à la fois cette entrevue première, dont le touchant mystère fait les délices des âmes chrétiennes. Elle n’avait pas besoin d’être consignée dans le livre sacré ; la tradition des Pères, à commencer par saint Ambroise, suffisait à nous la transmettre, quand bien même nos cœurs ne l’auraient pas pressentie ; et lorsque nous en venons à nous demander pour quelle raison le Sauveur, qui devait sortir du tombeau le jour du Dimanche, voulut le faire dès les premières heures de ce jour, avant même que le soleil eût éclairé l’univers, nous adhérons sans peine au sentiment des pieux et savants auteurs qui ont attribué cette hâte du Fils de Dieu à l’empressement qu’éprouvait son cœur, de mettre un terme à la douloureuse attente de la plus tendre et de la plus affligée des mères.

Quelle langue humaine oserait essayer de traduire les épanchements du Fils et de la Mère, à cette heure tant désirée ? Les yeux de Marie, épuisés de pleurs et d’insomnie, s’ouvrant tout à coup à la douce et vive lumière qui lui annonce l’approche de son bien-aimé ; la voix de Jésus retentissant à ses oreilles, non plus avec l’accent douloureux qui naguère descendait de la croix et transperçait comme d’un glaive son cœur maternel, mais joyeuse et tendre, comme il convient à un fils qui vient raconter ses triomphes à celle qui lui a donné le jour ; l’aspect de ce corps qu’elle recevait dans ses bras, il y a trois jours, sanglant et inanimé. maintenant radieux et plein de vie, lançant comme les reflets de la divinité à laquelle il est uni ; les caresses d’un tel fils, ses paroles de tendresse, ses embrassements qui sont ceux d’un Dieu ; pour rendre cette scène sublime, nous n’avons que le mot du pieux abbé Rupert, qui nous dépeint l’effusion de joie dont le cœur de Marie se trouve alors rempli, comme un torrent de bonheur qui l’enivre et lui enlève le sentiment des douleurs si poignantes qu’elle a ressenties.

Toutefois cette invasion des délices que le Fils divin avait préparées à sa mère ne fut pas aussi subite que les paroles de ce dévot auteur du XIIe siècle nous donneraient à l’entendre. Notre Seigneur a bien voulu décrire lui-même cette ineffable scène dans une révélation qu’il fit à la séraphique vierge sainte Thérèse. Il daigna lui confier que l’accablement de la divine Mère était si profond, qu’elle n’eût pas tardé à succomber à son martyre, et que lorsqu’il se montra à elle au moment où il venait de sortir du tombeau, elle eut besoin de quelques moments pour revenir à elle-même avant d’être en état de goûter une telle joie ; et le Seigneur ajoute qu’il resta longtemps auprès d’elle, parce que cette présence prolongée lui était nécessaire.

Nous, chrétiens, qui aimons notre Mère, qui l’avons vue sacrifier pour nous son propre fils sur le Calvaire, partageons d’un cœur filial la félicité dont Jésus se plaît à la combler en ce moment, et apprenons en même temps à compatir aux douleurs de son cœur maternel. C’est ici la première manifestation de Jésus ressuscité : récompense de la foi qui veilla toujours au cœur de Marie, pendant même la sombre éclipse qui avait duré trois jours. Mais il est temps que le Christ se montre à d’autres, et que la gloire de sa résurrection commence à briller sur le monde. Il s’est fait voir d’abord à celle de toutes les créatures qui lui était la plus chère, et qui seule était digne d’un tel bonheur ; maintenant, dans sa bonté, il va récompenser, par sa vue pleine de consolation, les âmes dévouées qui sont demeurées fidèles à son amour, dans un deuil trop humain peut-être, mais inspiré par une reconnaissance que ni la mort, ni le tombeau n’avaient découragée.

Hier, Madeleine et ses compagnes, lorsque le coucher du soleil vint annoncer que, selon l’usage des Juifs, le grand Samedi faisait place au Dimanche, sont allées par la ville acheter des parfums, pour embaumer de nouveau le corps de leur cher maître, aussitôt que la lumière du jour leur permettra d’aller lui rendre ce pieux devoir. La nuit s’est passée sans sommeil ; et les ombres ne sont pas encore totalement dissipées, que Madeleine, avec Marie, mère de Jacques, et Salomé, est déjà sur le chemin qui conduit au Calvaire, près duquel est le sépulcre où repose Jésus. Dans leur préoccupation, elles ne s’étaient pas même demandé quels bras elles emploieraient pour déranger la pierre qui ferme l’entrée de la grotte ; moins encore ont-elles songé au sceau de la puissance publique qu’il faudrait auparavant briser, et aux gardes qu’elles vont rencontrer près du tombeau. Aux premiers rayons du jour, elles arrivent au terme de leur pieux voyage ; et la première chose qui frappe leurs regards, c’est la pierre qui fermait l’entrée, ôtée de sa place, et laissant pénétrer le regard dans les profondeurs de la chambre sépulcrale. L’Ange du Seigneur, qui avait eu mission de déranger cette pierre et qui s’était assis dessus comme sur un trône, ne les laisse pas longtemps dans la stupeur qui les a saisies : « Ne craignez pas, leur dit-il ; je sais que vous cherchez Jésus ; il n’est plus ici ; il est ressuscité, comme il l’avait dit ; pénétrez vous-mêmes dans le tombeau, et reconnaissez la place où il a reposé. »

C’était trop pour ces âmes que l’amour de leur maître transportait, mais qui ne le connaissaient pas encore par l’esprit. Elles demeurent « consternées », nous dit le saint Évangile. C’est un mort qu’elles cherchent, un mort chéri ; on leur dit qu’il est ressuscité ; et cette parole ne réveille chez elles aucun souvenir. Deux autres Anges se présentent à elles dans la grotte tout illuminée de l’éclat qu’ils répandent. Éblouies de cette lumière inattendue, Madeleine et ses compagnes, nous dit saint Luc, abaissent vers la terre leurs regards mornes et étonnés. « Pourquoi cherchez-vous chez les morts, leur disent les Anges, celui qui est vivant ? Rappelez-vous donc ce qu’il vous disait en Galilée : qu’il serait crucifié, et que, le troisième jour, il ressusciterait. » Ces paroles font quelque impression sur les saintes femmes ; et au milieu de leur émotion, un léger souvenir du passé semble renaître dans leur mémoire. « Allez donc, continuent les Anges ; dites aux disciples et à Pierre qu’il est ressuscité, et qu’il les devancera en Galilée. »

Elles sortent en hâte du tombeau et se dirigent vers la ville, partagées entre la terreur et un sentiment de joie intérieure qui les pénètre comme malgré elles. Cependant elles n’ont vu que les Anges, et un sépulcre ouvert et vide. A leur récit, les Apôtres, loin de se laisser aller à la confiance, attribuent, nous dit encore saint Luc, à l’exaltation d’un sexe faible tout ce merveilleux qu’elles s’accordent à raconter. La résurrection prédite si clairement, et à plusieurs reprises, par leur maître, ne leur revient pas non plus en mémoire. Madeleine s’adresse en particulier à Pierre et à Jean ; mais que sa foi à elle est faible encore ! Elle est partie pour embaumer le corps de son cher maître, et elle ne l’a pas trouvé ; sa déception douloureuse s’épanche encore devant les deux Apôtres : « Ils ont enlevé, dit-elle, le Seigneur du tombeau ; et nous ne savons pas où ils l’ont mis. »

Pierre et Jean se déterminent à se rendre sur le lieu. Ils pénètrent dans la grotte ; ils voient les linceuls disposés en ordre sur la table de pierre qui a reçu le corps de leur maître ; mais les Esprits célestes qui font la garde ne se montrent point à eux. Jean cependant, et c’est lui-même qui nous en rend témoignage, reçoit en ce moment la foi : désormais il croit à la résurrection de Jésus. Nous ne faisons que passer rapidement sur des récits que nous aurons occasion de méditer plus tard, lorsque la sainte Liturgie les ramènera sous nos yeux. En ce moment, il s’agit seulement de suivre dans leur ensemble les événements de ce jour, le plus grand des jours.

Jusqu’à cette heure, Jésus n’a encore apparu qu’à sa Mère : les femmes n’ont vu que des Anges qui leur ont parlé. Ces bienheureux Esprits leur ont commandé d’aller annoncer la résurrection de leur maître aux disciples et à Pierre. Elles ne reçoivent pas cette commission pour Marie ; il est aisé d’en saisir la raison : le fils s’est déjà réuni a sa mère ; et la mystérieuse et touchante entrevue se poursuit encore durant ces préludes. Mais déjà le soleil brille de tous ses feux, et les heures de la matinée avancent : c’est l’Homme-Dieu qui va proclamer lui-même le triomphe que le genre humain vient de remporter en lui sur la mort. Suivons avec un saint respect l’ordre de ces manifestations, et efforçons-nous respectueusement d’en découvrir les mystères. Madeleine, après le retour des deux Apôtres, n’a pu résister au désir de visiter de nouveau la tombe de son maître. La pensée de ce corps qui a disparu, et qui, peut-être, devenu le jouet des ennemis de Jésus, git sans honneurs et sans sépulture, tourmente son âme ardente et bouleversée. Elle est repartie, et bientôt elle arrive à la porte du sépulcre. Là, dans son inconsolable douleur, elle se livre a ses sanglots ; puis bientôt, se penchant vers l’intérieur de la grotte, elle aperçoit les deux Anges assis chacun à une des extrémités de la table de pierre sur laquelle le corps de Jésus fut étendu sous ses veux. Elle ne les interroge pas ; ce sont eux qui lui parlent : « Femme, disent-ils, pourquoi pleures-tu ? » — « Ils ont enlevé mon maître, et je ne sais où ils l’ont mis. » Et après ces paroles, elle sort brusquement du sépulcre, sans attendre la réponse des Anges. Tout à coup, à l’entrée de la grotte, elle se voit en face d’un homme, et cet homme est Jésus. Madeleine ne le reconnaît pas ; elle est à la recherche du corps mort de son maître ; elle veut l’ensevelir de nouveau. L’amour la transporte, mais la foi n’éclaire pas cet amour ; elle ne sent pas que celui dont elle cherche la dépouille inanimée est là, vivant, près d’elle.

Jésus, dans son ineffable condescendance, daigne lui faire entendre sa voix : « Femme, lui dit-il, pourquoi pleures-tu ? Que cherches-tu ? » Madeleine n’a pas reconnu cette voix ; son cœur est comme engourdi par une excessive et aveugle sensibilité ; elle ne connaît pas encore Jésus par l’esprit. Ses veux se sont pourtant arrêtés sur lui ; mais son imagination qui l’entraîne lui fait voir dans cet homme le jardinier chargé de cultiver le jardin qui entoure le sépulcre. Peut-être, se dit-elle, est-ce lui qui a dérobé le trésor que je cherche ; et sans réfléchir plus longtemps, elle s’adresse à lui-même sous cette impression : « Seigneur, dit-elle humblement à l’inconnu, si c’est vous qui l’avez enlevé, dites-moi où vous l’avez mis, et je vais l’emporter. » C’était trop pour le cœur du Rédempteur des hommes, pour celui qui daigna louer hautement chez le Pharisien l’amour de la pauvre pécheresse ; il ne peut plus tarder à récompenser cette naïve tendresse ; il va l’éclairer. Alors, avec cet accent qui rappelle à Madeleine tant de souvenirs de divine familiarité, il parle ; mais il ne dit que ce seul mot : « Marie ! » — « Cher maître ! » répond avec effusion l’heureuse et humble femme, illuminée tout à coup des splendeurs du mystère. Elle s’élance, et voudrait coller ses lèvres à ces pieds sacrés, dans l’embrassement desquels elle reçut autrefois son pardon. Jésus l’arrête ; le moment n’est pas venu de se livrer à de tels épanchements. Il faut que Madeleine, premier témoin de la résurrection de l’Homme-Dieu, soit élevée, pour prix de son amour, au plus haut degré de l’honneur. Il ne convient pas que Marie révèle à d’autres les secrets sublimes de son cœur maternel ; c’est à Madeleine de témoigner de ce qu’elle a vu, de ce qu’elle a entendu dans le jardin. C’est elle qui sera, comme disent les saints Docteurs, l’Apôtre des Apôtres eux-mêmes. Jésus lui dit : « Va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon Père et le leur, vers mon Dieu et le leur. »

Telle est la seconde apparition de Jésus ressuscité, l’apparition à Marie-Madeleine, la première dans l’ordre du témoignage. Nous la méditerons de nouveau, le jour où la sainte Église nous donnera à lire le passage de saint Jean où elle est rapportée. Mais adorons dès ce moment l’infinie bonté du Seigneur, qui, avant de songer à établir la foi de sa résurrection dans ceux qui devaient la prêcher jusqu’aux extrémités du monde, daigne d’abord récompenser l’amour de cette femme qui l’a suivi jusqu’à la croix, jusqu’au-delà du tombeau, et qui, étant plus redevable que les autres, a su aussi aimer plus que les autres. En se montrant d’abord à Madeleine, Jésus a voulu satisfaire avant tout l’amour de son cœur divin pour la créature, et nous apprendre que le soin de sa gloire ne vient qu’après.

Madeleine, empressée de remplir l’ordre de son maître, se dirige vers la ville et ne tarde pas à se trouver en présence des disciples. « J’ai vu le Seigneur, leur dit-elle, et il m’a dit ceci. » Mais la foi n’est pas encore entrée dans leurs âmes ; le seul Jean a reçu ce don au sépulcre, bien que ses yeux n’aient vu que le tombeau désert. Souvenons-nous qu’après avoir fui comme les autres, il s’est retrouvé au Calvaire pour recevoir le dernier soupir de Jésus, et que là il est devenu le fils adoptif de Marie.

Cependant les compagnes de Madeleine, Marie mère de Jacques, et Salomé, qui l’ont suivie de loin sur la route du saint tombeau, reviennent seules à Jérusalem. Soudain Jésus se présente à leurs regards, et arrête leur marche lente et silencieuse. « Je vous salue », leur dit-il. A cette parole leur cœur se fond de tendresse et d’admiration elles se précipitent avec ardeur à ses pieds sacrés, elles les embrassent, et lui prodiguent leurs adorations. C’est la troisième apparition du Sauveur ressuscité, moins intime mais plus familière que celle dont Madeleine fut favorisée. Jésus n’achèvera pas la journée sans se manifester à ceux qui son appelés à devenir les hérauts de sa gloire : mais il veut, avant tout, honorer aux yeux de tous les siècles à venir ces généreuses femmes qui, bravant le péril et triomphant de la faiblesse de leur sexe, l’ont consolé sur la croix par une fidélité qu’il ne rencontra pas dans ceux qu’il avait choisis et comblés de ses faveurs. Autour de la crèche où il se montrait pour la première fois aux hommes, il convoqua de pauvres bergers par la voix des Anges, avant d’appeler les rois par le ministère d’un astre matériel ; aujourd’hui qu’il est arrivé au comble de sa gloire, qu’il a mis par sa résurrection le sceau à toutes ses œuvres et rendu certaine sa divine origine, en assurant notre foi par le plus irréfragable de tous les prodiges, il attend, avant d’instruire et d’éclairer ses Apôtre que d’humbles femmes aient été par lui instruites, consolées, comblées enfin des marques de son amour. Quelle grandeur dans cette conduite si suave et si forte du Seigneur notre Dieu, et qu’il a raison de nous dire par le Prophète : « Mes pensée ne sont pas vos pensées ! »

S’il eût été à notre disposition d’ordonner les circonstances de sa venue en ce monde, quel bruit n’eussions-nous pas fait pour appeler le genre humain tout entier, rois et peuples, autour de son berceau ? Avec quel fracas eussions-nous promulgué devant toutes les nations le miracle des miracles, la Résurrection du crucifie, la mort vaincue et l’immortalité reconquise ? Le Fils de Dieu, qui est « la Force et la Sagesse du Père », s’y est pris autrement. Au moment de sa naissance, il n’a voulu pour premiers adorateurs que des hommes simples et rustiques, dont les récits ne devaient pas retentir au-delà des confins de Bethléhem ; et voilà qu’aujourd’hui la date de cette naissance est l’ère de tous les peuples civilisée. Pour premiers témoins de sa Résurrection, il n’a voulu que de faibles femmes ; et voilà qu’en ce jour même, à l’heure où nous sommes, la terre entière célèbre l’anniversaire de cette Résurrection ; tout est remué, un élan inconnu le reste de l’année se fait sentir aux plus indifférents ; l’incrédule qui coudoie le croyant sait du moins que c’est aujourd’hui Pâques ; et du sein même des nations infidèles, d’innombrables voix chrétiennes s’unissent aux nôtres, afin que s’élève de tous les points du globe vers notre divin ressuscite l’acclamation joyeuse qui nous réunit tous en un seul peuple, le divin Alléluia. « O Seigneur », devons-nous nous écrier avec Moïse, quand le peuple élu célébra la première Pâque et traversa à pied sec la mer Rouge, « ô Seigneur, qui d’entre les forts est semblable à vous ? »

Suspendons le récit des événements de cette solennelle journée, et n’anticipons pas sur les heures. Il est temps de s’unir à la sainte Église qui, après avoir consacré la plus grande partie de la nuit à l’enfantement du nouveau peuple qui lui est né, s’apprête à rendre au Seigneur le tribut accoutumé de sa louange.

Víctimæ pascháli laudes ímmolent Christiáni

Sequentia. Séquence.
Víctimæ pascháli laudes ímmolent Christiáni. A la victime pascale, que les Chrétiens immolent des louanges.
Agnus rédemit oves : Christus ínnocens Patri reconciliávit peccatóres. L’Agneau a racheté les brebis : le Christ innocent a réconcilié les pécheurs avec son Père.
Mors et vita duéllo conflixére mirándo : dux vitæ mórtuus regnat vivus. La vie et la mort se sont affronté en un duel prodigieux : l’Auteur de la vie était mort, il règne vivant.
Dic nobis, María, quid vidísti in via ? Dis-nous, Marie, qu’as-tu vu en chemin ?
Sepúlcrum Christi vivéntis et glóriam vidi resurgéntis. J’ai vu le tombeau du Christ vivant, et la gloire du ressuscité.
Angélicos testes, sudárium et vestes. J’ai vu les témoins angéliques, le suaire et les linceuls.
Surréxit Christus, spes mea : præcédet vos in Galilǽam. Il est ressuscité, le Christ, mon espérance : il vous précèdera en Galilée.
Scimus Christum surrexísse a mórtuis vere : tu nobis, victor Rex, miserére. Amen. Allelúia. Nous le savons : le Christ est ressuscité des morts : ô Vous, Roi vainqueur, ayez pitié de nous. Amen. Alléluia.

Exultet !

PRÆCONIUM PASCHALE
ANNONCE DE LA PÂQUE (EXULTET)
Exsúltet iam Angélica turba cælórum : exsúltent divína mystéria : et pro tanti Regis victória tuba ínsonet salutáris. Gáudeat et tellus tantis irradiáta fulgóribus : et ætérni Regis splendóre illustráta, totíus orbis se séntiat amisísse calíginem. Lætétur et mater Ecclésia, tanti lúminis adornáta fulgóribus : et magnis populórum vócibus hæc aula resúltet. Quaprópter astántes vos, fratres caríssimi, ad tam miram huius sancti lúminis claritátem, una mecum, quæso, Dei omnipoténtis misericórdiam invocáte. Ut, qui me non meis méritis intra Levitárum númerum dignatus est aggregáre : lúminis sui claritátem infúndens, Cérei huius laudem implére perfíciat. Per Dominum nostrum Iesum Christum, Fílium suum : qui cum eo vivit et regnat in unitáte Spíritus Sancti Deus : Per omnia sǽcula sæculórum. Que déjà les chœurs des Anges tressaillent d’allégresse dans les cieux, que les divins mystères soient célébrés avec joie et que la trompette sacrée résonne pour saluer la victoire du Grand Roi. Que la terre baignée des lueurs d’un tel triomphe se réjouisse, et qu’illuminée de la splendeur du Roi éternel elle comprenne que le monde entier est dégagé des ténèbres. Que l’Église, notre Mère, entourée des rayons d’une si grande lumière se réjouisse et que ce temple retentisse de la grande voix des peuples. C’est pourquoi, très chers frères, qui êtes ici présents pour partager la splendeur si admirable de cette sainte lumière, je vous supplie de vous unir à moi pour invoquer la miséricorde du Dieu tout-puissant, afin qu’après m’avoir agréé au nombre de ses Lévites sans aucun mérite de ma part, il m’envoie un rayon de sa lumière et m’accorde la grâce de chanter dignement la louange de ce Cierge. Par Notre-Seigneur Jésus-Christ. son Fils qui, étant Dieu, vit et règne avec lui dans l’unité du Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles.
R/. Amen. R/. Ainsi soit-il.
V/. Dóminus vobíscum. V/. Le Seigneur soit avec vous.
R/. Et cum Spíritu tuo. R/. Et avec votre esprit.
V/. Sursum corda. V/. Élevez vos cœurs.
R/. Habémus ad Dóminum. R/. Nous les tenons vers le Seigneur.
V/. Grátias agámus Dómino Deo nostro. V/. Rendons grâces à Dieu notre Seigneur.
R/. Dignum et iustum est. R/. Il est juste et digne de le faire.
Vere dignum et iustum est, invisibilem Deum Patrem omnipoténtem, Filiúmque eius unigénitum, Dominum nostrum Iesum Christum, toto cordis ac mentis afféctu et vocis ministério personáre. Qui pro nobis ætérno Patri Adæ débitum solvit : et véteris piáculi cautiónem pio cruóre detérsit. Hæc sunt enim festa paschália, in quibus verus ille Agnus occíditur, cuius sánguine postes fidelium consecrántur. Hæc nox est, in qua primum patres nostros, fílios Israël edúctos de Ægýpto, Mare Rubrum sicco vestígio transire fecísti. Hæc ígitur nox est, quæ peccatórum ténebras colúmnæ illuminatióne purgávit. Hæc nox est, quæ hódie per univérsum mundum in Christo credéntes, a vítiis sǽculi et calígine peccatórum segregátos, reddit grátiæ, sóciat sanctitáti. Hæc nox est, in qua, destrúctis vínculis mortis, Christus ab ínferis victor ascéndit. Nihil enim nobis nasci prófuit, nisi rédimi profuísset. O mira circa nos tuæ pietátis dignátio ! O inæstimábilis diléctio caritátis : ut servum redimeres, Fílium tradidísti ! O certe necessárium Adæ peccátum, quod Christi morte delétum est ! O felix culpa, quæ talem ac tantum méruit habére Redemptórem ! O vere beáta nox, quæ sola méruit scire tempus et horam, in qua Christus ab ínferis resurréxit ! Hæc nox est, de qua scriptum est : Et nox sicut dies illuminábitur : Et nox illuminátio mea in deliciis meis. Huius ígitur sanctificátio noctis fugat scélera, culpas lavat : et reddit innocéntiam lapsis et mæstis lætítiam. Fugat ódia, concórdiam parat et curvat imperia. Il est véritablement juste et équitable de chanter de tout notre cœur et de toute notre âme le Dieu invisible, Père tout-puissant et son Fils unique notre Seigneur Jésus-Christ. C’est lui qui, pour nous, a payé au Père éternel la dette d’Adam, et a effacé par ses souffrances la rançon de l’antique péché. Voici en effet ces fêtes pascales pendant lesquelles a été immolé l’Agneau, véritable dont le sang consacre les portes des fidèles. C’est cette nuit dans laquelle vous avez fait traverser à pied sec la Mer Rouge à nos pères, les enfants d’Israël, sortant de l’Égypte. C’est donc cette nuit qui a extirpé les ténèbres des péchés par l’illumination de la colonne de feu. C’est cette nuit qui, dans tout le monde arrachant aux vices du siècle et aux ténèbres du péché, ceux qui croient au Christ, les a aujourd’hui rendus à la grâce et réunis aux saints. C’est cette nuit, dans laquelle le Christ est remonté victorieux des enfers après avoir rompu les liens de la mort ; car rien en effet ne nous eût servi de naître si nous n’avions été rachetés. Ô combien admirable votre bonté envers nous ! Ô incompréhensible dilection de votre charité par laquelle vous avez livré votre Fils pour racheter l’esclave ! Ô nécessité du péché d’Adam qui a été effacé par la mort du Christ ! Ô heureuse faute qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur. Ô nuit vraiment bienheureuse qui seule a connu le temps et l’heure en lesquels le Christ est ressuscité des enfers. C’est cette nuit de laquelle il est écrit : La nuit sera illuminée comme le jour, la nuit sera illuminée pour éclairer mes délices. C’est pourquoi la sainteté de cette nuit efface les crimes, lave les fautes, et rend l’innocence aux coupables, la joie aux affligés. Elle dissipe les haines, rétablit la concorde et assujettit les empires.
In huius ígitur noctis grátia, súscipe, sancte Pater, incénsi huius sacrifícium vespertínum : quod tibi in hac Cérei oblatióne sollémni, per ministrórum manus de opéribus apum, sacrosancta reddit Ecclésia. Sed iam colúmnæ huius præconia nóvimus, quam in in honórem Dei rútilans ignis accéndit. C’est pourquoi, en cette nuit de grâce, recevez, Père saint, l’encens de ce sacrifice du soir, que la sainte Église vous offre par les mains de ses ministres dans l’oblation solennelle de ce Cierge, œuvre des abeilles. Mais déjà nous connaissons la gloire de cette colonne de cire qu’une flamme éclatante va faire brûler en l’honneur de Dieu.
Qui licet sit divísus in partes, mutuáti tamen lúminis detriménta non novit. Alitur enim liquántibus ceris, quas in substántiam pretiósæ huius lámpadis apis mater edúxit. O vere beata nox, quæ exspoliávit Ægýptios, ditávit Hebrǽos ! Nox, in qua terrenis cæléstia, humánis divína iungúntur. Cependant cette lumière, bien qu’elle soit divisée en parties, n’est aucunement diminuée en se communiquant ; en : effet elle est alimentée par la cire que la mère abeille a produite pour former la substance précieuse de cette lampe. Ô nuit vraiment bienheureuse, qui a spolié les Égyptiens et enrichi les Hébreux ! Nuit dans laquelle le ciel est lié à la lierre, les choses divines sont unies aux choses humaines !
Orámus ergo te, Dómine : ut Céreus iste in honórem tui nóminis consecrátus, ad noctis huius calíginem destruéndam, indefíciens persevéret. Et in odórem suavitátis accéptus, supérnis lumináribus misceátur. Flammas eius lúcifer matutínus invéniat. Ille, inquam, lúcifer, qui nescit occásum. Ille, qui regréssus ab ínferis, humáno géneri serénus illúxit. Precámur ergo te, Dómine : ut nos fámulos tuos, omnémque clerum, et devotíssimum pópulum : una cum beatíssimo Papa nostro N. …, et Antístite nostro N. …, quiéte témporum concéssa, in his paschalibus gáudiis, assídua protectióne régere, gubernáre et conserváre digneris. Réspice étiam ad eos qui nos in potestáte regut, et, ineffábili pietátis et misericórdiæ tuæ múnere, dírige cogitatiónes eórum ad iustítiam et pacem, et de terréna operositáte ad cæléstem patriam pervéniant com omni pópulo tuo. Per eúndem Dóminum nostrum Iesum Christum, Fílium tuum : Qui tecum vivit et regnat in unitáte Spíritus Sancti Deus : per ómnia sǽcula sæculórum. C’est pourquoi, nous vous prions, Seigneur, afin que ce Cierge consacré en l’honneur de votre nom brûle sans cesse pour dissiper les ténèbres de cette nuit. Que sa lumière, reçue comme un suave parfum, se mêle aux lumières célestes. Que l’Étoile du matin trouve encore sa lumière ; cette Étoile, dis-je, qui ne connaît pas de soir, celle qui sortie des ténèbres, éclaire de sa lumière sereine le genre, humain. Maintenant donc, nous vous supplions, Seigneur, de vouloir nous assister, par votre continuelle protection, nous gouverner et nous conduire, nous vos serviteurs, tout le clergé et tout le peuple chrétien avec notre très saint Père le Pape N. et notre Évêque N. et de nous accorder la paix dans ces joies pascales. Daignez aussi regarder favorablement ceux qui ont autorité pour nous gouverner, et par le don ineffable de votre miséricorde et de votre bonté, orientez leur pensée vers la justice et vers la paix, pour que des labeurs de cette terre ils parviennent avec tout votre peuple à la patrie du ciel. Par le même Notre-Seigneur Jésus-Christ, votre Fils, qui, avec vous, vit et règne en l’unité du Saint-Esprit dans tous les siècles des siècles.
R/. Amen. R/. Ainsi soit-il.

Le cierge pascal

Le cierge
Je suis né d’un grand feu, au milieu de la nuit,
Contemplé par les yeux des croyants réunis,
Appelé par les vœux qu’ils portaient enfouis,
Je suis né tout joyeux d’être ainsi accueilli.

Je portais sur mon corps les clous de la passion,
Gravé de rouge et d’or, l’année de ma mission.
Un brandon m’enflamma, et je fus emporté,
Brandi à bout de bras, par un clerc exalté.

Fier de mon service, je me tenais bien droit,
Au cœur de l’édifice, planté comme la croix,
Heureux à chaque office, ému aussi parfois,
Des ferveurs de novice, des suppliques des rois.

D’un élan généreux, je brûlais sans prévoir,
Ainé de ces cireux fondant sur leur bougeoir,
Tant d’ardeur juvénile, de clartés dérisoires,
Sans idée du péril, sans crainte du grand soir.

Ainsi me retrouvai-je, saisi par la surprise,
A la saison des neiges et des glaciales bises,
Sans éclat, sans vigueur, ayant perdu aussi,
Ma place, ma hauteur, et ma suprématie.

Je n’étais plus qu’un cierge, une simple bougie,
Brulant près d’une Vierge, sans grande liturgie.
Un bougeoir d’argile est une humble patène
D’où ma flamme fragile élevait toutes peines.

Quand viendra me couvrir l’obscurité épaisse,
Les yeux tournés vers Vous, ô mère de tendresse
Je voudrais Vous offrir Notre Dame de France,
Dans un souffle, un soupir, l’ultime révérence.

Pâques 2024
Emmanuel Rousseau

Cet article est une tribune libre, non rédigée par la rédaction du Salon beige. Si vous souhaitez, vous aussi, publier une tribune libre, vous pouvez le faire en cliquant sur « Proposer un article » en haut de la page.

Victoire du Syndicat de la Famille contre la GPA

Le salon Wish for a baby (ex- « Désir d’enfant ») vient d’annoncer l’arrêt de son événement annuel à Paris. C’est une grande victoire pour le Syndicat de la Famille qui s’est mobilisé avec détermination depuis 2020 pour dénoncer ce salon qui faisait la promotion commerciale de la GPA en plein centre de Paris.

« Wish for a baby a déménagé à Bruxelles ! Nous ne serons plus présents à Paris. » Ce message diffusé ce 16 avril par newsletter par les organisateurs du salon confirme la nécessité de rester déterminé et engagé dans la lutte contre la GPA et toute forme d’exploitation humaine. Chaque année, depuis 2020, le Syndicat de la Famille multiplie les actions pour atteindre cet objectif.

Un cocktail d’actions

Pour obtenir l’arrêt de ce salon de la honte dont certains exposants faisaient ouvertement la promotion de l’exploitation reproductrice à travers la GPA, la vente d’embryons et de gamètes, et certaines formes de PMA interdites en France (PMA avec sélection génétique et choix du sexe, ROPA[1], PMA post-mortem…), le Syndicat de la Famille a organisé tous les ans des actions militantes : manifestations, actions coup de poing et opérations de collage. La mobilisation était complétée par une présence physique aux abords du salon pour tracter et sensibiliser les visiteurs sur la réalité de la GPA et les souffrances qu’elle entraîne sur les femmes et les enfants qui en sont les victimes directes. Le terrain judiciaire a aussi été occupé par Le Syndicat de la Famille qui a poursuivi les organisateurs, mais aussi les propriétaires des lieux qui se rendaient coupables de complicité « d’entremise en vue de la GPA ».

C’est sans doute ce explique que les salons 2023 et 2024 ne se sont plus tenus à l’Espace Champerret, mais à l’Espace Charenton, que Le Syndicat de la Famille a ensuite poursuivi. Enfin, des opérations systématiques d’infiltration et de caméra cachée menées par Le Syndicat de la Famille ont suscité l’intérêt des médias qui ont à leur tour multiplié les reportages dénonçant la promotion commerciale indigne et illégale de la GPA effectué par des exposants du salon. C’est ce cocktail d’actions, menées dans la durée avec ténacité par les militants du Syndicat de la Famille, qui permet d’obtenir aujourd’hui cette victoire. Le Syndicat de la Famille travaille d’ores et déjà à une mobilisation contre le salon qui se tiendra encore à Bruxelles.

Une vigilance de chaque instant

Le marché de la GPA étant aussi lucratif qu’inhumain, les promoteurs de cette pratique ne vont pas en rester là. Le Syndicat de la Famille reste particulièrement mobilisé sur ce combat essentiel pour défendre les droits et la dignité des femmes et des enfants. Les organisateurs d’événements commerciaux, parfois organisés avec le soutien et la complicité d’associations ouvertement militantes pro-GPA, doivent continuer à faire l’objet d’une surveillance renforcée. Si la lutte contre cette exploitation inhumaine n’a pas sa place en France, elle doit aussi être chassée partout dans le monde.

La dignité des femmes et des enfants n’a pas de frontière ni de couleur de peau. C’est pourquoi l’interdiction de la GPA en France doit aussi s’appliquer dans tous les pays. Le Syndicat de la Famille renouvelle son appel à l’abolition universelle de la GPA, seule voie pour en finir avec cette pratique ignoble qui consiste à faire produire par les femmes des enfants au profit de tiers. L’arrêt du salon Wish for a baby en France est l’occasion pour le gouvernement de mettre en pratique ses engagements en prenant une initiative forte au niveau diplomatique et international contre la GPA, annoncée il y a une dizaine d’années. Il faut désormais passer aux actes politiques en s’appuyant sur les victoires militantes.

« L’arrêt du salon Wish for a baby qui faisait la promotion commerciale de la GPA en plein cœur de Paris est un grand soulagement. Cette victoire est le fruit d’une mobilisation durable, année après année, et confirme la nécessité de s’engager pour une société plus juste et plus respectueuse de la famille et de la filiation » résume Ludovine de La Rochère, Présidente du Syndicat de la Famille. « C’est une récompense pour tous les militants du Syndicat de la Famille qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour voir se fermer définitivement les portes de ce salon de la honte ».

Samedi Saint : silence et mystère de la rédemption

SOURCE : https://leconservateur-media.fr/2025/04/18/samedi-saint-silence-et-mystere-de-la-redemption/

LE SAMEDI SAINT : SILENCE SACRÉ ET MYSTÈRE DE LA DESCENTE AUX ENFERS

Approche doctrinale et liturgique selon la tradition catholique

Le Samedi Saint, placé dans le triduum sacré entre le Vendredi de la Passion et le Dimanche de la Résurrection, revêt une signification profondément théologique, liturgique et mystique. Ce jour, souvent méconnu ou négligé dans la ferveur des grandes célébrations, est pourtant un pivot silencieux de l’économie du salut.

À la lumière de la doctrine catholique et de la Tradition immémoriale de l’Église, il convient d’en rappeler la nature, les pratiques, et le mystère qu’il incarne.

1. LE REPOS DU CHRIST AU TOMBEAU : SILENCE DE L’ÉGLISE, SILENCE DE DIEU

Le Samedi Saint est un jour de grand silence, non pas seulement d’ordre liturgique, mais avant tout métaphysique et eschatologique. L’Église, épouse fidèle, demeure en adoration silencieuse auprès du tombeau de l’Époux crucifié.

La liturgie traditionnelle romaine, dans son antique sagesse, maintient ce jour sans sacrifice eucharistique — NDLR: exception unique dans l’année liturgique, hormis le Vendredi Saint — afin de signifier la réalité de la mort du Christ et le vide apparent laissé par l’Offrande suspendue.

« Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. » (Phil. 2, 8)
Dans cet apparent retrait, Dieu n’est pas absent : Il œuvre dans le secret. Le silence de ce jour est une théologie du repos divin, à l’image du sabbat originel. Le Christ, dans son humanité, repose au tombeau ; dans sa divinité, Il descend aux enfers pour y manifester sa victoire.

2. LE MYSTÈRE DE LA DESCENTE AUX ENFERS

Le Symbole des Apôtres proclame : « descendit ad inferos ». Cette vérité de foi, confirmée par le Catéchisme du Concile de Trente et par le Catéchisme de l’Église catholique (§ 631-637), enseigne que le Christ, après sa mort, est descendu dans le séjour des morts — NDLR: non pas l’enfer des damnés, mais le « sein d’Abraham », lieu d’attente des justes.—

Cette descente salvifique, non une humiliation mais un triomphe, est un acte de puissance rédemptrice : le Christ y proclame la bonne nouvelle à ceux qui l’attendaient (cf. 1 P 3,19). C’est une extension du mystère pascal : la Rédemption ne s’arrête pas au Calvaire, mais pénètre les profondeurs mêmes de la condition humaine.

Les Pères de l’Église, notamment Saint Irénée, Saint Cyrille de Jérusalem et Saint Jean Damascène, ont magnifiquement développé ce mystère : le Christ, Lumière née de la Lumière, pénètre les ténèbres de la mort pour en extirper les âmes des justes.

3. LES DEVOIRS DU FIDÈLE : VEILLER AVEC MARIE, DANS L’ESPÉRANCE

Pour le fidèle catholique attaché à la Tradition, le Samedi Saint doit être vécu dans une austérité priante, un jeûne librement consenti et une méditation du mystère de la Rédemption. L’on ne saurait profaner ce jour par des occupations profanes, des distractions ou une anticipation prématurée de la joie pascale.

Aucune messe n’est célébrée durant le jour ; seuls les offices de la Liturgie des Heures — NDLR: notamment les Matines du Samedi Saint, riches en lectures patristiques — peuvent nourrir la prière du fidèle. En y ajoutant, la récitation du Saint Rosaire, la méditation des Douleurs de Marie, et l’adoration silencieuse sont vivement recommandées.

L’Église, en ce jour, veille dans l’attente. Elle revit l’espérance silencieuse de la Vierge Marie, unique croyante au pied du tombeau, modèle de la foi pure. La piété traditionnelle l’a souvent appelée « la première veilleuse pascale ».

4. VIGILE PASCALE : LA MÈRE DE TOUTES LES VEILLES

Le Samedi Saint trouve son sommet dans la Vigile pascale, célébrée après le coucher du soleil, selon le principe que le jour liturgique commence avec les premières heures de la nuit (comme dans la tradition juive). Cette liturgie, qualifiée par saint Augustin de « mère de toutes les saintes veilles », est d’une richesse doctrinale, symbolique et sacramentelle incomparable.

Elle comporte :

La bénédiction du feu nouveau et du cierge pascal, image du Christ ressuscité.
Une longue liturgie de la Parole, retraçant toute l’histoire du salut.
La célébration des sacrements de l’initiation chrétienne, surtout le baptême.
Enfin, la messe solennelle de la Résurrection, avec le retour du Gloria, des cloches, de l’Alleluia.
Dans le rite tridentin, la Vigile pascale conserve un caractère profondément ascétique, commençant à l’aube ou tard dans la nuit, soulignant l’irruption de la lumière dans les ténèbres.

SILENCE FÉCOND ET ATTENTE ESCHATOLOGIQUE

Le Samedi Saint, dans sa sobriété extrême, est un des jours les plus riches du cycle liturgique. Il exprime l’attente de toute l’humanité, suspendue entre la mort du Sauveur et sa résurrection glorifiante. Il est un jour théologique : là où le monde ne voit qu’absence, l’Église voit gestation du salut.

Dans l’esprit traditionnel, ce jour est une invitation à revêtir la sobriété des saints, la vigilance de Marie, et la foi du centurion. Ce n’est pas un « entre-deux » : c’est le jour de l’espérance pure, purgée de toute consolation sensible.

« Aujourd’hui, il y a grand silence sur la terre, grand silence et solitude. Le Roi dort… Dieu s’est endormi dans la chair, et il est allé réveiller ceux qui dormaient depuis des siècles. »
— Homélie ancienne du Samedi Saint, Liturgie des Heures

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Comment la relique de la Sainte Tunique est-elle arrivée en France ?

Extrait d’un article du magazine Gloria :

On a quelques doutes sur le millésime exact, mais la Sainte Tunique est arrivée entre 800 et 812. On sait que c’était le 12 août à 13 heures et avant la mort de Charlemagne [empereur d’Occident], le 28 janvier 814. Charlemagne l’aurait reçue de l’impératrice de Constantinople [capitale du Saint-Empire romain d’Orient], Irène de Byzance, qui avait un empire extrêmement fragilisé par les razzias musulmanes. Elle était veuve, Charlemagne était veuf et on dit que le pape aurait aimé les marier, réunissant ainsi les deux empires. Je ne sais pas si on peut aller si loin, mais en tout cas, il y a eu des échanges diplomatiques entre Irène et Charlemagne. Comme il était d’usage à l’époque, avec les diplomates, on envoie des cadeaux diplomatiques. La Sainte Tunique est arrivée ainsi. En recevant la Sainte Tunique, Charlemagne sait exactement de quoi il s’agit, car c’est un grand chrétien. Il est empereur, donc il gouverne et il guerroie. Il va donc laisser la Sainte Tunique à sa fille Théodrade qui est religieuse à Argenteuil. C’est pour cela que la Tunique devient argenteuillaise au début du IXe siècle.

Samedi saint

Dom Pius Parsch, le Guide dans l’année liturgique :

Les matines du Samedi Saint. — C’est la troisième partie de la grande trilogie. Voici quelle est l’action : Le Christ est couché dans son tombeau ; l’Église s’assied près de ce tombeau et fait entendre sa plainte funèbre. Il repose dans la paix après son dur combat ; nous voyons sur son corps les traces de ses grandes souffrances. Alors qu’hier les répons étaient des plaintes sorties de la bouche de Jésus, ce sont d’ordinaire, aujourd’hui, des plaintes de l’Église. Les Lamentations respirent déjà l’espérance ; tout est, aujourd’hui, plus calme, plus clair. Vers la fin, cependant, les matines reviennent à une impression de tristesse profonde.

Cela ne doit pas nous étonner : les matines, en effet, doivent exprimer le deuil de l’Église privée de son Époux. Les blessures mortelles sont encore visibles sur le divin cadavre et crient continuellement vengeance contre Israël infidèle ; les ennemis de Jésus sont encore pleins de rage ; par le mensonge et la calomnie, ils essaient d’effacer jusqu’au souvenir du Seigneur ; Marie et les disciples sont encore plongés dans le deuil, et l’Église doit avouer douloureusement que beaucoup de ses enfants quittent le Golgotha, le cœur froid et sec, pour s’en retourner chez eux. Quand on pense à tout cela, il semble que les blessures du grand Mort recommencent à saigner.

Aux Matines, à la différence des deux jours précédents, on remarque un progrès dans l’action. Ce progrès est marqué, surtout, par les antiennes et les psaumes correspondants. Les répons ne suivent pas l’action. On pourrait peut-être distinguer six actes dans ce drame. Pendant que l’Église est assise près du tombeau, six tableaux passent devant ses yeux :
- 1er Tableau : Le repos du tombeau (Ier Nocturne) : « Dans la paix je m’endors et me repose ». « Il se reposera sur la montagne sainte ». « Mon corps repose dans l’espérance » (Psaumes).
- 2e Tableau : L’entrée de l’âme de Jésus dans les Limbes (IIe Nocturne) : « Levez-vous, portes éternelles, que le Roi de gloire fasse son entrée !!) (Ps. 23).
- 3e Tableau : L’espérance de la Résurrection : « Je crois que je verrai le Seigneur dans la terre des vivants ». « Tu as tiré mon âme des enfers » (Ps. 26, 29).
- 4e Tableau : Le sceau apposé sur le tombeau : Les leçons du second nocturne.
- 5e Tableau : Jésus vainqueur de ses ennemis (me Nocturne, Ps. 53, 75).
- 6e Tableau (retour à l’impression fondamentale) : Tristesse profonde et plainte : « Comme un homme sans secours livré aux morts » (Ps. 87) ; en outre, les répons l, 2, 3,4, 5, 6, 7 ; le dernier répons nous donne l’image finale du Samedi Saint : Jésus au tombeau et les gardes autour de sa tombe.

Remarquons encore que, dans ces matines, les antiennes jouent un grand rôle, et que certains psaumes ont été choisis non pas à cause de leur contenu complet, mais à cause d’un seul verset, comme, par exemple, les psaumes 4, 14, 23. L’action se poursuit sans arrêt jusqu’au seuil de la Résurrection. Et au moment où nous attendrions le joyeux alléluia, elle revient à la plainte funèbre, comme si l’Église voulait nous dire : Arrêtez, revenez en arrière, le Seigneur est encore au tombeau.

Il y a dans ces matines un charme tout particulier que l’on peut éprouver quand on vit vraiment ces matines. Ce charme tient peut-être en partie à ce mélange de tristesse, d’espérance et de joie contenue.

Impropères

1 et 2 Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
V/. Quia edúxi te de terra Ægýpti : parásti Crucem Salvatóri tuo. V/. Est-ce parce que je t’ai tiré d’Égypte que tu as préparé une croix pour ton Sauveur ?
Agios o Theós. Ô Dieu saint.
Sanctus Deus. Ô Dieu saint !
Agios ischyrós. Dieu saint ! Dieu fort !
Sanctus fortis. Dieu saint ! Dieu fort !
Agios athánatos, eléison imas. Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous.
Sanctus immortális, miserére nobis. Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous.
1 et 2 Quia edúxi te per desértum quadragínta annis, et manna cibávi te, et introdúxi te in terram satis bonam : parásti Crucem Salvatóri tuo. Est ce parce que, durant quarante ans, j’ai été ton conducteur dans le désert, que je t’y ai nourri de la manne et que je t’ai introduit dans une terre excellente ; est-ce pour ces service que tu as dressé une croix pour ton Sauveur ?
Agios o Theós. Ô Dieu saint.
Sanctus Deus. Ô Dieu saint !
Agios ischyrós. Dieu saint ! Dieu fort !
Sanctus fortis. Dieu saint ! Dieu fort !
Agios athánatos, eléison imas. Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous.
Sanctus immortális, miserére nobis. Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous.
1 et 2 Quid ultra débui fácere tibi, et non feci ? Ego quidem plantávi te víneam meam speciosíssimam : et tu facta es mihi nimis amára : acéto namque sitim meam potásti : et láncea perforásti latus Salvatóri tuo. Qu’ai-je dû faire pour toi, que je n’aie point fait ? Je t’ai planté comme la plus belle de mes vignes et tu n’as pour moi qu’une amertume excessive, car, dans ma soif, tu m’as donné du vinaigre à boire et tu as percé de la lance le côté de ton Sauveur.
Agios o Theós. Ô Dieu saint.
Sanctus Deus. Ô Dieu saint !
Agios ischyrós. Dieu saint ! Dieu fort !
Sanctus fortis. Dieu saint ! Dieu fort !
Agios athánatos, eléison imas. Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous.
Sanctus immortális, miserére nobis. Dieu saint et immortel, ayez pitié de nous.
II II
Ego propter te flagellávi Ægýptum cum primogénitis suis : et tu me flagellátum tradidísti. J’ai frappé, à cause de toi, l’Égypte avec ses premiers-nés, et tu m’as livré pour être flagellé.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego edúxi te de Ægýpto, demérso Pharaóne in Mare Rubrum : et tu me tradidísti princípibus sacerdótum. Pour te tirer de l’Égypte, j’ai englouti Pharaon dans la mer Rouge, et tu m’as livré aux princes des prêtres.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego ante te apérui mare : et tu aperuísti láncea latus meum. Je t’ai ouvert un passage à travers les flots, et tu m’as ou vert le côté avec une lance.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego ante te præívi in colúmna nubis : et tu me duxísti ad prætórium Piláti. J’ai marché devant toi comme une colonne lumineuse, et tu m’as mené au prétoire de Pilate.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego te pavi manna per desértum : et tu me cecidísti álapis et flagéllis. Je t’ai nourri de la manne dans le désert, et tu m’as meurtri de soufflets et de coups.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego te potávi aqua salútis de petra : et tu me potásti felle et acéto. Je t’ai fait boire l’eau salutaire du rocher, et tu m’as abreuvé de fiel et de vinaigre.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego propter te Chananæórum reges percússi : et tu percussísti arúndine caput meum. A cause de toi, j’ai exterminé les rois de Chanaan, et toi tu m’as frappé la tête avec un ro seau.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego dedi tibi sceptrum regale : et tu dedísti capiti meo spíneam coronam. Je t’ai donné un sceptre royal et toi tu as mis sur ma tête une couronne d’épines.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
Ego te exaltávi magna virtúte : et tu me suspendísti in patíbulo Crucis. Je t’ai élevé en déployant une grande force, et toi tu m’as attaché au gibet de la Croix.
Pópule meus, quid feci tibi ? aut in quo contristávi te ? respónde mihi. O mon peuple, que t’ai-je fait et en quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi.
III III
1 et 2 Antiphona Crucem tuam adorámus, Dómine : et sanctam resurrectiónem tuam laudámus et glorificámus : ecce enim, propter lignum venit gaudium in univérso mundo. 1 et 2 Antienne Nous adorons votre Croix, Seigneur ; nous célébrons et glorifions votre sainte résurrection, car c’est par la croix que la joie a reparu dans le monde entier.
1 Psalmus. 66, 2. Deus misereátur nostri et benedícat nobis : Que Dieu ait pitié de nous et nous bénisse.
Illúminet vultum suum super nos et misereátur nostri. Qu’il nous manifeste sa bienveillance et nous fasse miséricorde.
1 et 2 Antiphona Crucem tuam adorámus, Dómine : et sanctam resurrectiónem tuam laudámus et glorificámus : ecce enim, propter lignum venit gáudium in univérso mundo. 1 et 2 Antienne Nous adorons votre Croix, Seigneur ; nous célébrons et glorifions votre sainte résurrection, car c’est par la croix que la joie a reparu dans le monde entier.
IV IV
1 et 2 Antiphona Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis : nulla silva talem profert fronde, flore, gérmine. 1 et 2 Antienne O Croix, objet de notre confiance, arbre illustre entre tous : nulle forêt n’en produit de semblable par le feuillage, les fleurs et les fruits.
* Dulce lignum dulces clavos, dulce pondus sústinet. *O doux bois aimable, ô doux clous, quel doux fardeau vous supportez !
1 Hymnus Pange, lingua, gloriósi láuream certáminis, et super Crucis trophǽo dic triúmphum nóbilem : quáliter Redémptor orbis immolátus vícerit. 1 Hymne Chante, chante, ma langue, les lauriers d’un glorieux combat ! Sur le trophée de la Croix chante le grand triomphe ; Raconte comment le Rédempteur du monde triomphe en s’immolant.
Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis : nulla silva talem profert fronde, flore, gérmine. O Croix, objet de notre confiance, arbre illustre entre tous : nulle forêt n’en produit de semblable par le feuillage, les fleurs et les fruits.
De paréntis protoplásti fraude Factor cóndolens, quando pomi noxiális in necem morsu ruit : ipse lignum tunc notávit, damna ligni ut sólveret. Dieu compatit au malheur du premier homme sorti de ses mains. Dès qu’il mordit à la pomme funeste, Adam se précipita dans la mort. Dieu lui- même désigna l’arbre nouveau pour réparer les malheurs causés par le premier.
Dulce lignum dulces clavos, dulce pondus sústinet. O doux bois aimable, ô doux clous, quel doux fardeau vous supportez !
Hoc opus nostræ salútis ordo depopóscerat : multifórmis proditóris ars ut artem fálleret : et medélam ferret inde, hostis unde lǽserat. Cette œuvre réparatrice, l’économie de notre salut la réclamait ; Dieu voulait que l’artifice du serpent fût déjoué par un autre artifice ; il voulait porter le remède là où l’ennemi avait causé le tort.
Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis : nulla silva talem profert fronde, flore, gérmine. O Croix, objet de notre confiance, arbre illustre entre tous : nulle forêt n’en produit de semblable par le feuillage, les fleurs et les fruits.
Quando venit ergo sacri plenitúdo témporis, missus est ab arce Patris Natus, orbis Cónditor : atque ventre virgináli carne amíctus pródiit. Quand donc fut arrivée la plénitude des temps annoncés, du haut du trône de son Père, le Fils, créateur du monde, fut envoyé. Dans le sein d’une Vierge, il se revêtit de chair et il naquit.
Dulce lignum dulces clavos, dulce pondus sústinet. O doux bois aimable, ô doux clous, quel doux fardeau vous supportez !
Vagit Infans inter arcta cónditus præsépia : membra pannis involúta Virgo Mater álligat : et Dei manus pedésque stricta cingit fáscia. Il vagit, le petit enfant, couché dans l’étroite crèche ; la Vierge, sa mère, enveloppe de langes ses membres emprisonnés, et des bandelettes étroites enserrent les pieds et les mains d’un Dieu.
Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis : nulla silva talem profert fronde, flore, gérmine. O Croix, objet de notre confiance, arbre illustre entre tous : nulle forêt n’en produit de semblable par le feuillage, les fleurs et les fruits.
Lustra sex qui iam perégit, tempus implens córporis, sponte líbera Redémptor passióni déditus, Agnus in Crucis levátur immolándus stípite. Le temps de six lustres est écoulé, la durée de sa vie mortelle est accomplie : le Rédempteur, de lui-même, se livre aux tourments de sa Passion ; Agneau divin.il est cloué à la croix, bois très saint sur lequel il s’immole.
Dulce lignum dulces claves, dulce pondus sústinet. O doux bois aimable, ô doux clous, quel doux fardeau vous supportez !
Felle potus ecce languet : spina, clavi, láncea mite corpus perforárunt, unda manat et cruor : terra, pontus, astra, mundus, quo lavántur flúmine ! On l’abreuve de fiel ; il languit ; les épines, les clous et la lance transpercent le doux corps ! De l’eau jaillit ; avec elle, du sang. Terre, océan, astres, monde, que le fleuve vous purifie !
Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis : nulla silva talem profert fronde, flore, gérmine. O Croix, objet de notre confiance, arbre illustre entre tous : nulle forêt n’en produit de semblable par le feuillage, les fleurs et les fruits.
Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa víscera, et rigor lentéscat ille, quem dedit natívitas : et supérni membra Regis tende miti stípite. Ploie tes rameaux, arbre sublime, relâche tes fibres tendues, fléchis cette rigidité rugueuse que t’a donnée la nature. Offre un soutien plus doux aux membres sacrés du Roi du ciel.
Dulce lignum dulces clavos, dulce pondus sústinet. O doux bois aimable, ô doux clous, quel doux fardeau vous supportez !
Sola digna tu fuísti ferre mundi víctimam : atque portum præparáre arca mundo náufrago : quam sacer cruor perúnxit, fusus Agni córpore. O Croix, seul arbre digne entre tous de porter la victime du monde, seul digne dé façonner l’arche qui guide au port le monde naufragé, car tu fus empourprée du sang divin qui s’échappe du corps de l’Agneau.
Crux fidélis, inter omnes arbor una nóbilis : nulla silva talem profert fronde, flore, gérmine. O Croix, objet de notre confiance, arbre illustre entre tous : nulle forêt n’en produit de semblable par le feuillage, les fleurs et les fruits.
Conclusio numquam omittenda Conclusion à ne jamais omettre
Sempitérna sit beátæ Trinitáti glória : æqua Patri Filióque ; par decus Paráclito : Uníus Triníque nomen laudet univérsitas. Amen. Gloire soit éternellement à la bienheureuse Trinité. Honneur égal au Père et au Fils, comme aussi au Paraclet. Que le nom du Dieu un et trois soit loué dans tout l’univers. Ainsi soit-il.
Dulce lignum dulces clavos, dulce pondus sústinet. O doux bois aimable, ô doux clous, quel doux fardeau vous supportez !

De la Corédemption de la Sainte Vierge

Une doctrine défendue par l’abbé Claude Barthe :

Beaucoup espéraient, lorsque Jean XXIII annonça la réunion d’un second concile du Vatican, que serait incluse dans les textes de cette assemblée la doctrine de la Corédemption de Marie et de sa Médiation universelle des grâces. Il n’en fut rien, mais Paul VI proclama solennellement un nouveau titre de la Sainte Vierge, celui de Mère de l’Église, le 21 novembre 1964, sur lequel je reviendrai.

Un colloque sur la Corédemption de la Sainte Vierge va se tenir à Paris, à la Maison internationale de la Cité Universitaire, les 23 et 24 mai prochains[1], qui traitera notamment de la question mariale à Vatican II et dont les conférences tendront à relever le caractère traditionnel de cette doctrine.

En sens inverse, le 9 mars 2025, l’abbé Michel Viot a donné une émission de Radio-Courtoisie sur le thème : « Marie Corédemptrice, une explication dogmatique superflue », que l’on peut retrouver sur le site de la radio[2].

En restant comme il se doit dans une « marge de fraternité », comme disait le P. Clément Dillenschneider qui a beaucoup œuvré pour la défense de cette doctrine, je ferai ici de même, essentiellement en évoquant ses fondements et aussi ses possibles développements.

Qu’entend-on par Corédemption ?

Corédemption, Médiation : il s’agit des deux faces d’un même mystère de coopération spécifique de la Mère de Dieu à l’œuvre rédemptrice de son Fils par l’acquisition des mérites sur la terre (Corédemption) et par la distribution des grâces dans le ciel (Médiation)[3]. Les deux aspects sont liés aux échanges dans le Corps mystique du Christ entre les membres de ce Corps, qui font dire à saint Paul : « En ce moment je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église » (Col 1, 24). Tout chrétien qui est dans la grâce du Christ adhère à l’œuvre de Rédemption et pour ainsi dire la « complète » par ses souffrances. Cela est vrai tout spécialement pour les martyrs, et de manière maximale pour la Vierge Marie, Vierge des Douleurs.

Mais lorsqu’on parle de Corédemption, on évoque plus qu’une éminence en degré : sa participation à l’œuvre rédemptrice de son Fils est spécifique car Marie est Theotokos, Mère de Dieu, comme l’a déterminé le concile d’Éphèse en 430. Toute maternité humaine s’analyse en effet comme une relation de la personne de la mère qui s’achève dans la personne de l’enfant conçu et mis au monde : celle de Marie, créature privilégiée mais restant créature, met sa personne et la Personne du Verbe en une relation ontologique singulière. « La bienheureuse Vierge est appelée la mère de Dieu, non parce qu’elle est la mère de la divinité, mais parce qu’elle est la mère selon l’humanité d’une Personne qui a la divinité et l’humanité tout ensemble » (saint Thomas, Somme Théologique, 3a, q 35, a 4, ad 2).

Si le Christ, seul Prêtre, offre le sacrifice de son Sang, la participation subordonnée de la Mère de Dieu à cette offrande rédemptrice tient à ce que son Fiat a rendu possible la Rédemption, parce qu’elle a fourni la victime du sacrifice. En outre le Christ, qui a souffert toutes les sortes de la souffrance humaine (saint Thomas, Somme théologique, 3a, q 46, a 5), assume aussi la Compassion de sa Mère qui est d’une qualité absolument unique, maternelle. Bien entendu, les mérites de la contribution de Marie à notre salut ne sont pas, comme ceux du Christ, de condigno, de plein droit. Ils ne sauraient suffire par eux-mêmes à obtenir le salut, mais ils sont de congruo, de convenance, c’est-à-dire accordés par Dieu à la prière de la Bienheureuse Vierge.

La tradition affirme, comme le relève heureusement Lumen Gentium (n. 56)à propos de saint Irénée, que la Vierge Marie, dès son Fiat, « est devenue cause du salut pour elle-même et pour tout le genre humain ». On trouve chez saint Justin dans son Dialogue avec Tryphon, puis chez saint Irénée (Contre les hérésies 3,23), chez Tertullien, saint Jérôme (l’humanité a reçu « la mort par Ève, la vie par Marie », Épître 22, 21), etc., la typologie Ève-Marie – Marie est au Nouvel Adam, ce qu’a été Ève au père de l’humanité – qui fonde ce que l’on peut dire du rôle de Marie dans notre rédemption. La participation de la nouvelle Ève à notre rédemption étant d’ailleurs plus efficace que la participation de la première Ève à notre perdition.

Les médiévaux ont usé d’un langage très fort pour exprimer cette participation. Au XIIe siècle, Arnaud de Chartres, abbé de Bonneval, en est le témoin :

« Devant le Père, le Fils et la mère partagent entre eux les offices de la miséricorde… et établissent entre eux le testament inviolable de notre réconciliation… L’affection de sa mère le touche, car il n’y avait alors qu’une volonté du Christ et de Marie, et tous deux offraient ensemble un seul holocauste, elle, dans le sang de son cœur, lui, dans le sang de sa chair[4]. »

Il est clair que si le mot de Corédemption n’était pas prononcé, la chose était affirmée, comme la transsubstantiation était crue avant que le terme ne soit forgé, et ainsi pour toutes les précisions de langage théologique.

Il d’ailleurs est intéressant de remarquer avec René Laurentin[5], sur lequel je reviendrai plus loin, que si le terme de Corédemptrice est apparu au XVe siècle c’est sous la forme d’un adoucissement de celui de Rédemptrice antérieurement utilisé comme tel ou de manière équivalente comme chez l’abbé de Bonneval. Le préfixe co explicite la subordination instrumentale de l’œuvre de Marie à celle du Christ. L’appellation n’est pas une « nouveauté » mais une précision : il n’y a pas un Rédempteur et une Rédemptrice, mais un Rédempteur et une Corédemptrice.

La Vraie Dévotion à la Sainte Vierge

L’abbé Michel Viot fait remarquer qu’il y a depuis quelques années un regain de dévotion mariale, mais que la promotion de la doctrine de la Corédemption serait nuisible à cette dévotion. On peut comparer sa critique, sans pour autant dire qu’il en dépend, à celles qui à l’époque du Concile dénonçaient l’« inflation » du discours sur la Sainte Vierge, ou au XVIIe siècle qui dénonçaient les « excès » de la littérature mariale. C’est en visant notamment ces « dévots critiques » que saint Louis-Marie Grignion de Montfort, référence de grand poids en matière de dévotion et de théologie mariales, a composé son Traité de la Vraie Dévotion à la Sainte Vierge, dévotion dont le but est par essence l’attachement à Jésus-Christ par sa Mère :

« De toutes les dévotions, celle qui consacre le plus une âme à Jésus-Christ est la dévotion à la Sainte Vierge » (n. 120).

Mais Michel Viot affirme de manière étonnante que saint Louis-Marie Grignion de Montfort enseignait une dévotion en quelque sorte faible, dans la mesure où la médiation de Marie ne serait aux termes du Traité qu’une médiation d’intercession, non d’acquisition et de dispensation de grâces, et de ce fait que l’on ne trouve pas de trace de la Corédemption dans son Traité de la Vraie Dévotion. En fait, saint Louis-Marie appelle Marie ni plus ni moins que « la réparatrice du genre humain. » Il explique :

« Telle est la volonté du Très-Haut, qui exalte les humbles, que le Ciel, la terre et les enfers plient, bon gré mal gré, aux commandements de l’humble Marie, qu’il a faite souveraine du ciel et de la terre, la générale de ses armées, la trésorière de ses trésors, la dispensatrice de ses grâces, l’ouvrière de ses grandes merveilles, la réparatrice du genre humain, la médiatrice des hommes, l’exterminatrice des ennemis de Dieu et la fidèle compagne de ses grandeurs et de ses triomphes[6]. »

Il dit aussi : « Le Fils de Dieu s’est fait homme pour notre salut, mais en Marie et par Marie[7]. »Et sa prière de consécration contient cette supplication:

« Ô Mère admirable ! présentez-moi à votre cher Fils en qualité d’esclave éternel, afin que, m’ayant racheté par vous, il me reçoive par vous » (n. 29).

À propos de l’un des passages évangéliques les plus expressifs de la participation subordonnée de Marie au mystère de la rédemption, celui de la prophétie de Siméon, Michel Viot nie ainsi son lien avec la Corédemption, car selon lui les souffrances de Marie, qui s’expriment par des larmes et non du sang versé, n’ont pas de valeur propitiatoire. La critique d’« exagération » implicite vaudrait peut-être si était affirmée la parité dans le sacrifice rédempteur en prétendant que Marie a participé de condigno, comme le Christ, à la rédemption[8]. Mais saint Louis-Marie reste dans un cadre strict de Vraie dévotion et il affirme à propos de la Passion de l’un et de l’autre, qui fait qu’on parle de Compassion qu’on pourrait qualifier de Copassion :

« Voyez, à côté de Jésus-Christ, un glaive perçant qui pénètre jusqu’au fond le cœur tendre et innocent de Marie, qui n’avait jamais eu aucun péché, ni originel ni actuel. Que ne puis-je m’étendre ici sur la Passion de l’un et de l’autre, pour montrer que ce que nous souffrons n’est rien en comparaison de ce qu’ils ont souffert ![9] »

Ou encore dans son « Cantique 74 »en tout cas pour l’intensité de la douleur :

« Contemplons Marie affligée
Près de la croix du Sauveur,
Voyons sa sainte âme percée
Du tranchant d’une vive douleur.
Voyant sur un gibet infâme
L’objet de tous ses désirs,
Elle souffre plus en son âme
Que jamais n’ont fait tous les martyrs. »

À titre de parallèle adéquat, la qualité de « réparatrice du genre humain » donnée à Marie par Grignion est fortement exprimée par saint Jean Eudes, avec cette note très École française de spiritualité portant sur l’offrande du sacrifice de son Fils par Marie de manière en quelque sorte sacerdotale :

« Par l’union très étroite qu’elle avait avec son Fils, avec lequel n’ayant qu’un Cœur, qu’une âme, qu’un esprit et qu’une volonté, elle voulait tout ce qu’il voulait, elle faisait et elle souffrait en quelque façon avec lui et en lui, tout ce qu’il faisait et tout ce qu’il souffrait. De sorte que, lorsqu’il s’immolait en la croix pour notre salut, elle le sacrifiait aussi avec lui pour la même fin. […] Le Cœur de cette glorieuse Marie a contribué à l’œuvre de notre rédemption, parce que Jésus, qui est tout ensemble et l’hostie qui a été sacrifiée pour notre salut, et le prêtre qui l’a immolée, est le fruit du Cœur de cette bienheureuse Vierge, comme il a été dit ; et que ce même Cœur est aussi et le sacrificateur qui a offert cette divine hostie, et l’autel sur lequel elle a été offerte, non pas une fois seulement, mais mille et mille fois, dans le feu sacré qui brûlait sans cesse sur cet autel ; et que le sang de cette adorable victime, qui a été répandu pour le prix de notre rachat, est une partie du sang virginal de la Mère du Rédempteur, qu’elle a donné avec tant d’amour qu’elle était prête d’en donner de très bon cœur la dernière goutte pour cette fin[10]. »

Les attestations pontificales

Michel Viot ne donne pas aux paroles très nettes de Pie XI dans une allocution du 30 novembre 1933 le poids qui leur revient :

« Le Rédempteur se devait, nécessairement, d’associer sa Mère à son œuvre. C’est pour cela que nous l’invoquons sous le titre de Corédemptrice. Elle nous a donné le Sauveur. Elle l’a conduit à son œuvre de rédemption jusqu’à la Croix. Elle a partagé avec lui les souffrances de l’agonie et de la mort en lesquelles Jésus consommait le rachat de tous les hommes. »

Il ne s’agit certes pas d’une définition en forme, mais les mots sont d’une grande précision : l’association de Marie au Christ était nécessaire, d’une nécessité de congruence bien sûr ; l’invocation de Marie sous le titre de Corédemptrice est un fait établi ; le partage des souffrances rédemptrice s’explique par la donation initiale qu’elle nous a faite du Sauveur.

Auparavant, Léon XIII, dans son encyclique Adjutricem populi du 5 septembre 1895, déjà citée, où il affirmait que la réconciliation des peuples séparés de l’Église est spécialement une œuvre de Marie, écrivait, en liant coopération à la Rédemption et dispensation de grâces :

« Car de là, selon les desseins de Dieu, elle a commencé à veiller sur l’Église, à nous assister et à nous protéger comme une Mère, de sorte qu’après avoir été coopératrice de la Rédemption humaine, elle est devenue aussi, par le pouvoir presque immense qui lui a été accordé, la dispensatrice de la grâce qui découle de cette Rédemption pour tous les temps. »

Saint Pie X, dans l’encyclique Ad Diem illum du 2 février 1904 sur l’Immaculée Conception, justifie l’appellation de « réparatrice de l’humanité déchue » et de dispensatrice de toutes les grâces  :

« Quand vint pour Jésus l’heure suprême, on vit la Vierge “debout auprès de la croix, saisie sans doute par l’horreur du spectacle, heureuse pourtant de ce que son Fils s’immolait pour le salut du genre humain, et, d’ailleurs, participant tellement à ses douleurs que de prendre sur elle les tourments qu’il endurait lui eût paru, si la chose eût été possible, infiniment préférable” (saint Bonaventure, I Sent., d. 48, ad Litt., dub. 4). La conséquence de cette communauté de sentiments et de souffrances entre Marie et Jésus, c’est que Marie “mérita très légitimement de devenir la réparatrice de l’humanité déchue”, et, partant, la dispensatrice de tous les trésors que Jésus nous a acquis par sa mort et par son sang. […]. Il s’en faut donc grandement, on le voit, que Nous attribuions à la Mère de Dieu une vertu productrice de la grâce, vertu qui est de Dieu seul. Néanmoins, parce que Marie l’emporte sur tous en sainteté et en union avec Jésus-Christ et qu’elle a été associée par Jésus-Christ à l’œuvre de la rédemption, elle nous mérite de congruo, comme disent les théologiens, ce que Jésus-Christ nous a mérité de condigno, et elle est le ministre suprême de la dispensation des grâces. “Lui, Jésus, siège à la droite de la majesté divine dans la sublimité des cieux” (Hébreux 1, 3). »

De même, Benoît XV, dans la Lettre apostolique, Inter sodalicia, du 22 mars 1918, parle de l’association de la Vierge Marie au rachat accompli par son Fils, association qu’on pourrait appeler co-rachat :

« Elle souffrit en effet et mourut presque avec son Fils souffrant et mourant, elle abdiqua ses droits maternels pour le salut des hommes, et autant qu’il lui appartenait, immola son Fils pour apaiser la justice de Dieu, si bien qu’on peut justement dire qu’elle a, avec le Christ, racheté le genre humain. »

Enfin, le raisonnement théologique de Pie XII, dans l’encyclique Ad cæli Reginam, du 11 octobre 1954, dans laquelle il parle de l’association de Marie à la Rédemption en s’appuyant sur la typologie Ève/Marie, est particulièrement élaboré :

« Dans l’œuvre du salut spirituel, Marie fut, par la volonté de Dieu, associée au Christ Jésus, principe de salut, et cela d’une manière semblable à celle dont Ève fut associée à Adam, principe de mort, si bien que l’on peut dire que notre rédemption s’effectua selon une certaine “récapitulation” en vertu de laquelle le genre humain assujetti à la mort par une vierge, se sauve aussi par l’intermédiaire d’une vierge ; en outre on peut dire que cette glorieuse Souveraine fut choisie comme Mère de Dieu précisément pour être associée à Lui dans la Rédemption du genre humain. »

Par ailleurs il est surprenant que l’abbé Viot voie dans les constitutions apostoliques proclamant les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’Assomption des infirmations expresses de la doctrine de la Corédemption ? Il paraît au contraire que Pie XII, dans Munificentissimus Deus, développait le thème adjacent de l’association de Marie à l’œuvre de rachat sur le démon :

« Nous devons nous rappeler d’une manière particulière que dès le IIe siècle, les saints Pères ont désigné la Vierge Marie comme la nouvelle Ève qui, bien que soumise au nouvel Adam, est intimement associée à lui dans cette lutte contre l’Ennemi infernal et qui, comme l’avait annoncé le protévangile, a eu comme résultat final la victoire totale sur le péché et la mort. »

Le même thème adjacent se trouvait dans Ineffabilis Deus, de Pie IX, du 8 décembre 1854. Il y affirmait que le privilège de l’Immaculée Conception avait été accordé à Marie « en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain ». Affirmant que le Christ est le Rédempteur de tout le genre humain, y compris par anticipation, par prévision, de celle qui allait devenir sa Mère, il n’écartait nullement, puisqu’il disait que l’office de « réparatrice » et de « vivificatrice »– de coopératrice à la réparation et à la vivification – qui lui a été confié était contenu dans le privilège même de l’exemption du péché originel :

« [Les Pères] ont encore professé que la Très glorieuse Vierge avait été la réparatrice de ses ancêtres et qu’elle avait vivifié sa postérité ; que le Très-Haut l’avait choisie et se l’était réservée dès le commencement des siècles ; que Dieu l’avait prédite et annoncée quand il dit au serpent : “Il mettrait l’inimitié entre toi et la femme” (Gn 3, 15), et que, sans aucun doute, elle a écrasé la tête venimeuse de ce même serpent. »

La réflexion théologique sur la Corédemption

On sait que John Henry Newman (1801-1890) défendit le titre de Corédemptrice devant un prélat anglican qui lui refusait ce titre, en lui disant :

« En vous entendant l’appeler, avec les Pères, Mère de Dieu, Seconde Ève, et Mère de tous les vivants, Mère de la Vie, Étoile du Matin, Nouveau Ciel Mystique, Sceptre de l’Orthodoxie, Mère toute Immaculée de Sainteté, et ainsi de suite, [ces mêmes Pères de l’Église] auraient jugé que vous rendiez un faible hommage à de telles paroles en refusant de l’appeler Corédemptrice[11]. »

L’appellation de Corédemptrice semble en effet presque faible auprès de tant d’autres qu’accumulait saint Cyrille d’Alexandrie pour exprimer celui de Theotokos, dans la célèbre prière de son discours au concile d’Éphèse :

« Nous vous saluons, ô Marie,  ô Theotokos, Trésor digne de vénération et qui appartient à l’univers entier. Lampe dont la Lumière est inextinguible. Nous vous saluons, Couronne de virginité ; Sceptre de la vraie doctrine; Temple indestructible ; Lieu de Celui qu’aucun lieu ne peut contenir ; Vierge et Mère, Il a pu grâce à vous, être nommé dans les Évangiles “Celui qui est venu au nom du Seigneur”. Et vous avez porté, dans votre Sein Virginal, l’Incompréhensible et l’Immense. C’est grâce à vous que la Sainte Trinité reçoit la gloire et l’adoration ; c’est grâce à vous que le Ciel est dans l’exultation ; que les Anges tressaillent de joie ; que les démons sont mis en fuite ; que le Tentateur est tombé des hauteurs célestes, et que la créature humaine, jadis déchue, est admise aux joies immortelles. C’est grâce à vous que toutes les créatures, après avoir connu les folies de l’idolâtrie, sont revenues à la connaissance de la Vérité. C’est grâce à vous que le Saint Baptême est donné aux fidèles, avec l’huile qui donne la force et la joie. Nous vous devons la fondation de tant d’églises sur la surface du monde, et c’est à cause de vous que nous voyons tant de nations en marche vers la Pénitence ! C’est grâce à vous (pourquoi en dire davantage ?) que le Fils unique de Dieu est apparu, comme un Être resplendissant, à la pauvre humanité qui était assise dans les ténèbres et à l’ombre de la mort. Sans vous les Prophètes n’auraient pas prononcé leurs oracles ; sans vous les Apôtres n’auraient pas prêché aux nations la doctrine du salut ; c’est grâce à vous que les morts sont rappelés à la vie et que règnent les Rois au nom de la Trinité Sainte. Mais quelles lèvres humaines pourraient dignement célébrer la Vierge Marie, qui est véritablement au-dessus de toutes les Louanges ? »

Michel Viot nous dit que parce le mystère de Marie est indicible, il faut éviter une surenchère de mots à son égard. Mais le mystère du Christ est bien plus indicible encore. Or, toute la christologie, depuis le Nouveau Testament jusqu’aux actes les plus récents du magistère n’utilise-t-elle pas des mots pour exprimer l’effet dans sa nature humaine de l’union sans confusion avec la nature divine dans la Personne du Verbe : « Premier Né », « Chef », « Tête », « Roi ». Ce dernier terme est d’ailleurs semblable aux « titres » mariaux – spécialement celui de Reine, comme j’en parlerai pour finir – et les titres utilisés pour exprimer le mystère de Marie aident en fait à parler du mystère du Christ. Le rapport entre christologie et mariologie est d’ailleurs l’équivalent du rapport entre les deux dévotions :

« C’est que, entre dévotion mariale et dévotion au Christ, il existe un lien non pas accidentel, mais essentiel[12]. »

Un courant favorable à la Corédemption avait dominé dans les années 40 et 50 du XXe siècle. Un congrès sur « Marie Corédemptrice » s’était tenu à Grenoble-La Salette en 1946, avec les interventions des théologiens spécialisés en cette doctrine, le P. Marie-Joseph Nicolas op (plus tard auteur de Theotokos, le Mystère de Marie, sur lequel je reviendrai)les PP. Rondet, Lépicier, Clément Dillenschneider (Le mystère de la corédemption mariale. Théories nouvelles, Vrin, 1951). En 1950 le P. Junipero B. Carol avait publié un monumental ouvrage historique De corredemptione beatæ Virginis Mariæ : disquisitio positiva (Polyglotte Vaticane), prodigieuse enquête sur le progrès de cette doctrine à travers les âges, à laquelle il ajoutait les résultats d’une sorte de référendum qu’il avait organisé auprès des épiscopats du monde dans le but semble-t-il de montrer que la doctrine était acquise du point de vue du magistère ordinaire et universel. Bien plus modeste, mais qui devait beaucoup au précédent, était le travail de René Laurentin, en 1951, sur Le titre de corédemptrice. Étude historique (Nouvelles Éditions latines), qui reproduisait en fait sa contribution au congrès mariologique de Rome en 1950.

La tendance s’inversa à l’approche du Concile Vatican II et par la suite. Lors du Concile, on répétait à l’envie la phrase du réformé Karl Barth : « La corédemption est une excroissance, une forme maladive de la pensée théologique. De telles excroissances doivent être amputées. Il s’agit d’un autre Évangile. » Le P. Yves Congar, op, justement par souci œcuménique, fut un des adversaires les plus virulents de ce qu’il nommait la « mariolâtrie » et qui constituait avec la « papolâtrie » un système qui, selon lui, empilait les dogmes et les condamnations et coupait le catholicisme de ses racines évangéliques : « Après l’assomption, ce sera la médiation, puis la corédemption, puis encore autre chose[13]. » Il estimait que la mariologie constituait la pierre de touche entre deux types de théologie, la sienne et celle à laquelle il s’opposait. Les cibles de son mépris : le P. Gabriele Maria Roschini, fondateur de la revue et de l’Institut Pontifical Marianum, et le P. Carlo Balić, spécialiste de Duns Scot[14].

Pie XII mort, René Laurentin devint lui-même l’un des « minimalistes », et même celui qui a combattu de la manière la plus efficace la doctrine de la médiation de toutes grâces, et par là la corédemption lors du dernier Concile[15], s’appuyant sur son ouvrage polémique, La question mariale[16], où il présentait le « maximalisme » du mouvement marial comme « un problème », qu’il qualifiait d’« excessif » et même de « pathologique »[17] dans son « exaltation inconditionnelle »[18]de la Vierge. L’abbé Laurentin lutta pour que soit retiré le titre de Mater Ecclesiæ, pour que le texte De Beata Virgine soit intégré dans Lumen Gentium et ne constitue plus un texte à part[19], et pour que soit noyé le titre de Médiatrice au milieu d’une litanie de termes analogues. Jusqu’à la fin, devenu aussi maximaliste en apparitions mariales qu’il était minimaliste en doctrine mariale, il rejeta la corédemption et la médiation des grâces[20].

Les jésuites n’ont pas été en reste. Leur théologie était parfois si avancée que la question mariale ne se posait même plus. Ainsi, le P. Joseph Moingt écrivait tranquillement :

« Nous continuerions à le croire [que Dieu est le père de Jésus], même s’il nous était raconté que Jésus est né tout normalement de Joseph et de Marie, car nous savons distinguer ce qui regarde la personne et ce qui concerne la constitution physique de l’être[21]. »

Dans un registre plus « classique », le P. Bernard Sesboüé, avec un article intitulé « Peut-on encore parler de Marie ? Pour une présentation crédible »[22], attaquait entre autres un ouvrage en deux tomes, publié aux États-Unis en 1995 et en 1997, qui avait pour titre : Marie, Corédemptrice, Médiatrice et Avocate. Fondements théologiques. Vers une définition papale ?[23], dont la moitié des contributions justifiait le titre de Corédemptrice. Bernard Sesboüé disait de ce titre « on sait combien il est ambigu, pour ne pas dire “objectivement erroné”. » Son congédiement de la Corédemption s’appuyait sur les conclusions critiques d’une commission de théologiens ayant examiné les requêtes en faveur d’une dogmatisation de cette doctrine et sur les commentaires qu’avait faits de ces conclusions l’Académie mariale internationale[24], les unes et les autres défendant « le chemin tracé par le concile Vatican II. » Pour autant, on ne saurait que souscrire à certains des principes posés par le P. Sesboüé : «Marie ne devrait jamais être isolée de l’ensemble du discours de la foi chrétienne » ; « Marie est confessée par l’Église comme “Mère de Dieu” : tout ce qui la concerne part de là et doit y revenir. » Enfin, le pape François, dans son style propre, a estimé, dans une audience du 12 décembre 2019, à propos du titre de corédemptrice qu’il n’était pas nécessaire de « perdre du temps » avec ces tonterias (absurdités, sottises, inepties).

En revanche, pour défendre la dévotion mariale se sont exprimés des auteurs comme le P. Léon Cognet, historien de la mystique, dans Les difficultés actuelles de la dévotion mariale[25], suivi par le P. Jean Stern dans son article déjà évoqué, « Marie dans le mystère de notre réconciliation », selon lequel la crise mariale pourrait être « la conséquence non pas d’un christocentrisme retrouvé, mais d’un christocentrisme déplacé de la personne aux idées, le Christ étant considéré moins comme Celui avec qui je puis avoir des relations cœur à cœur, que comme le symbole d’un idéal de justice ou autre. » Le P. Stern en concluait : « Il est clair que, dans une telle perspective, le personnage de Marie devient inutile et même gênant, en attendant que la personne du Christ devienne inutile et gênante à son tour[26]. »

Pour défendre proprement la doctrine de la Corédemption, on trouvait le P. Marie-Joseph Nicolas, dans Theotokos[27]déjà évoqué et aussi son frère, Jean-Hervé Nicolas, op, dans sa Synthèse dogmatique, où il traitait de « l’association de Marie au Christ dans la rédemption même » et du mérite de condigno de Marie dans cette participation[28]. .

Plus récemment, l’abbé Guillaume de Menthière, dans un ouvrage intitulé Marie, Mère du Salut. Marie, Corédemptrice ? Essai de fondement théologique[29]a essayé intelligemment de déminer le terrain : « Le titre de Corédemptrice, s’il convient à Marie, ne saurait être un titre de plus, il est le titre par excellence, celui qui donne sens à tous les autres. » Il notait qu’« un fort courant se dessine dans le magistère ecclésiastique en faveur d’une participation éminente de Marie à l’œuvre du salut » et aussi que « ce courant trouve par ailleurs un écho très favorable dans la piété des fidèles. » Comment ne pas y voir « le signe le plus sûr d’une tradition authentiquement valable » ? Et dans son style caractéristique, comme détaché, pesant le pour et le contre, se gardant par de nombreuses références à Vatican II, il rappelait que le terme de Corédemptrice a parcouru la littérature mariale depuis au moins le XVe siècle jusqu’à Pie X et Pie XI, et que Jean-Paul II en a usé oralement à plusieurs reprises.

Après quoi il posait une « démonstration » sous la forme d’articles de la Somme scolastique, c’est-à-dire en posant une série de questions (« Est-ce au titre de Mère de Dieu que Marie coopère à la Rédemption ? »), chacune suivie des objections tendant à répondre négativement, puis d’un sed contra, c’est-à-dire de l’argument en sens contraire d’une autorité (saint Anselme a dit : « Notre-Dame a racheté le monde alors qu’il était captif »), sur lequel s’appuie une conclusion positive argumentée (« la maternité divine est d’une certaine manière la raison d’être de tous les privilèges de Marie », dont celui de la Corédemption), laquelle permet de donner des réponses aux objections. Guillaume de Menthière allait jusqu’à justifier le titre de « Vierge-Prêtre » qu’avait donné audacieusement l’École française de spiritualité à Marie pour exprimer sa coopération à la Rédemption : Marie a offert de l’Annonciation à la Croix la Victime du sacrifice ; et s’il n’est pas question de lui attribuer un caractère sacerdotal, elle « possédait l’analogue d’un caractère dans sa qualité ontologique d’être la Mère de Dieu. »

Marie en charge de ses enfants, Marie Reine

Le Christ, qui a accompli son sacrifice rédempteur par cet acte suprême d’obéissance à son Père, a voulu le conditionner par l’acte d’obéissance de sa Mère. La participation de cette dernière à la Rédemption s’est ainsi nouée dans l’instant de l’Annonciation. L’obéissance de celle qui par son fiat devient la Mère de Dieu coopère à l’obéissance exprimée par l’Homme-Dieu conçu dans ce moment (« C’est pourquoi, en entrant dans le monde, le Christ dit : Tu n’as voulu ni sacrifice ni oblation ; mais tu m’as façonné un corps ; tu n’as agréé ni holocaustes ni sacrifices pour les péchés ; alors j’ai dit : voici, je viens, car c’est de moi qu’il est question dans le rouleau du livre, pour faire, ô Dieu, ta volonté » (Hébreux 10, 5-7).

C’est parce qu’elle est la Mère du premier né de l’humanité nouvelle que cette contribution possède une caractéristique spécifique par rapport à celle de tous les saints : elle s’applique, non au salut de telles personnes déterminées, mais au salut de tout le genre humain. Le mérite d’un juste, aussi grand qu’il soit, est particulier, mais dans son extension, le mérite de Marie est universel : tous en reçoivent le fruit.

Pie IX soulignait dans Ineffabilis Deus la sollicitude de Marie quant au salut portant sur tout le genre humain et, dans ce cadre d’application universelle, celui de l’efficacité de son intercession : elle est celle qui, « traitant elle-même l’affaire de notre salut, étend sa sollicitude sur tout le genre humain », et qui « intercède efficacement par toute la puissance des prières maternelles. » Le titre de Mère de l’Église donné par Paul VI à Marie – titre qu’évoquait le schéma préparatoire qu’il reprenait à Léon XIII dans Adjutricem populi du 5 septembre 1895, mais que les rédacteurs de Lumen Gentium omirent – n’exprime-t-il pas précisément ce droit maternel universel, sur tous les membres effectifs de l’Église, comme sur tous ses membres en puissance, appelés à l’être même si certains n’y parviendront jamais[30] ? Si bien qu’on peut dire que Marie, Mère de Dieu est Mère de tous les hommes.

Marie au pied de la Croix représentait toute l’humanité que le Christ récapitulait pour la sauver, dit Jean-Hervé Nicolas[31]. Elle devait acquiescer à cette démarche rédemptrice. C’est au nom de tous qu’elle adhérait au sacrifice de son Fils. J’ai évoqué plus haut les paroles de Pie XII dans Ad cæli Reginam, qui disait que notre rédemption s’est effectuée selon une certaine « récapitulation » par laquelle l’humanité, assujettie à la mort par la première Ève, se sauvait par l’intermédiaire de la nouvelle Ève. Et il fondait le titre de Reine qu’il lui reconnaissait sur cette « récapitulation » :

« Sans doute, seul Jésus-Christ, Dieu et homme, est Roi, au sens plein, propre et absolu du mot ; Marie, toutefois, participe aussi à sa dignité royale, bien que d’une manière limitée et analogique, parce qu’elle est la Mère du Christ Dieu et qu’elle est associée à l’œuvre du Divin Rédempteur dans sa lutte contre ses ennemis et dans son triomphe remporté sur eux tous. En effet, par cette union avec le Christ Roi, Elle atteint une gloire tellement sublime qu’elle dépasse l’excellence de toutes les choses créées : de cette même union avec le Christ, découle la puissance royale qui l’autorise à distribuer les trésors du Royaume du Divin Rédempteur ; enfin cette même union avec le Christ est source de l’efficacité inépuisable de son intercession maternelle auprès du Fils et du Père. »

N’est-il pas particulièrement opportun, en cette année où nous fêtons le centenaire de l’encyclique Quas primas de Pie XI sur la Royauté du Christ d’en rapprocher, comme le faisait Pie XII, la Royauté de Marie, liant ce pouvoir royal à son association à l’œuvre de la Rédemption et à sa dispensation des grâces sur les hommes, ses enfants ? Ne serait-il par ailleurs avantageux de développer la réflexion sur ce rapprochement de la Royauté du Christ et de la Royauté de Marie aux institutions humaines et spécialement aux nations ? Pour nous Français spécialement, dont le Christ, selon la fréquente affirmation de sainte Jeanne d’Arc est « Roi de France »[32], laquelle reconnaît la Vierge Marie comme « Reine de France » depuis qu’en 1638 Louis XIII lui consacra son royaume en lui donnant ce titre. Que la Vierge Sainte obtienne par son intercession efficace le rachat de sa fille apostate !

Abbé Claude Barthe

“Ils se partagent mes vêtements, ils tirent au sort ma tunique”

Le numéro de mars de Monde et vie consacre plusieurs articles à la tunique d’Argenteuil. Extraits :

Entretien avec Jean-Christian Petitfils :

Entretien avec l’abbé Guy-Emmanuel Cariot, commentant le chapitre 19 de l’Evangile selon saint Jean :

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Vendredi saint

De Dom Guéranger :

Le soleil s’est levé sur Jérusalem ; mais les pontifes et les docteurs de la loi n’ont pas attendu sa lumière pour satisfaire leur haine contre Jésus. Anne, qui avait d’abord reçu l’auguste prisonnier, l’a fait conduire chez son gendre Caïphe. L’indigne pontife a osé faire subir un interrogatoire au Fils de Dieu. Jésus, dédaignant de répondre, a reçu un soufflet d’un des valets. De faux témoins avaient été préparés ; ils viennent déposer leurs mensonges à la face de celui qui est la Vérité ; mais leurs témoignages ne s’accordent pas. Alors le grand-prêtre, voyant que le système qu’il a adopté pour convaincre Jésus de blasphème n’aboutit qu’à démasquer les complices de sa fraude, veut tirer de la bouche même du Sauveur le délit qui doit le rendre justiciable de la Synagogue. « Je vous adjure, parle Dieu vivant, de répondre. Êtes-vous le Christ Fils de Dieu ? » Telle est l’interpellation que le pontife adresse au Messie. Jésus, voulant nous apprendre les égards qui sont dus à l’autorité, aussi longtemps qu’elle en conserve les titres, sort de son silence, et répond avec fermeté : « Vous l’avez dit : je le suis ; au reste, je vous déclare qu’un jour vous verrez le Fils de l’homme assis à la droite de la Vertu de Dieu, et venant sur les nuées du ciel. » A ces mots, le pontife sacrilège se lève, il déchire ses vêtements, et s’écrie : « Il a blasphémé ! Qu’avons-nous besoin de témoins ? Vous venez d’entendre le blasphème, que vous en semble ? » De toutes parts, dans la salle, on crie : « Il mérite la mort ! » Le propre Fils de Dieu est descendu sur la terre pour rappeler à la vie l’homme qui s’était précipité dans la mort ; et par le plus affreux renversement, c’est l’homme qui, en retour d’un tel bienfait, ose traduire à son tribunal ce Verbe éternel, et le juge digne de mort. Et Jésus garde le silence, et il n’anéantit pas dans sa colère ces hommes aussi audacieux qu’ils sont ingrats ! Répétons en ce moment ces touchantes paroles par lesquelles l’Église Grecque interrompt souvent aujourd’hui la lecture du récit de la Passion : « Gloire à votre patience, Seigneur ! »

A peine ce cri épouvantable : « Il mérite la mort ! » s’est-il fait entendre, que les valets du grand-prêtre se jettent sur Jésus. Ils lui crachent au visage, et lui ayant ensuite bandé les yeux, ils lui donnent des soufflets, en lui disant : « Prophète, devine qui t’a frappé. » Tels sont les hommages de la Synagogue au Messie dont l’attente la rend si fière. La plume hésite à répéter le récit de tels outrages faits au Fils de Dieu ; et cependant ceci n’est que le commencement des indignités qu’a dû subir le Rédempteur.

Dans le même temps, une scène plus affligeante encore pour le cœur de Jésus se passe hors de la salle, dans la cour du grand-prêtre. Pierre, qui s’y est introduit, se trouve aux prises avec les gardes et les gens de service, qui l’ont reconnu pour un Galiléen de la suite de Jésus. L’Apôtre, déconcerté et craignant pour sa vie, abandonne lâchement son maître, et va jusqu’à affirmer par serment qu’il ne le connaît même pas. Triste exemple du châtiment réservé à la présomption ! Mais, o miséricorde de Jésus ! Les valets du grand-prêtre l’entraînent vers le lieu où se tenait l’Apôtre ; il lance sur cet infidèle un regard de reproche et de pardon ; Pierre s’humilie et pleure. Il sort à ce moment de ce palais maudit ; et désormais tout entier à ses regrets, il ne se consolera plus qu’il n’ait revu son maître ressuscité et triomphant. Qu’il soit donc notre modèle, ce disciple pécheur et converti, en ces heures de compassion où la sainte Église veut que nous soyons témoins des douleurs toujours croissantes de notre Sauveur ! Pierre se retire ; car il craint sa faiblesse ; restons, nous, jusqu’à la fin ; nous n’avons rien à redouter ; et daigne le regard de Jésus, qui fond les cœurs les plus durs, se diriger vers nous !

Cependant les princes des prêtres, voyant que le jour commence à luire, se disposent à traduire Jésus devant le gouverneur romain. Ils ont instruit sa cause comme celle d’un blasphémateur, mais il n’est pas en leur pouvoir de lui appliquer la loi de Moïse, selon laquelle il devrait être lapidé. Jérusalem n’est plus libre, et ses propres lois ne la régissent plus. Le droit de vie et de mort n’est plus exercé que par les vainqueurs, et toujours au nom de César. Comment ces pontifes et ces docteurs ne se rappellent-ils pas en ce moment l’oracle de Jacob mourant, qui déclara que le Messie viendrait, lorsque le sceptre serait enlevé à Juda ? Mais une noire jalousie les a égarés ; et ils ne sentent pas non plus que le traitement qu’ils vont faire subir à ce Messie se trouve décrit par avance dans les prophéties qu’ils lisent et dont ils sont les gardiens.

Le bruit qui se répand dans la ville que Jésus a été saisi cette nuit, et qu’on se dispose à le traduire devant le gouverneur, arrive aux oreilles du traître Judas. Ce misérable aimait l’argent ; mais il n’avait aucun motif de désirer la mort de son maître. Il connaissait le pouvoir surnaturel de Jésus, et se flattait peut-être que les suites de sa trahison seraient promptement arrêtées par celui à qui la nature et les éléments ne résistaient jamais. Maintenant qu’il voit Jésus aux mains de ses plus cruels ennemis, et que tout annonce un dénouement tragique, un remords violent s’empare de lui ; il court au Temple, et va jeter aux pieds des princes des prêtres ce fatal argent qui a été le prix du sang. On dirait que cet homme est converti, et qu’il va implorer son pardon. Hélas ! Il n’en est rien. Le désespoir est le seul sentiment qui lui reste, et il a hâte d’aller mettre fin à ses jours. Le souvenir de tous les appels que Jésus fit à son cœur, hier encore, durant la Cène et jusque dans le jardin, loin de lui donner confiance, ne sert qu’à l’accabler ; et pour avoir douté d’une miséricorde qu’il devrait cependant connaître, il se précipite dans l’éternelle damnation, au moment même où le sang qui lave tous les crimes a déjà commencé découler.

Or les princes des prêtres, conduisant avec eux Jésus enchaîné, se présentent au gouverneur Pilate, demandant d’être entendus sur une cause criminelle. Le gouverneur paraît, et leur dit avec une sorte d’ennui : « Quelle accusation apportez-vous contre cet homme ? — Si ce n’était pas un malfaiteur, répondent-ils, nous ne vous l’aurions pas livré. » Le mépris et le dégoût se trahissent déjà dans les paroles du gouverneur, et l’impatience dans la réponse que lui adressent les princes des prêtres. On voit que Pilate se soucie peu d’être le ministre de leurs vengeances : « Prenez-le, leur dit-il, et jugez-le selon votre loi. — Mais, répondent ces hommes de sang, il ne nous est pas permis de faire mourir personne [6]. »

Pilate, qui était sorti du Prétoire pour parler aux ennemis du Sauveur, y rentre et fait introduire Jésus. Le Fils de Dieu et le représentant du monde païen sont en présence. « Êtes-vous donc le roi des Juifs ? demande Pilate. — Mon royaume n’est pas de ce monde, répond Jésus ; il n’a rien de commun avec ces royaumes formés par la violence ; sa source est d’en haut. Si mon royaume était de ce monde, j’aurais des soldats qui ne m’eussent pas laissé tomber au pouvoir des Juifs. Bientôt, à mon tour, j’exercerai l’empire terrestre ; mais à cette heure mon royaume n’est pas d’ici bas. — Vous êtes donc roi, enfin ? reprend Pilate. — Oui, je suis roi, » dit le Sauveur. Après avoir confessé sa dignité auguste, l’Homme-Dieu fait un effort pour élever ce Romain au-dessus des intérêts vulgaires de sa fortune ; il lui propose un but plus digne de l’homme que la recherche des honneurs de la terre. « Je suis venu en ce monde, lui dit-il, pour rendre témoignage à la Vérité ; quiconque est de la Vérité écoute ma voix. — Et qu’est-ce que la Vérité ? » reprend Pilate ; et sans attendre la réponse à sa question, pressé d’en finir, il laisse Jésus, et va retrouver les accusateurs. « Je ne reconnais en cet homme aucun crime [7], » leur dit-il. Ce païen avait cru rencontrer en Jésus un docteur de quelque secte juive dont les enseignements ne valaient pas la peine d’être écoutés, mais en même temps un homme inoffensif dans lequel on ne pouvait, sans injustice, chercher un homme dangereux.

A peine Pilate a-t-il exprimé son avis favorable sur Jésus, qu’un amas d’accusations est produit contre ce Roi des Juifs par les princes des prêtres. Le silence de Jésus, au milieu de tant d’atroces mensonges, émeut le gouverneur : « Mais n’entendez-vous pas, lui dit-il, tout ce qu’ils disent contre vous ? » Cette parole, d’un intérêt visible, n’enlève point Jésus à son noble silence ; mais elle provoque de la part de ses ennemis une nouvelle explosion de fureur. « Il agite le peuple, s’écrient les princes des prêtres ; il va prêchant dans toute la Judée, depuis la Galilée jusqu’ici. » Dans ce mot de Galilée, Pilate croit voir un trait de lumière. Hérode, tétrarque de Galilée, est en ce moment à Jérusalem. Il faut lui remettre Jésus ; il est son sujet ; et cette cession d’une cause criminelle débarrassera le gouverneur, en même temps qu’elle rétablira la bonne harmonie entre Hérode et lui.

Le Sauveur est donc traîné dans les rues de Jérusalem, du Prétoire au palais d’Hérode. Ses ennemis l’y poursuivent avec la même rage, et Jésus garde le même silence. Il ne recueille là que le mépris du misérable Hérode, du meurtrier de Jean-Baptiste ; et bientôt les habitants de Jérusalem le voient reparaître sous la livrée d’un insensé, entraîné de nouveau vers le Prétoire. Ce retour inattendu de l’accusé contrarie Pilate ; cependant il croit avoir trouvé un nouveau moyen de se débarrasser de cette cause qui lui est odieuse. La fête de Pâque lui fournit occasion de gracier un coupable ; il va essayer de faire tomber cette faveur sur Jésus. Le peuple est ameuté aux portes du Prétoire ; il n’y a qu’à mettre en parallèle Jésus, ce même Jésus que la ville a vu conduire en triomphe il y a quelques jours, avec Barabbas, ce malfaiteur qui est un objet d’horreur pour Jérusalem ; le choix du peuple ne peut manquer d’être favorable à Jésus. « Qui voulez-vous que je vous délivre, leur dit-il, de Jésus ou de Barabbas ? » La réponse ne se fait pas attendre ; des voix tumultueuses s’écrient : « Non Jésus, mais Barabbas ! — Que faire donc de Jésus ? reprend le gouverneur interdit. — Crucifiez-le ! — Mais quel mal a-t-il fait ? Je vais le châtier, et je le renverrai ensuite. — Non, non ; crucifiez-le ! »

L’épreuve n’a pas réussi ; et la situation du lâche gouverneur est devenue plus critique qu’auparavant. En vain il a cherchée ravaler l’innocent au niveau d’un malfaiteur ; la passion d’un peuple ingrat et soulevé n’en a tenu aucun compte. Pilate est réduit à promettre qu’il va faire châtier Jésus d’une manière assez barbare pour étancher un peu la soif de sang qui dévore cette populace ; mais il n’a fait que provoquer un nouveau cri de mort.

N’allons pas plus loin sans offrir au Fils de Dieu une réparation pour l’indigne outrage dont il vient d’être l’objet. Mis en balance avec un homme infâme, c’est ce dernier qu’on lui préfère. Si Pilate essaie par pitié de lui sauver la vie, c’est à condition de lui faire subir cette ignoble comparaison, et c’est en pure perte. Les voix qui chantaient Hosannah au fils de David, il y a quelques jours, ne font plus entendre que des hurlements féroces ; et le gouverneur, qui craint une sédition, a osé promettre de punir celui dont il a tout à l’heure confessé l’innocence.

Jésus est livré aux soldats pour être flagellé par eux. On le dépouille avec violence de ses vêtements, et on l’attache à la colonne qui servait pour ces exécutions. Les fouets les plus cruels sillonnent son corps tout entier, et le sang coule par ruisseaux le long de ses membres divins. Recueillons cette seconde effusion du sang de notre Rédempteur, par laquelle Jésus expie pour l’humanité tout entière les complaisances et les crimes de la chair. C’est par la main des Gentils que ce traitement lui est inflige ; les Juifs l’ont livré, et les Romains sont les exécuteurs ; tous nous avons trempé dans l’affreux déicide.

Mais cette soldatesque est lasse enfin de frapper ; les bourreaux détachent leur victime, en auront-ils enfin pitié ? Non, ils vont faire succéder à tant de cruauté une dérision sacrilège. Jésus a été appelé le Roi des Juifs ; les soldats prennent occasion de ce titre pour donner une forme nouvelle à leurs outrages. Un roi porte la couronne ; les soldats vont en imposer une au fils de David. Tressant à la hâte un horrible diadème avec des branches d’arbrisseaux épineux, ils la lui enfoncent sur la tête, et pour la troisième fois, le sang de Jésus coule avec abondance. Puis, afin de compléter l’ignominie, les soldats lui jettent sur les épaules un manteau de pourpre, et placent dans sa main un roseau, en guise de sceptre. Alors ils se mettent a genoux devant lui, et disent : « Roi des Juifs, salut ! » Et cet hommage insultant est accompagné de soufflets sur le visage de l’Homme-Dieu, et d’infâmes crachats ; et de temps en temps on lui arrache le roseau des mains pour l’en frapper sur la tête, afin d’enfoncer toujours davantage les cruelles épines dont elle est ceinte.

A ce spectacle, le chrétien se prosterne dans un douloureux respect, et dit à son tour. « Roi des Juifs, salut ! Oui, vous êtes le fils de David, et à ce titre, notre Messie et notre Rédempteur. Israël renie votre royauté qu’il proclamait naguère ; la gentilité n’y trouve qu’une occasion de plus pour vous outrager ; mais vous n’en régnerez pas moins par la justice sur Jérusalem, qui ne tardera pas à sentir le poids de votre sceptre vengeur ; par la miséricorde sur les Gentils, que bientôt vos Apôtres amèneront à vos pieds. En attendant, recevez notre hommage et notre soumission. Régnez dès aujourd’hui sur nos cœurs et sur notre vie tout entière. »

On conduit Jésus à Pilate dans l’affreux état où l’a mis la cruauté des soldats. Le gouverneur ne doute pas qu’une victime réduite aux abois n’obtienne grâce devant le peuple ; et faisant monter avec lui le Sauveur à une galerie du palais, il le montre à la multitude, en disant : « Voilà l’homme ! » Cette parole était plus profonde que ne le croyait Pilate. Il ne disait pas : Voilà Jésus, ni voilà le Roi des Juifs ; il se servait d’une expression générale dont il n’avait pas la clef, mais dont le chrétien possède l’intelligence. Le premier homme, dans sa révolte contre Dieu, avait bouleversé, par son péché, l’œuvre entière du Créateur ; en punition de son orgueil et de sa convoitise, la chair avait asservi l’esprit ; et la terre elle-même, en signe de malédiction, ne produisait plus que des épines. Le nouvel homme qui porte, non la réalité, mais la ressemblance du péché, paraît ; et l’œuvre du Créateur reprend en lui son harmonie première ; mais c’est par la violence. Pour montrer que la chair doit être asservie à l’esprit, la chair en lui est brisée sous les fouets ; pour montrer que l’orgueil doit céder la place à l’humilité, s’il porte une couronne, ce sont les épines de la terre maudite qui la forment sur sa tête. Triomphe de l’esprit sur les sens, abaissement de la volonté superbe sous le joug de la sentence : voilà l’homme.

Israël est comme le tigre ; la vue du sang irrite sa soif ; il n’est heureux qu’autant qu’il s’y baigne. A peine a-t-il aperçu sa victime ensanglantée, qu’il s’écrie avec une nouvelle fureur : « Crucifiez-le ! crucifiez-le ! —Eh bien ! dit Pilate, prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le ; pour moi, je ne trouve aucun crime en lui. » Et cependant on l’a mis, par son ordre, dans un état qui, à lui seul, peut lui causer la mort. Sa lâcheté sera encore déjouée. Les Juifs répliquent en invoquant le droit que les Romains laissaient aux peuples conquis : « Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir ; car il s’est dit le Fils de Dieu. » A cette réclamation. Pilate se trouble ; il rentre dans la salle avec Jésus, et lui dit : « D’où êtes-vous ? » Jésus se tait ; Pilate n’était pas digne d’entendre le Fils de Dieu lui rendre raison de sa divine origine. Il s’irrite cependant : « Vous ne me répondez pas ? dit-il ; ne savez-vous pas que j’ai le pouvoir de vous crucifier, et le pouvoir de vous absoudre ? »

Jésus daigne parler ; et c’est pour nous apprendre que tome puissance de gouvernement, même chez les infidèles, vient de Dieu, et non de ce qu’on appelle le pacte social : « Vous n’auriez pas ce pouvoir, répondit-il, s’il ne vous avait été donné d’en haut : c’est pour cela que le péché de celui qui m’a livré à vous est d’autant plus grand. »

La noblesse et la dignité de ces paroles subjuguent le gouverneur ; et il veut encore essayer de sauver Jésus. Mais les cris du peuple pénètrent de nouveau jusqu’à lui : « Si vous le laissez aller, lui dit-on, vous n’êtes pas l’ami de César. Quiconque se fait roi, se déclare contre César. » A ces paroles, Pilate, essayant une dernière fois de ramener à la pitié ce peuple furieux, sort de nouveau, et monte sur un siège en plein air ; il s’assied et fait amener Jésus : « Le voilà, dit-il, votre roi ; voyez si César a quelque chose à craindre de lui. » Mais les cris redoublent : « Ôtez-le ! Ôtez-le ! Crucifiez-le ! — Mais, dit le gouverneur, qui affecte de ne pas voir la gravite du péril, crucifierai-je donc votre roi ? » Les Pontifes répondent : « Nous n’avons point d’autre roi que César. » Parole indigne qui, lorsqu’elle sort du sanctuaire, annonce aux peuples que la foi est en péril : eu même temps parole de réprobation pour Jérusalem ; car si elle n’a pas d’autre roi que César, le sceptre n’est plus dans Juda, et l’heure du Messie est arrivée.

Pilate, voyant que la sédition est au comble, et que sa responsabilité de gouverneur est menacée, se résout à abandonner Jésus à ses ennemis. Il porte enfin quoique à contrecœur, cette sentence qui doit produire en sa conscience un affreux remords dont bientôt il cherchera la délivrance dans le suicide. Il trace lui-même sur une tablette, avec un pinceau, l’inscription qui doit être placée au-dessus de la tête de Jésus. Il accorde même à la haine des ennemis du Sauveur que, pour une plus grande ignominie, deux voleurs seront crucifies avec lui. Ce trait était nécessaire à l’accomplissement de l’oracle prophétique : il sera mis au rang des scélérats. » Puis, lavant ses mains publiquement, à ce moment où il souille son âme du plus odieux forfait, il s’écrie en présence du peuple : « Je suis innocent du sang de ce juste : cela vous regarde. » Et tout le peuple répond par ce souhait épouvantable : « Que son sang soit sur nous et sur nos enfants [14]. » Ce fut le moment où le signe du parricide vint s’empreindre sur le front du peuple ingrat et sacrilège, comme autrefois sur celui de Caïn ; dix-huit siècles de servitude, de misère et de mépris ne l’ont pas effacé. Pour nous, enfants de la gentilité, sur lesquels ce sang divin est descendu comme une rosée miséricordieuse, rendons grâce à la bonté du Père céleste, qui « a tant aimé le monde qu’il lui a donné son Fils unique » ; rendons grâces à l’amour de ce Fils unique de Dieu, qui, voyant que nos souillures ne pouvaient être lavées que dans son sang, nous le donne aujourd’hui jusqu’à la dernière goutte.

Ici commence la Voie douloureuse, et le Prétoire de Pilate, où fut prononcée la sentence de Jésus, en est la première Station. Le Rédempteur est abandonné aux Juifs par l’autorité du gouvernent. Les soldais s,’empare m de lui et l’emmènent hors de la cour du Prétoire. Ils lui enlèvent le manteau de pourpre, et le revêtent de ses vêtements qu’ils lui avaient ôtés pour le flageller ; enfin ils chargent la croix sur ses épaules déchirées. Le lieu où le nouvel Isaac reçut ainsi le bois de son sacrifice est désigné comme la seconde Station. La troupe des soldats, renforcée des exécuteurs, des princes des prêtres, des docteurs de la loi, d’un peuple immense, se met en marche. Jésus s’avance sous le fardeau de sa croix ; mais bientôt, épuisé par le sang qu’il a perdu et par les souffrances de tout genre, il ne peut plus se soutenir, et tombant sous le faix, il marque par sa chute la troisième Station.

Les soldats relèvent avec brutalité le divin captif qui succombait plus encore sous le poids de nos péchés que sous celui de l’instrument de son supplice. Il vient de reprendre sa marche chancelante, lorsque tout à coup sa mère éplorée se présente à ses regards. La femme forte, dont l’amour maternel est invincible, s’est rendue sur le passage de son fils ; elle veut le voir, le suivre, s’attacher à lui, jusqu’à ce qu’il expire. Sa douleur est au-dessus de toute parole humaine ; les inquiétudes de ces derniers jours ont déjà épuisé ses forces ; toutes les souffrances de son fils lui ont été divinement manifestées ; elle s’y est associée, et elle les a toutes endurées une à une. Mais elle ne peut plus demeurer loin du regard des hommes ; le sacrifice avance dans son cours, la consommation est proche ; il lui faut être avec son fils, et rien ne la pourrait retenir en ce moment. La fidèle Madeleine est près d’elle, noyée dans ses pleurs ; Jean. Marie mère de Jacques avec Salomé, l’accompagnent aussi ; ils pleurent sur leur maître ; mais elle, c’est sur son fils qu’elle pleure. Jésus la voit, et il n’est pas en son pouvoir de la consoler, car tout ceci n’est encore que le commencement des douleurs. Le sentiment des angoisses qu’éprouve en ce moment le cœur de la plus tendre des mères vient oppresser d’un nouveau poids le cœur du plus aimant des fils. Les bourreaux n’accorderont pas un moment de retard dans la marche, en faveur de cette mère d’un condamné ; elle peut se traîner, si elle le veut, à la suite du funeste convoi : c’est beaucoup pour eux qu’ils ne la repoussent pas ; mais la rencontre de Jésus et de Marie sur le chemin du Calvaire désignera pour jamais la quatrième Station.

La route est longue encore ; car, selon la loi, les criminels devaient subir leur supplice hors des portes de la ville. Les Juifs en sont à craindre que la victime n’expire avant d’être arrivée au lieu du sacrifice. Un homme qui revenait de la campagne, nommé Simon de Cyrène, rencontre le douloureux cortège ; on l’arrête, et, par un sentiment cruellement humain envers Jésus, on oblige cet homme à partager avec lui l’honneur et la fatigue de porter l’instrument du salut du monde. Cette rencontre de Jésus avec Simon de Cyrène consacre la cinquième Station.

A quelques pas de là, un incident inattendu vient frapper d’étonnement et de stupeur jusqu’aux bourreaux eux-mêmes. Une femme fend la foule, écarte les soldats et se précipite jusqu’auprès du Sauveur Elle tient entre ses mains son voile qu’elle a détache, et elle en essuie d’une main tremblante le visage de Jésus, que le sang, la sueur et les crachats avaient rendu méconnaissable. Elle l’a reconnu cependant, parce qu’elle l’a aimé ; et elle n’a pas craint d’exposer sa vie pour lui offrir ce léger soulagement. Son amour sera récompensé : la face du Rédempteur, empreinte par miracle sur ce voile, en fera désormais son plus cher trésor ; et elle aura eu la gloire de désigner, par son acte courageux, la sixième Station de la Voie douloureuse.

Cependant les forces de Jésus s’épuisent de plus en plus, à mesure que l’on approche du terme fatal. Une subite défaillance abat une seconde fois la victime, et marque la septième Station. Jésus est bientôt relevé avec violence par les soldats, et se traîne de nouveau sur le sentier qu’il arrose de son sang. Tant d’indignes traitements excitent des cris et des lamentations dans un groupe de femmes qui, émues de compassion pour le Sauveur, s’étaient mises à la suite des soldats et avaient bravé leurs insultes. Jésus, touché de l’intérêt courageux de ces femmes qui, dans la faiblesse de leur sexe, montraient plus de grandeur d’âme que le peuple entier de Jérusalem, leur adresse un regard de bonté, et reprenant toute la dignité de son langage de prophète, il leur annonce, en présence des princes des prêtres et des docteurs de la loi, l’épouvantable châtiment qui suivra bientôt l’attentat dont elles sont témoins, et qu’elles déplorent avec tant de larmes. « Filles de Jérusalem, leur dit-il, à cet endroit même qui est compté pour la huitième Station ; filles de Jérusalem ! Ce n’est pas sur moi qu’il faut pleurer ; c’est sur vous et sur vos enfants ; car il viendra des jours où l’on dira : Heureuses les stériles, et les entrailles qui n’ont point porté, et les mamelles qui n’ont point allaité ! Alors ils diront aux montagnes : Tombez sur nous ; et aux collines : Couvrez-nous ; mais si l’on traite ainsi le bois vert aujourd’hui, comment alors sera traité le bois sec [16] ? »

Enfin on est arrivé au pied de la colline du Calvaire, et Jésus doit encore la gravir avant d’arriver au lieu de son sacrifice. Une troisième fois son extrême fatigue le renverse sur la terre, et sanctifie la place où les fidèles vénéreront la neuvième Station. La soldatesque barbare intervient encore pour faire reprendre à Jésus sa marche pénible, et après bien des coups il parvient enfin au sommet de ce monticule qui doit servir d’autel au plus sacré et au plus puissant de tous les holocaustes. Les bourreaux s’emparent de la croix et vont l’étendre sur la terre, en attendant qu’ils y attachent la victime. Auparavant, selon l’usage des Romains, qui était aussi pratiqué par les Juifs, on offre à Jésus une coupe qui contenait du vin mêlé de myrrhe. Ce breuvage, qui avait l’amertume du fiel, était un narcotique destiné à engourdir jusqu’à un certain point les sens du patient, et à diminuer les douleurs de son supplice. Jésus touche un moment de ses lèvres cette potion que la coutume, plutôt que l’humanité, lui faisait offrir ; mais il refuse d’en boire, voulant rester tout entier aux souffrances qu’il a daigné accepter pour le salut des hommes. Alors les bourreaux lui arrachent avec violence ses vêtements colles à ses plaies, et s’apprêtent à le conduire au lieu où la croix l’attend. L’endroit du Calvaire où Jésus fut ainsi dépouillé, et où on lui présenta le breuvage amer, est désigné comme la dixième Station de la Voie douloureuse. Les neuf premières sont encore visibles dans les rues de Jérusalem, de l’emplacement du Prétoire jusqu’au pied du Calvaire ; mais cette dernière, ainsi que les quatre suivantes, sont dans l’intérieur de l’Église du Saint-Sépulcre, qui renferme dans sa vaste enceinte le théâtre des dernières scènes de la Passion du Sauveur.

Mais il nous faut suspendre ce récit ; déjà même nous avons devance un peu les heures de cette grande journée, et nous avons à revenir plus tard sur le Calvaire. Il est temps de nous unir à la sainte Église dans la lugubre fonction par laquelle elle s’apprête à célébrer le trépas de son divin Époux. L’airain sacré ne convoquera pas aujourd’hui les fidèles à la maison de Dieu ; la foi et la componction seules les invitent à franchir au plus tôt les degrés du temple.

La République des seringues

Via Le Nouveau conservateur :

Lu sur LinkedIn (et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur) ce texte du juriste François Vannesson sur l’euthanasie (en cours de débat à l’Assemblée):

Ils avancent masqués, bavards comme des croque-morts en reconversion, lestés de bons sentiments frelatés, parfumés à l’ambre tiède de la compassion industrielle.

Ils invoquent la « dignité » comme on maquille un cadavre pour une photo de noces posthumes, brandissent la « liberté » comme un scalp sur la hampe d’un état démissionnaire, et vous offrent le « choix » — ce faux-nez libertaire pour consentir à votre propre disparition — avec le sourire mécanique d’un thanatopracteur.

Ce texte, cette abjection législative, ce dérapage contrôlé vers le néant normatif, n’est rien de moins qu’une exécution morale collective, conduite avec la componction visqueuse des régimes qui tuent proprement.

À l’acte d’anesthésier la douleur, on substitue celui d’anesthésier les consciences.

C’est un crime emballé dans du coton, une violence en gants blancs, où la seringue est plus hygiénique que le couteau, mais la mise à mort n’en est que plus obscène.

Ils appellent cela « accompagner », mais c’est un abandon.

Ils disent « humanité », mais c’est un tri social.

Ils prétendent « protéger », mais c’est pour mieux déléguer l’expulsion des indésirables à une armée blanche de fonctionnaires médicaux.

Les mots, chez eux, ne servent plus à nommer, mais à camoufler.

« Aide à mourir », cette expression est un viol de la vérité. On n’aide pas à mourir. On supprime. On élimine. On précipite. Mais ils n’osent plus dire « euthanasie ». Trop frontal. Trop honnête. Trop laid pour leur morale photoshopée. Alors ils inventent une périphrase digne d’un manuel de propagande : un homicide administré avec un fond sonore de violon.

La loi, cet orfèvre des équilibres fragiles, devient ici bistouri de dissection sociale.

Ce texte ne réforme pas : il fracture.

Il ne complète pas : il inverse.

Il ne soigne pas : il trie.

L’architecture du droit français s’est toujours construite sur quelques piliers inviolables : l’indisponibilité du corps humain, la prévention du suicide, le refus du meurtre médicalisé.

En deux articles ciselés au scalpel de l’émotion, cette proposition pulvérise tout.

Le droit de mourir devient droit d’être tué.

Le suicide assisté devient prestation sociale.

L’euthanasie devient service public.

Ce basculement est juridique autant que moral. En prétendant encadrer une exception, on légalise une rupture. Le droit devient plastique, torsadé autour du pathos, du cas limite, de l’anecdote déchirante.

Ce n’est pas ainsi qu’on légifère. C’est ainsi qu’on abdique.

Ce texte est une capitulation normative, un chiffon mou trempé dans l’émotion publique.

Ils ont la mine grave, les formules propres, la parole compatissante. Mais c’est la mort qu’ils organisent. La mort à la carte. La mort sur ordonnance.

Vous avez mal ? Vous êtes seul ? Vous êtes vieux ? Vous coûtez cher ?

Pas de problème. Une solution est disponible. Une piqûre, un adieu, un sourire en coin. Et des papiers signés dans les règles de l’art.

On appelle cela le progrès.

Ce langage-là n’est pas neutre. Il est criminogène.

Chaque mot a été épilé, lessivé, désinfecté, jusqu’à ce qu’il perde sa puissance de dégoût. On ne dit plus l’atroce. On le murmure. On le parfume. La mort n’est plus tragédie, elle est produit d’appel. On la markete. On la démocratise. L’acte de supprimer un malade devient une innovation éthique, un progrès sociétal.

Les philosophes les plus cités sont les plus trahis.

Camus avertissait que le suicide est le seul problème philosophique vraiment sérieux. Il ne demandait pas qu’on le légalise. Il réclamait qu’on l’interroge.

Arendt aurait vu dans cette mécanique propre une nouvelle forme de désertion : tuer non pas dans la haine, mais dans la lassitude.

Ricoeur aurait vomi ce renversement des finalités du soin en orgie d’autodétermination factice.

Vous croyez que c’est un détail ? Que ce n’est qu’une avancée pour quelques cas extrêmes ?

Détrompez-vous.

L’histoire du droit n’est faite que de précédents qui s’enchaînent.

Ce qui commence dans la souffrance inacceptable finit dans la commodité sociale.

Ce qui débute pour quelques-uns se généralise par commodité.

Ce que l’on prétend exceptionnel devient banal à force d’usage.

Ils veulent faire de la mort un service public. Une prestation. Une délivrance personnalisée.

Et qui en sera le garant ?

L’État.

Celui-là même qui n’est plus capable de soigner dans les déserts médicaux, mais qui sait euthanasier avec ponctualité. Celui qui ne peut plus offrir de présence, mais qui vous promet un protocole.

L’indisponibilité du corps humain ? Jetée aux orties.

L’inviolabilité de la vie ? Dissoute dans une seringue.

La prohibition du suicide assisté, inscrite à l’article 223-13 du Code pénal ? Devenue lettre morte.

Le droit français ne tient plus debout ; il claudique, en titubant vers l’abîme, mené par ceux qui confondent progrès et capitulation.

Le plus grave n’est pas l’outrage, c’est la duplicité.

Le législateur feint de n’avoir rien détruit. Il parle d’ajout. D’exception. Mais en vérité, il a changé de paradigme. Ce n’est plus un droit de refuser l’acharnement. C’est un droit à obtenir sa propre mort, validée, légitimée.

Ce n’est plus une liberté négative — celle de dire non à des soins indus. C’est une liberté positive, facturée, réclamée, transformée en créance.

Or toute créance a un corollaire : un débiteur.

Qui ? Le médecin, l’État, la société.

Et ce poison n’est pas simplement normatif. Il est symbolique car une loi ne dit pas que ce qu’elle autorise. Elle dit aussi ce qu’elle valorise, ce qu’elle enseigne, ce qu’elle banalise.

Et que dit celle-ci ?

Que l’État ne sauve plus — il exécute.

Qu’il n’encourage plus à vivre — il valide l’extinction.

Qu’il n’aide plus à traverser la souffrance — il la transforme en critère d’élimination.

L’émotion, ici, est l’arme du crime.

On vous montre une agonie — une seule. On vous la filme. On vous la passe en boucle. Et puis on vous dit : « Voilà, c’est pour cela qu’il faut changer la loi. »

Comme si la norme suprême devait obéir au cas le plus spectaculaire, à l’anecdote la plus poignante.

C’est la tyrannie du pathos. La dictature du larmoiement.

Cette trahison n’est pas une erreur de plume. C’est une forfaiture méthodique. Car les auteurs du texte le savent. Ils ont lu les arrêts. Ils ont entendu les déontologistes. Ils connaissent l’avis 139 du CCNE, qui dit noir sur blanc qu’il serait éthiquement inadmissible d’introduire une telle loi sans généralisation préalable de l’accès aux soins palliatifs.

Ont-ils attendu ? Ont-ils investi ? Non.

Ils ont piétiné l’avis. Ils ont ouvert le bar à cyanure sans avoir construit la maison de soins.

Et la médecine, dans tout cela ?

Elle est là, écartelée, muette comme une vache à l’abattoir, sacrifiée sur l’autel d’une République lasse de soigner.

Le médecin devient l’auxiliaire d’une euthanasie standardisée. Il ne guérit plus, il achève. Le Serment d’Hippocrate est ici brisé comme une allumette.

« JE NE PROVOQUERAI JAMAIS DÉLIBÉRÉMENT LA MORT »,

disait-il.

Quelle ringardise !

Voici venu le temps des protocoles de fin de vie, avec dosage millimétré, mode opératoire, formulaire en ligne.

Et le pire, c’est que ceux qui résistent sont sommés de se taire.

Clause de conscience, disent-ils ?

Pour combien de temps encore ?

Quand le droit devient créance, la clause devient anomalie. On les désignera bientôt comme réfractaires, on les accusera d’abandon, on leur opposera le désir sacralisé du patient.

Le soin n’est plus un chemin ; c’est un couloir. Un corridor vers la seringue.

Si vous êtes trop malade, trop vieux, trop fatigué, trop seul, on vous proposera — tout en douceur — d’en finir.

L’humanité dans sa version Netflix. La mort Netflix. Avec anesthésie morale offerte.

Le médecin n’est plus là pour soutenir, mais pour valider une démission. La société se désengage ; le médecin tamponne.

Et tout cela au nom de la liberté du patient ?

Mais quel cynisme.

Les patients qui demandent la mort ne sont pas libres : ils sont désespérés. Leur volonté est une plainte. Un cri. Et qu’est-ce que cette loi fait de ce cri ? Elle le prend au mot. Elle le transforme en décret.

L’écoute véritable ne consiste pas à répondre au premier degré. Elle consiste à entendre au-delà. À percevoir l’ambivalence. À accompagner la métamorphose intérieure du malade qui, au fil des jours, change, vacille, revient. Mais ce que cette loi détruit, c’est la temporalité du soin. Elle remplace le compagnonnage par le compte à rebours.

Et les soins palliatifs, où sont-ils ?

Où sont passés ces havres de douceur, ces bastions silencieux où l’on accompagnait l’agonie avec tendresse, science et foi dans l’humain ?

Enterrés. Éborgnés. Dépecés par des décennies de coupes budgétaires.

À peine 20 % des patients qui en auraient besoin y ont accès.

La géographie est criminelle : selon que vous serez hospitalisé à Paris, à Cahors ou à Montluçon, la dignité de votre fin variera du tout au rien.

Mais pourquoi renforcer les soins palliatifs, quand on peut euthanasier ?

Pourquoi investir dans l’humain, quand on peut injecter ?

Un flacon coûte moins cher qu’une équipe pluridisciplinaire. Cette loi est une loi de gestionnaires. Une rationalisation de la fin de vie par la logistique létale. Ce n’est pas une avancée, c’est une réduction de coûts.

La vérité ?

On ne soigne plus parce qu’on ne sait plus. Parce qu’on ne veut plus. Parce qu’on préfère éliminer que d’accompagner.

Partout où les soins palliatifs sont dignes, humains, accessibles, la demande de mourir s’effondre. Elle se dilue dans la chaleur, dans la main tendue, dans le regard qui dit « tu existes encore ». Là où la médecine n’est pas qu’un protocole, là où le silence est habité, là où l’on continue de dire « je suis là », les mourants ne veulent plus mourir.

Ils veulent vivre jusqu’au bout.

La mécanique, car il y a toujours une mécanique, a déjà été huilée ailleurs. Et partout, elle fonctionne selon le même engrenage : on commence par les malades incurables, en fin de vie, en souffrance extrême. Et puis — comme un poison lent — la définition de l’intolérable s’étire. Les garde-fous deviennent bastingages en carton. Les mots changent. Les critères glissent.

Voyez la Belgique. On y a légalisé l’euthanasie pour les adultes. Puis pour les adolescents. Puis pour les enfants. En Suisse, des patients psychiatriques sans autre pathologie sont euthanasiés. Au Canada, un vétéran de guerre s’est vu proposer le suicide assisté faute de soins psychologiques adaptés. Au lieu d’un soutien, on lui a offert la mort en package.

C’est cela qui arrive lorsque l’État décide que certains désespoirs sont irréversibles.

On commence par autoriser, on finit par inciter. L’exception devient règle, le choix devient pression, la liberté devient dette. Et ceux qui survivent — vieillards usés, invalides oubliés, malades chroniques — commencent à se demander s’ils n’encombrent pas trop.

Ils finissent par demander.

Ce qui vient, si cette loi passe, ce n’est pas un progrès. C’est un trou noir éthique. Une société où l’on n’ose plus vieillir, où l’on n’a plus le droit d’être faible, triste, souffrant, coûteux, lent.

Une société qui autorise certains à mourir devient très vite une société qui pousse certains à ne plus vivre.

Les pays qui ont légalisé le suicide assisté ou l’euthanasie ont tous vu une chose : l’extension de ces pratiques à des cas non létaux, à des souffrances psychiques, à des existences fragiles mais pas condamnées. Et dans le même temps, les taux de suicide global n’ont pas baissé. Ils ont monté. Comme si le fait d’ouvrir les vannes de la mort avait libéré quelque chose de plus profond. Un nihilisme diffus.

À force de vider la mort de son poids, on l’a rendue légère comme une formalité.

À force de la vouloir propre, on l’a rendue inodore.

À force de vouloir en faire un droit, on en a fait un produit.

Désormais, on pourra mourir sans bruit. Sans déranger. En ligne, presque. Avec un protocole, une notice, une autorisation. Comme on résilie un abonnement.

C’est cela, au fond, que cette loi consacre : l’ultime victoire de l’individualisme.

Le suicide assisté, l’euthanasie, ne sont pas des choix libres. Ce sont les symptômes d’une époque qui a désappris à faire société. D’un monde qui a troqué la solidarité contre la sélection. Qui a préféré la propreté du néant à la saleté de la fraternité.

Ne vous laissez pas confisquer le sens des mots.

Dignité ? Ce n’est pas mourir sans vomir. Ce n’est pas mourir « quand on le veut ». La dignité, c’est le regard qu’on vous porte jusqu’au bout. La main qui ne tremble pas. Le silence qui n’abandonne pas.

La dignité, c’est ce que la société vous doit, même quand vous ne vous l’accordez plus.

Ce n’est pas de l’aide à mourir que nous avons besoin. C’est d’une aide à supporter la vie quand elle devient plus forte que nous. Ce n’est pas de protocoles létaux. C’est de soins, de paroles, de liens. Ce n’est pas d’une clause de sortie. C’est d’une communauté debout autour de ses membres les plus brisés.

Aux parlementaires, je dis :

Vous n’êtes pas là pour entériner le désespoir. Vous êtes là pour y faire barrage.

Vous n’êtes pas là pour fournir à l’État les moyens d’aider à mourir. Vous êtes là pour rappeler à l’État qu’il doit d’abord apprendre à ne pas abandonner. À financer, à soigner, à accompagner, à écouter, à tenir.

Et à tous les autres — médecins, citoyens, aidants, croyants, sceptiques, humains enfin — je dis : debout.

Ce combat n’est pas religieux, ni partisan. Il est vital.

C’est le dernier rempart contre l’effacement programmé de ce que nous avons de plus précieux : l’interdépendance. Le refus de se débarrasser des faibles. Le courage de ne pas précipiter la fin. La volonté, coûte que coûte, de rester humains jusqu’à l’ultime seconde.

Je ne veux pas d’une société propre, rapide et rentable.

Je veux d’une société qui souffre, qui lutte, qui pleure et qui accompagne.

Une société qui ne vous aide pas à mourir, mais vous oblige à vivre jusqu’à ce que la mort vienne par elle-même, naturellement, tragiquement, humainement.

Trop, c’est trop.

Trop de lâcheté enveloppée de mièvrerie.

Trop de barbarie emballée dans des papiers parfumés de « dignité » et « choix éclairé ».

Trop de renoncements masqués sous des mots ronds comme des pierres tombales.

Il est temps de compter les vivants. Il est temps de se lever.

Car il s’agit bien d’un appel aux armes morales. D’un soulèvement pacifique mais intraitable contre cette légalisation du vide.

Ce projet de loi n’est pas amendable. Il est irrecevable. Irrécupérable. Incompatible avec l’idée même d’une société humaine digne de ce nom.

Qu’on ne vienne pas nous dire que refuser cette loi, c’est vouloir l’acharnement thérapeutique. C’est un mensonge. Le refus de tuer n’a jamais impliqué le refus de laisser mourir.

La France possède déjà un arsenal juridique de grande qualité en matière de fin de vie : limitation ou arrêt de traitement, sédation profonde continue, directives anticipées, collégialité.

Ce qui manque, ce n’est pas une nouvelle loi — c’est l’application de celles qui existent.

Ce qui manque, ce sont des soins palliatifs accessibles à tous, partout, dignes, financés, respectés.

Ce qui manque, c’est du temps, de l’écoute, du lien.

Ce qui manque, ce n’est pas la mort — c’est la tendresse.

Mais voilà : cela coûte. Cela oblige. Cela engage. Cela suppose que nous nous comportions en société, pas en tribu d’hédonistes pressés. En civilisation, pas en horde d’autonomes jetables.

Or cette loi n’est pas le fruit de la compassion — elle est l’aboutissement logique de notre fatigue collective à être humains.

Il faut que cela cesse. Il faut nommer la chose pour ce qu’elle est : un effondrement. De notre vision de l’homme, de notre responsabilité politique, de notre culture de la finitude.

Car cette loi, si elle passe, ne sera pas seulement une loi nouvelle. Elle deviendra la pierre angulaire d’un nouveau régime moral. D’une nouvelle ontologie. Celle où l’individu-roi peut réclamer la mort comme un dû. Où la société, lassée d’aimer, répondra : « Va en paix. Tu dérangeais. »

Et c’est à nous, maintenant, d’arracher le masque. De profaner cette imposture. De rappeler ce que c’est qu’une société humaine.

Rappeler que la vulnérabilité n’est pas une tare, mais une condition commune.

Que la fin de vie n’est pas une gestion, mais une épreuve partagée.

Que le malade ne doit pas être éliminé, mais embrassé — jusqu’au bout.

Que la loi n’est pas un distributeur de volontés individuelles, mais le sceau du commun. Le dernier barrage. Le garde-fou.

À tous les soignants, les philosophes, les citoyens, les élus encore éveillés : cette loi ne doit pas passer.

À tous les partisans du soin et non de l’éjection, du compagnonnage et non de la seringue : unissez-vous.

À ceux qui croient encore en la fraternité, en la parole, en la main posée sur l’épaule au lieu de l’aiguille dans la veine : faites entendre votre voix.

Ce combat est politique, il est de civilisation et si nous ne le menons pas aujourd’hui, demain il n’y aura plus rien à défendre dans notre devise Républicaine — car il n’y aura plus que des individus isolés, invités à mourir dès qu’ils deviennent pesants et la véritable fraternité aura disparu.

Un petit truc en plus pour aller au Puy du Fou

Comme chaque année, les Amis du Samedi, (association qui organise une fois par mois des sorties pour des jeunes porteurs de handicap: https://www.entraide-handicap.m-c-familles.fr/amis-du-samedi) accompagnent une trentaine de jeunes atteints de trisomie 21 ou de TSA ( trouble du spectre de l’autisme) pour un grand week-end au Puy du fou qui aura lieu le 17 et 18 mai prochain.

Pour organiser au mieux ce séjour, nous avons besoin de votre générosité, c’est pourquoi nous avons mis en place cette cagnotte:

https://pots.lydia.me/collect/pots?id=97037-puy-du-fou-pour-les-amis-du-samedi

Merci pour votre générosité et belle fête de Pâques.

Cet article est une tribune libre, non rédigée par la rédaction du Salon beige. Si vous souhaitez, vous aussi, publier une tribune libre, vous pouvez le faire en cliquant sur « Proposer un article » en haut de la page.

Le linceul de Turin

 

« Faites ceci en mémoire de moi »

De Dom Guéranger :

La sainte Église se proposant aujourd’hui de renouveler, avec une solennité toute particulière, l’action qui fut accomplie par le Sauveur dans la dernière Cène, selon le précepte qu’il en fit à ses Apôtres, lorsqu’il leur dit : « Faites ceci en mémoire de moi », nous allons reprendre le récit évangélique que nous avons interrompu au moment où Jésus entrait dans la salle du festin pascal.

Il est arrivé de Béthanie ; tous les Apôtres sont présents, même le perfide Judas, qui garde son affreux secret. Jésus s’approche de la table sur laquelle l’agneau est servi ; ses disciples y prennent place avec lui ; et l’on observe fidèlement les rites que le Seigneur prescrivit à Moïse pour être suivis par son peuple. Au commencement du repas, Jésus prend la parole, et il dit à ses Apôtres : « J’ai désiré ardemment de manger avec vous cette Pâque, avant de souffrir [9]. » Il parlait ainsi, non que cette Pâque eût en elle-même quelque chose de supérieur à celles des années précédentes, mais parce qu’elle allait donner occasion à l’institution de la Pâque nouvelle qu’il avait préparée dans son amour pour les hommes ; car « ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, dit saint Jean, il les aima jusqu’à la fin » [10].

Pendant le repas, Jésus, pour qui les cœurs n’avaient rien de caché, proféra cette parole qui émut les disciples : « En vérité, je vous le dis, l’un de vous me trahira ; oui, l’un de ceux qui mettent en ce moment la main au plat avec moi est un traître [11]. » Que de tristesse dans cette plainte ! que de miséricorde pour le coupable qui connaissait la bonté de son Maître ! Jésus lui ouvrait la porte du pardon ; mais il n’en profite pas : tant la passion qu’il avait voulu satisfaire par son infâme marché avait pris d’empire sur lui ! Il ose même dire comme les autres : « Est-ce moi, Seigneur ? » Jésus lui répond à voix basse, pour ne pas le compromettre devant ses frères : « Oui, c’est toi ; tu l’as dit ». Judas ne se rend pas ; il reste, et va souiller de sa présence les augustes mystères qui se préparent. Il attend l’heure de la trahison.

Le repas légal est terminé. Un festin qui lui succède réunit encore à une même table Jésus et ses disciples. Les convives, selon l’usage de l’Orient, se placent deux par deux sur des lits qu’a préparés la munificence du disciple qui prête sa maison et ses meubles au Sauveur pour cette dernière Cène. Jean le bien-aimé est à côté de Jésus, en sorte qu’il peut, dans sa tendre familiarité, appuyer sa tête sur la poitrine de son Maître. Pierre est placé sur le lit voisin, près du Seigneur, qui se trouve ainsi entre les deux disciples qu’il avait envoyés le matin disposer toutes choses, et qui représentent l’un la foi, l’autre l’amour. Ce second repas fut triste ; les disciples étaient inquiets par suite de la confidence que leur avait faite Jésus ; et l’on comprend que l’âme tendre et naïve de Jean eût besoin de s’épancher avec le Sauveur, sur le lit duquel il était étendu, par les touchantes démonstrations de son amour.

Mais les Apôtres ne s’attendaient pas qu’une troisième Cène allait succéder aux deux premières. Jésus avait gardé son secret ; mais, avant de souffrir, il devait remplir une promesse. Il avait dit en présence de tout un peuple : « Je suis le pain vivant descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, pour la vie du monde. Ma chair est vraiment nourriture, et mon sang est vraiment breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi en lui [12]. » Le moment était venu où le Sauveur allait réaliser cette merveille de sa charité pour nous. Mais comme il avait promis de nous donner sa chair et son sang, il avait dû attendre l’heure de son immolation. Voici maintenant que sa Passion est commencée ; déjà il est vendu à ses ennemis ; sa vie est désormais entre leurs mains ; il peut donc maintenant s’offrir en sacrifice, et distribuer à ses disciples la propre chair et le propre sang de la victime.

Le second repas finissait, lorsque Jésus se levant tout à coup, aux yeux des Apôtres étonnés, se dépouille de ses vêtements extérieurs, prend un linge, s’en ceint comme un serviteur, met de l’eau dans un bassin, et annonce par ces indices qu’il s’apprête à laver les pieds à des convives. L’usage de l’Orient était qu’on se lavât les pieds avant de prendre part à un festin ; mais le plus haut degré de l’hospitalité était lorsque le maître de la maison remplissait lui-même ce soin à l’égard de ses hôtes. C’est Jésus qui invite en ce moment ses Apôtres au divin repas qu’il leur destine, et il daigne agir avec eux comme l’hôte le plus empressé. Mais comme ses actions renferment toujours un fonds inépuisable d’enseignement, il veut, par celle-ci, nous donner un avertissement sur la pureté qu’il requiert dans ceux qui devront s’asseoir à sa table. « Celui qui est déjà lavé, dit-il, n’a plus besoin que de se laver les pieds » [13] ; comme s’il disait : Telle est la sainteté de cette divine table, que pour en approcher, non seulement il faut que l’âme soit purifiée de ses plus graves souillures ; mais elle doit encore chercher à effacer les moindres, celles que le contact du monde nous fait contracter, et qui sont comme cette poussière légère qui s’attache aux pieds. Nous expliquerons plus loin les autres mystères signifiés dans le lavement des pieds.

Jésus se dirige d’abord vers Pierre, le futur Chef de son Église. L’Apôtre se refuse à permettre une telle humiliation à son Maître ; Jésus insiste, et Pierre est contraint de céder. Les autres Apôtres qui, ainsi que Pierre, étaient restés sur les lits, voient successivement leur Maître s’approcher d’eux et laver leurs pieds. Judas même n’est pas excepté. Il avait reçu un second et miséricordieux avertissement quelques instants auparavant, lorsque Jésus, parlant à tous, avait dit : « Pour vous, vous êtes purs, mais non pas tous cependant [14]. » Ce reproche l’avait laissé insensible. Jésus, ayant achevé de laver les pieds des douze, vient se replacer sur le lit près de la table, à côté de Jean.

Alors, prenant du pain azyme qui était resté du repas, il élève les yeux au ciel, bénit ce pain, le rompt et le distribue à ses disciples, en leur disant : « Prenez et mangez ; ceci est mon corps ». Les Apôtres reçoivent ce pain devenu le corps de leur Maître ; ils s’en nourrissent ; et Jésus n’est plus seulement avec eux à la table, il est en eux. Ensuite, comme ce divin mystère n’est pas seulement le plus auguste des Sacrements, mais qu’il est encore un Sacrifice véritable, qui demande l’effusion du sang, Jésus prend la coupe ; et, transformant en son propre sang le vin dont elle est remplie, il la passe à ses disciples, et leur dit : « Buvez-en tous ; car c’est le sang de la Nouvelle Alliance, qui sera répandu pour vous. » Les Apôtres participent les uns après les autres à ce divin breuvage, et Judas à son tour ; mais il boit sa condamnation, comme tout à l’heure, dans le pain sacré, il a mangé son propre jugement [15]. L’inépuisable bonté du Sauveur cherche cependant encore à faire rentrer le traître en lui-même. En donnant la coupe aux disciples, il a ajouté ces terribles paroles : « La main de celui qui me trahit est avec moi à cette table [16]. »

Pierre a été frappé de cette insistance de son Maître. Il veut connaître enfin le traître qui déshonore le collège apostolique ; mais n’osant interroger Jésus, à la droite duquel il est place, il fait signe à Jean, qui est à la gauche du Sauveur, pour tâcher d’obtenir un éclaircissement. Jean se penche sur la poitrine de Jésus et lui dit à voix basse : « Maître, quel est-il ? » Jésus lui répond avec la même familiarité : « Celui à qui je vais envoyer un morceau de pain trempé. » Il restait sur la table quelques débris du repas ; Jésus prend un peu de pain, et l’ayant trempé, il l’adresse à Judas. C’était encore une invitation inutile à cette âme endurcie à tous les traits de la grâce ; aussi l’Évangéliste ajoute : « Après qu’il eut reçu ce morceau, Satan entra en lui [17]. » Jésus lui dit encore ces deux mots : « Ce que tu as à faire, fais-le vite [18]. » Et le misérable sort de la salle pour l’exécution de son forfait.

Telles sont les augustes circonstances de la Cène du Seigneur, dont l’anniversaire nous réunit aujourd’hui ; mais nous ne l’aurions point suffisamment racontée aux âmes pieuses, si nous n’ajoutions un trait essentiel. Ce qui se passe aujourd’hui dans le Cénacle n’est point un événement arrivé une fois dans la vie mortelle du Fils de Dieu, et les Apôtres ne sont pas seulement les convives privilégiés de la table du Seigneur. Dans le Cénacle, de même qu’il y a plus qu’un repas, il y a autre chose qu’un sacrifice, si divine que soit la victime offerte par le souverain Prêtre. Il y a ici l’institution d’un nouveau Sacerdoce. Comment Jésus aurait-il dit aux hommes : « Si vous ne mangez ma chair et ne buvez mon sang, vous n’aurez point la vie en vous [19] », s’il n’eût songé à établir sur la terre un ministère par lequel il renouvellerait, jusqu’à la fin des temps, ce qu’il vient d’accomplir en présence de ces douze hommes ?

Or voici ce qu’il dit à ces hommes qu’il a choisis : « Vous ferez ceci en mémoire de moi [20]. » Il leur donne par ces paroles le pouvoir de changer, eux aussi, le pain en son corps et le vin en son sang ; et ce pouvoir sublime se transmettra dans l’Église, par la sainte ordination, jusqu’à la fin des siècles. Jésus continuera d’opérer, par le ministère d’hommes mortels et pécheurs, la merveille qu’il accomplit dans le Cénacle ; et en même temps qu’il dote son Église de l’unique et immortel Sacrifice, il nous donne, selon sa promesse, par le Pain du ciel, le moyen de « demeurer en lui, et lui en nous ». Nous avons donc à célébrer aujourd’hui un autre anniversaire non moins merveilleux que le premier : l’institution du Sacerdoce chrétien.

Afin d’exprimer d’une manière sensible aux yeux du peuple fidèle la majesté et l’unité de cette Cène que le Sauveur donna à ses disciples, et à nous tous en leur personne, la sainte Église interdit aujourd’hui aux Prêtres la célébration des Messes privées, hors le cas de nécessité. Elle veut qu’il ne soit offert dans chaque église qu’un seul Sacrifice, auquel tous les Prêtres assistent ; et au moment de la communion, on les voit tous s’avancer vers l’autel, revêtus de l’étole, insigne de leur sacerdoce, et recevoir le corps du Seigneur des mains du célébrant.

La Messe du Jeudi saint est une des plus solennelles de l’année ; et quoique l’institution de la fête du Très-Saint-Sacrement ait pour objet d’honorer avec plus de pompe le même mystère, l’Église, en l’établissant, n’a pas voulu que l’anniversaire de la Cène du Seigneur perdît rien des honneurs auxquels il a droit. La couleur adoptée à cette Messe pour les vêtements sacrés est le blanc, comme aux jours mêmes de Noël et de Pâques ; tout l’appareil du deuil a disparu.

Cependant plusieurs rites extraordinaires annoncent que l’Église craint encore pour son Époux, et qu’elle ne fait que suspendre un moment les douleurs qui l’oppressent. A l’autel, le Prêtre a entonné avec transport l’Hymne angélique : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux ! » Tout à coup les cloches ont retenti en joyeuse volée, accompagnant jusqu’à la fin le céleste cantique ; mais à partir de ce moment elles vont demeurer muettes, et leur silence durant de longues heures va faire planer sur la cité une impression de terreur et d’abandon. La sainte Église, en nous sevrant ainsi du grave et mélodieux accent de ces voix aériennes, qui chaque jour parcourent les airs et vont jusqu’à notre cœur, veut nous faire sentir que ce monde, témoin des souffrances et de la mort de son divin Auteur, a perdu toute mélodie, qu’il est devenu morne et désert ; et joignant un souvenir plus précis à cette impression générale, elle nous rappelle que les Apôtres, qui sont la voix éclatante du Christ, et sont figurés par les cloches dont le son appelle les fidèles à la maison de Dieu, se sont enfuis et ont laissé leur Maître en proie à ses ennemis.

Le Sacrifice poursuit son cours ; mais au moment où le Prêtre élève l’Hostie sainte et le Calice du salut, la cloche reste déjà dans son silence, et rien n’annonce plus au dehors du temple l’arrivée du Fils de Dieu. La communion générale est proche, et le Prêtre ne donne pas le baiser de paix au Diacre, qui, selon la tradition apostolique, doit le transmettre aux communiants par le Sous-Diacre. La pensée se reporte alors sur l’infâme Judas, qui, aujourd’hui même, a profané le signe de l’amitié, et en a fait l’instrument du meurtre. C’est pour cela que l’Église, en exécration du traître, et comme si elle craignait de renouveler un si fatal souvenir en un tel moment, s’abstient aujourd’hui de ce témoignage de la fraternité chrétienne qui fait partie essentielle des rites delà Messe solennelle.

Mais un rite non moins insolite s’est accompli à l’autel, dans l’action même du Sacrifice. Le Prêtre a consacré deux hosties, et, après en avoir consommé une, il a réservé l’autre, et l’a placée dans un calice qu’il a soigneusement enveloppé. C’est que l’Église a résolu d’interrompre demain le cours du Sacrifice perpétuel dont l’offrande sanctifie chaque journée. Telle est l’impression que lui fait éprouver ce cruel anniversaire, qu’elle n’osera renouveler sur l’autel, en ce jour terrible, l’immolation qui eut lieu sur le Calvaire. Elle restera sous le coup de ses souvenirs, et se contentera de participer au Sacrifice d’aujourd’hui, dont elle aura réservé une seconde hostie. Ce rite s’appelle la Messe des Présanctifiés, parce que le Prêtre n’y consacre pas, mais consomme seulement l’hostie consacrée le jour précédent. Autrefois, comme nous le dirons plus tard, la journée du Samedi saint se passait aussi sans qu’on offrît le saint Sacrifice ; mais on n’y célébrait pas, comme le Vendredi, la Messe des Présanctifiés.

Toutefois, si l’Église suspend durant quelques heures l’offrande du Sacrifice éternel, elle ne veut pas cependant que son divin Époux y perde quelque chose des hommages qui lui sont dus dans le Sacrement de son amour. La piété catholique a trouvé le moyen de transformer en un triomphe pour l’auguste Eucharistie ces instants où l’Hostie sainte semble devenue inaccessible à notre indignité. Elle prépare dans chaque temple un reposoir pompeux. C’est là qu’après la Messe d’aujourd’hui l’Église transportera le corps de son Époux ; et bien qu’il y doive reposer sous des voiles, ses fidèles l’assiégeront de leurs vœux et de leurs adorations. Tous viendront honorer le repos de l’Homme-Dieu ; « là où sera le corps, les aigles s’assembleront [21] » ; et de tous les points du monde catholique un concert de prières vives et plus affectueuses qu’en tout autre temps de l’année, se dirigera vers Jésus, comme une heureuse compensation des outrages qu’il reçut en ces mêmes heures de la part des Juifs. Près de ce tombeau anticipé se réuniront et les âmes ferventes en qui Jésus vit déjà, et les pécheurs convertis par la grâce et déjà en voie de réconciliation.

A Rome, la Station est dans la Basilique de Latran. La grandeur de ce jour, la réconciliation des Pénitents, la consécration du Chrême, ne demandaient pas moins que cette métropole de la ville et du monde. De nos jours cependant, la fonction papale a lieu au palais du Vatican, et ainsi que nous l’avons dit plus haut, la bénédiction apostolique est donnée par le Pontife Romain, à la loggia de la Basilique de Saint-Pierre.

Dans l’Introït, l’Église se sert des paroles de saint Paul pour glorifier la Croix de Jésus-Christ ; elle célèbre avec effusion ce divin Rédempteur qui, en mourant pour nous, a été notre salut ; qui, par son Pain céleste, est la vie de nos âmes, et, par sa Résurrection, l’auteur de la nôtre.

Dans la Collecte, l’Église nous remet sous les yeux le sort si différent de Judas et du bon larron : tous deux coupables, mais l’un condamné, tandis que l’autre est pardonné. Elle demande pour nous au Seigneur que la Passion de son Fils, dans le cours de laquelle s’accomplissent cette justice et cette miséricorde, soit pour nous la rémission des péchés et la source de la grâce.

Messe vespérale du Jeudi saint « In Cæna Domini »

Nous remercions l’association Una Voce de nous autoriser à publier des extraits des excellents commentaires des cinq pièces grégoriennes du dimanche ou de la fête à venir.
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Cette Semaine sainte est bien sûr d’une richesse spirituelle, liturgique et…musicale exceptionnelle.

Le graduel de la Messe vespérale du Jeudi saint exalte le sacrifice du Christ sur la Croix. C’est un passage célèbre de l’Épître aux Philippiens dont vous pourrez lire le texte et sa traduction plus bas juste après l’Introït.

Ce graduel est également chanté à la fin de tous les offices du Triduum sacré, Jeudi, Vendredi et Samedi saints et particulièrement de l’office des Ténèbres. Le premier soir on ne chante que la première phrase, le deuxième est ajouté mórtem aútem crúcis, et le troisième l’on entend la deuxième partie triomphale qui annonce la résurrection. La mélodie de ce graduel est faite de formules que l’on retrouve dans de nombreux autres graduels, mais elles sont admirablement choisies pour exprimer toutes les nuances du texte avec un contraste frappant entre les deux parties.

Le Père Perrodon, dans son ouvrage Notre beau chant grégorien (1944),  écrit :

Nous nous trouvons là en face d’un sommet de beauté. Si l’on doutait encore de l’influence que le christianisme a pu exercer sur la musique, par son besoin de faire déborder dans le lyrisme du chant l’ivresse d’amour inspirée par le mystère du Christ, on n’aurait, pour s’en convaincre, qu’à écouter cette admirable pièce.

Introït : Nos autem

La messe vespérale du Jeudi saint commémore, on le sait, l’institution de la Sainte Eucharistie et du Sacerdoce. L’Introït et le Graduel de cette messe nous montrent le lien étroit qui existe entre la messe et la Croix, lien que nous avons trouvé en sens inverse dans la Communion du dimanche de la Passion. La première phrase de l’Introït est empruntée à l’Épître de saint Paul aux Galates, dans la conclusion de cette lettre, et la suite a été ajoutée par l’Église.

Nos autem gloriari oportet in cruce Domini nostri Jesu Christi : in quo est salus, vita et resurrectio nostra : per quem salvati, et liberati sumus.
Pour nous il faut nous glorifier dans la Croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, en qui est notre salut, notre vie et notre résurrection, et par qui nous avons été sauvés et délivrés.

La mélodie est, comme il convient, assez triomphale, pleine d’ardeur mystique et de ferveur, avec un beau crescendo dans la première phrase vers Domini nostri, qui se renouvelle dans la deuxième phrase vers vita. La troisième phrase est plus calme et contemplative. Cet Introït est accompagné du premier verset du psaume 66, petit psaume messianique annonçant la conversion de tous les peuples, ce qui sera un des fruits du sacrifice de la croix :

Deus misereatur nostri, et benedicat nobis : illuminet vultum suum super nos, et miseratur nostri.
Que Dieu ait pitié de nous et nous bénisse, qu’il fasse briller sur nous son visage et ait pitié de nous.

Graduel Christus factus est

Comme l’Introït, le Graduel de la messe vespérale du Jeudi saint exalte aussi le sacrifice du Christ sur la Croix, et son texte est également de saint Paul, ce qui est pourtant assez rare dans les chants de la messe. C’est un passage célèbre de l’Épître aux Philippiens :

Christus factus est pro nobis obediens usque ad mortem, mortem autem crucis. Propter quod et Deus exsaltavit illum, et dedit illi nomen, quod est super omne nomen.
Le Christ s’est fait pour nous obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur la croix ; c’est pourquoi Dieu l’a exalté et lui a donné un nom au-dessus de tout nom.

Ce Graduel est également chanté à la fin de tous les offices du Triduum sacré, Jeudi, Vendredi et Samedi saints et particulièrement de l’office des Ténèbres. Le premier soir on ne chante que la première phrase, le deuxième on ajoute mortem autem crucis, et le troisième on ajoute la deuxième partie triomphale qui annonce la résurrection. La mélodie de ce Graduel est faite de formules que l’on retrouve dans de nombreux autres Graduels, mais elles sont admirablement choisies pour exprimer toutes les nuances du texte avec un contraste frappant entre les deux parties. La première est sombre et grave surtout le mot crucis qui s’enfonce dans les profondeurs. La deuxième, au contraire s’élève dans les hauteurs avec enthousiasme, particulièrement la grande vocalise aérienne ornant le mot illum, pronom qui désigne le Christ.

Ajoutons que cette messe ne comporte qu’un chant entre l’Épître et l’Évangile. Il n’y a donc pas d’Alléluia, bien entendu, mais il n’y a pas non plus de Trait.

Offertoire : Dextera Domini

Ce chant d’Offertoire était déjà celui du troisième dimanche après l’Épiphanie et l’on pourra s’y reporter. Ajoutons seulement qu’il est placé aujourd’hui dans la bouche du Christ, qui y rend grâce par avance à son Père pour la victoire de la résurrection, déjà mentionnée dans l’Introït. Le psaume 117 d’où est tiré ce chant est d’ailleurs, nous le verrons, le psaume pascal par excellence.

Communion : Dominus Jesus

Le chant de Communion de la messe vespérale du Jeudi saint est tiré de l’Évangile qui est lu à cette messe, celui du lavement des pieds, au chapitre 13 de saint Jean.

Dominus Jesus, postquam cenavit cum discipulis suis, lavit pedes eorum, et ait illis : Scitis quid fecerim vobis, ego Dominus et Magister ? Exemplum dedi vobis, ut et vos ita faciatis.
Le Seigneur Jésus, après avoir pris le repas avec ses disciples, leur lava les pieds et leur dit : Savez-vous ce que je viens de faire pour vous, moi qui suis votre Seigneur et Maître ? Je vous ai donné l’exemple pour que vous fassiez de même.

Après avoir lu les paroles de l’institution de l’Eucharistie dans l’Épître de saint Paul aux Corinthiens, l’Église a voulu retenir, pour être lue à l’Évangile de cette messe, cette sublime leçon d’humilité et de charité, qui en éclaire toute la signification.

La mélodie de ce chant est un simple récitatif, assez régulier ; seul le mot Scitis au moment où le Christ prend la parole, est souligné par une belle montée expressive.

Notre-Dame de Chrétienté : les inscriptions reprendront le 26 avril

Débutées dimanche des Rameaux, les inscriptions ont rapidement approché les limites de capacités d’accueil.

La direction de Notre-Dame de Chrétienté a décidé de fermer temporairement les inscriptions jusqu’au samedi 26 avril, samedi in albis.

Sacrifice, mortification, pénitence, ascèse, jeûne : des notions à remettre au coeur de la vie chrétienne

Le père Joël Guibert, prêtre du diocèse de Nantes, exerce sa mission entre l’écriture de livres de spiritualité et la prédication de retraites. Il vient de publier un ouvrage intitulé Devenir hostie, dans lequel il réhabilité les notions de sacrifice, de mortification, de pénitence, d’ascèse… Alors que ces notions ne font, bien souvent, plus partie de l’enseignement, l’appel de l’Évangile est clair :

« Je vous exhorte donc, frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante, sainte, agréable à Dieu : c’est là le culte spirituel que vous avez à rendre » (Rm 12,1).

Que signifie « Devenir hostie » ? Le père Guibert nous guide à la découverte de ce trésor décisif de la foi chrétienne.

Réfutant une compréhension étriquée du vocabulaire religieux, l’auteur, à l’aide de nombreux saints, nous rappelle qu’il n’y a pas d’amour sans joie ni sacrifices. Il prodigue de précieux conseils pour nous libérer de nos entraves, pour notre croissance intérieure et notre prière. Loin de tout dolorisme ou masochisme irrecevables, « devenir hostie » conduit à vivre uni au Christ et à assurer la fécondité de nos actions.

Il écrit aussi :

Il est important de dénoncer les travers qui peuvent abîmer le coeur des prêtres, entre autres le cléricalisme. Mais lorsque ce reproche est martelé de manière constante et outrancière, sous prétexte d’assainissement, cela finit par porter le soupçon sur le mystère même de la consécration sacerdotale qui fait du prêtre un alter christus, un “autre Christ”. Ce n’est pas en vidant le prêtre de sa substance que l’on permettra de rehausser le statut du laïc.

L’auteur aborde aussi le jeûne, réduit actuellement à pas grand chose dans la prédication :

Depuis les réformes du Concile, le jeûne est réduit à une peau de chagrin. Avec du recul, on se demande si une telle réforme sert vraiment le bien spirituel des fidèles. Quand on voit l’importance que Jésus donne au jeûne pour chasser certains démons particulièrement tenaces – “cegenre de démon n’est chassé que par le jeûne et la prière” (Mt 17,21) -, on se dit, en ces temps où les puissances du mal semblent déchaînées, qu’il est plus qu’urgent de retrouver la pratique du jeûne.

La logique systémique de retour sur investissement concerne tous les alliés dépendant stratégiquement de l’Amérique

Olivier Zajec, professeur de relations internationales à l’Université Lyon-III, directeur de l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD) à l’Université Lyon-III, écrit dans le JDD :

Un minimum de 350 milliards de dollars. C’est le montant des achats d’hydrocarbures que l’Union européenne devrait désormais acquitter aux États-Unis pour que soient en partie ou totalement levés les droits de douane qui pèsent sur elle. Dès 2016, Donald Trump, fraîchement élu, l’Europe centrale et orientale avait pourtant devancé l’appel en lançant L’Initiative des trois mers (ITM), dont l’un des objectifs visait à remplacer la dépendance toxique au gaz russe par une dépendance « vertueuse » au gaz américain, via la création de terminaux de gaz liquéfié, comme à Krk, en Croatie. Le risque ? Mesuré, naturellement. Donald Trump ne déclarait-il pas en 2018 que « les États-Unis n’utiliser[aient] jamais l’énergie comme moyen de pression ou de contrainte et [qu’]ils ne permettr[aient] pas aux autres de le faire » ? Poussée par la Pologne, et malgré les réticences de l’Allemagne, l’UE avait accepté de financer ces infrastructures pour plus de 100 milliards d’euros. Cela n’a pas été assez. Le 20 décembre 2024, à peine réélu, Trump a menacé l’Europe d’une hausse des droits de douane si elle n’augmentait pas considérablement ses achats d’hydrocarbures. Menace devenue réalité en ce début avril 2025.

La parabole ukrainienne

Le sujet, que certains font mine de découvrir, n’est donc ni nouveau, ni surprenant. Au fond, la logique d’ensemble de cette relation a été parfaitement expliquée au moyen d’une parabole, celle du 28 février 2025. Ce jour-là, dans le Bureau ovale de la Maison-Blanche, Donald Trump présente à sa manière très particulière la position stratégique de l’Ukraine au président Zelensky : « Ce que vous faites est très irrespectueux envers ce pays. » Obsédante, rediffusée ad nauseam, la scène entre immédiatement dans les livres d’histoire. L’émotion aidant, la plupart des médias vont se concentrer sur cette question du « respect », c’est-à-dire de la reconnaissance que Volodymyr Zelensky n’aurait pas dû marchander à la généreuse Amérique. Porte-parole de l’électorat républicain, le vice-président James Vance met trois fois en demeure son hôte de remercier le peuple des États-Unis pour son soutien. Et Zelensky se cabre : cherchant à contenir son agacement, il rappelle qu’il l’a déjà fait de nombreuses fois. C’est le point de bascule attendu et Donald Trump prend le relais. Pédagogue, il marque lourdement un contrôle de transition – « C’est bien que les Américains voient ce qu’il se passe » –, se permettant d’y ajouter un sidérant commentaire de metteur en scène : « C’est pour ça que je laisse ça se dérouler aussi longtemps. »

Et le véritable sujet de la pièce se dévoile. Couvrant la voix de son homologue, Trump déplace le sujet de l’enjeu interne (la satisfaction symbolique de l’opinion publique américaine) à l’objectif externe (la monétisation brutale d’un rapport de dépendance stratégique). Avec une formule clé : « Vous n’avez pas les cartes en main. » C’est ce qu’illustreront les « négociations » postérieures concernant la vente des richesses minérales ukrainiennes, destinée à rembourser l’aide américaine (sur) estimée à 500 milliards de dollars. On sait que Washington exige désormais un « droit de première offre ». Atteinte mortelle à la souveraineté de Kiev, qui a répondu en demandant un accord « mutuellement acceptable ». Elle ne l’obtiendra sans doute pas. Il suffira à Donald Trump de menacer de retirer à l’Ukraine l’aide militaire déjà suspendue le 3 mars, puis rétablie le 12 mars en échange de l’acceptation d’un cessez-le-feu lors de l’entrevue de Djeddah.

Retour sur investissement

Là se situe la leçon de la fausse improvisation du 28 février. Il ne suffit plus de dire merci. Il faut demander merci. Parce que l’alternative n’existe pas. « Vous ne gagnez pas. [Si] vous avez [encore] de très bonnes chances de vous en sortir, [c’est] grâce à nous […]. Soit vous concluez un accord, soit nous vous laissons tomber. » Ces phrases sont un programme : Trump ne parle pas de « reconnaissance » due par la seule Ukraine et son président tragiquement piégé, mais bien d’une logique systémique de retour sur investissement concernant mécaniquement tous les alliés dépendant stratégiquement de l’Amérique.

Par temps géopolitique calme, tant que les intérêts vitaux de leur protecteur ne sont pas en jeu, ces mêmes alliés peuvent parfois penser qu’ils disposent d’une certaine autonomie et oublier qu’ils sont en réalité des tributaires. Mais que le protecteur décide soudain d’un pivot diplomatique dont il sera toujours le seul à apprécier la pertinence et l’opportunité, alors l’asymétrie du parrainage stratégique jouera à plein, avec un effet de levier dévastateur. En ce sens, le 28 février ne fut, beaucoup l’ont suggéré avec raison, que la réitération urbi et orbi de ce fameux Dialogue mélien de La Guerre du Péloponnèse dans lequel Thucydide met en scène les Athéniens reçus par l’assemblée souveraine de la petite île de Mélos, qui tient à conserver sa neutralité. Demande à laquelle les « maîtres de la mer » répondent en expliquant que la liberté de choix des neutres désarmés comme des tributaires sous-armés fut, est et sera toujours une illusion.

Dans les relations internationales, des altercations aussi violentes se déroulent régulièrement. Le plus souvent, néanmoins, elles relèvent de pratiques ésotériques, voilées au grand public. Déchirer ce voile n’est bénéfique ni pour le fort, ni pour le faible. C’est pourquoi beaucoup ont vu dans la brutalité exotérique de Trump, filmée en direct et aussi humiliante pour les gouvernants que pour leurs peuples, la preuve de l’aveuglement court-termiste d’un homme d’affaires surestimant son talent. Comment, en effet, mieux persuader tous les autres alliés des États-Unis que la dépendance consentie est mortelle, dès lors qu’un retournement brutal du « parrain » est possible ? La sagesse n’imposerait-elle pas une claire stratégie de sevrage ? Pourtant, cela fonctionne, car peu d’alternatives s’offrent aux Méliens de 2025. Sans doute se débattent-ils sur le plan déclaratoire, parfois budgétaire. Mais il faut aussi constater que les mêmes confirment leurs achats d’avions de combat américain F-35 – chef-d’œuvre du piège capacitaire de long terme – et qu’ils se succèdent en désordre à Washington pour maximiser bilatéralement leurs marges de manœuvre individuelles.

Pour le moment du moins, tout incite malheureusement Donald Trump à accentuer la pression qui lui réussit bien. En attendant le sommet otanien de La Haye en juin prochain et la probable présentation d’une autre liste d’exigences. Pendant ce temps, d’Ankara à Alger, d’autres prédateurs ne peuvent qu’être confirmés dans l’idée que la tactique de l’exigence maximale peut magnifiquement réussir avec des interlocuteurs s’acharnant à penser à court terme.

Quand la dette s’entête…

Bon, remarquez, il n’y a pas de quoi jouer les fiers-à-bras, nous petits Français, avec nos 120% de dettes publiques, coincés dans cette union Européenne croqueuse des nations et des peuples en la personne de la harpie oligarchique Mme Van der Leyen, démonétisés car sans monnaie propre, et pourtant ramenant à tout propos par la voie de notre arrogant fondé de pouvoir élyséen un savoir-faire qui n’existe plus, une diplomatie à l’emporte-pièce, une vision progressiste à la dérive.

Oui mais voilà, depuis maintenant un peu plus de trois mois, les provocations outre-atlantiques du cow-boy de carnaval fraîchement élu par la moitié d’une Amérique opposée en tout bonne foi au délire wokiste et mondialiste ont jeté un froid de groenlandais sur l’ensemble de la planète, au fur et à mesure des balbutiements outranciers du rouquin mis en scène dans le cadre somptueux du bureau ovale pour cette saison 1 de la nouvelle télé-réalité “You’re fired” diffusée quotidiennement. On ne compte plus les maroquins montrés à l’écran, après signature au marqueur noir, matérialisant les décisions sans retour du leader US. Ca n’est pas inscrit dans le marbre, mais on y vient…

La semaine passée a été riche en émotions (ce qui est le moins que l’on puisse demander à des milliardaires) et se termine par un aveu : «Je surveillais le marché des obligations. C’est un marché très compliqué.» Bon faute avouée, à moitié pardonné Donald (pas comme certains qui s’entêtent dans leur mensonge…). Tu as cru bien faire et tu t’es planté, ça n’arrive qu’à ceux qui bossent.

Néanmoins, la pilule des droits de douane supertarifés ne passe toujours pas. D’abord, parce qu’à vouloir la faire avaler à la terre entière, il y a de forte chance de se retrouver seul en opposition avec tout le monde y compris ses propres alliés ce qui rendra inéluctablement le commerce compliqué surtout quand de façon indistincte, le superprésident US traite de “lèche-cul” les nations du monde entier. S’agit-il d’une expression soufflée par Stephen Miran, conseiller économique, à son oreille abîmée, lui qui appelle à faire payer les pays alliés, de faire pression sur les plus récalcitrants en les menaçant de retirer la protection US ?

La dette américaine est un problème eu égard à son montant pharaonique : 36 000 milliards de dollar augmentée de 40 % sous sa première présidence (20% avant COVID) et qui croît de 1 000 milliards tous les 100 jours ! Cette dette bien évidemment financée à coup de dollars sonnants et trébuchants. Dont les intérêts constituent un lourd fardeau : plus de 1 000 milliards sur un an ! On comprend mieux cette politique du DOGE tous azimuts pour enrayer une machine devenue folle quitte à laisser pas mal de monde sur le carreau. On notera au passage le décalage entre ces milliardaires devenus conseillers du président US, comme pour mieux asseoir leur fortune en étant plus près du pouvoir, et le reste de la population américaine subissant de plein fouet leurs décisions qualifiées de “courageuses” par tous ceux qui n’ont pas à les supporter et qui ne sont en fait qu’une forme d’injustice de plus.

Une machine qui rend dépendant les US au reste du monde. Alors tous les moyens sont bons pour sortir le “rêve américain” du cauchemar. A commencer par faire payer aux autres, aux étrangers dont nous faisons partie, cette dette. A continuer par se considérer encore leader maximo du monde, ce qu’ils ne sont plus, les Chinois leur rappelant aujourd’hui combien la délocalisation des usines et autres ateliers a été préjudiciable pour eux, pour nous…

Alors que nous nous focalisons (pour notre plus grand malheur à venir) sur le conflit en Ukraine, la guerre économique fait rage, comme peuvent en témoigner les marchés financiers mondiaux pris de panique au moindre éternuement du président US dont l’instabilité des décisions, si elles tranchent singulièrement avec celles de Sleepy Joe (il n’en prenait pas), fissurent chaque jour davantage l’édifice US.

Alors oui Donald, le marché des obligations est certainement compliqué à suivre. Comme le reste de l’économie d’ailleurs. Mais pouvons-nous stopper quelques instants cette politique spectacle qui, au fond, n’amène rien de positif pour l’ensemble de la planète à commencer par les Etats-Unis et nous plonge un peu plus vers un Grand Reset aux conséquences inconnues ?

Amitiés patriotes

P.MAGNERON

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Avortement : quel impact des politiques de prévention en Europe ?

Dans cette conférence donnée lors du Forum Viva à Paris le 22 mars 2025, Grégor Puppinck explique pourquoi la France compte deux fois plus d’avortements que ses pays voisins. Il dénonce le refus idéologique, tant de la gauche que de la droite, de prévenir cette pratique alors qu’elle est déterminée par la condition sociale des femmes, qu’elle provoque de lourdes souffrances, et qu’elle a de graves conséquences démographiques. Pour expliquer l’acharnement à protéger et promouvoir l’avortement, Grégor Puppinck révèle la triple origine de la politique de promotion de l’avortement: – Une origine économique initiée dans les années 70 par les Etats-Unis dans un but de contrôle démographique; – Une origine philosophique dans la pensée de la franc-maçonnerie qui conçoit la mort volontaire de l’enfant à naître comme une liberté et une dignité; – Une origine féministe, qui a été largement instrumentalisée par les deux précédentes. Il conclut sur la nécessité de sortir la société occidentale de la dépression, de promouvoir la culture de vie indispensable à la survie de nos familles et nations.

Mary Eberstadt : la penseuse américaine qui relie révolution sexuelle et effondrement civilisationnel

Et si la crise identitaire que traverse l’Occident ne venait pas d’un excès de religion, mais d’un excès d’orphelins ?

Peu connue du public francophone, Mary Eberstadt est l’une des essayistes catholiques les plus percutantes de la scène intellectuelle américaine. Ancienne analyste à la Hoover Institution et plume pour Policy Review et First Things, elle est aujourd’hui considérée comme une figure majeure de la pensée conservatrice chrétienne aux États-Unis. À contre-courant des idéologies dominantes, elle établit un lien rigoureux et profondément humain entre la révolution sexuelle des années 1960 et l’explosion contemporaine des revendications identitaires, qu’elle lit comme des symptômes d’une immense blessure : la disparition de la famille.

La révolution sexuelle : promesse d’émancipation, réalité d’effondrement

Dans son ouvrage phare Adam and Eve After the Pill (2012), Eberstadt démonte un à un les mythes fondateurs de la libération sexuelle. Non, la contraception généralisée n’a pas pacifié les rapports hommes-femmes. Non, l’accès au plaisir sans entraves n’a pas réduit les violences conjugales. Non, la déconstruction du modèle familial n’a pas libéré l’individu — elle l’a isolé.

Avec une rare clarté, elle montre que les sociétés post-1968 souffrent d’une perte de liens primordiaux : ceux entre parents et enfants, entre frères et sœurs, entre conjoints unis pour la vie. Ce déracinement affectif massif est, selon elle, la matrice invisible de notre mal-être collectif : hausse des dépressions, des violences, des comportements addictifs, mais aussi désorientation morale et identitaire.

Une clé de lecture décisive : la crise identitaire comme cri de détresse familiale

Dans Primal Screams: How the Sexual Revolution Created Identity Politics (2019), Mary Eberstadt va plus loin. Elle propose une lecture originale et courageuse de l’essor des politiques identitaires (LGBTQ+, racialisme, néo-féminisme, transactivisme…). Pour elle, ces postures radicales ne sont pas d’abord des idéologies construites, mais des tentatives désespérées de créer une appartenance de substitution. Quand les familles s’effondrent, quand les pères sont absents, quand les lignées se brisent, les jeunes générations crient : « Qui suis-je ? À qui j’appartiens ? » — et cherchent refuge dans des communautés idéologiques mimétiques.

Ce cri primal, selon Eberstadt, est le fruit direct de la dissolution des repères affectifs traditionnels. Ce n’est pas un hasard si les militants les plus extrêmes sont souvent aussi les plus seuls. Ce n’est pas un hasard si les drapeaux identitaires remplacent les arbres généalogiques. Là où l’ancrage familial fait défaut, la politique devient la famille de substitution — souvent avec une violence sans merci.

Une pensée girardienne ? Le désir mimétique et l’angoisse de l’orphelin

Sans le citer directement, Mary Eberstadt rejoint par bien des aspects la pensée de René Girard. Elle voit dans la société contemporaine une immense crise du désir : nous imitons ce que nous voyons valorisé, nous revendiquons ce que d’autres revendiquent, et nous nous définissons non par ce que nous sommes, mais par ce que nous avons perdu. Cette logique mimétique engendre des rivalités, des frustrations, des fantasmes de réparation par la visibilité ou la transgression.

Mais là où Girard met l’accent sur la violence sacrificielle, Eberstadt souligne la fragilité affective qui nourrit cette violence : la solitude, l’absence de transmission, le vide spirituel laissé par le retrait des pères. Dans cette optique, reconstruire la famille, c’est reconstruire la paix.

Une voix précieuse pour les catholiques francophones

À l’heure où certains catholiques hésitent à défendre publiquement l’ordre naturel, Mary Eberstadt offre des arguments rigoureux, compatissants, et pleinement ancrés dans la réalité sociale. Elle ne prêche pas depuis une tour d’ivoire : elle observe, documente, démontre. Elle parle au cœur comme à la raison.

Son œuvre devrait être mieux connue en France, traduite, diffusée, méditée. Car dans un monde où l’on érige la confusion sexuelle en dogme, elle rappelle que la vocation humaine ne commence pas par la revendication, mais par la filiation. Et que la vraie révolution, aujourd’hui, pourrait bien être celle de l’enracinement.

Pour aller plus loin :

-Adam and Eve After the Pill (2012)
– Primal Screams: How the Sexual Revolution Created Identity Politics (2019)
– How the West Really Lost God: A New Theory of Secularization (2013)

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« La Pologne chrétienne » – Petit livre d’histoire pour comprendre et apprécier l’exception polonaise en Europe

Samedi, une centaine de milliers de Polonais défilaient dans Varsovie dans une mer de drapeaux blanc et rouge pour fêter les mille ans du couronnement de la Pologne et les 500 ans de l’hommage prussien. Le premier anniversaire se réfère au couronnement de Boleslas Ier le Vaillant en 1025, juste avant sa mort. Fils du fondateur de la dynastie des Piast, Mieszko, le premier roi de Pologne avait jusqu’alors porté, à l’égal de son père, le titre de duc. Si le baptême du duc des Polanes Mieszko en 966 donna naissance à la Pologne et marqua le début de l’histoire de ce pays, le couronnement de Boleslas et la transformation de l’État de Gniezno (première capitale) en Royaume de Pologne consacra son statut d’État indépendant sur la scène européenne, notamment face au Saint-Empire romain germanique voisin, mais aussi de son ancrage à l’Occident latin. Depuis l’an 1000, la Pologne avait déjà sa propre métropole ecclésiastique, fruit de l’activité missionnaire de Saint Adalbert et du soutien spirituel et politique des deux personnages les plus importants de l’Europe de l’époque : le pape et l’empereur. Le deuxième anniversaire commémoré samedi se réfère quant à lui à la transformation en 1525 de l’État monastique des chevaliers Teutoniques en duché de Prusse, vassal du Royaume de Pologne.

La manifestation de samedi avait une forte connotation politique. Les Polonais étant moins enclins que les Français à descendre dans la rue, rassembler une telle foule peut être considéré comme un grand succès pour les organisateurs et une marque de défiance vis-à-vis de la coalition gouvernementale, qui avait choisi de tourner ces commémorations en dérision et d’appeler ses partisans à venir manifester leur patriotisme pour soutenir leur candidat en mai, entre les deux tours des élections présidentielles. En pleine campagne présidentielle à l’approche de ces élections, c’est en effet le parti Droit et Justice (PiS) qui avait convoqué la manifestation du millénaire en l’absence de toute commémoration de la part du gouvernement européiste de Donald Tusk. La manifestation a toutefois rassemblé au-delà du PiS dans un contexte d’insatisfaction grandissante face à la politique de la coalition gaucho-libérale au pouvoir depuis décembre 2023 avec le soutien de Bruxelles (verbal, mais aussi financier, les fonds européens bloqués sous le gouvernement du PiS ayant été rapidement débloqués une fois Donald Tusk redevenu premier ministre) : inflation en hausse, début d’immigration massive avec les refoulements depuis l’Allemagne (acceptés par le gouvernement de Tusk qui ne contrôle même pas si les clandestins « refoulés » étaient vraiment arrivés en Allemagne depuis la Pologne) et entrée en vigueur l’année prochaine du pacte migratoire européen avec son programme de redistribution à grande échelle des migrants, répressions contre l’opposition et autres comportements ouvertement antidémocratiques au nom d’un supposé « rétablissement de l’État de droit ». Un État de droit qui aurait été mis à mal, d’après le camp gaucho-libéral et ses alliés bruxellois, par huit années de gouvernements conservateurs. Mais il y a aussi les attaques contre l’identité chrétienne de la Pologne et sa tradition de liberté, avec un nouveau programme d’éducation sexuelle à partir de septembre prochain qui sera en phase avec les scandaleuses recommandations de l’OMS pour l’Europe (https://lesalonbeige.fr/les-standards-deducation-sexuelle-voulus-par-loms-pour-nos-enfants/), une loi contre les « discours de haine » qui, on l’espère, va se heurter au veto du président Andrzej Duda, la réduction des cours de catéchisme à l’école en violation du concordat, le retrait des fonds qui avaient été alloués pour la construction d’un musée Saint Jean-Paul II, le maintien en prison pendant de longs mois du père Olszewski (https://lesalonbeige.fr/le-calvaire-dun-pretre-catholique-polonais-emprisonne-sans-jugement-par-leuropeen-donald-tusk/) et les mauvais traitements dont il fit l’objet au moment de son arrestation, les efforts pour interdire la grande Marche de l’Indépendance du 11 novembre (https://lesalonbeige.fr/les-liberaux-pro-ue-au-pouvoir-en-pologne-veulent-interdire-la-grande-marche-patriotique-annuelle-de-varsovie/), la circulaire du ministère de la Santé et celle du parquet pour forcer les hôpitaux et les médecins à accepter les demandes d’avortement quand celles-ci sont contraires à la loi et à la Constitution (qui ne les autorisent qu’en cas de danger pour la vie ou la santé physique de la femme enceinte lié à la grossesse ou quand la grossesse est issue d’un viol) etc. etc.

À un moment où les cercles bruxellois cherchent à pousser discrètement, avec le soutien de Berlin et Paris, une grande réforme des traités des traités européens qui transformerait cette fois véritablement l’UE en un super-État centralisé (https://www.valeursactuelles.com/societe/europeennes-la-reforme-des-traites-europeens-un-enjeu-majeur-des-prochaines-elections) et mettrait fin à la souveraineté des pays membres et, de fait, à la démocratie, ces efforts du gouvernement européiste de Donald Tusk pour déchristianiser la Pologne et la rendre plus multiculturelle (avec notamment 49 centre d’accueil de migrants en construction à travers le pays) ne sont pas une simple coïncidence.

La Pologne chrétienne

Pour comprendre à quel point identité polonaise et christianisme sont étroitement liée, et pourquoi une déchristianisation de la Pologne serait aussi sa dépolonisation, un petit ouvrage que j’ai eu le plaisir et l’honneur de traduire en français arrive à point. Intitulé : « La Pologne chrétienne – Jalons de l’histoire polonaise », il vient d’être publié à l’intention des lecteurs francophones par les éditions Dębogóra (https://debogora.com/), qui publie en polonais des auteurs français comme Jean Raspail, Jean Madiran, Vladimir Volkoff, Charles Maurras, l’historien Stéphane Courtois et d’autres encore. L’édition française de « La Pologne chrétienne – Jalons de l’histoire polonaise » est enrichie d’une introduction de l’auteur, l’historien polonais Paweł Milcarek, et aussi d’une très belle préface de Bernard Antony. Précisons encore que l’auteur et l’éditeur polonais sont deux francophiles épris de la vieille France catholique et qu’ils sont des visiteurs réguliers de l’abbaye bénédictine de Fontgombault. « Nous devons beaucoup à cette abbaye, y compris en matière d’idées de publications », m’expliquait il y a quelques années dans un entretien pour le regretté journal Présent (https://lesalonbeige.fr/la-culture-francaise-en-pologne/) Bogusław Kiernicki, le propriétaire des éditions Dębogóra. Précisons encore que Bogusław Kiernicki est un des organisateurs de la Marche nationale pour la vie qui se déroule chaque année à Varsovie.

La préface de Bernard Antony

Comme je ne saurais pas mieux que Bernard Antony parler de l’ouvrage de l’historien Paweł Milcarek ni même de cette Pologne chrétienne que j’aime tant pour y avoir vécu depuis maintenant plus de trente ans et surtout pour y avoir retrouvé la foi catholique et fondé une famille, je me contenterai de citer ici cette magnifique préface de cet autre amoureux de la patrie de Saint Jean-Paul II.

Préface de Bernard Antony à l’ouvrage « La Pologne chrétienne – Jalons de l’histoire polonaise »

Pour les nombreux Français qui aiment la Pologne et qui, quelquefois, comme moi, la considèrent comme une seconde patrie en déplorant de ne pas, hélas, en parler la langue, cette édition du très utile et très lumineux petit ouvrage de l’historien Paweł Milcarek sur la Pologne chrétienne constituera un précieux vecteur de connaissance autour de ces vingt-sept ou même vingt-huit « jalons » si bien identifiés. Par eux, on chemine au long de plus de mille ans d’imprégnation de son illustre nation par la religion catholique qui est au cœur et dans l’âme de son identité nationale. Ces jalons, Paweł Milcarek les égrène en effet superbement à la manière des méditations d’un chapelet, à partir de l’acte fondateur de sa patrie, le baptême en 966 de son premier souverain, Mieszko.

Notons ici d’emblée que, comme l’évoque Paweł Milcarek, ce baptême de Mieszko, duc de Pologne, constitua le « premier jalon d’or du christianisme en Pologne ». Car ne fut-il pas aussi, simultanément, le baptême de la Pologne ? Et ce, grâce à la farouche volonté catholique de Dubravka, la fille du duc de Bohême. Celle-ci n’avait-elle pas exigé impérativement que Mieszko soit baptisé, avant que leur mariage soit possible ? Ces deux sacrements successifs marquèrent ainsi l’entrée de la Pologne en Chrétienté ; et par la volonté de Mieszko et de Dubravka, leur royaume fut en effet placé sous la protection du Saint-Siège à Rome.

Chers lecteurs français de ces jalons de l’histoire chrétienne de la Pologne, vous allez par ces textes mesurer toute la densité de foi, d’héroïsme, qui, au long de plus d’un millénaire, a maintenu ce pays dans son être ; non sans qu’il soit traversé aussi par bien des vicissitudes, des tragédies, des défaites et encore des injustices et des trahisons. Mais vous allez peser aussi en quoi la Pologne a été non seulement un grand pays de chrétienté mais a constitué également, sous certains aspects très importants, une exception dans cette chrétienté : « l’exception polonaise », l’exception du pays « premier rempart de la chrétienté » ainsi qu’il en est traité dans le 18e jalon.

En première partie de son ouvrage, Paweł Milcarek expose le rôle majeur, dans l’éclosion de la civilisation, des moines de saint Benoît, obéissant jusqu’à nos jours à l’admirable Règle édictée par leur fondateur. Bénédictins et Cisterciens furent les bâtisseurs inlassables de tous ces monastères autour desquels se modela ce qui allait devenir, sans qu’ils l’aient recherché, l’Europe chrétienne.

On y lira ce qu’il en fut encore en Pologne de l’éclosion des Dominicains et des Franciscains. On y découvrira l’originale tentative de synthèse monastique menée par le père Ladislas Kornilowicz s’efforçant de joindre trois éléments : la vie liturgique bénédictine, le thomisme dominicain et la simplicité de vie franciscaine. Cette tentative, écrit l’auteur, ne fut pas vaine, puisqu’elle eut une influence durable sur la recherche intellectuelle de nombreux penseurs polonais. Mais, ajoute-t-il, « le gouvernement des âmes » du catholicisme polonais serait bien plus tard, pour une grand part, assuré par les Franciscains de Niepokalanów avec l’influence du mensuel « Le chevalier de l’Immaculée » de saint Maximilien Kolbe, tiré à un million d’exemplaires en 1939.

On lira les grands traits de la passionnante histoire de l’Union polono-lituanienne bâtie sur le mariage des deux pays et la christianisation de la Lituanie (XIVe et XVe siècle). Et aussi, le très plaisant rappel du splendide mariage à Cracovie, dans la cathédrale du Wawel, de Ladislas Jagellon avec Hedwige d’Anjou préalablement sacrée « roi de Pologne » – on lit bien « roi » ! Le titre était alors, fort justement, celui de la fonction. Le stupide féminisme révolutionnaire de notre époque ne déferlait pas comme aujourd’hui.

Particulièrement intéressantes sont les pages (10e jalon) consacrées à la doctrine juridique de l’Université Jagellonne de Cracovie. Elles prouvent combien, dans la très catholique « République des deux nations » ([la république nobiliaire] de Lituanie et de Pologne), on défendait, bien avant « l’idéologie des droits de l’homme sans Dieu », une doctrine très chrétienne d’inspiration thomiste du respect des droits de la personne humaine, stipulant notamment grâce à l’élaboration d’un droit international, de ne pas priver de leurs biens les infidèles vivant pacifiquement parmi les chrétiens. Les enseignements du recteur de l’Université Jagellonne, Paul Włodkowic, nullement à l’opposé de l’enseignement traditionnel de l’Église, s’inscrivaient alors en contraste avec les agissements brutaux des chevaliers Teutoniques prétendant imposer leur foi par la force. La doctrine de l’Université Jagellonne était à l’époque non pas celle de « l’humanisme » mais, nuance, celle d’un « humanisme chrétien ».

Le cadre d’une préface ne permet évidemment pas de développer tout ce que l’on peut tirer, jalon après jalon, des textes de Paweł Milcarek, admirables de par leur sens de l’essentiel et leur clarté. On y découvrira l’importance de l’œuvre des Jésuites en Pologne (du XVIe au XVIIIe siècle) collaborant particulièrement avec les missionnaires de saint Vincent-de-Paul. On y méditera sur le fait que si la « République des deux nations » ne fut pas épargnée par les divisions confessionnelles issues de la Réforme, la loi des bûchers ne l’emporta pas. On y lit comment, après le décès du dernier roi jagellon, Sigismond II Auguste, l’institution appelée « Confédération de Varsovie », instituée le 28 janvier 1573 par la Diète, élabora la grande charte de la tolérance polonaise. Cette charte sera alors constitutive du serment précédant leur couronnement que devront désormais jurer les rois élus. On lira l’anecdote sur les hésitations d’Henri de Valois lorsqu’il fut élu au trône de Pologne (1573). On méditera sur la différence, ultérieurement, entre la première République française et la première République polonaise. Alors que l’ère des guillotines, des pontons, des déportations, des grands massacres et colonnes infernales exterminatrices de la Vendée (atrocités que Lénine admirait tant) allait s’ouvrir chez nous, l’article 1er de la Constitution polonaise du 3 mai 1791 proclamait : « La religion catholique, apostolique et romaine est et restera à jamais la religion nationale, et ses lois conserveront toute leur vigueur. Quiconque abandonnerait son culte pour tel autre que ce soit, encourra les peines portées contre l’apostasie. Cependant l’amour du prochain étant un des préceptes les plus sacrés de cette religion, nous devons à tous les hommes, quelle que soit leur profession de foi, une liberté de croyance entière, sous la protection du gouvernement. »

Tout, bien sûr, ne fut pas parfait, idyllique, dans la Pologne chrétienne. Ainsi Paweł Milcarek regrette-t-il (15e jalon) la discrimination imposée à l’Église uniate par la hiérarchie latine. D’autant que, lorsque vint le mauvais temps de l’occupation par la Russie, celle-ci, précise Milcarek, considéra que « les Uniates étaient en fait des orthodoxes qu’il fallait libérer de leur soumission au pape ». Elle mit alors en œuvre contre les Uniates les pires violences qui firent bien des morts pour imposer la religion moscovite. Milcarek rappelle à ce propos que, plus tard, « en 1946, sur ordre de Staline, l’Église uniate devait être liquidée dans son intégralité ». Étrangement, à notre époque en France, il y aura eu certains catholiques d’extrême-droite ou de droite à avoir oublié cette abomination et qui ne furent nullement gêné de prodiguer le même soutien à Vladimir Poutine que des chefs syndicalistes communistes de la CGT tel, au mois de mars 2023, le leader marseillais Olivier Mateu.

Bien sûr, on lira dans les textes du 16e jalon ce qu’il en a été du « déluge suédois », dans l’été 1655, catastrophe venant après l’agression russe de 1654. Mais la description de cet épisode va nous amener au cœur du haut lieu spirituel de la Pologne, le monastère de Jasna Góra, sanctuaire abritant l’icône miraculeuse de la Vierge noire de Częstochowa, universellement connue.
Lecteurs attentifs de ce livre, vous vous pencherez tout particulièrement sur les pages du 18e jalon intitulé : « Premier rempart de la Chrétienté – La mission sarmate en Europe ». Rappelons que l’adjectif « sarmate » désigne la culture et les traditions de la noblesse polonaise entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Naturellement, l’historien Paweł Milcarek évoque-t-il dans la fin du XVIIe siècle ce sommet de la gloire polonaise que fut la victoire que le roi polonais Jean III Sobieski, non sans l’appui du duc Charles de Lorraine, remporta sur l’immense armée ottomane qui assiégeait Vienne, menaçant ainsi tout le reste de l’Europe. L’auteur rappelle que c’est le pape Innocent XI lui-même qui, dans une lettre au Sénat polonais en 1678, avait déjà qualifié la Pologne de « puissante et illustre fortification de la République chrétienne ». Hostile à toute emphase et toute enflure nationaliste, Milcarek observe avec un brin de plaisante autodérision patriotique que « dans l’idéologie du premier rempart, il n’est pas difficile de percevoir non seulement un trait de bravoure et le sens du devoir, mais aussi une tendance à la mégalomanie nationale ». Nous sommes plus indulgent que lui !

Après Vienne, les jalons fixés par Paweł Milcarek rentrent dans l’histoire moderne. Les limites de cette préface déjà longue nous imposent de nous en tenir à quelques idées essentielles que l’on dégagera de ces derniers textes : d’abord l’observation que le rationalisme, le positivisme, le laïcisme, le scientisme n’ont pas miné autant la société chrétienne polonaise que la française. Et, sans doute, le plus grand auteur polonais du XIXe siècle, le romantique Adam Mickiewicz, est demeuré avant tout un poète catholique ardemment patriote tel qu’évoqué par Milcarek. De même, lorsqu’en 1905 Henri Sienkiewicz reçoit le prix Nobel de littérature, c’est surtout son œuvre « Quo Vadis ? », la plus universelle car la plus chevillée à l’héritage antique et chrétien, qui lui vaudra sa juste notoriété.

C’est ensuite le siècle noir du face-à-face avec le communisme et le nazisme, également monstrueux, que Milcarek va aborder. D’abord, en dégageant remarquablement les données essentielles du contexte et du déroulement de la bataille de Varsovie jusqu’à la victoire, premier arrêt de l’avancée du communisme en 1920. Ensuite, la terrible période dans laquelle, écrit l’historien, citant les souvenirs d’un prêtre qui, séminariste, avait servi en tant que brancardier en 1920 et avait plus tard vécu l’invasion de 1939 : « le même ennemi de la Pologne, qui était en même temps l’ennemi du nom du Christ, tomba d’accord avec un autre envahisseur… » Accord, en effet, pour dépecer la Pologne après le diabolique pacte germano-soviétique dont le rappel est aujourd’hui interdit en Russie.

L’avant-dernier jalon, jusqu’à nous, de l’histoire de la Pologne, est titré : « Des rois sans couronne ». L’expression désigna bellement et pour des raisons évidentes le cardinal Stéphane Wyszyński, « le Primat du millénaire » (presque mille ans en effet depuis le baptême de Mieszko en 966).

Quant au 28e et dernier chapitre de l’ouvrage, il consiste, vous le verrez, en une émouvante interrogation de son auteur sur la destinée du « Petit journal » de sainte Faustine Kowalska : « Sera-t-il un jour cité comme un jalon ? Un jalon de l’histoire de la Pologne chrétienne dont la force des significations se dévoile dès à présent pour nous et pour les générations futures ».
Puisse Dieu faire que ce jalon ne soit donc pas le dernier !

Bernard Antony

À la lecture de ce magnifique et très accessible petit livre d’histoire, on ne peut s’empêcher de penser que, décidément, pour reprendre les paroles de l’hymne national polonais créé alors que l’État polono-lituanien, la République des deux nations, venait de disparaître à la suite du troisième partage entre les puissances voisine (Russie, Prusse et Autriche) à la fin du XVIIIe siècle, « la Pologne n’a pas encore péri, tant que nous vivons ». Ce « nous » désignant bien sûr les Polonais eux-mêmes. Mais l’on réalise aussi que si la Pologne devait un jour suivre les autres nations européennes dans la voie de l’apostasie, alors elle ne sera plus.

Petite précision intéressante pour conclure cet article : « la République » (Rzeczpospolita) en polonais a une connotation tout à fait différente de celle qu’on lui donne en France. De fait, Rzeczpospolita est synonyme de « Pologne », les républiques des autres pays étant appelées en polonais avec le mot d’origine latine « republika ». La république polonaise se dit ainsi Rzeczpospolita Polska tandis que la république française se dit Republika Francuska. Les Polonais parlent de leur Première République pour désigner l’ancienne république nobiliaire polono-lituanienne du milieu du XVe siècle jusqu’aux partitions du pays à la fin du XVIIIe siècle. La Deuxième République est la République de Pologne de l’entre-deux-guerres. Celle-ci ayant perduré pendant et après la deuxième guerre mondiale avec le gouvernement en exil à Londres, la Pologne communiste sous occupation soviétique était la République Populaire, tandis que la République de Pologne actuelle est la Troisième République.

Cet article est une tribune libre, non rédigée par la rédaction du Salon beige. Si vous souhaitez, vous aussi, publier une tribune libre, vous pouvez le faire en cliquant sur « Proposer un article » en haut de la page.

Franc-maçonnerie et christianisme II

Deuxième partie

L’INCONNAISSANCE de La Vérité tient de ce que nous mettons la charrue avant les bœufs. Lorsque Dieu nous enseigne : “Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus”, Matthieu 6,33, « toutes ces choses » concernent ce que nous avions nommé par les quatre degrés de la Connaissance. À savoir : tout ce que peut nous faire découvrir l’alchimie, la magie, la psychurgie, la théurgie des Anciens.

Si les adeptes s’occupaient avant tout de faire la volonté de Dieu plutôt que de s’attarder sur le glacis d’initiations ou à la phraséologie pompeuse ou spéculative ou magique ou vaine, c’est-à-dire s’ils aimaient leurs prochains comme eux-mêmes aucun arcane de la Nature ne leur serait caché puisqu’ils ne pourraient en abuser et en mésuser contre les vivants. En outre, nous passons trop vite sur la profonde révélation du Prologue de Saint-Jean l’Évangéliste :

“Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. Elle était au commencement avec Dieu. Toutes choses ont été faites par elle, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans elle. En elle était la vie, et la vie était la lumière des hommes. La lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point reçue”, Jean 1,1-5.

Toutes choses ont été faites par le Verbe créateur de Dieu, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans Lui. Qui peut se prévaloir de connaître réellement les secrets de la matière, ceux de la force, ceux de l’homme et ceux des essences extra-terrestres,… les Initiés ou Jésus-Christ ? Les uns prennent, L’autre donne.

Dans la même matrice de notre réflexion, nous trouvons l’identique vérité lors de la tentation de Jésus au désert. Considérons ce que rapporte Saint-Matthieu en 4,3.4 :

“Le tentateur, s’étant approché, lui (Jésus) dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Jésus répondit : « Il est écrit : “L’homme ne vivra pas de pain seulement, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu”. »”

Je songe à cette anecdote rapportée par un voyageur traversant le grand Orient : il est facile à un lama, isolé sur les pentes neigeuses de l’Himalaya, de fabriquer du pain lorsqu’il n’en a pas à portée de main. Nous entrevoyons comment les sciences occultes pallient les manques comme la manne du désert donnée par Moïse aux Hébreux.

Jean 6,47-51 : “En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle. Je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert, et ils sont morts. C’est ici le pain qui descend du ciel, afin que celui qui en mange ne meure point. Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement ; et le pain que je donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde.”

N’oublions pas que Moïse fut initié au savoir égyptien comme l’indique l’Ancien Testament. Il fut grand prêtre d’Osiris.

Le Maître des maîtres précise néanmoins que les sciences occultes n’empêchent pas la mort c’est-à-dire qu’elles ne garantissent en rien la vie éternelle, loin s’en faut. Elles se confinent inexorablement dans le Relatif et ne peuvent en sortir. De plus, elles sont illicites puisque c’est du Verbe de Dieu, descendu du ciel (descendu de l’Absolu et non descendu d’un autre plan invisible de la Création que notre plan physique terrestre), dont se nourrissent les disciples du Christ, et non pas de matières sorties du Créé invisible. Il n’est pas rare d’observer que les Amis de Dieu mangent très peu, dorment très peu à l’instar de notre Curé d’Ars qui se nourrissait d’une seule pomme de terre par jour, dormait une heure par nuit, heure tourmentée par Satan. Ces Amis sont alimentés directement par la Parole du Père :

“Je suis le pain vivant qui est descendu du ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.”

La deuxième tentation est encore un appel à l’Ésotérisme :

“Le diable le (Jésus) transporta dans la ville sainte, le plaça sur le haut du temple, et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, jette-toi en bas ; car il est écrit : “Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet ; et ils te porteront sur les mains, de peur que ton pied ne heurte contre une pierre”. » Jésus lui dit : « Il est aussi écrit : “Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu”. »”, Matthieu 4,5-7.

Cet acharnement de l’Ennemi porte l’Homme à exploiter des procédés magiques à des fins personnelles. Or, c’est contrevenir à la volonté divine que de s’accaparer par la magie une autorité sur d’autres créatures que Dieu ne nous a pas octroyée. Voyons-nous bien le danger de ces sciences-là, lequel nous fait rebelle à l’Ordre divin !

Quant à la troisième tentation, elle porte sur l’ivresse de la domination temporelle et sur l’esclavage du monde par l’Occultisme puisqu’outil de séduction satanique :

“Le diable le transporta encore sur une montagne très élevée, lui montra tous les royaumes du monde et leur gloire, et lui dit : « Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m’adores. » Jésus lui dit : « Retire-toi, Satan ! Car il est écrit : “Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul”. » Alors le diable le laissa. Et voici, des anges vinrent auprès de Jésus, et le servaient”, Matthieu 4,8-11.

C’est lorsque nous laissons la Connaissance du Relatif qu’alors se découvrent le Royaume de Dieu et ses béatitudes éternelles.

L’Occultisme et le pouvoir temporel c’est-à-dire le pouvoir politique, économique, scientifique – car nous pourrions remplacer ici l’occultisme par les progrès des sciences appliquées des Occidentaux – sont les principaux pièges que Satan dissimule sous nos pieds et à nos mains par trop occupés à la recherche des mystères de la Matière. Lorsque des associations secrètes occultisent au lieu de tout christianiser et qu’elles sont dévorées par l’ambition de puissance, il convient de nous retirer. L’Évangile, la confiance et l’adoration seulement en Dieu, voilà notre Lys salomonique.

Revenons, en tant que chrétiens, au sobre Mémorial mais non moins révélateur de Pascal touché par la grâce du Christ-Jésus :

« Feu
Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob,
non des philosophes et des savants.
Certitude, certitude, sentiment, joie, paix.
Dieu de Jésus‑Christ.
Deum meum et Deum vestrum, (« [Je monte à mon Père et votre Père,] à mon Dieu et à votre Dieu. »)
Ton Dieu sera mon Dieu.
Oubli du monde et de tout hormis Dieu.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Grandeur de l’âme humaine.
Père juste, le monde ne t’a point connu, mais je t’ai connu.
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m’en suis séparé. ——————————————————
Dereliquerunt me fontem aquae vivae, (« Ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive. »)
Mon Dieu, me quitterez‑vous ——————————————-
que je n’en sois pas séparé éternellement.
———————————————————————————-
Cette est la vie éternelle, qu’ils te connaissent seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé J.-C.

Jésus-Christ. ——————————————————–

Jésus-Christ. —————————————————-

je l’ai fui, renoncé, crucifié
Je m’en suis séparé, —————————————————-
Que je n’en sois jamais séparé ! ————————————-
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l’Évangile.
Renonciation totale et douce.

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Pourquoi faire une retraite dans un monastère ?

Au sommaire de cette vidéo :

  1. Un rappel historique sur la vie monastique : des martyrs des premiers siècles aux bénédictins de saint Benoît, en passant par les ermites du désert et les ordres mendiants, j’essaie de retracer en quelques minutes les grandes étapes de cette aventure spirituelle fondatrice de la chrétienté.
  2. Pourquoi faire une retraite dans un monastère aujourd’hui ? : à l’heure du vacarme, du stress et de la dispersion, les abbayes sont des lieux de silence, d’ordre et de beauté, où l’on retrouve le sens de la vie chrétienne et de la présence de Dieu.
  3. Quelques recommandations concrètes : Fontgombault, Le Barroux, Donezan, Chéméré-le-Roi, mais aussi bien d’autres maisons encore vivantes – autant de lieux accessibles pour ceux qui veulent faire un pas de côté.
  4. Comment s’organiser ? : conseils pratiques, contact avec l’hôtelier, durée, contribution financière, conditions d’accueil…
  5. Que faire pendant la retraite ? : suivre les offices, travailler avec les moines, se promener, lire, prier, échanger… Chaque moment y est une invitation à se recentrer et à laisser Dieu parler au cœur.

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