Interrogé dans Die Tagespost, le cardinal Müller répond à ceux qui lui reprochent d’avoir signé l’appel pour l’Eglise et pour le monde aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté. Extrait de la traduction de Benoît-et-moi :
Eminence, craignez-vous réellement, comme le dit l’appel que vous avez signé, qu’un gouvernement mondial soit en train de prendre le pouvoir à la faveur de mesures « illibérales » ?
Ceux qui ne font pas la distinction entre les chances et les dangers liés à la globalisation sont dans le déni de réalité. Le pape François lui-même s’oppose au fait que des Etats et des organisations internationales imposent l’avortement aux pays pauvres d’une manière néo-colonialiste, c’est-à-dire en retirant leur aide au développement en cas de refus de l’avortement. Au Pérou, au temps du Président Fujimori, j’ai eu l’occasion de parler moi-même avec des hommes et des femmes que l’on avait stérilisés de force et à qui on avait, par de l’argent et de fausses promesses, ravi santé et joie de vivre. Qu’y a-t-il là d’une théorie du complot ?
Mais ne pouvez-vous pas comprendre que certains passages du document soient considérés comme « conspirationnistes » ? On y expose en tout cas des thèses graves sans en apporter les preuves.
Le mantra des théories du complot est un moyen infaillible pour faire les gros titres et un jeu tactique pour museler ceux qui pensent par eux-mêmes. Qui faut-il croire lorsqu’un théoricien du complot reproche à l’autre des fakenews ?
Alors, aidez-nous à comprendre ! L’appel que vous avez signé parle de forces qui ont intérêt à semer la panique dans la population. Sans donner de preuves. Quelles sont ces forces ?
Cette question, vous devez la poser au rédacteur du texte. Pour moi, ce texte ne veut pas dire qu’on ait inventé le corona pour provoquer la panique, mais plutôt que les mesures que l’on a prises doivent viser la maladie mais ne peuvent pas en même temps être associées à des intérêts politiques et économiques. En tout cas, on a exprimé publiquement la menace de vacciner de force sept milliards de personnes – alors qu’on n’a pas suffisamment essayé de médicaments – et de les priver de leurs droits fondamentaux s’ils s’opposent à cette vaccination. Personne n’est obligé de croire qu’une poignée de « philanthropes » super-milliardaires ont les meilleurs projets pour améliorer ce monde, simplement parce qu’ils ont réussi à accumuler une énorme fortune privée. Un autre problème encore : une certaine dose de surveillance publique pour éviter et dépister les actes répréhensibles est moralement justifiée, mais absolument pas un contrôle total de la sphère privée.
Dans le monde entier les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, cherchent des réponses au défi sans précédent que pose cette pandémie. Croyez-vous réellement qu’ils veuillent utiliser la crise pour limiter, voire abroger, de manière permanente des libertés et des droits civiques ?
Devrais-je dire maintenant, naïvement et avec une confiance aveugle dans l’autorité, que tous n’ont que les meilleures intentions ? Il ne faut pas tout voir dans une perspective allemande ! L’Amérique et la Chine se rejettent mutuellement la faute et prennent peut-être des mesures inquiétantes qui n’ont directement rien à voir avec la pandémie. Dans certains pays, on se sert malheureusement aussi de la crise à des fins de politique partisane. Jusqu’à présent, en bien des endroits, le primat de l’éthique sur la politique politicienne reste un vœu pieux.
La conférence épiscopale allemande s’est désolidarisée de l’appel que vous avez signé. Votre successeur sur le siège épiscopal de Ratisbonne s’est expressément rallié à cette position. Le positionnement politique à l’intérieur de la structure ecclésiale semble ne jouer là aucun rôle. Cela vous impressionne-t-il ?
Il y aurait eu plus urgent : que les évêques allemands fassent front pour la nouvelle évangélisation de leurs diocèses, selon la volonté du pape François, ou bien qu’ils interviennent haut et fort contre la persécution des chrétiens, au lieu de se monter tous contre un document de trois pages qui, n’est certes pas le dernier mot de la sagesse – pas plus que nombre de textes produits par la conférence épiscopale ! – mais est un appel qui invite à réfléchir. Aucun de ces confères n’a parlé avec moi. Mais ils se réfèrent à des slogans qui suscitent le tollé ; ce serait perdre son temps que d’en faire état ou de les contredire. […]
L’Eglise catholique respecte la compétence de l’Etat pour le bien commun et ne revendique pas d’être un état dans l’Etat. Mais l’Etat a seulement le droit d’exiger que soient prises, lors de rassemblements pour le culte, les mesures de sécurité nécessaires ; il ne lui revient pas d’interdire purement et simplement la liturgie et les sacrements. Dans les Etats non démocratiques, on autorise actuellement les rassemblements publics, mais seuls les cultes sont interdits, s’il faut en croire les medias.
Lorsque, malgré tous les dangers, les soins médicaux de base de la population sont garantis, alors il faut aussi se soucier par exemple qu’un mourant ne reste pas sans assistance spirituelle. Ou bien, si un mariage civil est possible, personne ne comprend pourquoi un mariage religieux ne l’est pas ; et parce que tout est politisé, les pasteurs n’entendent plus la fausse note dans la formulation brutale : « Baptêmes, confirmations, messes de mariage, c’est-à-dire les canaux sacramentels de la grâce, sont interdits » […]