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France : Politique en France / Pays : Russie

On peut ne pas aimer le régime russe, il n’empêche que la géographie est têtue

On peut ne pas aimer le régime russe, il n’empêche que la géographie est têtue

Suite à l’audition de François Fillon par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée aux influences étrangères, Tugdual Denis écrit pour Valeurs Actuelles :

Un ton calme, posé, des propos précis et clairs. Pédagogique serait-on presque tentés de dire. Ainsi s’est avancé François Fillon lors de son audition devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale consacrée aux influences étrangères, le mercredi 2 mai. Le journal Le Monde et les fainéants des réseaux sociaux n’ayant vu que des moments parcellaires auront retenu l’audition d’un homme “faisant le sourd” (Le Monde) ou cette formule de défense d’un ancien politique reconverti dans le privé: “Si j’ai envie de vendre des rillettes sur la Place rouge, je vendrai des rillettes sur la Place rouge.” Nous avons regardé les deux heures et trente quatre minutes de cette audition, et nous avons assisté à une leçon de géopolitique, que nombre de responsables contemporains, de tous bords, seraient bien en peine de donner.

Il faut d’abord saluer l’atmosphère courtoise -cela change- des débats menés par le président de la commission, le député Rassemblement national Jean-Philippe Tanguy. Les sourires de François Fillon, son autodérision, loin des descriptions de la presse laissant entendre une forme d’arrogance, voire, pire, d’indolence et de déconnexion, renforcent la comestibilité de cette rediffusion. L’interrogé avait des notes qu’il n’aura finalement quasiment pas consultées. Une économie de mots. Ses réponses s’achèvent parfois comme une note de musique volée.

Le Sarthois sait très bien ce que l’on pense de lui:  “Je vois les ricanements” prévient-il avant d’expliquer qu’il conseillait une des entreprises sur les sujets de transition énergétique et de conformité sociale. Il ne tourne pas autour du pot dans son propos liminaire. On veut savoir comment se fait-il qu’il ose encore prononcer le mot “Russie” ? Alors il déroule:

“Une chose n’a pas changé, depuis le général de Gaulle: la géographie. Nous sommes sur le même continent que la Russie. Une immense partie de la Russie est européenne. On peut ne pas aimer le régime russe, et il y a bien des raisons d’être en désaccord avec lui, mais cela n’enlève rien à cette constatation.” Et “cela nous oblige à trouver avec la Russie un mode de relation qui nous permette de trouver la paix et la sécurité.”

D’emblée, ne cherchant pas à flatter la commission, il modifie la focale. Des ingérences étrangères ? Oui, il en a eu beaucoup à traiter en tant que responsable public, et elles venaient pour l’essentiel, sous ses mandats, des… Etats-Unis. “J’ai été écouté pendant cinq ans avec le président Sarkozy par la NSA.” Pire que cela, l’ingérence américaine qui lui semble la plus préoccupante, réside dans le principe d’extraterritorialité, qui permet aux USA de sanctionner des entreprises européennes. La BNP, qui avait payé 9 milliards d’amende en 2014 pour avoir commercé au Soudan s’en souvient.

“Il est tout à fait inacceptable qu’un pays, fut-il allié, se permette de mettre sous monitoring nos entreprises. Mais une grande partie des Européens ne feront jamais de bras de fer avec les Etats-Unis.”

“J’ai voté contre la monnaie unique”, rappelle-t-il, bien que ses promoteurs prédisaient que l’euro puisse devenir une monnaie internationale, ce qui n’est jamais advenu. Fillon, avant sa campagne de 2017, a fait le tour d’Europe des ministres des Finances, et l’Allemand Schauble lui a répondu

“Tu as parfaitement raison mais c’est impossible, nous ne le ferons jamais. Car ce sont les Américains qui assurent notre sécurité.”

Idem pour les Polonais.

Que dire, par ailleurs, de l’ingérence chinoise, quand une délégation branche des clés USB chez Airbus pour procéder à de l’espionnage industriel ? Que dire, enfin, des responsables religieux liés à l’Algérie, au Maroc, ou à la Turquie, et qui donnent des consignes de votes par le biais des imams dans les mosquées françaises.

Les contempteurs n’entendent que ce qu’ils ont envie d’entendre. Maintes fois pourtant François Fillon exposera de réalistes critiques à l’endroit de la Russie. Pays, qui, en matière d’ingérence, “le fait souvent de façon assez grossière”, comme par exemple en montant une confidentielle chaîne de télévision ou en bricolant sur les réseaux sociaux. Pays où il manque de l’essence dans un véhicule de combat, où “un type qui devait être là ne l’est finalement pas”, où rien ne fonctionne jamais vraiment. Pays, aussi, transmuté par les sanctions occidentales mises en œuvre à partir de 2014, au tout début de la crise ukrainienne.

De quoi râler contre l’actuelle attitude de la France ? “Mon pays est en conflit avec la Russie, donc je ne ferai rien qui puisse gêner le gouvernement de mon pays dans ce conflit” balaie François Fillon. Avant d’ajouter que la décision d’envahir l’Ukraine est “une faute qui a été commise par la Russie qui aura des conséquences à très long terme pour elle, pour l’Ukraine, et pour l’Europe.”

Un rappel salutaire: il fut un temps où la relation économique, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, était fructueuse. Renault devient premier constructeur automobile en Russie, Alstom investit dans les chemins de fer russes, Vinci construit l’autoroute entre Saint-Pétersbourg et Moscou, Kourou se pourvoit d’un pas de tir pour lancer Soyouz. Et ainsi de suite. Une relation commerciale qui permit à Nicolas Sarkozy de faire stopper l’opération militaire de Vladimir Poutine en Géorgie. Tout cela, désormais qu’il est trop tard, va entraîner “une fracture considérable” entre l’Occident et une grande partie du reste du monde.

Les députés en viennent à ce qui les émoustille. François Fillon a un -court- temps siégé à des conseils d’administration en Russie. Parce qu’il est ce qu’il est ? Evidemment que son expérience d’ancien Premier ministre compta dans son recrutement. “Et pas seulement un carnet d’adresses.” Deux entreprises, en l’occurrence, avec lesquelles “il n’y a pas de relation stratégique avec la France. Aucune.” Petite précision: dans la mesure où la guerre en Ukraine a éclaté dès le mois de février 2022, François Fillon a démissionné de ses postes d’administrateur, et n’aura donc pas touché un centime dans ces éphémères fonctions.

Il révèle néanmoins une discussion avec Vladimir Poutine en 2018. Poutine apprenant sa présence en Russie demande à le voir. Il choisit de lui parler de la situation d’isolement diplomatique de la Russie suite au conflit, déjà, en Crimée et au Donbass. Poutine le regarde et lui demande, d’un air dubitatif: “Ah oui ? Et avec qui je parle ?” Fillon hasarde: “Avec le président Macron.” L’ancien Premier ministre préviendra Emmanuel Macron de cet échange à son retour en France. Lui et le président de la République continueront d’échanger sur le sujet.

L’intérêt de cette commission d’enquête consacrée aux ingérences réside dans le fait que le thème même du débat permet d’embrasser le sujet plus large et ô combien passionnant de la tectonique des plaques de la diplomatie mondiale.

Prenez l’exemple de la Chine. Les Chinois avaient inventé un système limitant à deux mandats l’exercice de leurs présidents. Xi Jinping est revenu sur cette disposition, et il s’agit “d’une grave erreur”.

Or, “plus le temps va passer, plus la sortie du pouvoir du dirigeant autoritaire va devenir impossible, voire dangereuse pour lui.’ François Fillon n’est d’ailleurs jamais allé en Chine avec son téléphone portable ou son ordinateur. “Le seul vrai risque de conflit mondial”, se permet-il de préciser en guise de repositionnement de problématique, c’est celui entre la Chine et les Etats-Unis.

“Le régime chinois est plus dur que le régime russe. Et sa menace bien plus grande. Que fait-on avec les pays du Golfe ? L’Arabie saoudite est un régime démocratique ?”

La dernière leçon sera pour la presse. Notre presse. Notre capacité à débattre, et, au fond, à penser contre nous-même pour mieux nous convaincre.

“Dans les campagnes d’autrefois, on accusait les communistes d’être aux ordres de l’URSS et les centristes de Washington”. “Dans ces époques, il y avait une presse plus contradictoire. Là, sur un certain nombre de sujets, on a l’impression que c’est unanime. Sur l’exemple de la guerre en Ukraine, il y a paradoxalement aux Etats Unis, dans le pays le plus engagé dans cette guerre, un débat beaucoup plus ouvert. Or ce n’est jamais bon quand c’est unanime…”

On souhaite à tous les journalistes un tant soit peu capables d’honnêteté intellectuelle de réfléchir à ces lignes. Et l’on ne souhaite pas aux responsables politiques de droite d’aujourd’hui, qui se pensent aptes à gouverner malgré leurs lacunes, d’avoir regardé l’entièreté de cette audition. Saeva comparatio.

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4 commentaires

  1. Rien ne fonctionne jamais vraiment en Russie ? Sauf peut-être les missiles hypersoniques ? Ce Fillon ne m’a pas laissé le souvenir d’un gouvernant très performant. Malgré tout il a raison sur un point : se couper de la Russie est une absurdité politique et économique. Vinci a construit l’autoroute Moscou – Saint Petersbourg ? Bouygues pourrait participer à la reconstruction de Marioupol ou de Bakhmout. Au lieu de ça, leur chaîne tv LCI bave tous les jours sur les méchants Russes en invitant une rangée de harpies ukro-otaniennes. Politique de Gribouille.

  2. La France a perdu gros en rejetant François Fillon en 2017.
    Je persiste à penser et à dire que sa défaite est largement dû à l’aveuglement de la majeure partie de la droite conservatrice qui a éliminé François Fillon du deuxième tour en votant pour Marine Le Pen.
    Marine Le Pen n’avait aucune chance d’être élue au second tour et surtout, il y a longtemps qu’elle avait jeté aux orties les valeurs de droite longtemps défendu par son père.

  3. Ne pas oublier ses liens avec Bilderberg et la French American Fondation et son ralliement à Macron aux présidentielle de 2017 à 20h02 le soir du 1° tour. Bonnet blanc pour la droite là où Macron était blanc bonnet pour la gauche, je touille, farfouille et t’embrouille. Cinq ans premier ministre sans laisser un souvenir impérissable.

  4. Oui, c’est ça Collapsus. A 20h02 il faisait allégeance à son bourreau Macron dans une sorte de syndrome de Stockholm. C’était un passage de témoin. Il jetait une éventuelle rancune à la rivière, selon la formule de Giscard d’Estaing. D’ailleurs la droite conservatrice lui a emboîté le pas et vote comme un seul homme dorénavant pour Macron. J’ajoute en passant que son modèle de Gaulle était lié personnellement à Staline par un pacte de subordination plutôt qu’à la Sainte Russie. Poutine cultive cette ambigüité. Les mythes anciens perdurent, y compris chez les néocons yankees.

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