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Tribune libre

La philosophie scolastique ou la véritable philosophie thomiste oubliée depuis 60 ans

La philosophie scolastique ou la véritable philosophie thomiste oubliée depuis 60 ans

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A l’heure où l’on se rappelle des 750 ans de la mort de saint Thomas d’Aquin (7 mars 1274), il est important aussi de rappeler l’importance de la philosophie scolastique. Dans les milieux où l’on s’intéresse à la philosophie thomiste, surtout dans les milieux catholiques, il s’est produit un phénomène particulier dans les années 1940 ou 1950. En effet, une partie des philosophes se disant « thomistes » ont abandonné la pratique rigoureuse de cette philosophie, ce qui a causé de la confusion dans l’esprit de 2 ou 3 générations de gens intéressés par le thomisme.

Le but de ce texte est de mettre en garde contre les contrefaçons de philosophie thomiste qu’on pourrait présenter.

Quelle est la vraie nature de la philosophie aristotélico-thomiste ?

Depuis 900 ans, la philosophie aristotélico-thomiste et scolastique se présente sous forme systématique, avec des parties de base comme la logique qu’il faut étudier avant d’entamer le reste. Mais cette manière de présenter la philosophie inspirée d’Aristote est beaucoup plus ancienne et remonte même à Aristote.

En effet, après 3 ou 4 siècles de développement de la philosophie en Grèce, Aristote arrive à une définition précise de la philosophie qui est « la philosophie est la science des premiers principes et premières causes » (cf. Aristote, « Métaphysique », Livre A) et y distingue des parties pour lesquels il a consacré des livres entiers :

• Logique
• Métaphysique
• Psychologie
• Cosmologie
• Ethique
• Politique, etc.

Voici la liste complète des oeuvres d’Aristote :

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C5%92uvres_d%27Aristote

Cette définition et ces parties sont le résultat de 3 ou 4 siècles de réflexions philosophiques. Cela ne vient pas du hasard. Aristote a corrigé ce qu’il a pu chez ses prédécesseurs depuis Thalès de Milet jusqu’à Platon et a laissé pour la postérité un système assez complet, quoique bien sûr pas parfait. Et sa méthode de présentation est « scolastique », dans le sens où elle se présente de manière « scolaire ».

Après Aristote, et pendant 2300 ans, son système a été perfectionné, notamment par des philosophes comme Alexandre d’Aphrodise, Avicenne, Saint Albert le Grand ou Saint Thomas d’Aquin, pour ne citer que les plus importants.

Saint Thomas d’Aquin a aussi suivi l’ordre systématique car il a commenté la plupart des livres d’Aristote :

Après Saint Thomas d’Aquin, cette systématicité a toujours été pratiquée dans les milieux thomistes jusqu’au XXIe siècle.

Il y a deux manières d’étudier la scolastique : l’une professionnelle, et l’autre non-professionnelle. Pour être un professionnel de la scolastique, il faut de toute façon passer par l’université et étudier la philosophie grecque, médiévale, les autres philosophies non-thomistes et après la scolastique contemporaine. Pour ceux qui ne veulent pas devenir des professionnels de la scolastique mais qui en ont besoin pour leur métier, notamment la médecine, le droit et la théologie, il y a soit des cours dans des écoles et instituts, soit les fameux « manuels » de philosophie scolastique.

Que disent ceux qui s’opposent à la méthode scolastique ?

Depuis des siècles, malheureusement, on a critiqué cette méthode qu’on qualifie de « artificielle », « rigide », etc.

Ils affirment qu’avec le temps on se serait éloigné de ce que disaient vraiment Aristote, Thomas d’Aquin, etc. Alors ils proposent de « revenir » à Aristote ou à Saint Thomas d’Aquin, le tout, parfois, sans « tout lire », en suivant « l’esprit » de Thomas et d’Aristote… D’ailleurs souvent ils ne proposent plus d’étudier toutes les parties du système…

Peut-on éviter la présentation scolastique  et les manuels?

En réalité on ne peut pas éviter la scolastique. L’une des raisons est tirée de la comparaison avec d’autres disciplines, comme les mathématiques. A l’école, on ne penserait pas faire étudier aux élèves l’arithmétique et la géométrie à partir des textes d’Euclide. Pourquoi ? Parce que ce serait trop compliqué et parce que depuis plus de 2000 ans des manières plus simples et pédagogiques ont été développées… De plus, après Euclide il y a eu d’autres découvertes arithmétiques et géométriques. Il y a donc les fameux « manuels » d’arithmétique et de géométrie qui expliquent de manière méthodique en tenant compte des dernières découvertes. On peut dire la même chose de l’algèbre, car on ne lit pas à l’école les textes d’Al-khwarizmi… Cela n’êmpêche pas de lire Euclide et Alkhwarizmi après pour approfondir nos connaissances mathématiques.

Il en est de même en chimie, physique, droit, etc. La méthode « scolaire » est partout… pourquoi la philosophie échapperait-elle à cette règle ?

On peut lire Aristote, mais cela demande beaucoup de connaissances pour bien le comprendre et il faut des années d’études. Le texte d’Aristote est rude et, quoique assez organisé, contient plein de questions pas résolues. Après Aristote et avant Saint Thomas d’Aquin il y a eu 1300 ans de recherches aristotéliciennes pour interpréter et améliorer son système. Il a fallu plusieurs cultures pour le faire : des Grecs, de Romains, des Juifs, des Arabes. Pour introduire à la philosophie, on ne pouvait pas lire d’un seul coup toutes ces recherches, il fallait donc des manuels qui résument les point essentiels. Bien sûr, si on fait de la philosophie professionnellement, on doit lire aussi ces commentaires aux textes d’Aristote.

Après Saint Thomas d’Aquin, il y a eu encore 900 ans d’améliorations du système et, pour le présenter… il fallait comme ailleurs recourir à des manuels…

Tout ceci était assez naturel et acquis depuis deux millénaires, sauf bien sûr pour les humanistes et autres philosophes qui abandonnèrent complètement le thomisme dès le XVIe siècle. C’est seulement vers 1940 ou 1950 que, étonnement, certains thomistes ont affirmé que la scolastique était un « frein » au développement, qu’il fallait s’ »ouvrir », qu’il fallait « revenir à Aristote », etc… A cause de ces étranges affirmations, 2 ou 3 générations de gens intéressés par le thomisme ont cru qu’on pouvait faire de la philosophie thomiste sans méthode systématique… Ce qui a créé de la confusion chez nombre de gens.

Or, il est très important d’apprendre la philosophie thomiste dans l’ordre!! Sinon, c’est comme si on voulait étudier les mouvements des planètes sans mathématiques préalables…

Que dit le Magistère de l’Eglise Catholique ?

Jusqu’à présent je me suis basé sur des faits historiques et philosophiques que tout un chacun peut vérifier. Et en fait, le Magistère de l’Eglise, se basant aussi sur ces faits, rappelle aussi qu’il faut étudier le thomisme d’une manière systématique, en suivant des chapitres de base comme la logique, la métaphysique, etc. Vous pouvez lire par exemple « Fides et Ratio » de Saint Jean Paul II ou « Humani Generis »  de Pie XII pour les plus récentes.

Qu’arrive-t-il si l’on n’étudie pas la philosophie thomiste dans l’ordre ?

Malheureusement cela conduit à énormément de confusions. D’abord, si l’on n’étudie pas bien la logique au départ, qui explique comment faire des démonstrations, on aura de la peine à comprendre et à expliquer la métaphysique, l’éthique, etc.

Depuis les années 1960, une bonne partie des catholiques intéressés par la philosophie ou plus précisément par le thomisme ont eu une approche incomplète voir déformée de la philosophie. Elle a été allégée et on a fait croire à beaucoup qu’on pouvait l’apprendre sans systématicité.

Un exemple malheureux est le cas du Père Marie-Dominique Philippe, fondateur de plusieurs congrégations et dont a beaucoup parlé ces dernières années à causes de certains abus. Il a eu aussi beaucoup d’influence dans le monde philosophique mais malheureusement il a rejeté la méthode scolastique (cf. Lafon M.-C., «Marie-Dominique Philippe – Au coeur de l’Église du XXe siècle», Desclée de Brouwer, https://www.exultet.net/eshop/media/ebooks_samples/L000403-01s.pdf) ce qui a créé énormément de confusion chez nombre de personnes intéressées par le thomisme.

Comment étudier la philosophie scolastique ? Le rôle des manuels :

Le fait le but des “manuels” est d’introduire à la philosophie aristotélico-thomiste à ceux qui étudient la philo de manière non professionnelle, tout en tenant compte des avancées des sciences de leur époque. Ils peuvent aussi aider ceux qui étudient professionnellement la philosophie thomiste. Une fois qu’on les a étudiés, comme le rappellent par exemple les pères Farges et Barbedette dans leur «Cours de philosophie scolastique», on peut toujours explorer les textes d’Aristote et de Saint Thomas d’Aquin, entre autres. Ces manuels sont pas, bien sûr, parfaits.

Pour ceux qui veulent apprendre la philosophie scolastique sans pour autant devenir des professionnels, il y a plusieurs manuels intéressants comme le “Manuel de philosophie thomiste” de Henri Collin.

Le “Manuale di Filosofia Sistematica” du Père Mondin est, à ma connaissance, le dernier manuel aristotélico-thomiste en date. Il a été écrit entre la fin des années 1990 et 2008 à peu près. Il présente le thomisme en tenant compte de la post-modernité, de la bioéthique, de l’informatique, de l’intelligence artificielle et même de la mécanique quantique. C’est une œuvre remarquable, malheureusement n’existant qu’en italien pour l’instant. Le Père Mondin a commencé à l’écrire vers l’âge de 70 ans, après une longue carrière où il a étudié le thomisme, les philosophies non-thomiste et les sciences particulières (exactes et humaines).

En ce qui concerne les manuels en français, les derniers datent d’il y a quelques décennies mais l’essentiel n’a pas changé pour la plupart des sujets: logique, métaphysique, psychologie, éthique, etc. Ils tenaient déjà compte de la science du XXe siècle. Vous pouvez donc encore les lire. Ils sont encore utilisés pour l’enseignement.

Il y a par exemple, en ligne, le Précis de philosophie; en harmonie avec les Sciences modernes de F.-J., Thonard, A.A

Conclusions :

Ce petit texte est là pour vous prévenir afin que vous ne vous fassiez pas avoir par des gens qui vous proposent des philosophies « thomistes » sans rigueur intellectuelle. Lorsqu’on vous propose de telles choses, renseignez-vous bien : si la personne est à la tête d’une organisation et propose de la « philosophie thomiste », a-t-elle vraiment étudié cela à l’université ? Et si oui, la pratique-t-elle de manière systématique ? Connaît-elle la logique, la cosmologie ?

Et même dans les milieux théologiques catholiques, quand on vous propose des « doctrines » et enseignements de type philosophique inspirées du thomisme, posez-vous et posez les mêmes questions…

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