Partager cet article

Tribune libre

«Une position réductrice» : incident entre l’université de Louvain et le pape François sur le rôle de la femme dans l’Église

«Une position réductrice» : incident entre l’université de Louvain et le pape François sur le rôle de la femme dans l’Église

Cet article est une tribune libre, non rédigée par la rédaction du Salon beige. Si vous souhaitez, vous aussi, publier une tribune libre, vous pouvez le faire en cliquant sur « Proposer un article » en haut de la page.

RÉCIT – Samedi après-midi, la visite de François à l’université de Louvain en Belgique a conduit cet établissement catholique à immédiatement publier un communiqué. Le désaccord est profond sur le rôle de la femme dans l’Église.

La pression des universités catholiques belges sur le pape François pour faire évoluer la place de la femme dans l’Église aura été sans répit pendant son séjour à Bruxelles. Provoqué comme jamais par les revendications d’un « écoféminisme chrétien », François aura toutefois résisté par la position classique de la « vocation » de la femme dans l’Église que n’aurait pas reniée son prédécesseur Jean-Paul II, déjà harponné, dans le même lieu et sur le même sujet, lors de sa visite en 1985. La première salve fut tirée vendredi dans le siège historique de cette prestigieuse université, à Leuven, désormais de langue néerlandophone. La deuxième charge a été lancée, samedi après-midi, à Louvain-la-Neuve, siège francophone de cette université catholique de renom qui fête cette année son six-centième anniversaire, une des raisons de la visite de François en Belgique. Jusqu’à la provocation d’un incident, jusque-là inédit, dans la série des voyages pontificaux.

En effet si le pape avait été longuement et chaleureusement applaudi avec standing ovation lors de cette rencontre avec les professeurs et étudiants de l’université de Louvain, le passage de son discours sur la question de la femme aura profondément déçu. Au point, qu’à peine sorti du bâtiment accompagné pourtant avec prévenance et sourire par Françoise Smets, rectrice de l’université catholique, un communiqué officiel de cet établissement était distribué dans la tribune de presse, où cette rectrice exprimait sa « divergence majeure» avec le pape «en ce qui concerne la place de la femme dans la société ».

« L’Université catholique de Louvain, expliquait ce communiqué – visiblement préparé à l’avance puisque publié 15 minutes après l’intervention de François – exprime son incompréhension et sa désapprobation quant à la position exprimée par le Pape François concernant la place de la femme dans l’Église et dans la société. Une position déterministe et réductrice face à laquelle notre université ne peut qu’exprimer son désaccord ».

Le texte ajoutait cette profession de foi : « L’UCLouvain s’affirme comme une université inclusive et engagée contre les violences sexistes et sexuelles », elle appelle l’Église à lutter contre toute « forme de discrimination » qui serait fondée sur « les origines, le sexe, les orientations sexuelles ». Valentine Hendrix, 22 ans, étudiante en master de relations internationales qui était sur la scène avec un groupe d’étudiant devant le pape, témoignait :

« on est extrêmement déçu. On a beaucoup parlé dans notre message de la place de la femme mais le pape n’a pas répondu. La position de la femme est toujours inférieure, le pape nous laisse sur le côté, nous sommes extrêmement choquées de ce qu’il a dit sur le rôle de la femme dans la société. Il nous parle d’un rôle fécond, conjugal, de maternité, c’est exactement tout ce dont on veut s’émanciper et sortir. Le pape est encore une personnalité extrêmement importante dans le monde, nous espérions qu’il puisse faire avancer le discours, ce qui n’a pas été le cas. »

«Changer de paradigme»

Que s’est-il passé exactement ? Dans une longue « lettre », lue avec passion au pape, devant tout le corps professoral sous la forme d’un récit parlé et musical, collectivement préparée pendant de longs mois par une cinquantaine d’étudiants dont cette jeune fille, cette question directe a été posée à François dans le cadre d’une lecture critique de son encyclique sur l’écologie intégrale :

« Cher Pape François, la place des femmes, où la trouver dans l’Encyclique ? Les femmes sont les grandes absentes de Laudato si’ (…) ne restons-nous pas dans une injuste répartition des tâches au nom d’une propension soi-disant “naturelle” qui débouche sur une division sexuelle du travail ? »

Les étudiants de Louvain de déplorer :

« La théologie catholique a d’ailleurs eu tendance à renforcer cette division via sa ‘théologie de la femme’ qui exalte leur rôle maternel tout en interdisant leur accès aux ministères ordonnés ».

D’où cette question des étudiants : « Quelle place, donc, pour les femmes dans l’Église ? »

Quelle place pour les femmes dans la production d’un cadre de pensée qui innerve les conceptions et les décisions dans l’Église ?

Des étudiants de l’université belge de Louvain

Premier argument, les étudiants regrettaient, que

« l’idéal de justice sociale qui est promu dans cette encyclique ne soit pas étendu à la justice de genre : elle passe sous silence le fait que la pauvreté est encore majoritairement féminine et que ce sont les femmes qui ont subi et subissent encore le plus cruellement le système de domination dénoncé à plusieurs reprises dans le texte. »

Ils adressaient cette deuxième critique. L’encyclique « Laudato si’ » parle « d’inclusion de toutes et de tous » mais travaille à « invisibiliser » les femmes. Non seulement elles sont « invisibilisées dans leurs vécus mais les femmes l’ont également été pour leurs apports intellectuels ». En effet « aucune théologienne n’est citée » par le pape dans son encyclique alors que, rétorquent les étudiants,

« nombre d’entre de ces femmes intellectuelles ont étudié et dénoncé les liens intrinsèques entre domination de la nature et domination des femmes, esquissant des voies inspirantes pour penser un écoféminisme chrétien. »

D’où cette nouvelle question : « Quelle place pour les femmes dans la production d’un cadre de pensée qui innerve les conceptions et les décisions dans l’Église ? ». Pour donner notamment l’accès aux « ministères ecclésiaux » ? Pour sortir de cette impasse les étudiants de cette université catholique ont proposé au pape de « changer de paradigme ». Il faut quitter « la figure d’un Père créateur et unique maître du monde » où « seule l’autorité masculine » vaudrait, et abandonner cette « soumission à un Père extérieur à la Création » car « elle ne correspond pas à une humanité mature et multiple ». Mieux vaut recourir « aux trésors des spiritualités » et au « développement des diverses disciplines scientifiques. » En somme, il faut abandonner « la position morale de surplomb » qui est une « seconde nature » chez « beaucoup de chrétiens » et « faire droit à la multiplicité des spiritualités et des épistémologies, à ce que Arturo Escobar appelle le “plurivers”, qui n’est pas un caprice d’intellectuel. »

«Redécouvrir le point de départ»

Le but, concluent les étudiants dans leur lettre au pape, est « d’identifier les racines d’un phénomène vieux de plusieurs siècles afin d’établir les bases d’une justice renouvelée qui considère les différentes manières de faire monde sur un plan radical d’égalité. » Avec cette dernière question : « L’Église est-elle prête à prendre en compte les inégalités de classe, de genre et de race ? » pour aller vers un « développement intégral ». Mais cela « nous paraît peu compatible avec les positions sur l’homosexualité et avec la place des femmes dans l’Église catholique» regrettaient encore les étudiants qui s’exprimaient sur une scène devant François. Dans sa réponse à ce débat théologique universitaire aux allures de dialogue de sourds, le pape François a considéré nécessaire de « redécouvrir le point de départ » avec cette question « qui est la femme et qui est l’Église ? » ne serait-ce que pour échapper aux « préjugés idéologiques ».

Pour François en effet « L’Église est le peuple de Dieu et non une entreprise multinationale » ajoutant en improvisant « l’Église est mère ». Par conséquent,

« La femme, dans le peuple de Dieu, est fille, sœur, mère. Comme moi je suis fils, frère, père. Ce sont les relations qui expriment notre être à l’image de Dieu, homme et femme ensemble et non pas séparément ! »

Et le pape d’expliquer « les femmes et les hommes sont des personnes, et non des individus ; ils sont appelés dès le “commencement” à aimer et à être aimés. Une vocation qui est mission. D’où leur rôle dans la société et dans l’Église » Du coup, a-t-il poursuivi :

« Ce qui caractérise la femme, ce qui est féminin, n’est pas déterminé par le consensus ou les idéologies. Et la dignité est garantie par une loi originelle, non pas écrite sur le papier, mais dans la chair. La dignité est un bien inestimable, une qualité originelle qu’aucune loi humaine ne peut donner ou enlever. »

Et c’est « à partir de cette dignité, commune et partagée, que la culture chrétienne élabore de manière toujours renouvelée, dans différents contextes, la vocation et la mission de l’homme et de la femme et leur être mutuel, dans la communion. Non pas l’un contre l’autre, dans des revendications opposées, mais l’un pour l’autre. » Improvisant il a alors observé « ce serait du féminisme ou du masculinisme, alors que l’homme est pour la femme et la femme pour l’homme. » Le dernier argument du pape a été d’ordre spirituel : « Rappelons que la femme est au cœur de l’événement salvifique. C’est par le “oui” de Marie que Dieu en personne vient dans le monde. La femme est accueil fécond, soin, dévouement vital. » Ajoutant hors de son texte « La femme est plus importante que l’homme ». Il a conclu sur ce point :

« Ouvrons les yeux sur les nombreux exemples quotidiens d’amour, de l’amitié au travail, de l’étude à la responsabilité sociale et ecclésiale ; de la vie conjugale à la maternité, à la virginité pour le Royaume de Dieu et pour le service. Vous-mêmes êtes ici pour grandir en tant que femmes et en tant qu’hommes. Vous êtes en marche, en formation en tant que personnes. »

Voulez-vous la liberté ? Soyez des chercheurs et des témoins de la vérité ! En essayant d’être crédibles et cohérents à travers les choix quotidiens les plus simples

Le pape François

François a terminé son intervention en abordant la question de la vérité :

« il y a une réalité plus grande qui nous éclaire et nous dépasse : la vérité. Sans vérité, la vie perd son sens. L’étude a un sens lorsqu’elle cherche la vérité, et en la cherchant, elle comprend que nous sommes faits pour la trouver, y compris en étant critique. La vérité se laisse trouver : elle est accueillante, elle est disponible, elle est généreuse. »

Dernier conseil de François :

« Si nous renonçons à chercher ensemble la vérité, l’étude devient un instrument de pouvoir, de contrôle sur les autres. Elle ne sert pas, mais domine. Au contraire, la vérité nous rend libres. Voulez-vous la liberté ? Soyez des chercheurs et des témoins de la vérité ! En essayant d’être crédibles et cohérents à travers les choix quotidiens les plus simples. Ainsi, cette Université devient, chaque jour, ce qu’elle veut être, c’est-à-dire une Université catholique ! »

Il a même ajouté ce conseil improvisé :

« Avancez, n’entrez pas dans la lutte et les dichotomies idéologiques, l’Église est femme. »

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services