De Guillaume de Thieulloy dans Les 4 Vérités :
"Tous les médias bruissent, ces jours-ci, de l’affaire dite des « Panama papers », se félicitant d’une admirable opération conjointe d’investigation. Il faut reconnaître que l’opération est impressionnante. À la suite d’une fuite, dont a bénéficié le « Süddeutsche Zeitung » l’année dernière, 107 rédactions (dont, en France, celle du « Monde »), réparties dans 76 pays et coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation, ont étudié, des mois durant, 11,4 millions de documents, « pesant » ensemble quelque 2,6 téraoctets (c’est-à-dire 2 600 milliards d’octets). Ces documents concernent les 214 488 structures offshores créées ou administrées par le cabinet Mossack Fonseca au Panama.
Les résultats sont aussi « alléchants » que le laisse supposer cette impressionnante liste de chiffres. Environ 1 000 Français figurent dans la liste, aux côtés de « stars » ou de personnalités politiques (dont 6 chefs d’État encore en activité).
Je dois avouer que voir clouer au pilori des « pourris » ne me désole pas vraiment. Montrer que l’oligarchie politique sait « préparer ses vieux jours » en détournant l’argent public est également une opération de salubrité publique. Je fais d’autant moins la fine bouche qu’une partie non négligeable de la finance mondiale est, purement et simplement, liée au crime organisé et que, surtout, la frontière entre l’argent sale et l’argent propre est devenue parfaitement poreuse.
Ceci implique qu’un certain nombre des sociétés en jeu dans ces « Panama papers » pourraient conduire les enquêteurs (si enquête il y a…) à des opérations mafieuses – y compris menées avec l’argent public, car les marchés publics sont devenus un moyen particulièrement efficace de « blanchir » de l’argent sale… tout en continuant à se « goinfrer » sur le dos des contribuables.
Voir l’oligarchie mondiale menacée par une enquête d’une ampleur inédite n’est pas franchement pour me déplaire.
Cependant, je ne peux me départir d’un sentiment de malaise. Tout d’abord, au nom de la déontologie journalistique, nous avons été avertis que nous n’aurions jamais accès à la base des données d’origine. Certes, cette base est emplie de données brutes, compliquées à interpréter et il pourrait s’avérer désastreux de jeter en pâture des noms sans que l’on sache leur responsabilité dans la vie de ces sociétés offshore. Mais cette opacité permet aussi de déstabiliser des personnes ou des sociétés, sans que l’on puisse savoir ce qu’elles ont réellement fait.
Pour ne prendre qu’un exemple, je constate que le nom de Michel Platini est donné par les médias, mais nous ignorons s’il a fraudé le fisc français et si d’autres dirigeants de la FIFA sont également mis en cause par cette liste. On peut donc tout imaginer, de la parfaite légalité du compte panaméen de M. Platini jusqu’à un vaste système de concussion, dont tous les dirigeants du foot mondial seraient complices.
De la même façon, nous découvrons le nom de l’inénarrable Cahuzac dans ce fichier. L’homme nous a accoutumés à le considérer comme étant volontiers en délicatesse avec le fisc – quand bien même il aurait été, ces dernières années, l’une des plus hautes autorités fiscales du pays. Mais l’intéressé a déclaré avoir réglé ses problèmes avec le fisc. Son apparition dans les « Panama papers » remonte-t-elle à quelques années (auquel cas elle ne nous apprend rien, puisque nous savions déjà qu’il avait fraudé) ou prouve-t-elle qu’il a menti une fois de plus ? Nous n’en savons rien.
En d’autres termes, cette investigation massive, aussi intéressante soit-elle, ne nous dit, en réalité, pas grand-chose. Surtout, bon nombre de personnes sont traînées dans la boue, alors que certaines au moins ont sans doute respecté la loi de leurs pays : avoir un compte dans un paradis fiscal n’est pas, que je sache, un délit !
J’ajoute que nous ignorons tout sur l’origine de cette fuite. « Le Monde » explique lui-même qu’il n’en sait rien et qu’aucun autre membre du consortium des journalistes d’investigation n’en sait rien (sauf, probablement, le « Süddeutsche Zeitung »). Comment être sûr, dans ces conditions, qu’il ne s’agit pas d’une vaste opération de manipulation ?
Enfin, n’oublions pas que la véritable raison de l’existence des paradis fiscaux réside dans l’existence d’enfers fiscaux, dont la France socialiste est, hélas, l’un des pires exemples.
En un mot, je suis tout prêt à applaudir à cette magnifique opération d’investigation. Mais, avant de m’y risquer, j’aimerais beaucoup en savoir plus!"