Politique Magazine a interrogé Richard Millet. Extraits :
"Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, on assiste au déploiement d’une effarante propagande où il n’est question que de liberté d’expression. Que vous inspire la pseudo-unité nationale qu’elle suscite, vous qui avez été condamné à mort socialement et médiatiquement pour vos écrits ?
Ce genre d’unanimité ne peut se faire, comme René Girard l’a montré, qu’au détriment de quelques-uns. La prétendue recomposition nationale qui a eu lieu après les meurtres de Charlie Hebdo nous dit deux choses : d’abord qu’elle n’aurait pas été aussi grande si les victimes n’avaient pas été des journalistes (les meurtres de Toulouse et de Montauban, il y a deux ans, pourtant de même nature, n’avaient pas suscité un pareil émoi) ; il est vrai, ces journalistes appartenaient à l’extrême-gauche, celle-là même qui clame qu’il n’ y a pas encore assez d’immigrés, pas assez d’« Europe », et qu’il faut en finir avec les nations. D’autre part, cette unanimité s’est faite au détriment même de la « liberté d’expression », c’est-à-dire de ceux qui, Français de souche et catholique sont constamment insultés par Charlie Hebdo. Il en va de cette liberté comme de la « tolérance » : elle est une arme de contrôle, pour le pouvoir médiatico-politique qui trouve à présent chez Zemmour, Camus, Finkielkraut et moi-même des « responsabilités » dans le climat d’ « islamophobie » qui fait des musulmans les victimes d’un « amalgame », d’une « stigmatisation » (ces mots ayant remplacé celui, dévalorisé, de racisme). Le serpent socialiste se mord d’ailleurs la queue : son discours rejoint ici celui des islamistes prétendus « modérés ».
La religion républicaine peut-elle s’aveugler encore longtemps sur le fait qu’elle n’est qu’un dangereux simulacre ? Est-ce finalement l’islam qui va le lui apprendre ?
L’islam, dans sa violence comme dans ses conquérantes prétentions juridiques, a le mérite de rappeler, involontairement, que la classe politique joue, depuis une trentaine d’années, avec le feu immigrationniste. Soyons réalistes ; il y a une bonne immigration : celle qui veut s’assimiler, et une autre, problématique, généralement musulmane, qui trouve dans le multiculturalisme une citoyenneté minimaliste. Je suis « français » faute de mieux (faute d’être américain, par exemple, ou de vivre selon la charia), peuvent se dire les jeunes immigrés. L’islam est, pour beaucoup, un ordre politique avant d’être une religion, comme l’a rappelé Houellebecq dans son roman Soumission. Tout cela occulte le fait majeur : la déchristianisation de l’Europe, dont la religion laïque ou celle des droits de l’homme ne peut plus masquer qu’elle fait le lit de l’islam, lequel a horreur du vide religieux. Et si les catholiques ont montré qu’ils sont une force puissante lors de la Manif pour tous, cette force ne semble pas avoir, hélas, d’avenir politique. Les socialistes continuent leur œuvre de destruction, cette forme de guerre civile, commencée en Vendée, en 1793. […]
La civilisation post-moderne, post-historique, post-chrétienne ne produit pas du vide : elle est le vide, la jouissance du vide, du présent perpétuel, du light, de l’insignifiant, de la « glisse », de l’absence de mémoire, etc. Le multiculturalisme d’état est un des visages de ce vide. A la différence du romancier consensuel ou du propagandiste littéraire, l’écrivain doit sans cesse redéfinir sa condition : le terrain sur lequel il s’avance est infiniment piégé par le Spectacle qui tente de le récupérer, comme il l’a fait pour Debord et pour Muray. L’écrivain vit dans une époque si trouble, si inquisitoriale, si judiciarisée qu’il ne peut être qu’un solitaire, un franc-tireur. Tout le condamne, mais il écrit à partir de cette condamnation même…"