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Médias : Désinformation / Pays : International

De l’art de vendre la guerre à une opinion récalcitrante

François-Bernard Huygue est directeur de recherche à l'IRIS – l'Institut de relations internationales et stratégiques – et responsable de l'Observatoire géostratégique de l'information. Dans cet article, il analyse la façon dont les Etats démocratiques "vendent" la guerre à leur opinion publique. Et en particulier la France, à propos de la Syrie. Extraits :

"Assiste-t-on à une sorte de "vente de la guerre", présentée comme un
produit auquel il faut adhérer, une guerre parée de vertus ?

Les arguments de vente sont importants : le
produit est sans danger puisque, grâce aux frappes chirurgicales, vous ne
toucherez que des méchants et vous ne serez responsable d'aucune victime
civile innocente. Notez que les victimes civiles sont toujours
innocentes. Vous ne prendrez aucun risque puisque des missiles très,
très perfectionnés vont faire le travail à distance. On insiste quand
même sur le côté "aucun soldat ne sera perdu", et puis qu'Obama
est beaucoup plus malin que Bush : il n'envoie pas des soldats sur un
sol étranger. Enfin, il y a l'argument éthique qui est très important,
puisqu'on nous dit que si nous ne faisons rien, nous serons des
salauds, au sens "sartrien" du terme, c'est-à-dire indifférents à la
souffrance des autres. Cette guerre, si elle se déclare, a pour but de
faire une punition morale, elle n'a donc en aucune façon l'objectif
d'acquérir un territoire ou un avantage. Elle est désintéressée. C'est
une guerre policière, nous sommes chargés par la communauté
internationale, même si l'ONU vote contre nous, d'être les chevaliers
de l'universel. On retrouve les trois éléments de la rhétorique
d'Aristote
: Ethos, pathos, logos. Ethos, avec l'obligation morale de
faire cette guerre, pathos, avec le "regardez comme c'est horrible", et logos avec le "oui, c'est logique de la faire, en plus, on va la gagner".

Peut-on
penser que les citoyens occidentaux, après les révélations des mensonges
sur la guerre d'Irak de 2003, puis les fuites de Wikileaks et celles
d'Edward Snowden, ne croient plus vraiment dans la parole de leurs
dirigeants ?

Il y a plusieurs couches dans la réponse : un
premier fait est évident, c'est qu'après s'être fait balader avec le
canon de Saddam qui allait tirer des gros obus à gaz sur Jérusalem, les
faux cadavres de Timisoara, le génocide du Kosovo où on allait retrouver
des charniers partout, les armes de destruction massive de Saddam qui
allait avoir la bombe atomique dans les trois semaines, le public est
devenu très sceptique, il n'est pas idiot
. Cela va de pair avec un
scepticisme plus général : il y a de moins en moins de confiance dans la
classe politique mais aussi envers les médias.
Dans le cas d'Obama,
s'être fait élire en disant : "je mettrai fin à la guerre d'Irak",
ce qui est un mensonge puisque les accords de départ des soldats d'Irak
ont été signés par les Républicains, avoir le prix Nobel de la paix en
envoyant le même mois 30 000 soldats en Afghanistan, etc, c'est un peu
difficile à avaler. Obama avait l'image du bon démocrate pacifique
opposé à ce crétin-sanglant de Bush. Et ce type merveilleux, qui incarnait
Martin Luther-King en joueur de golf, ne libère pas
les gens de Guantanamo, surveille la presse, laisse s'organiser une
chasse aux sorcières de ses opposants par les services fiscaux !

L'archange Obama est en train de défendre Prism, XKeyscore (les
programmes de surveillance numérique planétaire de la NSA, ndlr) ! A propos de la responsabilité du régime syrien dans l'attaque chimique du
21 août, ce sont des écoutes qui sont censées être des preuves. Mais
les écoutes n'ont pas été divulguées par le gouvernement américain, il y a
seulement des retranscriptions où l'on entend un haut responsable du
régime syrien poser des questions et dire : "Mais qu'est-ce que c'est
que ça, il y a eu une attaque chimique, est-ce que c'est nous qui avons
fait cette chose là ?
" Mais on n'a pas la réponse. (…)

Comment savoir ce qui est de l'ordre de l'information
et ce qui est de l'ordre de la propagande ?

C'est dur : Churchill disait "la première victime de la guerre, c'est la vérité".
On peut dire que la propagande est extrême, donc tout doit être fait
pour faire disparaître l'intelligence et la nuance.
Mais je ne suis pas
totalement pessimiste : pas mal de mensonges de guerre, de
bidouillages, ont été découverts, documentés après coup. Les
lanceurs d'alerte américains révèlent pas mal de choses sur les
malversations de leur pays. Des militaires américains ont dénoncé en
Irak le fait que des néo-conservateurs étaient présents en grand nombre
et faisaient remonter en permanence des informations redondantes qui
allaient dans leur sens mais pas dans les autres. C'est une technique de
propagande, là aussi, de manipulation de l'opinion : vous faites
travailler des tas de gens des services de renseignement sur le terrain, et ces gens-là sont le plus souvent fort honnêtes. Mais il y a
un moment où il faut que vous synthétisiez l'information, et si vous ne
retenez que les éléments à charge, oubliez les autres, citez cinq fois
ce qui va dans un sens et que vous évoquez à peine ce qui va dans un
autre, vous obtenez des choses particulières. On peut penser à ce
document de Matignon, présenté il y a quelques jours, comme preuve de la
responsabilité du régime syrien dans l'attaque chimique et qui a été
écrit par un énarque. Il n'y a aucune preuve dans ce document, mais un
faisceau de présomptions, des convictions.

L'opinion
pourrait-elle se retourner, en fin de compte, en faveur de
l'intervention, une fois la "vente" de cette guerre effectuée ?

Très souvent, quelques jours
avant une guerre, il est normal que les gens ne veuillent pas faire la
guerre et soient plus portés sur la recherche d'une solution politique.
Ensuite, il y a le réflexe de légitimité une fois le premier coup de
canon donné. Puis, la légitimité est concentrée le plus souvent par des
révélations d'horreur qui sont découvertes. Là, en général, la "côte",
si j'ose dire, de la guerre, remonte, surtout chez les plus de 50 ans,
parce ce que sont des générations qui sont plus touchées par le sujet.
Dans le cas de la Syrie, s'il y avait intervention, il n'est pas
certain que la légitimité "du premier coup de canon" fonctionne. Les
images d'exécutions de soldats par des rebelles, celles du rebelle
cannibale, sont un repoussoir. Ajoutez le fait de ne pas vouloir faire la
guerre avec Al-Quaïda, qui est un message qui prend bien aux Etats-Unis,
comme celui, en France, d'être au service de l'Arabie saoudite et du
Qatar, donc d'aider à massacrer des chrétiens. Ca n'aide pas. Surtout
pour la France : quand on veut être les chevaliers universels mais sans
preuves, sans l'ONU, sans l'Europe, et considérer des pays munichois
pourris et immondes comme la Russie, la Chine, l'Inde, le Brésil,
l'Allemagne et le Vatican, puisque le Pape est contre, là c'est un dossier
qui n'est en fin de compte pas très bien vendu dès le départ.
"

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5 commentaires

  1. Depuis “la soft-idéologie” (je l’avais rencontré à l’occasion de la sortie de ce livre), j’ai toujours trouvé que FB Huygue faisait des analyses politiques remarquables allant à l’encontre du politiquement correct. C’est le cas aujourd’hui. En plus elles contiennent des formules justes et drôles. Le danger dans notre époque n’est pas tellement l’absence de morale que les fausses morales, par exemple BHL condamnant les opposants à l’intervention en Syrie non convaincus par les preuves d’utilisation de gaz par Assad comme formant “un quarteron rouge-brun”.

  2. Travaille à l’IRIS, il a beau jeu de pondre un article dans le sens de l’opinion, après coup. Il fait partie de cette propagande qui la manipule. Il a juste perdu cette fois.
    Sacha Mandel, espion contrarié :
    [..]Juste après que Jean-Marc Ayrault a affirmé qu’il n’y aurait pas de vote du Parlement sur une éventuelle intervention militaire en Syrie, le site du gouvernement publie un document « déclassifié » des services de renseignements français sur l’attaque chimique du 21 août dans la banlieue de Damas. Une façon de préparer ou convaincre l’opinion.
    La Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et la Direction du renseignement militaire (DRM), qui ont rédigé cette note, sont formelles : l’attaque du 21 août a été perpétrée par le régime de Bachar el-Assad et son clan, « seuls habilités à donner l’ordre d’utiliser des armes chimiques ». Selon le document, il s’agissait en effet d’une « attaque massive et coordonnée dont les rebelles syriens n’ont pas les moyens ». Les forces de Bachar el-Assad auraient de surcroit cherché à détruire les preuves :
    Sauf que dans les propriétés dudit document on lit : (Un rectangle blanc a été mis à la place du champ « emplacement ».)…
    Sacha Mandel, ancien d’Euro-RSCG et qui y retournera peut-être, est aujourd’hui conseiller presse de Jean-Yves Le Drian. La question à mille euros étant bien sûr de se demander comment ils vont nous expliquer que ce document super-hyper-top-secret déclassifié exprès et exceptionnellement tout frais des armoires de la DGSE pour nous démontrer comment Bachar est trop un dictateur sanguinaire soit passé par son ordinateur : il a fallu toiletter la mise en page ? Effacer des smileys ? rajouter des adjectifs ? Ou bien l’a-t-il écrit ou réécrit, le très politique Mandel ?
    En tout cas pour la note « rédigée » par la DGSE et la DRM, ils repasseront.
    ¤Et non vous ne rêvez pas : le document censé justifier l’engagement de militaires français contre la Syrie sort bien de l’ordinateur d’un bête pubard d’Euro-RSCG, l’agence de com de DSK — entre autres — et dirigée par le très socialiste Stéphane Fouks pour lequel, curieusement, il ne semble pas exister de page Wikipedia française ou anglaise. On soulignera seulement ici qu’il est administrateur de Médecins sans frontières (vous savez, cette ONG « indépendante » qui réclame la guerre contre la Syrie à cor et à cris) et qu’il est aussi administrateur de l’IRIS, sorte de think-tank géopolitique bien connu où croque toute une partie de l’oligarchie française de droite comme de gauche…
    Le style même de cette note avait déjà mis à puce à l’oreille à beaucoup : quelle que soit la décadence de la DGSE, on l’imaginait mal signer un tel salmigondis d’évidence fait pour la presse.[..]03/09/13 bit.ly/1ebMUqk

  3. Dans le cas le plus récent qui est celui de l’agression contre la Libye, les gens y ont cru quand même ou sont restés impuissants, indifférents au sort des minorités ! Il y a donc lieu de penser qu’encore une fois, si la guerre était déclenchée, elle s’accompagnerait d’une propagande sidérante sur tous les médias et d’une censure efficace qui arriverait à ses fins, tout le monde n’est pas internaute ou ne se rend pas sur les sites de réinformation ! On dit cependant, encore cette fois, que le pays attaqué par des frappes riposterait, qu’il est puissamment armé, soutenu par la Russie etc. Mais on a déjà argumenté ainsi dans les cas précédents ! En fait, il a été prévu par les USA de “remodeler le Moyen-Orient” (après le 11 septembre) et ils ont cité successivement les pays à déstabiliser dont la Syrie, le but ultime étant la neutralisation totale de l’Iran. Pourquoi s’arrêteraient-ils en si “bon chemin” ? En fait, la Syrie est presque détruite, “frappes” ou pas, ils auront les moyens de faire tomber le président Assad et de neutraliser ses alliés sans, je l’espère, déclencher cette guerre mondiale dont ils les menacent. Israël est protégé, bouclé par son bouclier anti-missiles, les navires de guerre sont en place, les pays victimes encerclés, peu importe que les gens n’y croient plus car l’emprise est presque totale et le but ultime est le “gouvernement mondial”, une dictature sur les esprits, les âmes et les corps voulue par ceux qui ont abandonné Dieu.

  4. Frappes chirurgicales.
    Un machin créé tout exprès pour faire n’importe quoi, une excuse à tous les crimes, mais personne n’en a jamais donné de définition (s)

  5. Vendre la guerre, c’est très bien, mais il aurait fallu faire une étude de marché et voir s’il y a des clients !
    Ils sont irrécupérables tous ces poulets se prenant pour des aigles !

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