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Valeurs chrétiennes : Famille

Divorcés-remariés : halte à la casuistique des pharisiens modernes

À la veille du synode, l'assemblée plénière du "Consilium Conferentiarum Episcoporum Europæ", qui a eu lieu du 2 au 4 octobre, avait pour thème : "La famille et l’avenir de l'Europe". Parmi les orateurs qui y sont intervenus, il y avait surtout un couple de philosophes polonais, Ludmila et Stanislaw Grygiel, amis depuis leur jeunesse de Karol Wojtyla qu’ils ont connu prêtre, évêque et pape, et tous les deux enseignants à l'Institut pontifical Jean-Paul II pour les études sur le mariage et la famille. Extrait de leur intervention :

"[…] Le paradigme évangélique de cette pastorale, je le vois dans le dialogue entre Jésus et la Samaritaine, dialogue dont émergent tous les éléments qui caractérisent la situation difficile que connaissent actuellement aussi bien les gens mariés que les prêtres qui sont engagés dans cette pastorale.

Le Christ accepte de parler avec une femme qui vit dans le péché. Le Christ n’est pas capable de détester, il est seulement capable d’aimer. C’est pour cette raison qu’il ne condamne pas la Samaritaine, mais qu’il réveille dans le cœur de celle-ci le désir originel qui a été estompé par les événements de la vie désordonnée qu’elle mène. Il lui pardonne seulement à partir du moment où elle reconnaît qu’elle n’a pas de mari.

Ainsi ce passage de l’Évangile nous rappelle que Dieu ne fait pas le don de sa miséricorde à ceux qui ne la demandent pas et que, pour obtenir miséricorde, il faut reconnaître que l’on a péché et désirer se convertir. La miséricorde n’est jamais un don offert à quelqu’un qui n’en veut pas, ce n’est pas un produit qui est soldé parce que personne n’en veut. La pastorale demande une adhésion profonde et convaincue des pasteurs à la vérité du sacrement.

Dans le journal intime de Jean-Paul II, on trouve cette note écrite en 1981, la troisième année de son pontificat : "Le manque de confiance en la famille est la première cause de la crise de la famille". On pourrait ajouter à cela que le manque de confiance en la famille dont font preuve les pasteurs est l’une des principales causes de la crise que connaît la pastorale de la famille. Celle-ci ne peut pas faire comme si les difficultés n’existaient pas mais elle ne doit pas non plus s’y arrêter et admettre sa défaite avec découragement. Elle ne peut pas s’adapter à la casuistique des pharisiens modernes. Elle doit accueillir les Samaritaines non pas pour dissimuler la vérité à propos de leur comportement mais afin de les conduire à la conversion. […]

[…] Le fait d’ignorer l'amour "pour toujours" dont le Christ parle à la Samaritaine comme étant le "don de Dieu" (Jn 4, 7-10) a comme conséquence que les époux et les familles, et à travers eux les sociétés, s’écartent de "la voie droite" et qu’ils se mettent à errer "dans une forêt obscure" comme dans l'Enfer de Dante, selon les indications d’un cœur endurci, "sklerocardia" (Mt 19, 8). Une indulgence "miséricordieuse", telle que celle qui est demandée par certains théologiens, n’est pas en mesure de ralentir la progression de la sclérose de ces cœurs qui ne se rappellent plus comment sont les choses "depuis l’origine". La thèse marxiste selon laquelle la philosophie devrait transformer le monde plutôt que de le contempler a fait du chemin dans la pensée de certains théologiens, à tel point que ceux-ci – de manière plus ou moins consciente, au lieu de prendre en considération l'homme et le monde à la lumière de la Parole éternelle du Dieu vivant – envisagent cette Parole dans la perspective de tendances éphémères, sociologiques. Par conséquent ils justifient en fonction des situations les actes des "cœurs durs" et ils parlent de la miséricorde de Dieu comme s’il s’agissait d’une tolérance teintée de commisération.

On perçoit, dans une théologie conçue de cette manière, un certain mépris envers l’homme. D’après ces théologiens, l'homme n’est pas encore suffisamment mature pour être capable de regarder avec courage, à la lumière de la miséricorde divine, la vérité du fait qu’il peut devenir amour, comme l’est "depuis l’origine" cette même vérité (Mt 19, 8). Étant donné qu’ils ne connaissent pas "le don de Dieu", ces théologiens adaptent la Parole divine aux désirs des cœurs sclérosés. Il est possible qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils proposent à Dieu, inconsciemment, la pratique pastorale qu’ils ont élaborée, comme chemin qui pourra Le conduire jusqu’aux gens. […]

Jean-Paul II s’approchait de tous les mariages, y compris de ceux qui étaient détruits, comme Moïse s’était approché du buisson ardent sur le mont Horeb. Il n’entrait pas dans leur demeure sans avoir, au préalable, retiré ses sandales de ses pieds, parce qu’il entrevoyait que c’était là que le "centre de l’histoire et de l'univers" se trouvait. […] Pour cette raison, il ne s'inclinait pas devant les circonstances et il n’y adaptait pas sa pratique pastorale. […] Prenant le risque d’être critiqué, il mettait l’accent sur le fait que le mariage et la famille ne reçoivent pas leur forme des circonstances mais que ce sont eux, au contraire, qui donnent leur forme aux circonstances. Il accueillait en premier lieu la vérité et seulement ensuite les circonstances. Jamais il ne permettait que la vérité soit contrainte de faire antichambre. Il cultivait la terre de l'humanité en vue non pas de succès éphémères mais d’une victoire définitive. Il cherchait la culture du "don de Dieu", c’est-à-dire la culture de l'amour pour toujours.

La beauté dans laquelle se révèle l'amour qui appelle l'homme et la femme à renaître en formant "une seule chair" est difficile d’accès. Le don exige un sacrifice, sans quoi ce n’est pas un don. […] Les apôtres, parce qu’ils ne parviennent pas à comprendre la discipline intérieure du mariage, déclarent ouvertement : "Si telle est la situation de l’homme par rapport à sa femme, il vaut mieux ne pas se marier". Alors Jésus dit quelque chose qui contraint l’homme à regarder au-dessus de soi, s’il veut savoir qui il est lui-même : "Tous ne comprennent pas cette parole, mais seulement ceux à qui cela est donné … Celui qui peut comprendre, qu’il comprenne" (Mt 19, 10-12).

Un soir, le cardinal Karol Wojtyla se trouvait chez lui – c’était dans les années Soixante – et il venait d’écouter, en gardant le silence, les longues interventions d’un certain nombre d’intellectuels catholiques qui annonçaient que la société allait connaître une inévitable laïcisation. […] Une fois que ses interlocuteurs eurent fini de parler, il prononça seulement ces quelques mots : "Vous n’avez pas prononcé une seule fois le mot grâce". Ce qu’il a dit à ce moment-là, je m’en souviens à chaque fois que je lis les interventions de théologiens qui parlent de mariage en oubliant l'amour qui se manifeste dans la beauté de la grâce. L'amour est grâce, il est "don de Dieu". […]

S’il en est ainsi en ce qui concerne l'amour, le fait de mettre au nombre des raisonnements théologiques l’adage, indulgent mais contraire à la miséricorde, "nemo ad heroismum obligatur" [personne n’est tenu à l’héroïsme] décourage l’homme. Il le décourage en prenant le contre-pied du Christ qui, sur le mont des Béatitudes, a dit à tous les hommes : "Soyez donc parfaits comme votre père céleste est parfait" (Mt 5, 48).

Pour les mariages et les familles brisés il faut avoir de la compassion et non pas de la pitié. Dans ce cas-là, la pitié a en elle-même quelque chose de méprisant pour l’homme. Elle ne l’aide pas à s’ouvrir à l'amour infini auquel Dieu l'a appelé "avant la création du monde" (Ep 1, 4). Le sentimentalisme empreint de pitié oublie quelle est la situation de l'être humain" depuis l’origine", tandis que la compassion, parce qu’elle est une manière de souffrir avec ceux qui se sont perdus "dans la forêt obscure", réveille en eux le souvenir de l’Origine et leur indique le chemin qui permet d’y revenir. Ce chemin, c’est le Décalogue mis en œuvre dans les pensées et dans les actions : "Tu ne tueras point ! Tu ne commettras pas d’adultère ! Tu ne te voleras pas à la personne à qui tu as fait don de toi-même pour toujours ! Tu ne désireras pas la femme de ton voisin !". […] Le Décalogue gravé dans le cœur de l’être humain défend la vérité de son identité, qui s’accomplit dans le fait qu’il aime pour toujours. […]

Lors de l’une de nos conversations consacrées à ces douloureux problèmes, Jean-Paul II me disait un jour : "Il y a des choses qu’il faut dire sans se préoccuper des réactions du monde". […] Les chrétiens qui, parce qu’ils ont peur qu’on leur reproche d’être des ennemis de l'humanité, se plient à des compromis diplomatiques avec le monde déforment le caractère sacramentel de l’Église. Le monde, qui connaît bien les faiblesses de l’être humain, s’en est pris principalement à l’"une seule chair" d’Adam et Ève. Il cherche à déformer en premier lieu le sacrement de l'amour conjugal et, à partir de cette déformation, il va chercher à déformer tous les autres sacrements. En effet ils constituent l'unité des lieux de la rencontre de Dieu avec l'homme. […] Si les chrétiens se laissent convaincre par le monde que le don de la liberté qui leur est fait par Jésus rend leur vie difficile ou même insupportable, ils se mettront à la suite du Grand Inquisiteur des "Frères Karamazov" et ils banniront Jésus. Qu’arrivera-t-il alors à l’homme ? Qu’arrivera-t-il à Dieu qui est devenu homme ?

Avant d’être mis à mort, Jésus dit à ses disciples  "L'heure vient même où qui vous tuera estimera rendre un culte à Dieu… Dans le monde vous aurez à souffrir, mais gardez courage, j’ai vaincu le monde" (Jn 16, 2.33). Gardons courage, ne confondons pas l'intelligence mondaine de la raison calculante avec la sagesse de l'esprit qui s’étend jusqu’aux frontières qui unissent l’homme à Dieu. Hérode et Hérodiade étaient peut-être intelligents, mais ils n’étaient certainement pas sages. Celui qui était sage, c’est saint Jean-Baptiste. C’est lui et non pas eux qui avait su reconnaître la voie, la vérité et la vie."

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