De Rémi Fontaine pour Le Salon beige :
Pour cette sinistre Journée des femmes du 8 mars 2024 qui suit et accompagne en France l’inscription de la « liberté » d’avorter dans la Constitution, qu’il nous soit permis de rendre hommage à une femme digne de ce nom. Pour affirmer que tuer l’enfant conçu et à naître n’est pas un droit, elle n’a pas craint pour sa part de perdre sa liberté, d’aller des mois et des années en prison. C’est cette femme emblématique qui, dans les années 80-90, fut l’initiatrice des opérations-sauvetage (rescue) en Amérique : Joan Andrews. Mariée en 1991 à Christopher Bell, elle a eu depuis des enfants, dont un garçon gravement handicapé qu’ils ont adopté. Épouse et mère, elle demeure une exemplaire militante « prolife » encourant aujourd’hui encore de fortes peines d’enfermement comme une indomptable « prisonnière politique », sans doute moins médiatique que Navalny en Occident. Par son action prophétique de témoin de la vie, elle aura certainement permis outre-atlantique ce renversement des esprits jusqu’à celui de l’arrêt Roe c. Wade par la Cour suprême des États-Unis en 2022. Nous réitérons, à peu près dans les mêmes termes, le salut que nous lui adressions dans Le Livre noir de la culture de mort (Renaissance catholique, 2007) en espérant que son courage fasse école en France, en vue d’un même retournement.
Il y eut saint Jean de Mattha et les trinitaires pour le rachat des captifs. Il y eut saint Vincent de Paul et les filles de la charité pour le secours des pauvres. Il y eut saint Jean de Dieu et les hospitaliers pour nos seigneurs les malades. Et tant d’autres serviteurs de la charité (1) ! Il faudra bien que d’autres saints se lèvent et des vocations pour la défense de ceux qui peuvent aujourd’hui le moins se défendre, les plus minuscules parmi les petits, les plus vulnérables parmi les plus faibles : ces millions d’enfants à naître condamnés par la « (dé)civilisation de l’avortement ». Oui, il faudra bien aussi de sacrés boucliers pour nos frères humains trop oubliés : les embryons et les fœtus destinés à l’abominable “IVG”. Il faudra des porte-voix pour faire entendre leur cri silencieux. L’amplifier. Le faire retentir dans le monde aux oreilles des avorteurs et des prochoice de tout acabit jusqu’à leur honte et, Dieu aidant, leur repentir. Comme ce fameux docteur Nathanson et bien d’autres ouvriers de la dernière heure…
Aux États-Unis, Joan Andrews a montré la voie de cette nouvelle sorte de chevalerie si nécessaire :
« Je m’emploierai à faire cesser l’holocauste jusqu’à la fin de mes jours, à moins qu’il ne prenne fin de mon vivant. »
Il faut la saluer comme le professeur Lejeune ou le docteur Dor en France, avec tous les « sauveteurs » et les apôtres de la vie qui ont suivi. Le livre qui lui a été consacré en 1990 chez Téqui, Avortement : le cri(me) étouffé, Lettres de prison de Joan Andrews, avec une préface du cardinal Gagnon, donnait à cet égard une dimension nouvelle à tout le mouvement pour la vie.
Quels sont les faits ? En 1986, cette jeune femme catholique du Tennessee, devenue un symbole de la lutte contre l’avortement, est condamnée à cinq ans de prison pour avoir tenté de débrancher une machine à succion dans un avortoir et avoir refusé d’exprimer le moindre remords :
« Je ne pourrais pas promettre de ne pas sauver la vie d’un enfant, pour moi c’est quelque chose de scandaleux », répondit-elle au juge.
Du coup, ce dernier lui infligea le maximum de la peine, le double de ce que prévoit la jurisprudence, plus que certains grands criminels… Le cri(me) étouffé, ce sont ses lettres de prison. Un bouleversant témoignage de foi et de courage :
« Être ici en tout premier lieu à cause de l’humanité que nous partageons avec les enfants à naître, et avoir le privilège de faire pénitence pour le péché d’avortement est matière à action de grâce permanente. »
Le « cri silencieux » que Joan veut répercuter jusqu’au sacrifice de sa liberté, voire de sa vie, c’est celui de cet enfant qu’on avorte, photographié et filmé pour l’histoire, à l’heure de son supplice par Nathanson ; et de tous ceux à son image, auxquels on refuse malgré tout le droit de vivre (2). En effet, indignée par l’absence ou l’insuffisance de réactions des autorités religieuses depuis la légalisation de l’avortement, Joan Andrews a décidé de se vouer au sauvetage de ces enfants avec lesquels elle s’identifie, acceptant d’être maltraitée à l’exemple du bébé tué dans le sein de sa mère :
« Les petits êtres qui meurent aujourd’hui sont intimement liés aux souffrances, à la mort de notre Sauveur. Il y a là un lien qui ne doit pas être négligé. »
Mystère de la communion des saints.
Face au déni d’humanité, elle a ainsi adopté la stratégie de ce qu’elle appelle la « non coopération » avec la justice (jusqu’en prison), gardant la prière comme seule arme, avec le sourire :
« Nous ne nous attendons pas à ce que les tribunaux fassent justice. Bien plus, nous n’en voulons pas pour nous-mêmes alors qu’elle est refusée à nos bien-aimés frères et sœurs à naître. C’est pourquoi je plaide en faveur d’une vulnérabilité complète et totale en salle d’audience, en refusant de me défendre et d’utiliser toute argumentation légale pour protéger ma propre personne (…). Nous prenons simplement fait et cause à leur place en étant leurs suppléants, selon une logique irrésistible et douloureuse. Ils sont morts pours avoir commis le crime de devoir naître sans être désirés. Nous n’attendons aucune justice d’un système judiciaire qui décrète une telle barbarie et d’un gouvernement qui l’autorise (3). Si le fait d’être indésirable est un crime passible de la peine de mort, le fait d’aimer les indésirables et d’agir en vue de les protéger devrait peut-être être un crime passible de mort. »
Finalement graciée et libérée après deux ans et demi de prison, et une campagne de soutien, elle sera réemprisonnée peu après. Deux semaines plus tard, elle participait de nouveau à un sauvetage à Toronto au Canada. Elle sera arrêtée ensuite de nombreuses fois. Dans les années 90, Claire Fontana, en France, avec La Trève de Dieu, s’inspira de son apostolat, organisant plusieurs sauvetages avec notamment des prêtres, des religieux (Dom Gérard) et même un évêque (émérite), mais aussi des témoins malades du sida (Philippe Humbert, Dominique Morin). Sans, hélas, le même suivi et élan qu’aux USA…
« Par les “opérations-sauvetage”, écrivait Joan Andrews, nous manifestons que nous venons vraiment au secours des personnes en danger de mort. Nous risquons le tout pour le tout, car nos frères et nos sœurs sont menacés… »
Sur un plan plus religieux :
« Notre seule présence convainc souvent une mère ou un père de ne pas tuer leur enfant. Et de plus, notre présence apporte la consolation au Cœur amèrement blessé de Jésus et aux âmes des petits bébés mourants. Il se peut que nous ne puissions pas leur sauver la vie, mais ne pouvons-nous pas plaider en leur faveur ? Et s’ils viennent à mourir comme c’est souvent le cas (que Dieu nous pardonne !), élever en leur nom notre cœur vers Dieu tout-puissant… Ce sera le seul amour humain qu’ils connaîtront sur terre… Prenez l’engagement, je vous en supplie, de consacrer chaque semaine au moins une heure à la prière et au jeûne, dans un camp de la mort. Me voici Seigneur ! Envoyez-moi ! J’irai ! »
Ses lettres de prison sont véritablement un levier pour les âmes affaissées par la terrible banalisation officielle de l’“IVG” légalisée, remboursée et maintenant « sacralisée » dans la Constitution française comme un droit « garanti » pour les femmes et donc un devoir pour le personnel médical, malgré ses multiples répugnances (4) !
« Combien de fois, est-il dit en exergue, un emprisonnement n’a-t-il pas radicalement changé la direction des affaires nationales ou mondiale ? Si l’on effaçait de l’histoire les noms de tous les nobles prisonniers, il n’y aurait plus assez d’énergie spirituelle pour gouverner le monde »,
selon les mots du cardinal Jaime Sin, archevêque de Manille. On songe bien sûr à Mandela sous l’apartheid, mais aussi à Jägerstäter, aux condamnés de La Rose blanche sous le nazisme, à Soljénitsyne, Ogorodnikov, Benda, Havel ou bien ces clercs asiatiques… tous ces héros dissidents des régimes communistes, dont nous parle notamment Rod Dreher dans son livre plus que jamais d’actualité : Résister au mensonge, vivre en chrétiens dissidents (Artège, 2021). Ou encore au cardinal Wyszinski préparant de sa cellule la grande neuvaine nationale qui devait aboutir à la célébration du millénaire de la Pologne catholique et à un véritable printemps spirituel d’où jaillira saint Jean-Paul II…
Puissent l’exemple, le témoignage et le sacrifice de Joan Andrews donner au combat eschatologique pour la vie quelque chose de cette conversion des cœurs qui soulève les montagnes. Il dépend de chacun de nous d’y coopérer en amplifiant comme il se doit ce cri à la fois silencieux et étouffé : « Ce cri vient de Dieu, il faut l’entendre. »
Rémi Fontaine
(1) On pense aussi au cri de détresse de l’abbé Pierre : https://lesalonbeige.fr/ivg-mes-amis-au-secours/
(4) https://lesalonbeige.fr/novembre-dernier-ivg-les-etats-dame-dun-bourreau-ou-dun-abuseur/