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Tribune libre

Réflexions autour du vocabulaire médical de Luc l’évangéliste 4/5

Réflexions autour du vocabulaire médical de Luc l’évangéliste 4/5

Suite de l’article de Franck Jullié sur le choix du vocabulaire utilisé par l’évangéliste saint Luc.

4. Médecine hippocratique ou médecine biblique ?

Zacharie 9:13 :

Car je bande Juda comme un arc; j’arme Éphraïm de sa flèche; je ferai lever tes enfants, ô Sion, contre tes enfants, ô Javan !

Si le Serment d’Hippocrate27 présente des aspects très positifs – « Je ne remettrai à aucune femme un pessaire abortif », il s’inscrit néanmoins dans un ensemble de textes du Corpus hippocratique, en particulier Maladies des femmes et Nature de la femme, qui par les nombreuses recettes abortives décrites et les risques associés, ouvrent des possibilités techniques dans l’esprit de leurs contemporains et créent une brèche dans le respect de l’embryon et du fœtus.

Le Corpus hippocratique fait de nombreuses références détaillées aux produits et techniques abortives, trop nombreuses pour ne pas créer une ambigüité une fois le cadre éthique affaibli.
Si les travaux de l’historienne Marie-Hélène Congourdeau28 sur l’avortement chez les médecins grecs mettent en évidence que le Corpus ne propose pas de façon positive les produits ou techniques abortives, il n’en demeure pas moins que – dans la forme, en creux – cet exposé a préparé pour la suite les positions contraceptives d’un Soranos et abortives d’un Dioscoride.

4.1. Ephèse et l’esprit de Soranos

Lorsque l’on considère le ministère apostolique de Paul et de son proche collaborateur Luc, on mesure l’intensité du combat spirituel et moral porté par l’équipe missionnaire et les églises primitives de Galatie et des villes côtières d’Asie Mineure. Car si Luc a puisé dans le Corpus hippocratique des connaissances, il reste un serviteur du Dieu de la Bible pour qui la vie, dès son commencement (Psaume 139), est sacrée et inviolable. La médecine lucanienne est avant tout un art médical qui s’enracine dans les principes du Décalogue – Tu ne tueras (רצּה, ratsah) pas (Exode 20.13). Cette vision de la médecine se heurte frontalement à la mentalité contraceptive et abortive, aux habitudes culturelles, morales et médicales des habitants de ces régions.

Dans sa lettre aux Galates (5:19-20), Paul exprime cette confrontation :

19 : Φανερὰ δέ ἐστιν τὰ ἔργα τῆς σαρκός, ἅτινά ἐστιν μοιχεία, πορνεία, ἀκαθαρσία, ἀσέλγεια, 20 : εἰδωλολατρεία, φαρμακεία, ἔχθραι, ἔρεις, ζῆλοι, θυμοί, ἐριθεῖαι, διχοστασίαι, αἱρέσεις,

Or, les œuvres de la chair sont manifestes, ce sont : l’adultère, la fornication, l’impureté, la dissolution, l’idolâtrie, les enchantements, les inimitiés, les querelles, les jalousies, les animosités, les disputes, les divisions, les sectes

Le mot φαρμακεία29 (pharmakeia) désigne initialement celui qui fait usage de plantes médicinales, de drogues ou de poisons, par extension de sens dans le grec tardif, il désigne l’empoisonneur, le sorcier, le magicien. Dans Apocalypse 9.21, l’apôtre Jean dénoncent ceux qui pratiquent φαρμακεία et πορνεία (porneia).

Le texte de Soranos d’Ephèse, Traité des maladies des femmes30 (IIème s.) ne laisse aucune ambiguïté sur la profondeur de la mentalité contraceptive et abortive à Ephèse et dans les populations d’Asie Mineure.

Dans son célèbre chapitre XVII, De l’usage des médicaments déterminant l’avortement, de ceux qui produiront la stérilité ; Quand, et de quelle manière ils devront être employés, le Traité nous dit :

Le remède appelé ἀτόκιον31, sans accouchement, diffère de celui appelé (φθορίου, avortement. Le premier empêche la conception de se faire, le second détruit ce qu’elle a produit, d’où la nécessité d’exposer ce qui a trait à ces deux ordres de moyens. Quelques- uns pensent que ἐκβόλιον, expulsion, signifie la même chose que φθορίου, avortement ; d’autres disent que non, quand il ne s’agit pas de remèdes, mais de quelques chocs (sauts). C’est pourquoi ils soutiennent qu’Hippocrate repoussant l’avortement, et ayant dit dans son livre de la nature de l’enfant : « Je n’enseignerai à aucune un moyen abortif qui a pour effet de détruire le produit de la conception », avait cependant procuré à une danseuse l’expulsiondu produit de la conception par des sauts. Il ne voulait pas procurer la destruction du produit de la conception, puisque la mission du médecin est de protéger ce que crée la nature ; il en est qui ont admis avec joie cette proposition. Il en est qui ont la même opinion sur les remèdes qui causent la stérilité, nous partageons aussi cette idée et, à cet égard, nous voulons dire notre opinion : Il y a des femmes qui, par le fait de la conception, sont mises dans un état dangereux à cause de l’étroitesse du col de l’utérus ou parce que la matrice tout entière est trop petite et ne peut suffire à la nutrition de l’enfant, ou parce qu’à l’orifice de la matrice il existe des condylomes, des fissures ou quelque autre défectuosité de nature telle, qu’il eût été plus utile à la femme de n’avoir pas conçu ; que si, pourtant, elle est enceinte, il serait préférable de tuer le fœtus plutôt que de le couper (pour l’extraire). Comme il serait plus utile pour ces femmes n’eussent pas conçu, il est essentiel de dire ici quels sont les moments les plus favorables à la conception pour que les femmes puissent l’éviter dans l’acte du coït.

.. pour éviter aussi la conception avant le rapprochement, elle enduira le col avec de l’huile rance ou avec du miel, … ou bien un flocon de laine douce sera introduit dans l’orifice utérin, ou bien la femme introduira dans le vagin, avant le coït, un pessaire astringent ayant la propriété de durcir la semence.


La conception ayant eu lieu, il faudra, pendant les trente premiers jours, pour la contrarier, faire usage des moyens dont nous avons parlé, pour dissoudre la semence ; marcher beaucoup, supporter les secousses des voitures et sauter, et porter des fardeaux très lourds au-dessus de ses forces. Il faudra faire usage de décoctions diurétiques qui aussi provoquent la menstruation…
Si cela ne suffit pas … elle fera des injections d’huile rance seule, …

Si l’avortement tarde à se faire, …
Si la semence n’est pas détruite par les moyens que nous venons d’indiquer, il faudra en employer de plus efficaces et en venir à l’avortement (φθορ𝜄𝛼).

4.2. L’ombre pharmaceutique de Dioscoride

Dioscoride (né au début du Ier s.) avait reçu une éducation en grec à Tarse, ville voisine de son lieu de naissance, la ville d’Anazarbe, dans le Sud-Est de l’Asie Mineure.

Dans son étude sur l’avortement et les abortifs dans la médecine grecque postérieure à Hippocrate32, Marie-Hélène Congourdeau distingue la tradition de médecine populaire à laquelle se rattache Dioscoride et la médecine de tradition hippocratique.

Sur la médecine populaire, elle écrit :

La première tradition nous est moins accessible. Elle existait avant Hippocrate et s’est poursuivie après lui, parallèlement à la médecine savante. Il s’agit de la médecine populaire, qui s’appuie davantage sur des pratiques séculaires que sur l’étude de traités.

On trouve des traces de cette médecine populaire dans les écrits de Dioscoride, qu’il y ait eu accès par interrogations orales ou par consultation de recueils antérieurs. Indépendante de la tradition hippocratique, cette tradition ne semble pas émettre de jugement moral ou déontologique sur des pratiques contraceptives ou abortives fort anciennes. Son seul critère est l’efficacité des recettes.

D’autre part, Dioscoride indique un certain nombre de plantes ou de recettes emménagogues (dont il précise qu’elles déclenchent les règles et les embryons) ou d’expulsifs destinés à faciliter l’accouchement, à expulser les embryons morts ou à faire sortir l’arrière-faix retenu à l’intérieur. Enfin, il indique des abortifs proprement dits, c’est- à-dire des substances ou des compositions qui détruisent (φθείρει) ou tuent (κτείνει) des embryons vivants. Ce faisant, il n’omet pas de signaler le danger de la plupart de ces toxiques : certains « troublent l’esprit » d’autres sont qualifiés de violents33.

Si la médecine de tradition hippocratique a une vision négative de l’avortement, qui plus est exercée dans un cadre éthique strict, elle n’offrait pas une métaphysique capable de neutraliser la dérive de la médecine populaire incarnée par des figures comme celles de Dioscoride ou de Soranos.
D’une certaine façon, le Serment d’Hippocrate est insuffisant dans ses fondements.

La démarche lucanienne, tout en intégrant les précieux éléments de la médecine hippocratique, s’élabore dans une vision Création-Chute-Rédemption où la technique, aspect de la connaissance du monde créé par Dieu, doit s’intégrer dans un ordre créationnel plus large. La médecine s’inscrit ainsi dans un cadre théologique.

4.3. La nécessité d’une théologie de la médecine

Dans son remarquable ouvrage Faith & Wellness: Resisting the State Control of Healthcare by Restoring the Priestly Calling of Doctors34 (Foi & Bien-être : Résister au contrôle de l’État des soins de santé en rétablissant la vocation sacerdotale des médecins), le théologien Rousas John Rushdoony nous rappelle la nécessité d’une théologie de la médecine – non seulement une théologie du corps, mais une théologie de la médecine :

En examinant la profession médicale d’un point de vue chrétien, il apparaît que le travail d’un médecin est étroitement lié à la foi biblique. Dieu est le Créateur de toutes choses, et le monde physique est son œuvre. Le corps de l’homme est destiné à être ressuscité et glorifié, de sorte que tous les hommes doivent considérer leur corps comme une réalité religieuse importante, créé pour servir Dieu, ordonné pour une vie glorieuse et éternelle, mais maintenant temporairement sous les effets néfastes et limitatifs de la chute.

La relation entre la pratique médicale et la foi biblique est essentielle. Le mot même de “salut” indique ce fait : il signifie délivrance, préservation, victoire et santé, à la fois matérielle et temporelle, mais aussi personnelle, nationale et éternelle. Ainsi, la guérison, tant physique que spirituelle, est un ministère.

Dans les Écritures, les deux sont étroitement liés. Quelle que soit l’aide apportée à un homme infecté (c’est-à-dire l’aide médicale), son retour à la plénitude et à la santé était considéré comme un fait religieux. Le prêtre, dans Lévitique 14, déclare l’homme guéri et donc apte à reprendre sa place en tant qu’homme de l’alliance qui prie dans le sanctuaire. Bien avant que la médecine psychosomatique ne soit reconnue, la Bible parlait du lien inséparable entre l’esprit et le corps en matière de santé. Ainsi, Proverbes 17:22 déclare : “Un cœur joyeux fait du bien comme un médicament, mais un esprit brisé dessèche les os”. Et encore : “L’espérance différée rend le cœur malade, mais quand le désir vient, c’est un arbre de vie” (Prov. 13:12). On ne peut échapper à ce fait de l’unité de notre être. Ainsi, la pratique médicale est liée à la foi biblique et constitue un ministère.


Il devrait y avoir, dans toutes les écoles de médecine, un cours sur la doctrine biblique du salut et toutes ses ramifications. La médecine psychosomatique ne va pas assez loin. Il y a une dimension religieuse, théologique, dans la guérison et la santé. La négliger, c’est s’attirer des ennuis. Il n’est pas du tout surprenant que la médecine holistique, avec sa profonde implication dans les religions orientales, ait été si influente il y a quelques années ; de nombreux médecins s’y sont engagés parce qu’elle répondait à un besoin de relier la médecine à une vision du monde et de la vie.

Mais il faut faire plus. Les séminaires doivent avoir un cours de formation sur la philosophie et la théologie de la pratique médicale et des soins médicaux. Il y a quelques années, un effort dans ce sens a été fait par le Dr Pedro L. Entralgo dans Mind and body, psychosomatic pathology: A short history of the evolution of medical thought. Le Dr Entralgo, alors professeur à la faculté de médecine de l’université de Madrid, y abordait l’histoire de la médecine et ses racines dans les idées religieuses et philosophiques. Contrairement à d’autres chercheurs, il voyait la médecine grecque ancienne dans une impasse qu’elle avait elle-même créée, et le christianisme comme une force de rajeunissement. À ma connaissance, personne n’a donné suite à l’étude du Dr Entralgo. En 1964, Lord Brain, dans Doctors Past and Present, intitulait son chapitre de conclusion “The Need for a Philosophy of Medicine”. Une telle philosophie, disait-il, énoncerait “les principes généraux de la médecine”, mais cela ne suffisait pas. Elle doit également prévoir ” la critique de la médecine et de ses propres principes généraux au moyen des principes plus larges incarnés par la philosophie ” (p. 251). En d’autres termes, s’il n’y a pas de normes reconnues, il ne peut y avoir de critique efficace. Partant de prémisses très différentes des miennes, Lord Brain voyait toujours le même besoin, celui d’un langage philosophique commun au sein de la médecine. Il faut, dit-il, une philosophie de l’organisme et une reconnaissance que la médecine doit avoir une perspective sur “la relation corps-esprit”. Certaines personnes, a-t-il admis, diront :

“Pourquoi s’embêter avec des subtilités philosophiques ?” À court terme, cela pourrait faire peu de différence. À long terme, cela ferait “une différence fondamentale, non seulement pour les individus, mais aussi pour l’ensemble d’une culture, que l’esprit soit considéré comme pouvant être expliqué en termes de neurophysiologie ou non” (p. 263).

Une pratique médicale est une philosophie en action. Aussi sérieuse, compétente et professionnelle que soit la pratique, si la philosophie de la médecine est en faillite, la pratique en souffrira à terme.

4.4. La profession médicale comme vocation sacerdotale

Toujours dans ses remarquables articles publiés dans les années 70 et 80 et réunis dans le livre Faith & Wellness, Rousas John Rushdoony écrit :

L’une des difficultés de l’ancienne vision grecque de la médecine, et de la vision moderne également, a été son matérialisme. Ce point de vue a parfois été poussé si loin par certains que, à une occasion, il a été fait référence aux médecins comme à des “mécaniciens remarquables”. Dans un sens très limité, c’est un mécanicien très remarquable, mais tous les mécaniciens ne sont pas des chirurgiens ! Nous ne pouvons pas confondre la partie avec le tout.

L’identité et la nature du médecin sont très confuses à notre époque, comme d’ailleurs la plupart des “images”. Il est donc important d’attirer l’attention sur la signification du médecin dans la tradition biblique et de la raviver. Dans la Bible et la tradition chrétienne, le médecin a un rôle sacerdotal. Son domaine de prédilection, la santé, l’exige. Dans l’héritage hébraïque et chrétien, le médecin, à l’origine un lévite, s’occupe de la santé, et la santé est un aspect du salut. Le mot latin salve a la même signification. Le salut est une santé totale, spirituelle et matérielle ; il signifie, dans sa forme finale, la résurrection du corps ; dans son commencement, la régénération ; et entre les deux, la croissance dans les principes de santé. Par conséquent, pour la foi biblique, le soin du corps est une préoccupation religieuse, et la santé un devoir et une bénédiction divine. L’homme qui s’occupe du corps a donc une vocation sacerdotale, tout comme l’homme qui s’occupe de l’esprit. Le médecin et le pasteur ont tous deux une vocation ou un ministère sacerdotal.

Selon la doctrine biblique de la chute, l’homme tout entier est tombé, et l’homme tout entier est affecté par le péché. Cela signifie que le spirituel n’est pas nécessairement bon. Après tout, Satan est un être purement spirituel ! C’est le néoplatonisme qui a déprécié le physique et exalté à tort le spirituel. La doctrine de la résurrection du corps signifie que la doctrine biblique est la rédemption totale : une nouvelle création est le but, dans le temps et dans l’éternité. La guérison est donc religieuse, qu’elle soit physique ou spirituelle dans ses domaines d’intervention. Les professions de guérisseur, qu’elles soient médicales ou pastorales, sont donc des vocations sacerdotales.

Les communications privilégiées avec un médecin, un prêtre ou un pasteur sont différentes : ce sont des communications religieuses. En nous confessant à un pasteur, nous nous confessons en fait à Dieu par l’intermédiaire de ses serviteurs, et nous recherchons la guérison et la santé spirituelles. En parlant à un médecin, le patient se confesse en ouvrant son être physique à l’examen et, là encore, le but est la guérison et la santé. Dans les deux cas, le but est religieux au sens biblique du terme et fait partie du processus de rédemption. Dans les deux cas, la “confession” est une communication privilégiée et est fermée aux autres hommes, ainsi qu’aux diverses agences de l’homme et de l’État.

La violation de cette communication privilégiée par l’État est religieuse : l’État usurpe la place de Dieu et revendique le droit d’être au courant de tout ce qui se passe entre l’homme et l’homme, et entre l’homme et Dieu, car il prétend être le dieu agissant de ce monde. Il faut donc considérer que l’ingérence de l’État dans l’Église ou la médecine est une question très grave, une question religieuse et une menace pour la liberté de l’homme.

L’aspect sacerdotal et confessionnel de la relation médecin-patient a été négligé, car notre époque est devenue de plus en plus ignorante de son héritage religieux. En dépit de cette ignorance, le caractère religieux du médecin persiste, car il est inhérent à sa vocation. Les gens attendent “quelque chose de plus” d’un médecin et d’un pasteur en vertu de leur vocation.

C’est pourquoi l’avortement est si dommageable pour l’image du médecin. Être bourreau est une fonction légitime et, au fil des siècles, il y a eu des bourreaux de toutes sortes qui étaient des membres normaux et quotidiens de leur société. Toutefois, si un prêtre ou un pasteur avait assumé la fonction de bourreau, la réaction aurait été un choc des plus justifiés et un sentiment d’horreur. La fonction religieuse du prêtre et du pasteur consiste à sauver des hommes, pas à les tuer. Même lorsque le clergé doit fermement approuver une exécution, il ne peut modifier le caractère de sa vocation en devenant un bourreau. La fonction de bourreau, cependant, est légitime et nécessaire au regard de l’Écriture et de son exigence de punition capitale. Il est clair que l’avortement ne l’est pas : il est contraire à la loi biblique (Exode 21:22-23), et c’est un meurtre. Pour ceux dont la vocation est de guérir, tuer est une violation flagrante de leur fonction, et cela laisse des cicatrices psychologiques même chez ceux qui demandent l’avortement. (Quiconque a parlé ou conseillé des femmes qui croient en l’avortement et qui l’ont pratiqué sait que leur attitude envers leur médecin est radicalement différente de celle des mères qui sont contre l’avortement. Ces femmes favorables à l’avortement m’en voudront et m’en veulent, mais elles considèrent leur médecin avec mépris).

La confiance qui est nécessaire au médecin pour réussir dans sa pratique est une confiance religieuse. Une peinture autrefois populaire montrait un médecin de famille près du lit d’un enfant, profondément préoccupé. Ce que beaucoup de gens oublient, lorsqu’ils se souviennent de ce tableau, c’est que le médecin n’est pas présenté comme ayant toutes les réponses. Il est très inquiet en regardant l’enfant, et l’artiste a considéré que c’était là l’essence même du médecin de famille. Il met les enfants au monde, et leur santé est sa préoccupation. Les parents considèrent le médecin avec confiance : il fera tout ce qu’il peut, et personne ne peut faire plus. Le peintre montre le médecin, non pas comme un faiseur de miracles médicaux, mais comme un ami de la famille et un pasteur médical. De plus, il est évident que l’attrait de ce tableau est dû au fait que le médecin a un statut honoré et aimé. Le tableau a une saveur fortement religieuse, et il était très apprécié parce que le médecin était considéré comme un homme ayant une vocation, une vocation essentiellement religieuse.

C’est là, bien sûr, le cœur du problème. Il doit y avoir un retour à une vision biblique de la médecine en tant que vocation, et en tant que vocation sacerdotale et pastorale, mais il doit également y avoir un retour à la foi chrétienne de la part de la population, ou des demandes fausses et déraisonnables seront faites à la médecine.

4.5. Une philosophie biblique de la technique

La médecine est un lieu de savoir, mais aussi un lieu de combat spirituel où s’exprime une vision du monde, de l’homme, et de la technique au service de l’homme.
Un détail, en apparence anecdotique, permet de mesurer l’influence de la philosophie grecque de la technique sur la mentalité hébraïque. Comparons le Texte Massorétique et la Septante dans deux passages très connus :

Genèse 1:28 (TM) : Croissez et multipliez, et remplissez la terre, et l’assujettissez.
Genèse 1:28 (LXX) : Croissez et multipliez, remplissez la terre, et dominez (κατακυριεύσατε) sur elle Genèse 9:1 (TM) : Croissez et multipliez, et remplissez la terre.
Genèse 9:1 (LXX) : Croissez et multipliez, remplissez la terre et dominez (κατακυριεύσατε) sur elle

La reprise du verbe dominer ne figure pas dans le texte massorétique en Genèse 9:1, mais la Septante l’y ajoute abusivement. Or un changement radical est intervenu entre Genèse 1 et Genèse 9, la Chute. Les conditions du mandat de domination sur la Création sont devenues beaucoup plus délicates en raison de la nature pécheresse de l’homme et de sa capacité à détourner la technique de sa finalité originelle, qui est de témoigner de la Gloire de Dieu en étant au service des hommes et de la Création.

Cette addition textuelle de la Septante est assez significative de l’influence de la culture grecque sur la mentalité hébraïque dans sa tendance à maîtriser le monde par la technique, et a consécutivement influencé le christianisme du monde gréco-romain dans son rapport à la technique.

C’est bien l’enjeu des techniques contraceptives exposées par Dioscoride ou Soranos : maîtriser son corps par la technique, ou se maîtriser soi dans la compréhension fine des lois de la création manifestées dans le corps. Organiser sa planification familiale par la technique contraceptive – et au besoin en corriger les aléas par la technique abortive, ou bien l’organiser dans un système bioculturel qui discerne les signes naturels de la fécondité – par exemple les variations du col de l’utérus (dur et sec, mou et humide) et les sensations produites à la vulve par les variations hormonales et l’activité qu’elles déclenchent dans la production et l’évolution de composition de la glaire cervicale (G, L, S, P)35 par les cryptes du cervix36.

Si l’Occident a rompu avec le christianisme authentique et renversé la position historique condamnant la contraception il y a maintenant bientôt un siècle, certaines sociétés nous rappellent que d’autres attitudes bioculturelles sont possibles, en particulier en pratiquant l’allaitement prolongé.

La société des Kung37 du Kalahari n’utilisent pas de contraception et pratique un allaitement fréquent et prolongé. Les femmes ont en moyenne 4,7 enfants. Les naissances sont espacées de 48 mois.

Sheila Kippley38, dans ses publications sur l’allaitement et les méthodes naturelles de planification familiale, rappelle les travaux du Dr Otto Schaefer sur les attitudes bioculturelles des Esquimaux dans leur pratique de l’allaitement prolongé. Le Dr Otto Schaefer39 (1919-2009) est considéré comme l’un des grands pionniers de la médecine arctique.

« Un médecin se distingue de tous les autres par la durée de ses recherches sur l’allaitement et l’espacement naturel des naissances, des années 1950 aux années 1970. Le Dr Otto Schaefer a étudié les taux de conception par allaitement chez les Esquimaux canadiens pendant plus de vingt ans et a montré comment l’allaitement peut avoir un impact sur une nation aussi bien que sur une famille individuelle. Il a conclu que la petite taille de la famille esquimaude traditionnelle était due à une lactation prolongée. Du milieu des années 1950 au milieu des années 1960, il a enregistré une augmentation de 50 % du taux de natalité chez les Esquimaux en raison de la présence de biberons dans les lieux de commerce. “Plus la distance [aux lieux de commerce] était courte, plus ils avaient fréquemment des enfants”. (Schaefer 1971, 15-16)40 Les femmes esquimaudes plus âgées, de 30 à 50 ans, avaient conçu leurs bébés 20 à 30 mois après l’accouchement en raison d’une lactation prolongée, tandis que les femmes plus jeunes, de moins de 30 ans, concevaient 2 à 4 mois après l’accouchement en raison de l’alimentation au biberon et d’une lactation raccourcie. (Schaefer/Hildes 1971, 6)41

A l’inverse, on peut trouver certaines communautés qui, par pruderie excessive, interdisent aux femmes l’allaitement en société et les condamnent de facto à enchaîner les grossesses et possiblement de nombreuses fausses couches, ce jusqu’à épuisement. Certaines habitudes sociales, culturelles et économiques éloignent les femmes de l’allaitement prolongé, et parfois même de l’allaitement tout court dans le recours aux nourrices, les conduisant à des pratiques contraceptives comme seul moyen de planification familiale.

La Bible nous trace une autre perspective, sans pratique contraceptive et valorisant la pratique de l’allaitement prolongé.

Et l’enfant grandit, et fut sevré. Et Abraham fit un grand festin le jour où Isaac fut sevré (Genèse 21:8)
Je n’irai point jusqu’à ce que l’enfant soit sevré ; alors je le mènerai, afin qu’il soit présenté devant l’Éternel, et qu’il y demeure à toujours. Et Elkana, son mari, lui dit : Fais ce qui te semble bon ; demeure jusqu’à ce que tu l’aies sevré. Seulement, que l’Éternel accomplisse sa parole ! Ainsi cette femme demeura, et allaita son fils, jusqu’à ce qu’elle l’eût sevré (1 Samuel 1:22-23)

Oui, c’est toi qui m’as tiré du sein de ma mère, et qui m’as fait reposer en paix sur sa mamelle (Psaumes 22:10)
N’ai-je pas soumis et fait taire mon âme, comme un enfant sevré fait envers sa mère ? (Psaumes 131:2)

Afin que vous soyez allaités et rassasiés du lait de ses consolations ; afin que vous buviez avec délices de sa glorieuse abondance (Esaïe 66:11)
Puis, quand elle eut sevré Lo-Ruchama, elle conçut et enfanta un fils (Osée 1:8)

Sheila Kippley estime cette période à trois ans42.

A suivre


27 https://fr.wikipedia.org/wiki/Serment_d%27Hippocrate

28 À propos d’un chapitre des Éphodia : l’avortement chez les médecins grecs https://www.persee.fr/doc/rebyz_0766-5598_1997_num_55_1_1943

29 https://www.lueur.org/bible/strong/pharmakeia-g5331

30 https://ia903103.us.archive.org/22/items/BIUSante_21157/BIUSante_21157.pdf

31 http://ldysinger.stjohnsem.edu/@texts/0130_soranus/02_gyn_60-65.htm

32 À propos d’un chapitre des Éphodia : l’avortement chez les médecins grecs, paragraphe III

33 https://archive.org/details/Dioscorides_Materia_Medica/page/n431/mode/2up

34 https://chalcedon.edu/store/42066-faith-and-wellness

35 https://www.methode-billings.com/sites/default/files/E_Odelblad_decouverte_glaire_cervicale.pdf

36 http://billingsmethod.org/bom/cervix/index_fr.html

37 Timing and Management of Birth among the Kung: Biocultural Interaction in Reproductive Adaptation:

https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1525/can.1987.2.1.02a00030

https://www.jstor.org/stable/656392

38 https://www.nfpandmore.org/nfpcomparision.shtml

39 https://journalhosting.ucalgary.ca/index.php/arctic/article/download/64044/47979/183066

40 Schaefer, Otto: “When the Eskimo Comes to Town,” Nutrition Today (November-December 1971) 6:8-16.

41 Health of Igloolik Eskimos and changes with urbanization:
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0047248473900808

42 https://www.nfpandmore.org/bfscriptural.shtml

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