Analyse du nouveau livre de Christophe Guilluy, « Les Dépossédés », par François Bousquet :
[…] Guilluy a de la suite dans les idées. C’est l’homme d’une idée fixe, mais cette idée fixe est une des clefs de compréhension des votes Trump, Johnson, Le Pen. C’est un enfant de la gauche avant qu’elle ne devienne l’auxiliaire de la mondialisation. Un poulbot de Belleville avant que Belleville ne se transforme en parc à thèmes kitsch et plébéien où les cols blancs surjouent un rôle de col bleu sorti d’une friperie solidaire d’Emmaüs, où cette vache – tarée ou tarie – de Virginie Despentes prend des airs de Mistinguett de la défonce et de Louise Michel des frères Kouachi, où ce paon boursoufflé de Benjamin Biolay se dandine comme un Maurice Chevalier sans coffre des Buttes-Chaumont. Le contraire de Guilluy. Rat des villes, il est l’ambassadeur des rats des champs, avec un petit côté Gavroche qu’il cultive, un Gavroche qui aurait survécu au feu de la Garde nationale sans rien perdre de ses illusions, mais pas de ses cheveux. Car il est chauve autant qu’on peut l’être. Au cinéma, il pourrait jouer la doublure de Bruce Willis. Il serait le John McClane de la France périphérique. Comme Bruce Willis, il interpréterait toujours le même rôle, mais dont on ne se lasserait pas : venger les ploucs que nous sommes des bobos et des technos qui les assaillent.
« Gentrification » et « airbnbisation »
Jean Sévillia a lancé la mode de l’historiquement incorrect ; la spécialité de Guilluy, c’est le géographiquement incorrect. Ces Messieurs de l’Université l’ont donc banni – rien de nouveau depuis Rabelais –, Jacques Lévy en tête, le Trofim Lyssenko de la géographie savante. Jacques Lévy est l’archétype du mandarin qui ne regarde pas la Lune, mais le doigt qui montre la Lune. Il le triture dans tous les sens, il le tord, il le mord. Le doigt, c’est Christophe Guilluy ; et la Lune, c’est la France périphérique, face cachée des représentations médiatiques et universitaires. Comme dans « La lettre volée » d’Edgar Allan Poe, tout le monde avait le peuple sous les yeux, mais personne ne le voyait. Guilluy l’a vu. Une France reléguée, invisibilisée, infériorisée, qui se partage les miettes et le mépris. Pour rappel, l’ensemble des grandes métropoles – soit 5 % du territoire – produit 50 % des richesses. Les 95 % restants, c’est la France qui fume des clopes et roule au diesel. Les « déplorables » aux États-Unis, les dépossédés ici.
La carte de France ne sera bientôt plus qu’une carte du prix de l’immobilier, avec le mètre carré pour seul mètre étalon. Le prix du mètre carré consacre le retour du mouvement des enclosures. Pour ceux qui l’auraient oublié, ce mouvement a redessiné le visage de la Grande-Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles en privatisant les terres communales et seigneuriales qui bénéficiaient d’un droit d’usage au profit des paysans. Hier, chassée des campagnes, cette main-d’œuvre servile a grossi les rangs de l’industrie naissante. Aujourd’hui, chassée des villes, elle fournit les cohortes périurbaines de la désindustrialisation. Le scénario se répète partout. Partout les « Anywhere » chassent les « Somewhere ». Nul besoin d’envoyer la troupe, les promoteurs immobiliers suffisent. Alors, la « gentrification » et l’« airbnbisation », les deux mamelles de la France d’après ?
Bobo sapiens, ses enclaves et ses esclaves
Celui qui veut comprendre l’effondrement électoral de la gauche doit impérativement lire Guilluy. Même si c’est lui qui a désensablé la France périphérique, le sujet qu’il maîtrise le mieux, c’est la France métropolitaine, celle que Bobo sapiens, comédien et martyr, a colonisée. Ses livres en dressent la sociologie féroce et réjouissante. Son habitat confortable et son habitus conformiste.
Le propre des bobos, c’est de se raconter des bobards. De faire semblant d’être ce qu’ils ne sont pas. Des artistes, des bohèmes, des révolutionnaires. Alors qu’ils appartiennent de plain-pied à la classe dominante. À eux, le capital culturel légitime. À la bourgeoisie d’affaire, le capital économique. À eux deux, le pouvoir sur les esprits. Ainsi fonctionne l’alliance des libéraux-libertaires dont le capitalisme woke est l’ultime avatar.
La société ouverte est une contradiction dans les termes. Elle n’est ouverte que pour ceux qui ont les moyens de la mobilité. Et fermée pour tous les autres. Voyez comme les grandes métropoles ont dressé des murs – je dis bien : des murs, et pas des ponts – en rétablissant l’octroi, impôt féodal, à leurs portes. Le 1er janvier 2023, c’est-à-dire demain, les véhicules diesel immatriculés avant le 1er janvier 2011 ne pourront plus pénétrer dans les grandes villes. Ce qui condamne des millions de Français et leurs véhicules. Les seuls pauvres qui pourront franchir ces barrages filtrants seront Fatoumata la nounou, Kader le chauffeur Uber, Mamadou le livreur, plus ces passagers clandestins que sont le migrant et le délinquant. Les électeurs de Macron et de Mélenchon auront ainsi leurs « nègres de maison », ainsi que les appelait Malcolm X. Des enclaves et des esclaves.
La double peine pour les ploucs
Tout est fait pour occulter la réalité centrale de notre temps : la guerre des territoires et l’enclavement de la majorité fractionnée dans une archipélisation mortifère qui interdit la constitution d’un bloc majoritaire. Il s’agit à chaque fois d’ensevelir le peuple sous des représentations tronquées. Cette guerre des représentations est à sens unique. Elle est menée par les minorités trans, woke, racisées, grâce au financement des ONG et des multinationales qui travaillent main dans la main. Aucun appareil de propagande n’en a jamais eu la puissance de feu. Le cinéma, les séries, les médias centraux, l’Éducation nationale, etc. Tous racontent la même fiction, le fameux « narratif » des communicants, avec un panurgisme sans précédent. L’objectif ? Bâillonner le sujet politique majoritaire.
De fait, toutes les contestations d’envergure qui ont vu le jour depuis trente ans viennent de la périphérie, du référendum de Maastricht aux Gilets jaunes. Aucun mouvement social d’ampleur n’est sorti d’un mélenchonisme de carnaval ou de l’intersectionnalité. La manifestation de dimanche « contre la vie chère et l’inaction climatique » organisée par la Nupes en fournit l’illustration clownesque. Quoi de commun entre les « fins de mois » difficiles et les « fins du monde » climatiques ? Rien. Il ne peut pas y avoir de convergence des luttes là où il y a divergence des buts.
Depuis trente ans, les « fins du monde » font payer aux « fins de mois » leur bonne conscience pseudo écologique : en surtaxant le diesel et en détaxant le kérosène ; en écotaxant la voiture à essence tout en signant des accords de partenariat au bilan carbone désastreux avec la Nouvelle-Zélande ou le Canada ; en subventionnant les inabordables voitures électriques, joujou surpolluant du bobo et du retraité macronien, moyennant des primes à l’achat exorbitantes ; en implantant partout des éoliennes pour faire marcher le vélo électrique des citadins ; en roulant à 80 km/h pour que le cadre télétravaillant à la mer puisse surfer en 5G. C’est la double peine pour le plouc et le coup double pour le bobo dans le vent. À l’un la dégringolade, à l’autre la martingale d’un jeu d’argent truqué.
Nos grandes espérances
Mais le « narratif » dominant est en panne. 13 millions de gens ont voté Marine au second tour, 13 millions se sont abstenus, 2 millions ont voté blanc. Ainsi le bloc populaire cher à Jérôme Sainte-Marie se consolide-t-il élection après élection. Alors, certes, on pourra reprocher à Guilluy de mythifier ce peuple en transformant les gens ordinaires en créatures littéralement extraordinaires à force de leur conférer une sorte de vertu immanente et de décence immaculée, loin, très loin, de qu’ils sont dans la vraie vie. Qu’importe ! Il a magistralement démystifié les trois fables sur lesquelles repose la mondialisation : il n’y a pas d’alternative, la société n’existe pas et la majorité est archipélisée. Or, il y a une alternative, la société n’est pas morte et la majorité silencieuse est en train de se coaguler. Voilà notre espérance pour les années à venir. On a connu pire perspective.
Meltoisan
Très intéressant et bien écrit. Merci à Christophe Guilluy et à François Bousquet. Et au Salon Beige, bien sûr.
À l’époque tristounette que nous vivons, cela réchauffe le cœur
“… il y a une alternative, la société n’est pas morte et la majorité silencieuse est en train de se coaguler. Voilà notre espérance pour les années à venir. On a connu pire perspective.”
Collapsus
Je suis moins optimiste que la conclusion de l’article. Pour une seule et bonne raison : ceux qui sont sensés représenter notre avenir et reconstruire une société viable et humaine, à savoir nos jeunes, cette jeunesse qui devrait reprendre les manettes et incarner la saine réaction et qui nous sauverait du naufrage annoncé, qui saurait résister au rouleau compresseur du woke, du transhumanisme, de la submersion islamiste, du naufrage moral, cette jeunesse-là, à part une minorité vaillante mait trop isolée et bridée, est totalement décérébrée par l’Éducation nationale, inculte, gavée de crack, d’écrans, de jeux vidéo et de films pornos. Le gros de la troupe est pourri.
Croyez-vous vraiment que c’est cette jeunesse qui va sauver notre modèle de société chrétienne ?