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Histoire du christianisme

Impossible de faire carrière dans le secteur universitaire de la Révolution française sans se faire adouber par la Société des Études robespierristes

Impossible de faire carrière dans le secteur universitaire de la Révolution française sans se faire adouber par la Société des Études robespierristes

Haut fonctionnaire aux Affaires étrangères, juriste spécialiste de droit pénal international, Jacques Villemain poursuit ses recherches avec un nouvel ouvrage en deux volumes, Histoire politique des colonnes infernales. Avant et après le 9 Thermidor, et Papiers et Rapports. Extrait d’un entretien donné dans L’Homme Nouveau :

[…] Le fonctionnement est simple… sur le papier : sur ses 40 régiments « opérationnels » (un régiment c’est environ 1 000 hommes), Turreau doit en utiliser plus de la moitié à « boucler » le territoire insurgé par un système de garnisons. Il lui reste environ 12 000 hommes qu’il va répartir en 12 colonnes d’environ 1 000 hommes chacune (schématiquement, car il y a des colonnes de 800 et d’autres de 1 200 hommes). Ces colonnes se placent sur une ligne nord-sud de 80 kilomètres environ à partir des Ponts-de-Cé, approximativement, et se mettent en devoir de ratisser la région en avançant par un mouvement est-ouest, chacune massacrant « tout ce qui se trouvera sur son passage » (ordre de Turreau au général Moulin), jusqu’à arriver à la côte atlantique où le général Haxo, avec 8 000 hommes, les attend pour massacrer ce qui aurait échappé à ce « râteau ». Le modus operandi est bien celui d’un massacre aussi complet que possible de la population, donc un génocide. L’objectif avoué est de « dépeupler la Vendée » (3) en vue de la repeupler ensuite : une famille de cultivateurs sera invitée dans chaque canton du reste de la France à venir s’installer en Vendée, voire les cultivateurs sans terre mais reconnus bons citoyens, afin d’obtenir enfin une « Vendée républicaine » ; on leur donnera les terres des Vendéens que l’on aura exterminés. On vote même pour cela une loi spéciale (loi du 18 brumaire an II/8 novembre 1793).

Le bilan n’est pas facile à faire. D’un côté Jacques Hussenet (4), à partir d’une étude démographique globale, arrive à la conclusion qu’au total 170 000 Vendéens, essentiellement femmes, enfants et vieillards, ont péri. Un décompte effectué à partir des « rapports » d’activité des généraux commandant les colonnes infernales donnerait 19 000 morts, mais 40 % des généraux ne fournissent aucun rapport chiffré du bilan de leurs combats et même ceux qui en fournissent ne le font pas systématiquement : au total seuls 15 % des rapports comportent de tels éléments chiffrés. Il n’est donc que raisonnable de penser que cette expédition a fait dans les 40 000 victimes, chiffre retenu par plusieurs historiens. En outre, il est difficile d’estimer à moins du quart du total des 170 000 victimes du bilan global celui de cet épisode qui est, avec la « Virée de Galerne », le plus meurtrier de la guerre de Vendée. Pour autant les « colonnes infernales » sont un échec. Une ligne de 12 000 hommes ne peut pas ratisser efficacement sur une ligne de 20 lieues (80 kilomètres), et surtout pas dans un pays de bocage, coupé de haies et de chemins creux, où la visibilité ne dépasse pas 100 mètres et est souvent inférieure à 50 mètres. En outre, il faut ratisser en « double rideau » car un groupe de combattants pourrait percer la première ligne, il faut une deuxième ligne pour venir à son soutien ou bloquer la percée. Le « peigne » a les dents trop larges : en pratique il ne peut accrocher que les « nœuds », si je puis prendre cette métaphore capillaire, c’est-à-dire les villages. L’expédition des colonnes infernales se ramène ainsi à une liste de villages dont on massacre les populations (les Lucs-sur-Boulogne, Saint-Mesmin, La Gaubretière, etc.). Les combattants, eux, savent se faufiler entre les colonnes, voire les prendre à revers comme s’en plaint Turreau qui avait annoncé d’abord à Carnot qu’il en aurait fini en huit à dix jours et qui, après quatre mois, n’a toujours pas atteint son objectif : le Comité de salut public, qui a besoin de troupes aux frontières, met alors fin à son opération et lui retire son commandement. […]

Comment expliquez-vous que l’Université française et nos politiques continuent à nier le génocide vendéen ?

C’est le dernier pan de ma démonstration. Dès la chute de Robespierre, les conventionnels, qui lui ont pourtant renouvelé ses pouvoirs mois après mois pendant un an (juillet 1793- juillet 1794), essaient de se désolidariser des crimes commis en Vendée et que l’on ne peut plus dissimuler, la fin de la Terreur déliant les langues. Ce sera la dénonciation de Carrier par les Nantais qui lancera le mouvement : il a effectivement été impliqué dans le lancement de l’extermination générale et s’il a été rappelé à Paris en février 1794, cela n’a nullement été une sanction, il continue d’ailleurs à appuyer le plan de Turreau, notamment dans un discours fameux qu’il fait à la Convention dès son retour à Paris, le 21 février 1794, et que je reproduis dans mon deuxième volume. Carrier reste une figure de premier plan à la Convention jusqu’au 9 Thermidor : Robespierre, qui aurait pu l’éliminer en même temps que les hébertistes dont pourtant il avait été proche, s’en est bien abstenu. Il fera même de Carrier un des secrétaires de la Convention et, à ce titre, il défendra la « loi de Prairial » dite de « Grande Terreur », lors de sa seconde lecture. C’est d’ailleurs ce profil très en pointe qui le désignera à la fureur des thermidoriens car, même après le 9 Thermidor, si par prudence il renie Robespierre, il continue à défendre la politique de Terreur qu’il mit en œuvre avec l’énergie qu’on sait à Nantes. La Convention réécrit alors l’histoire du premier semestre 1794 par une série de « rapports » qui sont une véritable falsification des faits. Ces « rapports », qui forment la deuxième partie de mon second volume, maquillent les faits, qui sont niés quand c’est possible ou, dans le cas contraire, présentés comme le fait d’un zèle révolutionnaire peut-être excessif, mais que la « pureté des intentions révolutionnaires » doit justifier. On aboutit ainsi à une dizaine de lignes de défense dont les principales sont : 1) « ce n’est pas vrai » (négation pure et simple des faits) ; 2) « ce n’est pas grave » (il ne s’agissait de tuer que des contrerévolutionnaires) ; 3) « on ne savait rien » à Paris de ce qui se passait en Vendée ; 4) « c’est la faute des militaires » qui ont tout fait dans notre dos, etc. C’est ce même discours qui est repris et réadapté à la sensibilité actuelle par le secteur de l’Université française qui monopolise toute la recherche relative à la Révolution française. Impossible de faire carrière dans ce secteur universitaire sans se faire adouber par la Société des Études robespierristes dont sont issus depuis bientôt un siècle tous les titulaires de la chaire d’histoire de la Révolution française de la Sorbonne, qui est « chef de file » de la recherche historique sur cette période. Il s’agit de sauvegarder « l’espoir révolutionnaire », qui est au fond « l’histoire sainte », si j’ose dire, du communisme hier, du néogauchisme d’un Mélenchon aujourd’hui (Mélenchon qui ne cesse de défendre Robespierre). Cet objectif est lié à la réputation de la Révolution française qui est pourtant « malade de la Vendée », comme le disait l’historien Claude Langlois lors du bicentenaire de 1789. Il suffit de se rappeler les cris de bête blessée de tout ce petit monde lors de la sortie du film Vaincre ou Mourir l’an dernier, ou dès lors qu’il est question du Puy-du-Fou. Démontrer que la Révolution a aussi été une machine de crimes de masse est insupportable à tout le secteur de la gauche radicale qui ne rêve que de la rééditer, qui a cru que 1917 reprenait le flambeau de 1793 et qui, malgré l’échec de l’URSS, ne s’est pas guéri de cette passion politique : croire que la violence est « accoucheuse de l’histoire » (Marx), nécessaire à l’avènement de la société idéale.

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Histoire politique des colonnes infernales – Avant et après le 9 Thermidor

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